SÉMANTIQUE TEXTUELLE 2

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3.2. Le modèle

Ce modèle, intéressant et efficace lorsqu’il est bien construit, n’appartient pas en propre à la sémantique interprétative, mais à la sémiotique du discours (Greimas-Courtés [1]) qui peut ici compléter utilement la théorie sémantique interprétative.

Le carré sémiotique, représentation visuelle de l’articulation logique d’une catégorie sémantique, intègre les relations de contrariété et de contradiction et offre un jeu de relations et d'opérations : les premières servent à classer les valeurs d'un texte (taxinomie, morphologie) ; les secondes entendent rendre compte du passage d’une valeur à l’autre (mouvements sur le carré, progression du sens, syntaxe). Ce modèle se présente de la façon suivante (la lettre s représente la valeur sémique) :


Fig. 4 Le carré sémiotique

Les deux termes du bas peuvent aussi s’écrire avec la barre de négation.

- typologie des relations et des opérations (première génération des termes catégoriels) :

On part de l’opposition s1  vs  s2 (vs : abréviation du mot latin versus qui signifie l'opposition) qui constitue l’axe sémantique (S). Chaque terme peut contracter une relation de type s/non-s.

La relation s1/non-s1 ou s2/non-s2 est une relation de contradiction (impossibilité de la co-présence) ; c'est une définitions statique, à quoi correspond, du point de vue dynamique, l’opération de négation. Ce passage, par l’opération de négation, de s1 à non-s1 ou de s2 à non-s2 (par exemple de riche à non-riche ou de pauvre à non-pauvre), conduit à asserter s1 ou s2 (S = s1+s2 de même que non-S = non-s1+non-s2).

Entre s1 et non-s2 et entre s2 et non-s1, il y a une relation de complémentarité correspondant à une opération d’implication  : non-s1 implique s2 et non-s2 implique s1 ; ainsi la double implication fait apparaître les deux primitifs (s1 et s2) comme des présupposés des termes assertés (non-s2 et non-s1). Si la double implication (à la suite des opérations de négation) produit cette double implication parallèle, les deux primitifs présupposés sont les termes d'une seule et même catégorie et l'axe sémantique choisi est constitutif d'une catégorie sémantique (riche/pauvre, par exemple) ; sinon, les deux primitifs avec leurs contradictoires relèvent de deux catégories sémantiques différentes ((ex. *peindre/écrire : ordinairement, la négation de peindre n’implique pas écrire ; toutefois, il faut toujours garder à l’esprit que c’est le texte qui établit ses oppositions, ses valeurs et que celles-ci peuvent être originales et différentes de celles que l’on est habitué à rencontrer; il n’y a pas de catégorie « en soi », celles-ci ne se repèrent que lors de l’analyse textuelle).

N. B. En logique stricte, c’est s1 qui implique non-s2 (riche implique non-pauvre) et s2 qui implique non-s1 (pauvre implique non-riche) et non l’inverse; quand on dit que non-s1 implique s2 ou non-s2 implique s1, on a en vue des transformations courantes dans la narrativité : par exemple, un personnage, riche au début de l’histoire, peut perdre progressivement sa richesse pour finir pauvre ; il effectue le trajet narratif s1®non-s1®s2 (l’inverse, évidemment, est possible).

Les deux primitifs (s1 et s2) contractent une relation de présupposition réciproque ou contrariété. Pas d’opération à ce niveau, car le modèle ne prévoit pas de passage direct de s1 à s2 ou l’inverse. La contrariété est la relation constitutive de la catégorie sémantique : deux termes d'un axe sémantique ne peuvent être dits contraires « que si, et seulement si, le contradictoire de chacun d’eux peut impliquer le contraire de l’autre » (Greimas et Courtés, op. cit., p. 69, article « contrariété »).

Les relations servent à classer les valeurs du texte et les opérations rendent compte du passage d’une valeur à l’autre (de riche à pauvre par exemple) ; la position du terme négatif (non-s1 ou non-s2) en annulant l’un des contraires (s1 ou s2) rend possible l’apparition de l'autre (s2 ou s1). Les termes négatifs sont, dans cette optique textuelle, des points de passage d'un type de contenu à son contraire (phénomène de narrativité en général : transformation des contenus).

- commentaire de la structure et des symboles du carré

 

s1-s2 : axe des contraires (S)

non-s1-non-s2 : axe des subcontraires (non-S)

s1-non-s1 : schéma positif

s2-non-s2 : schéma négatif

s1-non-s2 : deixis positive

s2-non-s1 : deixis négative

Une catégorie sémantique peut être appelée contradictoire lorsque la négation de ses primitifs produit des implications tautologiques (s1 = s2, définition taxinomique qui satisfait la logique traditionnelle qui peut opérer des substitutions, non orientées, dans les deux sens en remplaçant assertion par négation). En linguistique, le discours garde des traces d’opérations syntaxiques antérieurement effectuées : « si » est l'équivalent de « oui », mais comporte, sous forme de présupposition implicite, une opération de négation antérieure :

non => si => (oui)

Il peut être pertinent, même pour les catégories perçues ordinairement comme contradictoires, d’utiliser le carré, si le texte y invite.

- tout système sémiotique est une hiérarchie : les relations entre termes peuvent servir de termes établissant entre eux des relations hiérarchiquement supérieures (les fonctions jouent le rôle de termes, de fonctifs). Deux relations de contrariété contractent une relation de contradiction (S-non-S) et deux relations de complémentarité établissent entre elles la relation de contrariété. Ainsi du carré de la véridiction où vérité et fausseté sont des métatermes contradictoires et secret et illusion des métatermes contraires (ce sont les termes et catégories de deuxième génération).


Fig. 5 Le carré de la véridiction

- troisième génération des termes catégoriels : Il s'agit des termes neutres (non-s2 + non-s1) et complexes (s1 et s2) ; ce dernier pouvant être modulé en terme complexe positif ou terme complexe négatif. Les termes catégoriels complexes se manifestent dans les discours sacrés, mythiques, poétiques (cf. l’oxymore). La solution est difficile, car ces termes supposent la reconnaissance de parcours syntaxiques fort complexes et probablement contradictoires qui aboutissent à ce genre de formations.

- une catégorie sémantique ainsi obtenue peut servir de base à un ensemble de sous-articulations de plus en plus fines et recouvrir un micro-univers sémantique générateur de discours. Il y a ainsi  des catégories abstraites et générales considérées, à titre d'hypothèse, comme des universaux sémantiques : la catégorie vie/mort articule les univers individuels et la catégorie nature/culture les univers collectifs ; la catégorie thymique (euphorie/dysphorie) confère la valorisation (positive ou négative - niveau axiologique), et dans certains textes, les éléments (eau, air, terre, feu, diversement manifestés lexicalement, cf. G. Bachelard) peuvent investir la structure du carré avec diverses valeurs (structure axiologique figurative).

N. B. Il ne s’agit pas de trouver, à toute force, un carré sémiotique dans tout texte. C’est un modèle qui peut être utile, mais qui doit être construit à partir des données textuelles.


[1] Cf. Greimas, A. J. et Courtés, J. (1993) Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette.

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