Carine DUTEIL-MOUGEL : INTRODUCTION À LA RHÉTORIQUE

ANNEXE 1 : Ornements (Aristote)

ORNEMENTS

Explication et/ou Fonction(s)

les mots forgés (chapitre 2)

pour atteindre à plus de grandeur

les mots composés et les périphrases (chapitres 2, 3, 7)

pour atteindre à plus de grandeur
Procédé proche de la définition mais se gardant du style poétique. Il ne faut pas en abuser :
=> l’abus des mots composés, telles, par exemple, les expressions de Lycophron : « le ciel au multiple visage », « la terre aux cimes élevées », « le rivage à l’étroite passe ».
Les périphrases ne doivent pas être trop longues, inopportunes ou fréquentes.
Dans les périphrases, on peut tirer les éléments de ce qui est mal ou honteux, comme le meurtrier de sa mère mais on peut les emprunter à ce qui est beau : le vengeur de son père.
=> Les noms composés et les périphrases en assez grand nombre sont appropriés au style pathétique ; on excuse un homme en colère de parler d’un mal « grand comme le ciel »

les mots insolites (chapitre 7)

Les mots insolites surtout sont appropriés au style pathétique ; on excuse un homme en colère de parler d’un mal « monstrueux »1

les diminutifs (chapitre 2)

Le diminutif est ce qui rend plus petit et le mauvais et le bon ; c’est ainsi qu’Aristophane dit, par raillerie, dans ses Babyloniens, au lieu d’or, « petit or » ; au lieu de vêtement « petit vêtement » ; au lieu d’injure, « petite injure », et aussi « petite maladie » au lieu de maladie.

les synonymes (chapitre 2)

ce sont des mots usuels et de même sens => aller et marcher.
Ils sont surtout utiles au poète.
 

le nombre des noms (chapitres 5, 6)

Procédé qui donne de l’ampleur, de l’élévation au style.
Transformer le singulier en pluriel comme les poètes

=> bien qu’il y ait un seul port ils disent « Vers les ports Achéens »

la conjonction (chapitre 6)

Procédé qui donne de l’ampleur, de l’élévation au style.
S’exprimer en liant les deux idées par une conjonction

=> « étant allé et ayant conversé »

la disjonction (chapitre 6)

Procédé qui donne de l’ampleur, de l’élévation au style.
Ne pas joindre, mais exprimer indépendamment chacune des deux idées

=>
« de cette femme, la nôtre »

l’asyndète (chapitre 12)

phrases en asyndètes
=>
« je vins, je le rencontrai, je lui présentai ma requête »

la définition (chapitre 6)

Procédé qui donne de l’ampleur, de l’élévation au style.
Consiste à employer une définition au lieu du nom => dire, par exemple, non pas « le cercle » mais « la figure plane dont tous les points sont équidistants du centre »
Si la laideur réside dans le nom, donner la définition.

l’antithèse (chapitre 9)

Style de la période (chapitre 9 sur la composition de la phrase).
Dans la phrase formée de membres, les deux parties sont tantôt juxtaposées, tantôt antithétiques ; elles sont antithétiques, quand dans chacun des deux membres les contraires sont opposés, ou quand le même mot est joint aux contraires ;

par exemple :
« ils rendirent service aux uns et aux autres, à ceux qui étaient restés et à ceux qui avaient suivi ; aux uns ils avaient acquis un empire plus grand que leur patrie ; aux autres, ils avaient laissé leur patrie qui leur suffisait ».

Les termes antithétiques sont rester et suivre, suffisant et plus grand.
Ce style a de l’agrément, parce que les termes antithétiques sont très connus et le deviennent plus encore par le rapprochement, et parce que ces sortes de phrases ressemblent à un syllogisme ; car le syllogisme réfutatif est le rapprochement de prémisses antithétiques.

la parisose (chapitre 9)

Style de la période (chapitre 9 sur la composition de la phrase).
=> il y a parisose si les membres sont égaux

la paromoiose (chapitre 9)

Style de la période (chapitre 9 sur la composition de la phrase).
=> il y a paromoiose si l’un et l’autre membre ont leurs extrémités pareilles. Ils offrent nécessairement cette ressemblance ou au commencement ou à la fin.

les mots contrefaits
(chapitre 11)

Contribue à l’ampleur du style, à la majesté du style ; fait partie de ce qu’Aristote appelle les « bons mots » - il s’agit de tout ce qui fait l’élégance du style.
=> quand, par plaisanterie, on change les lettres d’un mot, ce qui nous déroute. Mais la chose doit être évidente au moment même où on la dit.

les asyndètes et les répétitions (chapitre 12)

Procédés en lien avec l’action oratoire.
=> il est nécessaire de varier l’expression quand on répète la même chose, ce qui, pour ainsi dire, fraye le chemin à l’action : « c’est lui qui vous a volés ; c’est lui qui vous a dupés, c’est lui qui, pour comble, a projeté de vous livrer à l’ennemi »
=> il en va de même des phrases en asyndètes : « Je vins, je le rencontrai, je lui présentai ma requête ». Il est nécessaire de varier ces mots par l’action oratoire. Les phrases en asyndètes présentent en outre une particularité : il semble qu’en un temps égal on ait dit beaucoup de choses ; car la conjonction fait un bloc de plusieurs choses, en sorte que, si on la supprime, il est clair que l’effet contraire se produira, et qu’au lieu d’une chose unique, il y en aura plusieurs. L’asyndète implique une amplification : « je vins ; je parlai ; le suppliai » (cela semble plusieurs choses)

les homonymes (chapitre 11)

