Carine DUTEIL-MOUGEL : INTRODUCTION À LA RHÉTORIQUE
Chapitre 1. L'époque classique (V-IVe siècle av. J.-C.)
SOMMAIRE :
1.
Les débuts
2.
Sophistes et opposants
3.
Aristote
3.1.
La persuasion
3.2.
Les genres oratoires
3.3.
Les preuves techniques
3.4.
Le style
3.5.
La disposition
4.
La place prépondérante de l'écriture
1. Les débuts
Si l'on suit Aristote [1], la rhétorique aurait été inventée par le grand poète et savant Sicilien Empédocle, au Ve siècle av. J.-C. mais tout porte à croire que l'éloquence était pratiquée bien avant comme en témoignent les poèmes d'Homère [2] dans lesquels figurent des discours travaillés – discours qui seront repris comme exemples par les rhéteurs.
Le Sicilien Corax (Ve siècle av. J.-C.), élève d'Empédocle, est celui qui propose la première définition de la rhétorique : elle est selon lui « ouvrière de persuasion ». Son disciple, Tisias (vers 460-400 av. J.-C.) élabore quant à lui le premier « art oratoire » [3] : il s'agit d'un recueil de préceptes pratiques accompagnés d'exemples utilisables dans les débats et dans les litiges.
Ces premières technai sont destinées aux Siciliens, qui après la chute de la tyrannie en 466 av. J.-C., intentent de nombreux procès [4]. La rhétorique incarne alors pour les plaideurs, le moyen de défendre leur cause devant des grands jurys populaires ; elle est un instrument de persuasion destiné à rendre justice – ce qui a valu à la rhétorique la réputation d'être née de procès de propriété.
L'éloquence se constitue rapidement en objet d'enseignement avec pour premiers professeurs, Empédocle, Corax et Tisias. C'est à ces deux derniers que l'on doit la découverte du concept de vraisemblable ; et l'on attribue également à Corax l'invention d'un argument qui porte son nom : le corax. Cet argument destiné aux plaideurs se trouvant en mauvaise posture, consiste à dire qu'une chose est fausse parce qu'elle est trop vraisemblable - si par exemple, un homme est accusé de crime, il s'agit de dire qu'il est innocent, justement parce qu'il serait trop vraisemblable qu'il soit le criminel [5].
Cet enseignement pénètre en Attique [6]. Athènes est alors en plein épanouissement démocratique [7] ; l'assemblée du peuple [8] et le conseil [9] sont des lieux de débat où la parole joue un rôle essentiel. Avec l'ouverture de procès, le tribunal populaire [10] devient le lieu privilégié de l'éloquence. Une autre forme d'éloquence, l'éloquence épidictique, confiée à des hommes d'état, est destinée aux circonstances solennelles : à l'occasion des grandes fêtes comme les Panathénées d'Athènes ou les Jeux Olympiques, et lors des funérailles aristocratiques. C'est lors de ces dernières que des éloges funèbres, d'abord composés en vers puis en prose, sont prononcés.
2. Sophistes et
opposants
De nombreux sophistes [11] réalisent des technai au Ve siècle av. J.-C. ; on citera Théodore de Byzance [12], Antiphon [13] qui écrit des modèles d'antilogie judiciaire [14], ou encore Thrasymaque de Chalcédoine [15] auquel la tradition attribue une grande technique (megalè technè)dans laquelle l'auteur développe les moyens de faire naître les émotions (pathos).
Protagoras (485 - mort peu après 411 av. J.-C.)
Protagoras [16] est l'initiateur du mouvement sophistique ; il inaugure les leçons publiques payées, et souhaite par son enseignement former les futurs citoyens d'Athènes [17]. Protagoras est également considéré comme le fondateur de l'éristique, l'art de la controverse ou antilogie. Tout son enseignement repose sur le principe suivant : sur n'importe quelle question, on peut soutenir deux thèses opposées.
Gorgias de Leontium (483- 376 av. J.-C.)
Gorgias [18] est considéré comme étant celui qui introduit la rhétorique à Athènes en 427 av. J.-C. [19] Ce Sophiste Sicilien est un grand maître de rhétorique [20], surtout célèbre pour le travail du style de ses textes épidictiques. C'est lui qui, pour remplacer la métrique et la musicalité du vers [21], développe une véritable prose d'art. Gorgias fait la lecture de ses discours devant des auditeurs [22] fortement surpris à l'époque par son style très personnel, tellement personnel que les Grecs ont forgé le terme « gorgianiser » pour dire « parler à la manière de Gorgias ».
Sa prose est travaillée et minutieuse dans le choix et l'arrangement des mots ; c'est une prose rythmée grâce à l'utilisation de figures recherchant la symétrie et les balancements - figures célèbres que la tradition a baptisées « figures gorgianiques ». Il s'agit pour l'essentiel de l'homéotéleute, de l'homéoptote, de la répétition de sonorités, de l'isokolon (parallélisme de membres de phrase), du chiasme, et de l'antithèse.
Gorgias croit en la puissance magique des paroles ; et selon lui, ces figures donnent à l'expression une valeur incantatoire [la force de l'incantation, dans l'âme, se mêle à l'opinion, la charme, la persuade et, par sa magie, change ses dispositions. (Gorgias, Défense d'Hélène, 20.)]. Gorgias insiste sur la force de ravissement du discours, sur son pouvoir sur l'âme [le discours est un tyran très puissant [23] (Gorgias, Défense d'Hélène, 8.) ; Il existe une analogie entre la puissance du discours à l'égard de l'ordonnance de l'âme et l'ordonnance des drogues à l'égard de la nature des corps. (Gorgias, Défense d'Hélène, 14.)].
Lysias (459-380 av. J.-C.)
Lysias est un métèque qui dut s'exiler d'Athènes lorsque les Trente Tyrans prirent le pouvoir en renversant la démocratie (en 404 av.). Quand il revint à Athènes après la chute des Trente Tyrans, il exerça le métier de logographe [24]. On possède de lui trente cinq discours [25] dont trente et un sont des plaidoyers judiciaires - il a également écrit des discours d'apparat : l'Oraison funèbre et le Discours Olympique.
Lysias est réputé pour son naturel et l'élégance de son style. Il n'a prononcé qu'un seul discours sous son propre nom, le Contre Eratosthène dans lequel il montre ses talents de conteur – il utilise beaucoup la figure de l'éthopée.
Isocrate (436-338 av. J.-C.)
Vers 392 av. J.-C. Isocrate [26] fonde à Athènes une école et publie en même temps un discours-manifeste intitulé Contre les sophistes dans lequel il se positionne contre les sophistes, leur reprochant la futilité de leurs sujets [27] et leur tendance à ne pas exploiter de grandes idées à des fins délibératives [28]. Il les accuse également de réduire la rhétorique à un exercice formel en mésestimant les conséquences politiques de leur enseignement.
Isocrate défend ce qu'il présente comme une nouvelle méthode d'enseignement oratoire ; l'éloquence qu'il enseigne à ses élèves traite des questions les plus importantes de la vie sociale et politique et Isocrate insiste sur la morale et sur le travail personnel - son enseignement lui vaut la réputation d'être un grand pédagogue. Isocrate accorde une grande place au style des discours, à la qualité de la prose oratoire qui contribue selon lui à l'efficacité des discours. Pour être éloquent, l'orateur doit élaborer un ensemble harmonieux ; c'est dans ce but qu'Isocrate consacre un important travail à l'invention du style périodique - la « période isocratique » crée des rythmes et des intervalles évoquant la métrique de la poésie.
La faiblesse de sa voix et sa réserve naturelle interdisent à Isocrate d'être un orateur politique [29] ; néanmoins il expose ses idées politiques dans de nombreux discours fictifs [30] composés dans un style très travaillé, présentant des périodes d'une complexité si grande qu'il n'est pas possible de les déclamer devant l'assemblée [31]. L'éloquence politique d'Isocrate est ainsi conçue pour des débats imaginaires et ses discours servent de modèles pour ses élèves [32].
Après avoir consacré dix ans à sa rédaction, Isocrate publie en 380 av. le Panégyrique dans lequel il fait l'éloge d'Athènes [33] et expose ses idées politiques ; il entend ainsi fournir à ses élèves le modèle du discours d'apparat [34].
Démosthène (384-322 av. J.-C.)
