SÉMANTIQUE TEXTUELLE 2

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4.2.2. Zola

Il s’agit ici essentiellement d’une synthèse en termes de sémantique interprétative (classes, isotopies, structuration signifiante de l’espace) qui présuppose la partie analytique (analyse sémique) représentée par l’étude en champs lexicaux, et qu’il faudra compléter et affiner sur certains points. On considérera surtout les paragraphes 3 et 4 (de « Ils arrivent… » à  « … sur les bois ».

Ce texte consiste notamment en la description assez complexe d’une pratique sociale – « la promenade des Parisiens aux fortifications, le dimanche, à la fin du 19ème siècle » - constituant une isotopie mésogénérique sur laquelle se fonde l’impression référentielle globale du texte.

Il y a des récurrences sémiques remarquables (à titre de sèmes inhérents – s.i. ou de sèmes afférents contextuels – s.a.c.) fondant des isotopies : Nature, Culture, Dégradation, Amélioration. Globalement, on peut dire que la Dégradation se trouve dans le 3ème paragraphe et l’Amélioration dans le 4ème paragraphe, que la « vraie » Nature apparaît au 4ème paragraphe, tandis que la Culture se trouve dans les deux paragraphes : pour ce dernier point, on notera que le 3ème paragraphe contient des références à la culture sous des aspects urbain et économique et que le 4ème paragraphe fait état d’éléments culturels renvoyant au festif et au vestimentaire.

L’isotopie générique /promenade/ s’articule, semble-t-il, en amélioration vs dégradation suivant les phases (dynamique/pragmatique et statique/cognitive) de la promenade.

De façon plus précise, en se reportant au champ /Nature/ (cf. champs lexicaux), on peut remarquer que ‘air’ et ‘vent’ s’opposent, grâce au contexte proche (« empoisonnent l’air » et « s’emplir la poitrine du vent qui a passé sur les bois »), selon /nocif/ vs /salubre/ (il s’agit de s.a.c. renvoyant aux sémantisme d’amélioration et de dégradation) ; il en va de même pour le végétal (se reporter aux occurrences et à leurs contextes), pour l’animal, pour l’élément /terre/ (auquel il faudrait adjoindre « terrains vagues » et « terrains dévastés », termes qui posent bien sûr la question de savoir si on est toujours dans la Nature…) ; l’élément /feu/ (il faudrait dans la liste rajouter « cheminées » et « panaches de fumée », mais alors il ne s’agit plus de feu « naturel ») relève toujours de la dégradation (cf. occurrences et contextes) qu’il appartienne à la nature ou à la culture ; les dénominations « naturelles » des personnages sont dotées (en soi ou via le contexte) du sème /amélioration/. Si l’on passe au champ de la Culture, on peut voir que les dénominations de l’acteur sous forme de types socio-culturels sont prises dans une relation d’opposition graduelle en contexte (Parisiens, population, peuple ouvrier et petits bourgeois, en famille) ; pour les artefacts, l’urbain (à nuancer pour les fortifications) et l’économique relèvent de la /dégradation/ alors que le vestimentaire et le festif relèvent de l’/amélioration/.

Ces différences de valeurs semblent liées à des différences topologiques (de lieux : selon, grossièrement pour l’instant, une opposition proche (derrière) vs loin (devant)).

Ce qui semble articuler fondamentalement l’isotopie mésogénérique ce sont les différents espaces mis en relation par cette randonnée et porteurs de certaines valeurs (dégradation/amélioration).

Dans une première approche, structurée mais relevant encore d’un point de vue référentiel, on pourrait dire que l’espace représenté dans le texte s’articule en trois régions :

- l’espace englobé : c’est l’espace de référence des fortifications, appartenant à la culture, mais on y trouve des éléments relevant de la nature. On notera surtout la dégradation et une frêle amélioration (« s’assoient », « ombre grêle » ) qui devient beaucoup plus importante à la fin en relation avec l’espace lointain.

- l’espace englobant : cf. « derrière eux » vs « devant eux » (articulation en sèmes spécifiques inhérents) ; on note aussi des articulations spatiales en /vertical/ vs /horizontal/, des afférences selon l’ouïe et l’odorat pour l’espace « derrière eux » et selon la vue pour l’espace « devant eux » ; la culture sous son aspect économique est commune, ainsi que la dégradation (afférence), surtout physique pour le premier sous-espace et plutôt esthétique pour le second.

- l’espace lointain (cf. « Par-delà ») : il relève de la Nature et est, du point de vue des Parisiens entièrement valorisé (même s’il l’est dans les termes de la culture !) et lié à l’amélioration. La valorisation s’infère – s.a.c. – contextuellement : l’encadrement par « Mais, qu ‘importe ! » et « cela leur suffit, ils sont enchantés » indique que ce qui est encadré est valorisé… du point de vue des Parisiens bien entendu.

Envisageons de façon plus détaillée la structuration signifiante de l’organisation spatiale (en termes de classes et d’isotopies). On laissera de côté une analyse qui ne considérerait qu’un seul taxème /espace/ opposant (opposition des membres d’un taxème), sur le modèle ville vs campagne, Paris et ses alentours plus ou moins immédiats (ici et là, espaces identitaire et proximal, affectés par la dégradation) et la campagne lointaine (là-bas, espace distal, lieu de l’amélioration), pour retenir une articulation en deux taxèmes ( constituant aussi des isotopies microgénériques) que permet une analyse plus fine (opposition de taxèmes et des membres des taxèmes).

