Carine DUTEIL-MOUGEL : INTRODUCTION À LA RHÉTORIQUE

ANNEXE 6 : Figures de pensée (Cicéron)


FIGURES DE PENSÉE1

l’insistance : « l’orateur que nous cherchons parlera de manière à retourner à plusieurs reprises et de plusieurs façons la même idée, à insister sur une chose et s’attarder sur la même pensée  » (L’orateur, 137) ; « on peut insister sur un point » (De l’orateur, 202) 

l’hypotypose : « souvent il s’exprimera de manière à mettre la chose sous nos yeux » (L’orateur, 139) ; « exposer les faits brillamment et les placer pour ainsi dire sous les yeux2 » (De l’orateur, 202)

l’hyperbole : « souvent il l’élèvera [la chose] au-dessus du possible » (L’orateur, 138) ; « on peut aussi, pour grossir ou atténuer les faits réels, en exagérer l’expression et même la porter au-delà de la vérité » (De l’orateur, 203)

« souvent la signification dépassera l’expression » (L’orateur, 139) 

« À ces figures s’opposent souvent l’allusion rapide, la suggestion, qui laisse entendre plus qu’on n’a dit, la formule brève, qui résume sans obscurité, l’atténuation et une forme de raillerie qui en est voisine » (De l’orateur, 202) ; « souvent aussi il atténuera un point, souvent il le tournera en ridicule » (L’orateur, 137) 

la digression : « il s’écartera de son propos et fera dévier la pensée » (L’orateur, 137) ; « il y a aussi la digression » (De l’orateur, 203) 

« il annoncera ce qu’il va dire » (L’orateur, 137) ; « [la digression] qui, une fois son intérêt épuisé, demande qu’on revienne au sujet et qu’on annonce le nouveau développement d’une manière habile et élégante » (De l’orateur, 203) 

l’interruption : « ayant achevé de traiter un point il le coupera » (L’orateur, 137) ; « figure par laquelle on abandonne un développement » (De l’orateur, 203)

« il se rappellera lui-même à la question » (L’orateur, 137) ; « figure par laquelle on revient à l’idée principale » (De l’orateur, 203)

l’itération : « il répétera ce qu’il a dit » (L’orateur, 137) ; « la reprise d’une idée » (De l’orateur, 203)

« il mettra un raisonnement en forme » (L’orateur, 137) ; « le raisonnement en forme enfermant bien la pensée » (De l’orateur, 203)

(la subjection) et l’interrogation oratoire : « il pressera des questions ; à l’inverse il se répondra à lui-même comme si on l’interrogeait » (L’orateur, 137) ; « donner à sa pensée la forme d’une interrogation oratoire et, ce qui s’en rapproche, sonder pour ainsi dire l’adversaire par des questions répétées et en y répondant exprimer sa propre façon de voir » (De l’orateur, 203)

l’antiphrase : « il fera entendre et comprendre le contraire de ce qu’il dit » (L’orateur, 137) ; « qui mieux que les autres figures, rampe, si j’ose ainsi parler, jusque dans les cœurs ; elle dit le contraire de ce qu’on veut entendre ; elle est très agréable dans un discours, lorsqu’elle est traitée sur un ton, non pas oratoire, mais familier » (De l’orateur, 203)

l’hésitation : « il hésitera sur ce qu’il vaut mieux dire et sur la manière de le dire » (L’orateur, 137) ; l’hésitation, la distribution (« il fera des répartitions » (L’orateur, 137)) puis la rectification : « On peut également hésiter, soit que l’on distingue les différentes faces d’une idée, soit que l’on rectifie une chose avant ou après l’avoir énoncée, soit que l’on écarte de soi un reproche » (De l’orateur, 203)

la précaution oratoire : « il prendra les devants » (L’orateur, 137) ; « prévenir une attaque » (De l’orateur, 204)

le transfert : « il fera passer sur l’adversaire la faute de ce qu’on lui reproche » (L’orateur, 137) ; « rejeter la faute sur un autre » (De l’orateur, 204)

la communication : « Souvent il fera semblant de délibérer avec son auditoire, quelquefois même avec son adversaire » (L’orateur, 138) ; « user de la communication, c’est-à-dire délibérer, pour ainsi parler, avec ceux à qui l’on s’adresse » (De l’orateur, 204)