Après avoir plaidé dans des procès privés et exercé les fonctions de logographe, Démosthène, formé par Isée (420-350 av. J.-C.) et Isocrate, s'engage rapidement dans la politique et se pose en défenseur de la grandeur d'Athènes contre le pouvoir macédonien (Philippe et Alexandre de Macédoine). Son éloquence est véhémente et il a la réputation de s'entraîner beaucoup [35].
Il a pour principal adversaire Eschine (390-322 av. J.-C.) ; Démosthène l'accuse de trahison (Eschine se serait fait acheter lors de la deuxième ambassade envoyée par Athènes à Philippe) et lui intente un procès (Sur l'ambassade infidèle [36]). Eschine attaque à son tour Démosthène en s'opposant à Ctésiphon, ami de Démosthène, qui proposait que lui soit remis à titre honorifique une couronne (Contre Ctésiphon).
Platon (427-347 av. J.-C.)
La sophistique a très tôt des opposants ; le plus célèbre d'entre eux, Platon, fondateur à Athènes de l'Académie (vers 387 av.), accuse les sophistes d'avoir contribué à la décadence d'Athènes. Dans le Gorgias (vers 380 av.) Platon condamne la rhétorique des Sophistes [37], rhétorique qui prétend donner des armes aux deux parties qui s'opposent, sans se soucier de la vérité, et qui offre la possibilité de faire admettre le faux à un public crédule et ignorant.
Platon
élabore dans le Phèdre (vers 370 av.) une
rhétorique philosophique au service du vrai [38],
une rhétorique capable de conduire les âmes [39]
- une psychagogie [40]
(formation des âmes par la parole).
3. Aristote (384-322
av. J.-C.)
Aristote, ancien disciple de Platon, ouvre à Athènes (en 335 av.) - dans un jardin consacré à Apollon Lykeion - sa propre école de philosophie, le Lycée. Il se positionne au départ contre la sophistique [41] qu'il considère comme l'art du mensonge [42]. Mais rapidement Aristote s'éloigne de la position de Platon pour accorder à la rhétorique une attention toute particulière ; il la modifie car selon lui la méthode de ses prédécesseurs, les sophistes, mérite le blâme. Aristote les accuse d'être des compilateurs se bornant au seul genre judiciaire [43] et se contentant d'indiquer aux plaideurs les moyens de capter la faveur des juges [44] à l'aide de procédés touchant les passions de l'auditoire (pathos), sans jamais dégager les principes généraux de la persuasion.
« Mais, jusqu'aujourd'hui ceux qui compilaient les Techniques des discours n'en ont fourni qu'une petite partie ; car seules les preuves sont techniques ; tout le reste n'est qu'accessoires. Nos auteurs, en effet, sont muets sur les enthymèmes, qui sont pourtant le corps de la preuve ; ils consacrent la majeure part de leurs traités aux questions extérieures à ce qui en est le sujet ; car la suspicion, la pitié, la colère et autres passions de l'âme ne portent pas sur la cause, mais ne concernent que le juge. » (Aristote, Rhétorique I, 1354a, [1932], pages 71-72, Les Belles Lettres)[45
Aristote est considéré comme le premier grand théoricien de la rhétorique [46] ; il écrit la Rhétorique [47], une technè en trois volumes [48].
Aristote demeure cependant critique vis-à-vis de la rhétorique ; il précise que cet art ne doit son existence qu'au nombre insuffisant des lois : Il faut, nous le répétons, abandonner le moins de questions possible à la décision souveraine du juge ; mais la nécessité veut qu'on lui laisse à décider si la chose s'est produite ou ne s'est pas produite, si elle sera possible ou impossible ; si elle a ou n'a pas le caractère prétendu ; car il ne se peut que le législateur prévoie ces choses. (Rhétorique I, 1354b, page 73). La rhétorique n'est alors nécessaire que pour les questions auxquelles le législateur n'a pu donner de réponse déterminéeet pour lesquelles le juge seul doit en décider (Rhétorique I, 1354a, page 72). Mais le juge est facilement corrompu par les passions.
« Des lois
bien faites doivent, à la vérité, déterminer
elles-mêmes autant de cas qu'il se peut, en laisser le moins
possible à la décision des juges, d'abord parce qu'un
ou quelques hommes de saine intelligence et aptes à légiférer
ou juger sont plus faciles à trouver qu'un grand nombre ;
ensuite parce que les lois ne se font qu'après un long
examen, tandis que les jugements se prononcent séance
tenante ; aussi est-il difficile que ceux qui sont appelés
à juger décident comme il faudrait du juste et de
l'utile. Mais de toutes les raisons la plus importante est que le
jugement du législateur ne porte pas sur le particulier, mais
sur le futur et le général, tandis que le membre de
l'assemblée et le juge ont à prononcer immédiatement
sur des cas actuels et déterminés. Dans leur
appréciation interviennent souvent amitié, haine,
intérêt personnel ; aussi ne sont-ils plus en état
de se faire une idée adéquate de la vérité
et leur jugement est-il obnubilé par un sentiment égoïste
de plaisir ou de peine. » (Aristote, Rhétorique
I, 1354a- 1354b, [1932], pages 72-73, Les Belles Lettres)
3.1. La persuasion
Aristote définit ainsi la fonction de la rhétorique :
« la
rhétorique est la faculté de découvrir
spéculativement ce qui, dans chaque cas, peut être
propre à persuader. Aucun autre art n'a cette fonction »(Aristote, Rhétorique I, 1355b, [1932], page 76,
Les Belles Lettres)
La persuasion porte sur des points ouverts à la contradiction [49] ; sur ces questions l'orateur sera persuasif s'il sait utiliser un ensemble d'arguments techniques. L'orateur ne doit pas chercher à procurer l'évidence ni à établir la vérité, il doit justifier la meilleure opinion, l'opinion raisonnable.
Aristote est celui qui a découvert les raisonnements analytiques [50] et principalement le syllogisme mais il a aussi découvert le raisonnement dialectique, l'enthymème [51]. Les prémisses utilisées sont celles auxquelles recourt la dialectique ; elles sont constituées d'opinions généralement acceptées, c'est-à-dire de ce qui est vraisemblable [52]. Le but de la persuasion est alors non pas de prouver la vérité de la conclusion à partir de celle des prémisses, mais de transférer sur la conclusion l'adhésion que l'auditoire a accordée aux prémisses.
Selon Aristote, la rhétorique, tout comme la dialectique, n'a pas l'objectif de la science, le vrai objectif, ni celui de la philosophie [53], le bien éthique. Le vrai ne suffisant pas à convaincre la majorité des personnes, il s'agit pour l'orateur de trouver des arguments ou moyens autres pour entraîner l'adhésion [54].
« quand nous
posséderions la science la plus exacte, il est certains hommes
qu'il ne nous serait pas facile de persuader en puisant notre
discours à cette seule source ; le discours selon la
science appartient à l'enseignement, et il est impossible de
l'employer ici, où les preuves et les discours doivent
nécessairement en passer par les notions communes »
(Aristote, Rhétorique I, 1355a, [1932], page 74,
Les Belles Lettres)
Soucieux de développer l'art rhétorique autour de l'adaptation à l'auditoire [55] et de la force persuasive que revêt la crédibilité de l'orateur, Aristote distingue trois types de preuves techniques [56] : les preuves éthiques (relatives à l'ethos de l'orateur), les preuves pathétiques(relatives au pathosde l'auditoire), et les preuves logiques (relatives au logos, à la logique).
« Les preuves administrées par le moyen du discours sont de trois espèces : les premières consistent dans le caractère de l'orateur ; les secondes, dans les dispositions où l'on met l'auditeur ; les troisièmes dans le discours même, parce qu'il démontre ou paraît démontrer. » (Aristote, Rhétorique I, 1356 a, [1932], page 76, Les Belles Lettres)
Outre
l'invention(le choix des preuves) d'autres parties [57]
de l'art rhétorique antique concourent à la
persuasion : la disposition (l'ordonnancement des
arguments dans le discours), l'élocution (le choix
des mots, le choix du style), et l'action oratoire (la voix
et les gestes de l'orateur).
3.2. Les genres oratoires
Aristote définit trois genres oratoires [58] à partir de trois éléments principaux : l'orateur, le sujet traité, l'auditeur. S'ajoutent à ces éléments d'autres considérations sur le temps, les fins, les actions, les lieux et les arguments utilisés.