Le premier serait constitué par l’espace /englobant/ (sème microgénérique renvoyant à un « là », espace proximal), disjoint selon /derrière eux / (sous-espace perçu par l’ouïe et à l’odorat) vs / devant eux / (sous-espace perçu par la vue) ; ces sèmes spécifiques sont lexicalisés dans ces expressions spatiales, mais en fait ils couvrent l’ensemble des segments qui commencent par ces expressions : isotopies spécifiques ; ces sous-espaces relèvent massivement du culturel (sous les aspects urbain et économique), même si la nature n’est pas absente (cf. relevés des champs lexicaux), et sont le lieu essentiellement d’une dégradation (isotopie sur le mode de l’afférence), même si apparaît une forme d’amélioration (le « cabaret de planches ») ; amélioration et dégradation supposent la structure agent/patient ou bénéficiaire ;elles connaissent les variations suivantes : Culture/Nature, Culture/Culture, Nature/Culture (transitif ou réflexif).

Le second pourrait être constitué de l’espace des fortifications et de l’espace de la campagne lointaine. En effet, le premier (les fortifications), à la faire précisément et justement débuter à « Ils arrivent éreintés et suants, dans le flot de poussière » (cf. « Puis, quand ils rentrent dans la fournaise des rues… »), est présenté comme un espace agreste et campagnard (relativement bien sûr, cf. les termes « gazon », « talus », « soleil », « arbre », « chenille »). Les deux espaces s’opposent comme /ici/ (espace identitaire) vs /là-bas/ (espace distal), sèmes spécifiques (et isotopies spécifiques puisque ces sèmes couvrent l’ensemble des segments envisagés) et selon dégradation et amélioration (isotopies sur le mode de l’afférence). En fait, une forme d’amélioration (légère) de la culture par la nature est présente dans le premier sous-espace (« ils s’assoient », « l’ombre grêle »), même s’il est surtout affecté par la dégradation culture/nature (« dans le flot de poussière », « en plein soleil »), nature/nature (« gazon brûlé », « arbre souffreteux rongé de chenilles »). Le second sous-espace présente une amélioration (valorisation) nature/culture (cf. les termes festifs, le culturel demeure clivé…) et une amélioration nature/nature (« les hommes… les femmes… s’emplir la poitrine du vent qui a passé sur les bois »). Bien sûr, il y a ici fusion du réel et de l’imaginaire (ou illusoire ?) ; le «Mais, qu’importe ! » instaure la liaison entre l’espace du sujet (il y a d’ailleurs des éléments relevant de la nature dans un ensemble culturel) et l’espace de l’objet (il y a des éléments culturels – afférents – dans un ensemble relevant de la nature).


//promenade// sème mésogénérique
 

s. microg.

//espace englobant//

proximal

s.p.i. /derrière/ vs /devant/

DEGRADATION/amélioration

Nature/Culture

s. microg

//fortif. et campagne//

identitaire et distal

/ici/ vs /là-bas/   s.p.i.

dégradation/AMELIORATION

Nature/Culture

 

Fig. 6 Promenade

Tout cela ne rend pas compte de la complexité de l’analyse et des questions qui peuvent surgir. Notamment, le statut de Nature et Culture est délicat. Sont-ce des dimensions ? S’il est bien question globalement dans ce texte, dans le cadre de la promenade des Parisiens, des dimensions de la Nature et de la Culture, il faut bien voir que le texte évoque dans chaque espace les rapports qu’entretiennent Nature et Culture et non seulement cela, mais aussi les rapports que la Nature comme la Culture entretient avec elle-même (transitif et réflexif) ; et ces rapports sont gérés par l’opposition dégradation/amélioration de type prédicatif et qui appelle la présence d’un agent et d’un patient/bénéficiaire. De ce point de vue, les deux espaces s’opposent selon ces traitements.

On notera, pour finir, que le dernier paragraphe du texte de Zola, comprend deux moments distincts sémantiquement :

- celui de la /valorisation/, de type cognitif, qui prend naissance dans la vue que la distance transforme en vision (en laissant de côté le problème de savoir qui effectue les comparaisons, l’énonciateur ou « les braves gens » ?).

- celui de l’/amélioration/, de type pragmatique, et qui répond aux diverses dégradations précédentes : « les hommes retirent leurs vestes » (cf. « suants »), « les femmes se couchent… étalés » (cf. « faire plusieurs kilomètres à pied », « éreintés »), « tous restent là… s’emplir la poitrine du vent qui a passé sur les bois » (cf. « qui étouffe », « flot de poussière », « empoisonnent l’air »).

Par rapport au premier moment, on note la co-occurrence de termes relevant de la nature (terre + végétal) et de termes relevant de la culture (sous son aspect festif et ludique), mais l’important est que l’agression nature/culture a disparu et qu’une sorte d’équivalence est établie entre les deux termes (et aussi entre l’espace identitaire de l’ici et l’espace distal de là-bas), équivalence orientée puisque la nature est interprétée dans les termes de la culture, interprétation « miniaturiste » contrainte par la perspective éloignée (de même /horizontal/ et /vertical/ se retrouvent, sur le mode du restreint).

Quant au second moment, on remarquera que les acteurs se dépouillent d’attributs culturels ou s’en servent en détournant leur usage normal (« vestes », « mouchoirs »), qu’ils perdent leurs dénominations socio-culturelles pour n’être plus que des « hommes » et des « femmes » (relevant de la nature de ce fait) en relation améliorante avec un élément dynamique (le seul du texte) de la nature (le « vent ») venu de la nature (« les bois ». Les Parisiens sont arrivés jusqu’aux fortifications ; le vent, en sens inverse (et complémentaire) parvient aux fortifications…


[*] ménagerie (1869) : ensemble d’animaux miniatures en plastique ou en bois (jouet), définition du Trésor de la Langue Française.

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