Ils sont utiles au sophiste (ce sont eux qui permettent ses supercheries). Mais si l’on introduit le mot à propos par homonymie ou métaphore, l’effet est bon.

les métaphores
(chapitres 2, 3, 4, 10, 11)

Aristote accorde beaucoup d’importance à la métaphore2 ;

il en distingue quatre sortes qu’il détaille dans sa Poétique.

- la métaphore du genre au genre ou métaphore par analogie qui correspond à l’emploi d’un mot propre à un genre (classe générique) plutôt connoté positivement à la place d’un mot propre à un autre genre.

- la métaphore de l’espèce à l’espèce dans laquelle deux mots différents mais ayant en commun un trait de sens, sont interchangeables.

- la métaphore du genre à l’espèce qui utilise un mot moins précis, plus générique pour parler d’un objet.

- la métaphore de l’espèce au genre qui utilise un mot plus précis, moins générique pour parler d’un objet.



Comme les périphrases, les métaphores doivent être en harmonie avec leur objet. Cette harmonie résultera d’une analogie, sinon la disconvenance éclatera.
- Si l’on désire exalter son objet, il faut emprunter la métaphore à ce qu’il y a dans le même genre de plus relevé ; si l’on veut blâmer, à ce qui est de moindre valeur.

=>
affirmer dans un cas que celui qui mendie prie, dans l’autre que celui qui prie mendie.
=>
tandis que l’un appelle les acteurs flagorneurs de Dionysos ceux-ci se donnent le titre d’artistes : ces deux mots sont des métaphores mais l’une cherche à salir, l’autre, le contraire ;
=>
et aujourd’hui les pirates se donnent le nom de pourvoyeurs 
Voilà les sources d’où il faut tirer les métaphores : de choses qui sont belles ou par le son, ou par la signification, ou par la vue, ou par quelque autre sens ; il vaut mieux dire l’aurore « aux doigts roses » que « aux doigts écarlates », ou, ce qui est encore moins bon, « aux doigts rouges ».
- Les métaphores peuvent ne pas convenir, les unes parce qu’elles prêtent à rire (en effet, les poètes comiques emploient aussi des métaphores) ; les autres, parce qu’elles ont un air trop pompeux et tragique.
- la métaphore par analogie : il faut toujours, dans la métaphore par analogie observer le rapport réciproque des deux termes appartenant au même genre

=>
si la coupe est le bouclier de Dionysos, la concordance exige que le bouclier soit appelé la coupe d’Arès 

Contribue à l’ampleur du style, à la majesté du style ; fait partie de ce qu’Aristote appelle les « bons mots » - il s’agit de tout ce qui fait l’élégance du style.
- Des quatre sortes de métaphores, les plus réputées sont celles qui se fondent sur une analogie, comme Périclès disait que la jeunesse morte pendant la guerre avait disparu de la cité comme si l’on avait retranché le printemps de l’année.
=>
Leptine disait sur les Lacédémoniens qu’on ne saurait laisser l’Hellade perdre l’un de ses yeux.
=>
Et Céphisodote indigné de voir Charès montrer trop d’empressement à rendre ses comptes relativement à la guerre d’Olynthe, disait que c’était étrangler le peuple dans un garrot que de vouloir rendre ses comptes dans de telles conditions 
=>
Aesion disait qu’on avait vidé toute la cité dans la Sicile : c’est là une métaphore et une peinture
=>
Ce que Lycoléon dit pour la défense de Chabrias : « sans même avoir égard à la prière qu’élève pour lui sa statue de bronze », c’est une métaphore de circonstance, qui n’est pas toujours valable, mais c’est une peinture ; en effet, c’est seulement pendant qu’il est en danger que la statue prie ; l’inanimé alors s’anime, à savoir les monuments des hauts faits de la Cité.
=>
Comme Homère en use en maint endroit, animer les choses inanimées au moyen d’une métaphore : « Et derechef, la pierre roula sur le sol, sans honte aucune » (Homère, Odyssée, XI, 598) ; « La javeline s’élança impétueuse à travers la poitrine » (Homère, Iliade, XV, 542).
=>
il faut tirer ses métaphores de choses appropriées  mais non point évidentes, comme, en philosophie, apercevoir des similitudes même entre des objets fort distants témoigne d’un esprit sagace ; c’est ainsi qu’Archytas disait qu’un arbitre et un autel sont choses identiques, car l’un et l’autre sont le refuge de tout ce qui souffre l’injustice.

la comparaison (chapitres 4, 10, 11)

- La comparaison diffère peu de la métaphore.
=>
quand Homère dit d’Achille Il s’élança comme un lion c’est une comparaison, mais quand on dit le lion s’élança c’est une métaphore.
- La comparaison est utile même en prose, mais il faut en user peu souvent, car elle a un caractère poétique.