Genre délibératif [59] |
Genre judiciaire |
Genre épidictique |
|
L'Orateur |
le conseiller |
le plaideur |
le panégyriste |
Le Temps |
l'avenir |
le passé |
le présent |
L'Auditeur |
le membre de l'assemblée |
le juge |
le
spectateur [60] |
La Fin |
l'utile
et le nuisible |
le juste et l'injuste |
le beau et le laid |
Les Actions |
Tantôt l'on conseille, tantôt l'on déconseille. |
Il y a d'un côté l'accusation, de l'autre la défense. |
C'est tantôt l'éloge, tantôt le blâme. |
Les
Prémisses |
=>l'on
ne conseille point sur toutes choses, mais seulement celles qui
sont possibles et impossibles |
=>il faut considérer trois choses : premièrement, la nature et le nombre des raisons pour lesquelles on commet l'injustice ; deuxièmement les habitus dans lesquels on la commet ; troisièmement, les caractères et les habitus des personnes envers lesquelles on la commet. |
Les
buts [61] :
la vertu [62]
et le vice, le beau et le laid. =>il faut se pourvoir selon la même méthode de prémisses sur ces sujets |
Les Arguments [63] |
les exemples conviennent au genre délibératif ; car c'est d'après le passé que nous augurons et préjugeons l'avenir |
les enthymèmes s'approprient au genre judiciaire ; c'est l'acte sur lequel la lumière n'est pas faite, qui admet surtout la recherche de la cause et la démonstration |
l'amplification est la mieux adaptée au genre épidictique ; car il a pour matière des actions sur lesquelles tout le monde est d'accord ; il ne reste donc plus qu'à leur attribuer importance et beauté |
Tabl. 1 : Les genres oratoires
3.3. Les preuves techniques
Les preuves logiques (logos)
L'enthymème. — Aristote conçoit l'enthymème comme un syllogisme d'une certaine espèce (Rhétorique I, 1355a, page 74) ; il précise que certaines propositions peuvent être omises selon le degré de leur évidence : si l'une des prémisses est connue, il n'est même pas besoin de l'énoncer ; l'auditeur la supplée. (Rhétorique I, 1357a, page 80).
« il ne faut
ni prendre le raisonnement de loin ni passer par tous les échelons
pour conclure ; le premier procédé manque de
clarté par suite de la longueur ; l'autre est
bavardage, parce qu'il énonce des choses
évidentes. » (Aristote, Rhétorique
II, 1395 b, [1960], page 111, Les Belles Lettres)
Voici un exemple d'enthymème proposé par Aristote :
« pour
conclure que Dorieus a reçu une couronne comme prix de sa
victoire, il suffit de dire : Il a été
vainqueur à Olympie ; inutile d'ajouter : À
Olympie, le vainqueur reçoit une couronne ; c'est
un fait connu de tout le monde. » (Aristote, Rhétorique
I, 1357a, [1932], page 80, Les Belles Lettres)
L'enthymème part de prémisses admises par l'auditoire et qui portent soit sur des faits réels, des vérités (considérés comme des données stables par rapport à l'auditoire), soit sur des présomptions, soit sur des valeurs.
« les orateurs incultes persuadent mieux dans les foules que les cultivés ; comme disent les poètes, les incultes sont plus versés dans l'art de parler devant une foule. Car les autres énoncent les propositions communes et générales ; ceux-ci puisent dans ce qu'ils savent, énoncent les propositions qui sont tout près de leur auditoire. Par conséquent, les orateurs ne doivent pas tirer leurs arguments de toutes les opinions, mais de certaines opinions déterminées, par exemple celles de ceux-mêmes qui jugent ou de ceux qui acceptent l'autorité. » (Aristote, Rhétorique II, 1395b, [1960], pages 111-112, Les Belles Lettres)
Aristote distingue enthymème démonstratif et enthymème réfutatif [64] : L'enthymème démonstratif conclut de prémisses sur lesquelles on s'accorde ; le réfutatif tire des conclusions en désaccord avec celles de l'adversaire. (Rhétorique II, 1396b, page 114).
« Parmi les
enthymèmes, les réfutatifs obtiennent plus de faveur
que les démonstratifs, parce que l'enthymème
réfutatif oppose en un bref rapprochement des contraires et
qu'en parallèle les choses apparaissent plus manifestement à
l'auditeur. »[65 (Aristote,
Rhétorique II, 1400b, [1960], page 126, Les
Belles Lettres)
Enfin, Aristote établit les lieux des enthymèmes [66] (au chapitre 23 de sa Rhétorique II) ; il en énonce vingt-huit et les illustre par des exemples.
L'exemple. — Aristote introduit un autre type de preuve, l'exemple - l'induction de la rhétorique.
« L'exemple ne présente les relations ni de la partie au tout, ni du tout à la partie, ni du tout au tout, mais seulement de la partie à la partie, du semblable au semblable, lorsque les deux termes entrent dans le même genre, mais que l'un est plus connu que l'autre ; par exemple : Denys aspire à la tyrannie, puisqu'il demande une garde ; autrefois, en effet, Pisistrate, ayant ce dessein, en demandait une, et, quand il l'eut obtenue, il devint tyran ; de même Théagène à Mégare ; et tous les autres que l'on connaît deviennent des exemples pour Denys, dont pourtant on ne sait pas encore si c'est pour cette raison qu'il demande une garde. Tous ces cas particuliers rentrent sous la même notion générale que tout aspirant à la tyrannie demande une garde. » (Aristote, Rhétorique I, 1357b, [1932], pages 81-82, Les Belles Lettres)
Aristote distingue deux types d'exemples : l'exemple historique, fondé sur des faits réels, et l'exemple inventé, qui consiste soit en une parabole, soit en une fable.
« Les fables conviennent à la harangue et elles ont cet avantage que s'il est difficile de trouver des faits réellement arrivés qui soient tout pareils, il est plus facile d'imaginer des fables ; il ne faut les inventer, tout comme les paraboles, que si l'on a la faculté de voir les analogies, tâche que facilite la philosophie. Les arguments par les fables sont plus faciles à se procurer ; mais les arguments par les faits historiques sont plus utiles pour la délibération ; car le plus souvent l'avenir ressemble au passé. » (Aristote, Rhétorique II, 1394a, [1960], page 106, Les Belles Lettres)
Enfin, Aristote précise les conditions d'emploi des enthymèmes et des exemples :
« Il faut, quand on n'a pas d'enthymèmes, se servir d'exemples comme démonstration (car ils entraînent la conviction) ; si l'on a des enthymèmes, il faut se servir des exemples comme témoignages, les employant comme épilogue aux enthymèmes ; si on les fait précéder, ils ressemblent à des témoignages ; or le témoin emporte partout la conviction. C'est ce qui fait que, si on les place en tête, il faut nécessairement en produire plusieurs ; en épilogue, même un seul suffit ; car un témoin honnête, fût-il seul, est efficace. » (Aristote, Rhétorique II, 1394a, [1960], page 106, Les Belles Lettres)
La maxime. — Aristote introduit également la maxime [67] qu'il définit comme une affirmation sentencieuse du général (Rhétorique II, 1395b, page 110). Selon Aristote, la maxime n'exige une démonstration que si elle exprime quelque chose de paradoxal ou de contesté (épilogue nécessaire).
Il signale que pour utiliser une maxime, l'orateur doit avoir une certaine expérience et qu'il doit énoncer cette maxime sur des sujets qu'il connaît bien – l'orateur peut aussi employer une maxime pour contredire les adages tombés dans le domaine public.
« Énoncer
des maximes s'accorde avec l'âge des vieillards, et les
sujets sont ceux dont l'orateur a l'expérience ; car
énoncer des maximes quand on n'a pas cet âge est
malséant, comme de conter des fables ; et le faire sur
des sujets dont on n'a pas l'expérience est sottise ou
manque d'éducation. » (Aristote, Rhétorique
II, 1395a, [1960], page 109, Les Belles Lettres)
Aristote semble reprocher à la maxime son manque de prestige : ce sont surtout les gens de la campagne qui aiment les maximes et ils s'expriment facilement en général (Rhétorique II, 1395a, page 109).