la peinture de caractère3 (l’imitation) : « il imitera le langage ou le caractère des gens » (L’orateur, 138) ; « peindre des caractères ou la vie réelle, en introduisant ou non des personnages » (De l’orateur, 204)

la prosopopée : « il fera parler des êtres sans voix » (L’orateur, 138) ; « faire paraître un personnage supposé est la figure la plus puissante pour l’amplification. » (De l’orateur, 205)

la diversion : « il détournera l’attention hors du sujet ; souvent il fera sourire ou il fera rire » (L’orateur, 138) ; « on décrit aussi, on induit l’auditoire en erreur, on le porte à l’enjouement » (De l’orateur, 205)

l’anticipation (la prolepse oratoire) : « il devancera les objections qu’il prévoit » (L’orateur, 138) ; « on réfute d’avance des objections » (De l’orateur, 205) 

la comparaison  et l’exemple : « il fera des rapprochements ; il citera des précédents  » (L’orateur, 138) ; « on introduit des comparaisons et des exemples, deux moyens très efficaces » (De l’orateur, 205)

la distribution : « il distribuera ses expressions en affectant à chacune celle qui convient » (L’orateur, 138) 

(la division: « on emploie le dilemme » (De l’orateur, 205)

(l’aposiopèse: « il arrêtera net » (L’orateur, 138) 

la réticence : « on déclare qu’on ne dit pas tout » (De l’orateur, 205) ; « il fera des réticences » (L’orateur, 138)

la recommandation : « il montrera de quoi il faut se garder » (L’orateur, 138) ; « on avertit l’auditeur de ce dont il doit se garder » (De l’orateur, 205)

le franc-parler : « on se permet, pour amplifier, un langage franc et même libre » (De l’orateur, 205) ; « il tiendra des propos audacieux » (L’orateur, 138)

« il se mettra même en colère » (L’orateur, 138) ; « on se met en colère » (De l’orateur, 205)

« on blâme » (De l’orateur, 205) ; « il fera quelquefois des reproches » (L’orateur, 138)

la promesse : « on promet la vérité » (De l’orateur, 205)

(la déprécation: « il demandera pardon » (L’orateur, 138) ; « on demande l’indulgence » (De l’orateur, 205)

la supplication (l’obsécration) : « il suppliera » (L’orateur, 138) ; « on supplie » (De l’orateur, 205)

(l’aveu: « il se justifiera » (L’orateur, 138) ; « on se justifie » (De l’orateur, 205)

la parenthèse (déviation et non digression) : « il se détournera un peu de son sujet » (L’orateur, 138) ; « on ouvre une courte parenthèse » (De l’orateur, 205)

le souhait (optatio) et l’exsécration (exsecratio) : « il fera des vœux, des exsécrations » (L’orateur, 138) ; « on exprime des souhaits et des malédictions » (De l’orateur, 205)

l’intimité : « il tâchera d’entrer dans l’intimité de ceux devant lesquels il parle » (L’orateur, 138) 

« on harcèle l’adversaire » (De l’orateur, 205)

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NOTES

1 Cicéron aborde les figures de pensée dans son L’orateur: XL, 137 à 139 (pages 49 et 50, [1964], Les Belles Lettres) et dans son De L’orateur, Livre III : LIII, 202 à 205 (pages 83 à 85, [1971], Les Belles Lettres).

Nous indiquons dans les citations uniquement le titre de l’ouvrage et la section.

2 « procédés qui, même dans l’exposé des faits, ont un très grand poids, pour mettre dans tout leur jour ceux que l’on expose aussi bien que pour les amplifier ; car ainsi, lorsque nous agrandirons ces faits, l’image qu’en donnera notre discours semblera, pour les auditeurs, la réalité. » (De l’orateur, Livre III, LIII, 202, pages 83-84).

3 « cette dernière figure est vraiment, pour un discours, un riche ornement ; plus que toutes les autres, elle est propre à disposer favorablement les esprits, souvent même à les toucher » (De l’orateur, Livre III, LIII, 204, page 85).