- Les comparaisons doivent être introduites comme les métaphores.

- La comparaison est une métaphore qui ne diffère que par le mode de présentation ; aussi est-elle moins agréable, parce qu’elle est présentée trop longuement.

Contribue à l’ampleur du style, à la majesté du style ; fait partie de ce qu’Aristote appelle les « bons mots » - il s’agit de tout ce qui fait l’élégance du style.
- Les comparaisons réputées sont en un sens des métaphores ; car elles sont toujours formées de deux termes, comme la métaphore par analogie ; par exemple, le bouclier, disons-nous, est la coupe d’Arès, et l’arc est une phorminx sans cordes. Ainsi ce qu’on dit n’est pas simple ; mais appeler l’arc une lyre ou le bouclier une coupe, c’est chose simple.
- La comparaison est bonne lorsqu’elle implique une métaphore ; on peut en effet comparer le bouclier à la coupe d’Arès, et la ruine à un lambeau de maison ; c’est ainsi que l’on dit que Nicératos est Philoctète mordu par Pratys, comme dans la comparaison de Thrasymaque, quand il eut vu Nicératos vaincu par Pratys dans un concours de rhapsodes, et resté depuis lors échevelé et sale.

l’amplification (chapitre 6)

Procédé qui donne de l’ampleur, de l’élévation au style.
Le procédé d’Antimaque est également utile : parler de ce que le sujet ne comporte pas ; c’est ce que fait ce poète pour le Teumessos : « Il est une petite colline battue des vents ». Ce genre d’amplification peut aller à l’infini. Ce procédé : dire comment l’objet n’a point tels caractères, est aussi applicable aux choses bonnes qu’aux mauvaises, selon que l’un ou l’autre des deux points de vue est utile ; c’est de là que les poètes tirent leurs qualificatifs : « la mélodie qui ne vient pas des cordes », et : « qui ne vient pas de la lyre » ; ils empruntent aux caractères dont l’objet est privé ; procédé apprécié, lorsqu’il est appliqué dans les métaphores par analogie, lorsqu’on dit, par exemple, que le son de la trompette est un air « sans lyre ».

les hyperboles (chapitre 11)

Contribuent à l’ampleur du style, à la majesté du style ; font partie de ce qu’Aristote appelle les « bons mots » - il s’agit de tout ce qui fait l’élégance du style.
Les hyperboles réputées sont des métaphores ; par exemple pour l’œil poché dire « on l’eût pris pour un panier de mûres » ; la contusion de l’œil est, en effet, quelque chose de rouge ; l’exagération est dans la quantité.
Les hyperboles ont un caractère de juvénilité, car elles montrent de la véhémence ; aussi les énonce-t-on surtout dans la colère :

« Non ! pas même s’il me faisait des présents

Aussi nombreux que les grains du sable et de la poussière,

Je n’épouserai pas la fille d’Agamemnon fils d’Atrée,

Quand elle pourrait rivaliser en beauté avec Aphrodite

brillante comme l’or,
Pour les ouvrages avec Athéna ! »

C’est ce qui fait qu’il messied à un homme âgé de les employer ; ce sont les orateurs attiques qui s’en servent surtout.

les apophtègmes et les énigmes (chapitre 11)

Contribuent à l’ampleur du style, à la majesté du style ; font partie de ce qu’Aristote appelle les « bons mots » - il s’agit de tout ce qui fait l’élégance du style.
Les apophtègmes spirituels consistent à ne pas dire ce qu’on entend ; tel, par exemple, celui de Stésichore, que « les cigales chanteront de terre pour elles seules ».

De même encore les énigmes bien enveloppées sont agréables pour la même raison car elles nous apprennent quelque chose, et elles ont la forme d’une métaphore.

les proverbes (chapitre 11)

Contribuent à l’ampleur du style, à la majesté du style ; font partie de ce qu’Aristote appelle les « bons mots » - il s’agit de tout ce qui fait l’élégance du style.
Les proverbes sont aussi des métaphores du genre au genre ; par exemple, si quelqu’un appelle un autre à son aide dans l’espoir d’en recevoir du bien et subit un dommage, c’est dit-on, comme l’habitant de Carpathos avec son lièvre, car tous deux ont éprouvé le même mécompte.

[retour au texte]


NOTES

1 Terme (ici traduit) utilisé par Homère dans Odyssée, V, 239.

2 Aristote évoque la catachrèse (lorsqu’il n’existe pas de mot pour exprimer une ressemblance) : « Dans certains cas, il n’existe pas de nom établi pour désigner l’un des éléments de l’analogie, mais pour autant, on n’exprimera pas moins le rapport de similitude ; ainsi, jeter le grain, c’est semer, mais pour désigner le mouvement des rayons depuis le soleil, il n’y a pas de terme ; cependant, ce mouvement entretient avec le soleil le même rapport que semer avec le grain, voilà pourquoi on dit : semant les rayons créés par la divinité. » (Aristote, [1990], Poétique, page 119, Librairie Générale Française).