« Les maximes
sont d'un grand secours pour les discours ; d'abord grâce
au défaut de culture des auditeurs ; ils sont contents si
un orateur, énonçant une formule générale
rencontre les opinions qu'ils ont eux-mêmes dans leur cas
particulier. » (Aristote, Rhétorique II,
1395b, [1960], page 110, Les Belles Lettres)
Il précise que les maximes servent l'image de l'orateur :
« elles confèrent au discours un caractère éthique. Ont un caractère éthique tous les discours où la préférence de l'orateur est évidente. Toutes les maximes ont cet effet, parce que celui qui énonce une maxime fait sous une forme générale une déclaration de ses préférences, en sorte que, si les maximes sont honnêtes, elles font aussi paraître honnête le caractère de l'orateur. » (Aristote, Rhétorique II, 1395 b, [1960], page 111, Les Belles Lettres)
Les preuves éthiques (ethos) et pathétiques (pathos)
Selon Aristote, les preuves éthiques et pathétiques sont surtout utiles dans les genres délibératif et judiciaire - la preuve éthique étant davantage utilisée dans le délibératif ; la preuve pathétique, dans le judiciaire.
« Puisque la rhétorique a pour objet un jugement (en effet, l'on juge les conseils, et la sentence d'un tribunal est un jugement), il est nécessaire non seulement de considérer l'argumentation et les moyens de la rendre démonstrative et convaincante, mais encore de se montrer soi-même sous certaines couleurs et de mettre le juge en certaine disposition car il y a grand avantage pour la persuasion, principalement dans les délibérations, mais aussi dans les procès, à se montrer soi-même sous un certain jour et à faire supposer aux auditeurs que l'on est à leur endroit en une certaine disposition, en outre à ce qu'ils se trouvent eux-mêmes en telle ou telle disposition envers l'orateur. Le jour sous lequel se montre l'orateur est plus utile pour les délibérations ; la disposition de l'auditeur importe davantage pour les procès » (Aristote, Rhétorique II, 1377b, [1960], page 59, Les Belles Lettres)
La preuve éthique. — La preuve éthique consiste pour l'orateur à se montrer sous un jour favorable ; il doit chercher à plaire à son auditoire et doit chercher à transférer la confiance que l'auditoire lui accorde, sur le propos qu'il défend [68]. C'est l'existence d'une morale commune (doxa) qui permet à l'orateur d'incarner dans son discours les vertus qui inspirent la confiance publique [69].
« On persuade par le caractère, quand le discours est de nature à rendre l'orateur digne de foi, car les honnêtes gens nous inspirent confiance plus grande et plus prompte sur toutes les questions en général, et confiance entière sur celles qui ne comportent point de certitude, et laissent une place au doute. Mais il faut que cette confiance soit l'effet du discours, non d'une prévention sur le caractère de l'orateur. […] c'est le caractère qui, peut-on dire, constitue presque la plus efficace des preuves. » (Aristote, Rhétorique I, 1356a, [1932], pages 76 et 77, Les Belles Lettres)
L'ethos discursif, décrit par Aristote, correspond aux « mœurs oratoires » de l'orateur i.e. à l'image qu'il donne de lui à travers son discours, par la façon même dont il exerce son activité oratoire. L'ethos pré-discursif renvoie quant à lui, à la réputation de l'orateur, à ses actions passées, à ses « mœurs réelles » ; il précède ainsi l'activité oratoire de l'orateur et n'est pas construit par elle. Un tel ethos est à l'œuvre dans un système fondé sur l'auctoritas, celui que connaissent les Romains et dont témoigne l'un des arguments que Cicéron utilisait dans ses procès : acquittez-le puisque c'est moi qui le demande.
La preuve pathétique. — Aristote consacre la première moitié du livre II de sa Rhétorique à la preuve pathétique. Il définit les passions comme étant des agents de variation du jugement des auditeurs [70].
« Les passions sont les causes qui font varier les hommes dans leurs jugements et ont pour consécutions la peine et le plaisir, comme la colère, la pitié, la crainte, et toutes les autres émotions de ce genre, ainsi que leurs contraires. » (Aristote, Rhétorique II, 1378 a, [1960], page 60, Les Belles Lettres)
Les passions doivent être maniées avec précaution par l'orateur et celui-ci doit savoir quelle passion susciter et comment parvenir à la susciter.
« Les développements relatifs aux passions se doivent diviser en trois chefs : voici ce que je veux dire : pour la colère, par exemple, en quel habitus y est-on porté ; contre quelles personnes se met-on habituellement en colère et à quels sujets. Si, en effet, nous ne possédions qu'une ou deux de ces notions, sans les posséder toutes trois, il nous serait impossible d'inspirer la colère ; et il en est pareillement des autres passions. » (Aristote, Rhétorique II, 1378 a, [1960], page 60, Les Belles Lettres)
Relations entre les preuves
3.4. Le style
Aristote s'intéresse au style des orateurs dans la première moitié du livre III de sa Rhétorique. C'est dans ce livre qu'il énonce qu'il faut envisager trois choses dans le discours : les preuves (invention), l'expression (élocution) et le plan du discours (disposition). Selon Aristote, l'attention portée aux preuves ne suffit pas à persuader, et l'orateur doit s'attacher à la manière de disposer et de présenter son discours. Aristote précise alors que ce travail doit être complété par l'action oratoire, qui correspond à l'art de placer la voix [71], et pour lequel il n'existe pas encore de technique [72].
L'élocution correspond à l'ensemble des moyens d'expression [73] utilisés par l'orateur ; elle n'est pas une partie exclusive de la rhétorique puisqu'elle est selon Aristote, une partie essentielle à l'art poétique. L'élocution joue un rôle dans la persuasion dans la mesure où elle favorise la crédibilité de l'orateur et l'attention de l'auditoire :
« La suite de
notre exposé est de parler du style ; car il ne suffit
pas d'être en possession des arguments à produire, il
est encore nécessaire de les présenter comme il faut,
et cela contribue pour beaucoup à ce que le discours paraisse
avoir tel ou tel caractère. » (Aristote, Rhétorique
III, 1403 b, [1973], page 38, Les Belles Lettres)
Le style des orateurs. — Aristote distingue deux styles : le style des poètes et le style des orateurs, et il définit ce dernier en le comparant au style des poètes. Selon Aristote, le style des orateurs doit se distinguer du langage courant sans se confondre pour autant avec le style des poètes.
« si l'on sait s'y prendre, le style aura un air étranger, sans que l'art en cela apparaisse, et tout en restant clair ; c'est là, disions-nous, l'excellence de la prose oratoire. » (Aristote, Rhétorique III, 1404b, [1973], page 42, Les Belles Lettres)
Les orateurs peuvent ainsi utiliser des procédés propres au style des poètes mais seulement dans certaines conditions, afin de ne pas éveiller les soupçons de l'auditoire.
« aussi le
travail du style doit-il rester caché ; le langage ne
doit pas avoir l'air recherché, mais naturel (c'est là
ce qui est persuasif ; l'autre style [le style des poètes]
produit l'effet contraire, car, pensant à un piège,
les auditeurs sont prévenus, comme devant les vins mélangés) »
(Aristote, Rhétorique III, 1404b, [1973], page 42, Les
Belles Lettres)
L'élocution doit être adaptée au sujet du discours, et ses procédés ne doivent pas être trop voyants. Il s'agit donc d'user avec convenance des procédés stylistiques - la convenanceétant l'une des principales « qualités du style » qu'énonce Aristote.
« dire, comme le Télèphe d'Euripide : Il commande en chef à la rame, et, partant pour la Mysie… manque de convenance, parce que “commander en chef ” est trop pompeux pour la valeur de l'objet ; l'art n'a donc pas été dissimulé. » (Aristote, Rhétorique III, 1405a, [1973], page 44, Les Belles Lettres)
Les « qualités du style ». — Aristote énonce les quatre principales qualités du style des orateurs.
1) la clarté (chapitres 2 à 5) : si le discours ne montre pas son objet, il ne remplira pas sa fonction (Rhétorique III, 1404b, page 41).
« Ce qui fait la clarté du style, c'est la propriété des noms et des verbes ; ce qui en relève la platitude et en fait l'ornement, c'est l'emploi de tous les autres mots énumérés dans la Poétique : s'écarter de l'usage courant le fait paraître plus noble ; la même impression que les hommes éprouvent à l'endroit des étrangers et de leurs concitoyens, ils la ressentent à l'égard du style ; ainsi faut-il donner à son langage une couleur étrangère, car on est admirateur de ce qui est éloigné, et ce qui excite l'admiration est agréable. » (Aristote, Rhétorique III, 1404b, [1973], page 41, Les Belles Lettres)
2)
la correction du style (chapitres 5 et 6) : Le
principe du style est de parler correctement le grec (Rhétorique
III, 1407a, page 51). Cette correction s'obtient en respectant
cinq conditions : l'emploi des conjonctions, l'emploi
des mots propres, la non-utilisation de mots ambigus,
le respect du genre et du nombre des noms, la
ponctuationcorrecte des phrases.
3) la convenance du style (chapitre 7) :
« Le style
aura la convenance s'il exprime les passions et les caractères,
et s'il est proportionné aux choses qui en sont le sujet. »
(Aristote, Rhétorique III, 1408a, [1973], page 54, Les
Belles Lettres)
-La proportion au sujet traité : « Il y a proportion si l'on ne traite pas de grands sujets sans aucun souci d'art ni des sujets simples avec pompe, et si un mot simple ne reçoit pas une épithète d'ornement ; sinon le style a l'apparence de la comédie » (Aristote, Rhétorique III, 1408a, [1973], page 54, Les Belles Lettres).
-L'expression
des passions : « Le style exprime les passions, si,
quand il y a outrage, le langage est celui d'un homme en colère ;
quand il s'agit d'actes impies et honteux, celui d'un homme qui
s'indigne et a scrupule même à les énoncer ;
quand il s'agit d'actes louables, celui de l'admiration ;
quand il s'agit d'actes pitoyables, celui de l'humilité,
et pareillement du reste. » (Aristote, Rhétorique
III, 1408a, [1973], page 55, Les Belles Lettres).
-L'expression
« convenable » des passions participe alors à
la persuasion : « Le style approprié rend en outre
le fait plausible ; l'esprit par un paralogisme, conclut à
la véracité de celui qui parle, parce qu'en de telles
circonstances on est disposé à croire, quand même
la chose n'est pas telle que l'affirme l'orateur, que les faits
sont tels qu'on les présente, et aussi parce que l'auditeur
éprouve toujours sympathie pour qui parle pathétiquement,
ce qu'il dit n'eût-il aucune valeur. »
(Aristote, Rhétorique III, 1408a, [1973], page 55, Les
Belles Lettres).
-L'expression des caractères : elle doit être présentée en un style approprié à chaque espèce et à chaque habitude (Rhétorique III, 1408a, page 55). Les « espèces » correspondent à l'âge, au sexe et à la nationalité ; les « habitudes » sont les manières d'être qui font que chacun est tel dans sa façon de vivre, car ce n'est pas en fonction de n'importe quelle disposition que les façons de vivre font chacun tel ou tel. (Rhétorique III, 1408a, page 55).
« Si donc l'orateur emploie les mots appropriés à la manière d'être, il exprimera le caractère ; car un rustre et un homme cultivé ne sauraient dire les mêmes choses ni employer les mêmes termes. » (Aristote, Rhétorique III, 1408a, [1973], page 55, Les Belles Lettres)
4) le rythme (chapitre 8) :
« La forme du
style ne doit être ni métrique ni arythmique ; le
mètre, en effet, n'est pas propre à la persuasion,
parce qu'il semble artificiel et tout ensemble distrait
l'attention ; car on se demande quand reviendra le même
mètre. […] Le discours doit, par conséquent, avoir un
rythme, non un mètre ; autrement, ce serait un poème.
Mais ce rythme ne doit pas être rigoureux, et ce sera le cas
s'il ne dépasse pas un certain degré. »
(Aristote, Rhétorique III, 1408b, [1973], page 57, Les
Belles Lettres)
Pour Aristote, seul le péon [74] convient au style des discours :
« c'est le péon qu'il faut adopter ; car c'est le seul des rythmes précités dont on ne puisse faire un vers ; aussi est-ce celui qui passe le plus inaperçu. » (Aristote, Rhétorique III, 1408b, [1973], page 58, Les Belles Lettres)
Les différents styles. — Aristote distingue l'élocution selon les genres oratoires [75] : l'élocutiondu genre judiciaire est assez développée ; l'élocution du genre délibératif est la moins développée, le style est simple, il utilise les procédés propres à l'action oratoire comme les asyndètes et les fréquentes répétitionsde mots ; l'élocution du genre épidictique est la plus développée, le style comporte davantage de procédés poétiques.
Nous disposons dans un tableau figurant en annexe (Annexe 1), les ornements abordés par Aristote dans sa Rhétorique III.
3.5. La disposition
Selon Aristote, deux parties du discours sont essentielles : l'exposition et la confirmation.
« Il n'y a dans le discours que deux parties, car il est nécessaire de dire quel est le sujet, et de le démontrer. Il est, par conséquent, impossible, une fois qu'on l'a exposé, de ne pas le démontrer, ou de le démontrer sans l'avoir préalablement exposé ; car démontrer suppose quelque chose à démontrer, et une exposition préalable n'a qu'une fin, la démonstration. » (Aristote, Rhétorique III, 1414a, [1973], page 77, Les Belles Lettres)
Mais Aristote aborde tout de même d'autres divisions :
« Les parties nécessaires sont donc l'exposition et la confirmation. Ces parties sont les propres du discours ; au plus, un discours comprend un exorde, une proposition, une confirmation, une péroraison ; ce que l'on dit contre l'adversaire rentre dans les preuves ; la comparaison des arguments est une amplification de l'argumentation par le plaideur ; c'est par conséquent une partie des preuves ; car celui qui fait cette comparaison veut démontrer quelque chose ; mais ce n'est pas là le cas de l'exorde, non plus que de la péroraison, qui ne fait que réveiller le souvenir. » (Aristote, Rhétorique III, 1414b, [1973], pages 77-78, Les Belles Lettres)
Il précise alors que (i) la narration appartient au seul genre judiciaire, que (ii) l'exorde, la comparaison des arguments et la récapitulation n'apparaissent dans le genre délibératif que lorsqu'il y a débat contradictoire, que (iii) la péroraison n'est pas nécessaire dans tout discours judiciaire.
Nous présentons dans un tableau ces différentes parties définies par Aristote.
PARTIES DU DISCOURS |
DÉFINITIONS |
l'exorde (chapitre 14) |
C'est le commencement du discours, ce qu'est le prologue dans le poème dramatique ou le prélude dans un morceau de flûte. => genre
épidictique : => genre
judiciaire : => genre
délibératif : |
l'accusation (chapitre 15) |
Aristote énumère les différents lieux d'argumentation pour la défense, puis les différents lieux d'argumentation pour l'accusation. |
la
narration (chapitre 16) |
=> genre
épidictique : => genre
judiciaire : Pour
l'accusation : Pour
la défense : => genre
délibératif : |
la confirmation (chapitre 17) |
=> genre
judiciaire : => genre
épidictique : => genre
délibératif : |
=>l'interrogation (chapitre 18) ;
=>les réponses [76] (chapitre 18) |
-
Pour l'interrogation, il est surtout opportun de la faire quand
l'adversaire a exposé la thèse contraire, de
sorte qu'il suffise de lui poser en plus une seule question
pour lui faire dire une absurdité. On doit répondre aux questions ambiguës en établissant des distinctions dans le raisonnement, et ne pas le faire trop brièvement ; à celles qui semblent nous enfermer dans une contradiction, nous devons tout de suite apporter la solution dans notre réponse, sans attendre que l'adversaire interroge à nouveau ou conclue, car il n'est pas difficile de prévoir en quoi consiste son raisonnement. |
la péroraison (chapitre 19) |
-
La péroraison se compose de quatre éléments :
le premier consiste à mettre l'auditeur en de bonnes
dispositions pour nous, en de mauvaises pour notre adversaire ;
le second, à amplifier ou atténuer ; le
troisième, à exciter les passions chez l'auditeur ;
le quatrième, en une récapitulation. |
Tabl. 2 : La
disposition
4. La place prépondérante de l'écriture
À l'époque classique, la plupart des discours rhétoriques sont improvisés à l'oral. La logographie [77] s'instaure lorsque les plaideurs ne parviennent plus à élaborer seuls leurs discours devant le nombre grandissant de procès [78]. Ils font alors appel à un spécialiste des discours judiciaires, un logographe, pour qu'il réalise moyennant finances en partie ou en totalité un discours. Ces spécialistes sont des orateurs parfois célèbres [79] qui composent des discours par écrit que les clients apprennent par cœur pour les réciter au tribunal [80]. Le style des discours conçus par les logographes ne doit pas être très élaboré car le client, lorsqu'il récite son discours, doit donner l'impression d'improviser [81]. Aussi, après leur élaboration écrite, ces discours conçus pour l'occasion ne doivent pas donner lieu à une conservation et à une diffusion de copies. Or de nombreux libraires mettent en vente des copies de discours d'orateurs célèbres [82] ; un commerce de recueils de discours déjà utilisés, vendus moins chers et permettant au client de commencer son discours sans faire appel au logographe [83], se met en place.
Avec le développement de la logographie, la préparation des discours par écrit se répand largement chez les orateurs. Ils préparent ainsi à l'avance leur discours qu'ils prononcent ensuite en improvisant peu - préparation qui va à l'encontre du naturel, du génie qui caractérisent dans les traités d'art rhétorique, le bon orateur [84].
Ces discours préparés par écrit présentent un travail du style plus développé et l'auditoire se méfie des discours dont la visée devient trop voyante - alors que la spontanéité de l'improvisation est un gage de la sincérité de l'orateur, le discours écrit est d'emblée soupçonné de tromperie. Par exemple, Démosthène, qui élaborait déjà par écrit des parties de ses interventions à l'assemblée, est accusé par Démade (vers 380-319 av. J.-C.) d'être incapable d'improviser – Démade dit des discours de Démosthène qu'ils ont l'odeur de lampe à huile. De la même manière, Alcidamas accuse ceux qui sont très attentifs au style, et surtout Isocrate, d'être incapables de prononcer quoi que ce soit lorsqu'on leur propose un sujet à l'improviste [85], et donc d'être incapables de s'adapter au feu de l'action - le kairos, l'art de saisir l'occasion et de se plier à l'opportunité.
Une autre pratique va s'instituer : la diffusion par écrit de discours retravaillés [86] après avoir été prononcés [87]. Ces discours réécrits puis publiés obtiennent alors le statut de modèles à suivre.
Puis des discours élaborés par écrit et uniquement destinés à la publication, vont apparaître. Il s'agit de « discours écrits fictifs » [88] - cette pratique a été baptisée « théorie du pamphlet » par la tradition.
NOTES
1 Dans Le Sophiste, un dialogue de jeunesse, Aristote met face à face Empédocle, inventeur de la rhétorique et Zénon (de Citium), inventeur de la dialectique.
2 Homère est considéré par certains auteurs comme le « père de la rhétorique » notamment parce que dans deux passages de l'Iliade (Iliade, 3. 212 et Iliade 1. 249), il commente trois styles différents : celui de Ménélas (correspondant au style simple), celui de Nestor (correspondant au style moyen) et celui d'Ulysse (correspondant au grand style).
On citera Quintilien, l'un des défenseurs de cette hypothèse : « Si Aratus estime qu' “il faut commencer par Jupiter”, je ne crois pas pouvoir mieux faire que de commencer par Homère. Tout comme, dans ses vers, Océan est la source de tous les fleuves et de toutes les rivières, il nous a donné, lui, le modèle et le point de départ de tous les aspects de l'éloquence. » (Institution oratoire, Livre X, 1, 46) ;« chez Homère, nous trouvons Phoenix, précepteur de conduite mais aussi d'éloquence ; plusieurs orateurs ; les divers styles de discours représentés chez trois chefs ; les tournois d'éloquence proposés aux jeunes gens ; et même, sur le bouclier d'Achille, on a ciselé des procès et des plaideurs ! » (Institution oratoire, Livre II, 17, 5).
Une compilation Sur Homère, écrite sous le nom de Plutarque – mais il ne s'agit pas de l'auteur des Vies parallèles et des Moralia – présente une étude de la fin du IIe siècle ap. J.-C. qui fait d'Homère la source et le modèle de la rhétorique.
3 technè rhetorikè.
4 Vers 485 av. J.C., deux tyrans Siciliens, Gelon et Hieron, opèrent des déportations, des transferts de population et des expropriations pour peupler Syracuse et lotir les mercenaires. Lorsque ces deux tyrans sont renversés par un soulèvement démocratique, des procès éclatent pour rétablir les droits de propriété.
5 Mais l'on peut retourner le corax contre son auteur et plaider qu'il a commis le crime en se disant qu'il paraîtrait trop suspect pour être soupçonné.
6 Après les guerres médiques et grâce aux contestations de commerçants qui plaident conjointement à Syracuse et à Athènes.
7 Sur la démocratie athénienne à l'époque classique du temps de Périclès, cf. les ouvrages de C. Mossé (en bibliographie).
8 Ecclesia.
9 Boulè.
10 L'Héliée.
11 « On appelle de ce nom des professeurs de sagesse enseignant surtout l'habileté oratoire, mais traitant également de questions philosophiques. Ils venaient, en général, de villes diverses et sont connus par leur enseignement à Athènes. Platon leur a reproché de chercher la persuasion plus que la vérité et de faire payer leur enseignement ; ils ont été des maîtres dans l'art de s'exprimer, de discuter et de trouver des arguments. […] Les œuvres de ces auteurs sont presque entièrement perdues ; elles nous sont connues à travers le témoignage critique de Platon : mais leur influence sur la littérature de l'époque et sur l'histoire de la pensée a été considérable. » (J. de Romilly, D. Jouanna, S. Noïca, 2003, p. 455).
12 Platon et Aristote mentionnent ce sophiste comme étant spécialiste des divisions du discours (la disposition).
13 Les spécialistes s'interrogent pour savoir s'il y a eu un ou deux Antiphon - Antiphon l'athénien et Antiphon le sophiste.
14 Ses Tétralogies sont trois séries de quatre discours - deux pour l'accusation, deux pour la défense - portant sur des cas fictifs. Mais il n'est pas certain que leur auteur soit Antiphon le sophiste.
15 Un des interlocuteurs de la République de Platon.
16 Sophiste célèbre, en particulier pour ce fragment (issu d'un traité intitulé Sur la vérité) : « L'homme est la mesure de toutes choses : pour celles qui ne sont pas, mesure de leur non-être. ».
17 Prodicus de Ceos (Ve siècle av. J.-C.), sophiste venu à Athènes, aurait été son disciple.
18 Gorgias est originaire de Sicile ; il a peut-être été disciple d'Empédocle.
19 Il vient à Athènes comme ambassadeur.
20 Il a pour disciple Isocrate (436-338 av. J.-C.) et Polus d'Agrigente (Ve siècle av. J.-C.).
21 « Je considère que toute poésie n'est autre qu'un discours marqué par la mesure, telle est ma définition. » (Gorgias, Défense d'Hélène, 9.). Les traductions citées proviennent de l'ouvrage intitulé Les Présocratiques, 1988, Gallimard (cf. bibliographie).
22 Parmi eux, des Athéniens de haut rang : Critias (460-403), Alcibiade (vers 460 - vers 404 av. J.-C.), Thucydide (vers 460 -vers 395 av. J.-C.), Antisthène (455-360 av. J.-C.), Alcidamas (fin Ve – IVe siècle av. J.-C.) …
23 Gorgias défend Hélène ; selon lui, elle doit être innocentée car son âme a été abusée, elle a subi la persuasion, elle a subi la contrainte du discours.
24 Il rédige des plaidoyers pour d'autres et gagne ainsi sa vie ; sur la logographie cf. infra, 4.
25 Certains ne sont peut-être pas de lui.
26 Isocrate a été l'élève des meilleurs sophistes (Prodicos, Gorgias, Tisias) mais aussi celui de leur adversaire, Socrate.
27 Mais aussi d'avoir pour seule préoccupation de gagner de l'argent (en faisant payer leurs leçons aux jeunes gens).
28 Il reprend ces attaques au début de son Eloge d'Hélène.
29 Isocrate évoque ces « obstacles » dans le Panathénaïque.
30 Discours non destinés à la prononciation devant une assemblée.
31 Le style d'Isocrate est considéré comme étant incompatible avec les contraintes de souffle des textes prononcés, et avec les normes stylistiques des textes improvisés.
32 Les excès d'effets stylistiques étaient réprouvés par les auditeurs de plaidoyers et de discours politiques mais le travail du style et la complexité des périodes du genre épidictique étaient applaudis par les spectateurs.
33 Il s'agit d'une situation imaginaire dans laquelle Isocrate est chargé de prononcer un discours panégyrique à l'occasion des Jeux olympiques.
34 Isocrate y développe sa prose d'art.
35 Il existe de nombreuses anecdotes à ce sujet, notamment une qui indique que Démosthène s'exerçait à parler avec des cailloux dans la bouche (pour améliorer sa voix) ou en courant sur la plage (pour améliorer son souffle).
36 Les discours d'accusation et de défense ont été conservés.
37 Selon Marie-Pierre Noël (2003, p. 24) « ce n'est pas la rhétorique elle-même, art des discours, qui est ici combattue par Platon, mais la prétention de cet art à être l'art politique par excellence […] c'est aussi, à travers la critique de la rhétorique, une critique de la démocratie “péricléenne” à laquelle se livre le philosophe, critique qu'il poursuivra dans la République ; dans ce régime, la prétention à commander de Gorgias ou de Calliclès n'est en réalité qu'esclavage déguisé, le seul maître étant le peuple, auquel l'orateur cherche à plaire de toutes les manières en se conformant à ses opinions. ». – M.-P. Noël, « La classification des discours politiques de Platon à Aristote », in S. Bonnafous, P. Chiron, D. Ducard et C. Levy (éds.), 2003, Argumentation et discours politique, Rennes, PU Rennes.
38 Le philosophe est ainsi le seul véritable spécialiste en politique.
39 Il s'agit de déterminer, en écartant l'écrit et en recherchant l'interlocution personnelle (le mode fondamental du discours est ainsi pour Platon, le dialogue entre le maître et l'élève) quel type de discours doit être utilisé pour amener une âme à être persuadée de ce qui est vrai.
40 La psychè : l'« âme », conçue comme souffle vital universel.
41 Dans son traité le Gryllos, composé sous forme de dialogue, Aristote dénonce les « recettes » utilisées par Corax et ses successeurs.
42 Aristote aurait déclaré en ouvrant son cours de rhétorique : Il serait honteux de se taire et de laisser parler Isocrate.
43 « C'est pourquoi, bien que la même méthode s'applique aux genres délibératif et judiciaire, et que la pratique de la harangue soir moralement plus belle et plus politique que celle des discours relatifs aux contrats, nos auteurs n'en soufflent mot et s'efforcent de composer des techniques sur l'art de plaider, parce que dans les harangues il y a moins de profit à parler hors de la cause et qu'elles prêtent moins aux tromperies que le plaidoyer, attendu qu'elles intéressent davantage la communauté. » (Aristote, Rhétorique I, 1354b, [1932], page 73, Les Belles Lettres).
44 « Dans le genre délibératif, l'auditeur juge d'affaires qui lui sont propres, et par conséquent tout ce que le conseiller doit démontrer, c'est l'exactitude de ce qu'il avance, au lieu que dans les discours judiciaires cela ne suffit pas et il y a profit à capter l'auditeur ; car les questions à trancher sont étrangères aux juges, et, comme ils ne considèrent jamais que leur intérêt propre et n'écoutent que pour le plaisir, ils se donnent aux parties, ce qui n'est point juger. » (Aristote, Rhétorique I, 1354b, [1932], page 73, Les Belles Lettres).
45 Toutes les traductions citées de la Rhétorique I, de la Rhétorique II et de la Rhétorique III proviennent respectivement de l'édition de 1932, 1960 et 1973, Les Belles Lettres (cf. bibliographie) ; c'est pourquoi, dans les notes et les citations intégrées au texte, nous ne répétons pas tous les éléments de référence.
46 Une technè présentant les grands principes de la rhétorique semble être antérieure d'au moins quelques années à la Rhétorique d'Aristote, il s'agit de la Rhétorique à Alexandre (340 av.) attribuée par beaucoup d'auteurs à l'historien, rhéteur et logographe, Anaximène de Lampsaque (380-320 av. J.-C.) et conservée grâce à son inclusion abusive dans le corpus d'Aristote – son titre provient d'une lettre-dédicace d'Aristote à Alexandre le Grand.
47 La Rhétorique d'Aristote coïncide avec l'installation de la domination macédonienne et la fin de la démocratie en Grèce.
48 Certains auteurs considèrent que le troisième livre aurait été écrit à part et ne se serait trouvé relié aux deux premiers que par l'intervention d'un éditeur.
49 « De plus, il faut être apte à persuader le contraire de sa thèse, comme dans certains syllogismes dialectiques, non certes pour faire indifféremment les deux choses (car il ne faut rien persuader d'immoral), mais afin de n'ignorer point comment se posent les questions, et, si un autre argumente contre la justice, d'être à même de le réfuter. Aucun autre art ne peut conclure les contraires ; la dialectique et la rhétorique sont seules à le faire ; car l'une et l'autre s'appliquent pareillement aux thèses contraires. » (Rhétorique I, 1355a, pages 74-75).
50 L'Organon rassemble les ouvrages qu'Aristote a consacrés à l'étude du raisonnement ; c'est une œuvre magistrale composée de plusieurs volumes : I. Des Catégories, II. De l'Interprétation, III. Les Premiers Analytiques, IV. Les Seconds Analytiques, V. Les Topiques, VI. Les Réfutations Sophistiques.
51 « J'appelle enthymème le syllogisme de la rhétorique ; exemple, l'induction de la rhétorique. » (Rhétorique I, 1356b, page 78).
52 « Le vraisemblable est ce qui se produit le plus souvent, non pas absolument parlant, comme certains le définissent ; mais ce qui, dans le domaine des choses pouvant être autrement, est relativement à la chose par rapport à laquelle il est vraisemblable, dans la relation de l'universel au particulier. » (Rhétorique I, 1357b, pages 80-81).
53 Selon Aristote, la rhétorique ne se confond pas avec la philosophie, elle ne peut rivaliser avec cette dernière.
54 Par ailleurs, pour Aristote, la morale n'intervient pas directement dans la mesure où tout dépend de l'honnêteté de l'orateur (« Objectera-t-on que l'homme peut nuire gravement en faisant injuste usage de cette faculté ambiguë de la parole ; mais, à l'exception de la vertu, l'on peut en dire autant de tous les biens, surtout des plus utiles […] autant le juste usage en peut être utile, autant l'injuste en peut être dommageable. » (Rhétorique I, 1355b, page 75)). Il précise : « toujours, absolument parlant, les propositions vraies et les propositions plus morales sont par nature plus propres au raisonnement syllogistique et à la persuasion. » (Rhétorique I, 1355a, page 75).
55 « le persuasif est persuasif pour quelqu'un » (Rhétorique I, 1356b, page 79) ; ici il s'agit de persuader des hommes du peuple, non des savants. « La fonction de la rhétorique est de traiter des sujets dont nous devons délibérer et sur lesquels nous ne possédons point de techniques, devant des auditeurs qui n'ont pas la faculté d'inférer par de nombreux degrés et de suivre un raisonnement depuis un point éloigné. » (Rhétorique I, 1357a, page 79).
56 Les preuves techniques font partie intégrante de la technè, ce sont les arguments qu'utilise l'orateur ; les preuves extra-techniques quant à elles ne sont pas fournies par la technique. « Entre les preuves, les unes sont extra-techniques, les autres techniques ; j'entends par extra-techniques, celles qui n'ont pas été fournies par nos moyens personnels, mais étaient préalablement données, par exemple, les témoignages, les aveux sous la torture, les écrits, et autres du même genre ; par techniques, celles qui peuvent être fournies par la méthode et nos moyens personnels ; il faut par conséquent utiliser les premières, mais inventer les secondes. » (Rhétorique I, 1355b, page 76). Aristote traite des preuves extra-techniques dans l'étude du genre judiciaire au livre I chapitre 15 - en précisant que certaines d'entre elles peuvent être utilisées dans le genre délibératif - ; il en distingue cinq : textes de lois, dépositions de témoins, conventions, déclarations sous la torture et serments des parties.
57 La théorie des cinq parties de la rhétorique est attestée pour la première fois en détail dans la Rhétorique à Hérennius (86-83 av. J.-C.). Aristote ne mentionne pas la mise en mémoire du discours. Le sophiste Hippias d'Elis (443-343 av. J.-C.) serait l'inventeur de la mnémotechnie [on avance également que le poète Simonide (556-468 av. J.-C.) aurait proposé une méthode].
58 Il les compare au chapitre 17 de sa Rhétorique III : « Parler devant le peuple est plus difficile que parler devant un tribunal, ce qui est naturel, parce que la harangue se rapporte à l'avenir, le discours judiciaire au passé, qui peut dès lors être matière même à la science des devins […] La loi, d'ailleurs, sert de base aux discours judiciaires ; or, quand on est en possession d'un principe, il est plus facile de trouver une démonstration. De plus, celui qui parle au peuple n'a guère d'occasions de s'attarder, comme l'orateur judiciaire contre son adversaire, ou sur sa propre personne, ou pour rendre son discours pathétique ; c'est au contraire, celui de tous les genres qui s'y prêtent le moins, si l'on n'entraîne pas l'auditoire hors du sujet. […] Dans les discours épidictiques, il faut introduire, à titre d'épisodes, des éloges, comme fait Isocrate, qui met toujours en scène quelque personnage. » (Rhétorique III, 1418a, pages 91-92).
59 Aristote précise qu'il en a traité avec précision dans sa Politique.
60 « le spectateur pour lequel le discours a été composé, est comme un juge » (Rhétorique II, 1391b, page 99).
61 « L'éloge est un discours qui met en lumière la grandeur d'une vertu. Il doit donc démontrer que les actions sont vertueuses. La panégyrique porte sur les actes (les circonstances concourent à la persuasion ; par exemple, la noblesse et l'éducation : il est vraisemblable que de parents bons naissent des enfants bons et que le caractère réponde à l'éducation reçue). » (Rhétorique I, 1367b, pages 112-113).
62 Pour louer la vertu, l'orateur aura d'autant plus d'autorité que son auditoire le croira vertueux (ethos) : « c'est, en effet, par les mêmes moyens que nous pourrons nous représenter comme dignes de foi sous le rapport de la vertu, nous et les autres. » (Rhétorique I, 1366b, pages 102-103).
63 « Les exemples sont particulièrement à leur place dans les discours adressés au peuple, les enthymèmes plutôt dans les discours judiciaires. La harangue, en effet, porte sur l'avenir ; elle doit nécessairement tirer ses exemples du passé ; tandis que le discours judiciaire porte sur la réalité ou l'irréalité des faits : la démonstration y tient donc une plus large place, ainsi que la nécessité, car le passé a un caractère de nécessité. » (Rhétorique III, 1417b, page 90).
64 Aristote aborde également à la fin du livre II « l'instance » : « l'instance n'est pas un enthymème […] elle consiste à énoncer une opinion, qui montrera clairement qu'il n'y a pas eu vraiment de syllogisme ou que la prémisse prise par l'adversaire est fausse » (Rhétorique II, 1403a, page 135).
65 « Parmi les enthymèmes, ceux qui sont propres à la réfutation sont plus goûtés que ceux qui sont propres à la démonstration, parce que, dans tous les cas où il y a eu réfutation, il est plus évident qu'il y a eu déduction ; en effet, les contraires sont mieux connus quand ils sont mis en parallèle. » (Rhétorique III, 1418b, page 92).
66 Il aborde au chapitre 24 les lieux de ce qu'il nomme les « enthymèmes apparents » (« un enthymème qui, sans en être un, en a l'apparence » (Rhétorique II, 1400b, page 127)) i.e. les paralogismes.
67 Selon Aristote, la maxime est « une partie de l'enthymème » (Rhétorique II, 1393a, page 103) ; et « les conclusions et les prémisses des enthymèmes, sans le syllogisme même, sont des maximes » (Rhétorique II, 1394a, page 107). Aristote ajoute : « Il faut aussi changer la forme des enthymèmes et les tourner parfois en maximes. ». (Rhétorique III, 1418b, page 93).
68 « car nous accordons créance à l'orateur parce qu'il montre un certain caractère, c'est-à-dire quand il paraît ou vertueux, ou bienveillant, ou l'un et l'autre à la fois » (Rhétorique I, 1366b, page 107).
69 « Quant aux orateurs, ils inspirent confiance pour trois raisons ; les seules en dehors des démonstrations qui déterminent notre croyance : la prudence, la vertu et la bienveillance. […] Il s'ensuit donc nécessairement que, si l'orateur semble avoir toutes ces qualités, il inspire confiance à ceux qui l'écoutent. » (Rhétorique II, 1378a, page 60).
70 Dans le chapitre 12 du livre II, Aristote s'intéresse aux caractères des auditeurs et mène une véritable étude de “psychologie sociale”. « Traitons après cela des caractères selon les prédispositions aux passions, les habitus, les âges et les conditions de fortune. J'entends par passions la colère, le désir et les émotions de ce genre, dont nous avons parlé précédemment ; par habitus, les vertus et les vices ; il en a été parlé auparavant : quelles sortes de choses préfère chaque groupe, quelles sortes d'actions il est porté à accomplir. Les âges sont la jeunesse, la maturité et la vieillesse. Par condition de fortune, j'entends la noblesse de naissance, la richesse, les variétés du pouvoir, ainsi que leurs contraires, et, en général, la bonne et la mauvaise chance. » (Rhétorique II, 1388 b, page 91).
71 « L'action consiste dans l'usage de la voix, comment il faut s'en servir pour chaque passion, c'est-à-dire quand il faut prendre la forte, la faible et la moyenne, et comment employer les intonations, à savoir l'aiguë, la grave et la moyenne, et à quels rythmes il faut avoir recours pour chaque sentiment. Il y a, en effet, trois points sur lesquels porte l'attention des interprètes, le volume de la voix, l'intonation, le rythme. L'on peut presque affirmer que c'est par ces moyens qu'ils remportent les prix dans les concours, et, de même qu'aujourd'hui dans les concours les acteurs font plus pour le succès que les poètes, ainsi en est-il dans les débats de la cité, par suite de l'imperfection des constitutions. » (Rhétorique III, 1403b, page 39).
On notera le lien étroit qu'établit Aristote entre l'action oratoire et la preuve pathétique (pathos). Aristote critique l'ampleur prise par l'action oratoire et on peut rapprocher nous semble-t-il cette critique de celle qu'il formulait à l'encontre des sophistes, trop centrés sur le pathos.
72 « L'art de l'action n'est pas encore constitué ; aussi bien n'y a t-il pas longtemps que l'art du style lui-même a progressé » (Rhétorique III, 1403b-1404a, page 39). C'est semble-t-il Théophraste, son successeur, qui en établit les premières bases.
73 Les premières figures apparaissent déjà dans la Rhétorique à Alexandre.
74 « Reste le péon dont on commença à se servir à partir de Thrasymaque, sans, d'ailleurs, savoir dire en quoi il consistait. » (Rhétorique III, 1408b, page 57).
75 Thrasymaque de Chalcédoine (Ve siècle av. J.-C.) serait l'inventeur de la théorie des trois styles : style simple, style moyen et style élevé.
76 Aristote renvoie sur ce point à ses Topiques.
77 La logographie est presque inconnue à Rome, chez les Romains c'est le patronus-avocat qui parle pour son cliens dans un système fondé sur l'autorité de ceux qui sont autorisés à prendre la parole -la République à Rome n'étant pas une démocratie.
78 D'autant plus que c'est par le biais de procès que s'expriment les conflits politiques ; les procès deviennent le meilleur moyen de se débarrasser d'un adversaire ou de faire prévaloir une politique.
79 Par exemple Démosthène.
80 Cette récitation doit donner l'illusion de l'improvisation car il n'est pas convenu que les plaideurs lisent en intégralité leur discours au tribunal [la mémoire revêt donc un rôle important] - il n'y a pas encore à cette époque de lectures publiques ; elles seront introduites au Ier siècle av. J.-C.
81 C'est le sommet de l'art de pouvoir faire croire au naturel ; tous les tours du parlé doivent être prévus et figurer.
82 Des libraires peu scrupuleux interviennent même sur les copies de discours déjà utilisés en inscrivant le nom de logographes célèbres pour les vendre à un prix plus élevé.
83 Le client peut déjà par exemple réaliser le plan de son discours.
84 Les rhéteurs parlent des dons des orateurs qui savent improviser.
85 Alcidamas dans son opuscule Sur ceux qui écrivent des discours ou sur les Sophistes, défense de l'improvisation, 15 : « Quand on s'habitue à élaborer minutieusement ses discours, à arranger les mots en veillant à la précision et au rythme, à perfectionner l'expression en y songeant à loisir, forcément, quand on passe au discours improvisé, c'est-à-dire quand on fait le contraire de ce à quoi on est habitué, on se sent en plein embarras, en pleine confusion, extrêmement mal à l'aise, et pas mieux loti que les bègues : manque la présence d'esprit qui donne la maîtrise du discours avec toute la souplesse et la bonne grâce voulue. ».
86 Cicéron aurait entièrement revu son Pour Milon (52 av.) qu'il n'avait pu que bredouiller tant les troupes qui cernaient le Forum l'avaient intimidé.
87 C'est ce que mentionne Cicéron : « la plupart du temps on écrit les discours après les avoir prononcés et non pour les prononcer » (Brutus, XXIV, 91, [1973], page 90, Les Belles Lettres).
88
À l'époque classique, Isocrate est le premier à
élaborer et à publier des discours politiques fictifs.