Thierry Mézaille : THÉMATIQUES LITTÉRAIRES


II. APPLICATION AUX CORPUS D’AUTEURS

Chapitre 1. Rôle narratif des véhicules hippomobiles dans le roman réaliste
(
Madame Bovary, L'éducation sentimentale , Bel-Ami, Une vie)

Comme les détails descriptifs des tenues ou de la composition des repas, les précisions relatives aux moyens de transport sont un élément indispensable au "cahier des charges" (cf. Hamon) d'un romancier dit réaliste. Néanmoins à travers elles, nous n'adopterons pas le point de vue du documentaire historique sur l'époque, mais chercherons à cerner les valeurs sémantiques (i.e. sèmes afférents) que leur confère chacun des quatre romans classiques de Flaubert et Maupassant.

I. Dans Madame Bovary

La gageure de l'étude consiste à suivre les principaux épisodes du roman à partir des items du champ lexical (plus exactement, en termes sémantiques, du taxème) //hippomobiles//. La recontextualisation des occurrences permet de les indexer aux isotopies qu'un lecteur assidu du roman est apte à produire ou à reconnaître. C'est dans ce sens contextuel que réside l'enjeu du relevé des occurrences. Les déplacements que ce moyen de transport occasionne présentent un intérêt tant au niveau narrativo-descriptif qu'à celui des détails et de la cohérence de genre "réaliste".

La première occurrence se situe dans la description de la ferme des Bertaux, "de bonne apparence", telle que la découvre le médecin Charles en visite (focalisation interne) :

Puis lors des noces, la dominante des véhicules campagnards est associée au contexte des actions imperfectives :

On note une progression dans la charge affective pesant sur les hippomobiles; telle cette carriole quittant le champ visuel du père qui l'indexe à /nostalgie/ et /amour paternel/.

Lors de l'emménagement, les habitudes d'Emma obligent à la sollicitude du mari qui embourgeoise sa femme en lui offrant un véhicule chic. En effet le nom boc est une abréviation de boghei (ou boguet, selon le TLF, qui cite Flaubert), désignant une "voiture légère, petit cabriolet découvert" (selon Littré); nom tiré de l'anglais comme le tilbury, cet autre "cabriolet découvert et léger" :

Vient ensuite la rétrospection sur le romantisme d'Emma lorsqu'elle avait treize ans au couvent des Ursulines. C'est alors que la voiture, non plus réelle-matérielle mais représentée-spiritualisée, est assimilée à la première occ. de "fiacre" sur l'isotopie /aristocratie/, mais aussi, aspectuellement, de nouveau /imperfectif/ :

Par assimilation, ce dernier véhicule urbain renvoie à "l'attelage que conduisaient deux postillons" des gravures, relevant ainsi davantage de l'univers esthétique voire onirique que banalement concret.

L'imperfectivation engendre l'ennui [3], non seulement par manque d'activités citadines, mais par ressouvenir nostalgique de son adolescence où l'épisode de la remise des prix est indexé à /sacralité/ (euphorisante), comme l'est aussi la première occ. de "calèche", emblème esthétique par assimilation avec la distinction honorifique :

L'isotopie /sacralité/ est récurrente lors du bal à la Vaubyessard (cf. la comparaison avec l'église) qui comporte trois temps dialectiques (départ, arrivée, re-départ). L'épisode qui enjambe deux chapitres s'achève sur la comparaison avec un "carrosse", lequel ne peut être que connecté par le lecteur au boc de Charles, selon le point de vue transfigurateur d'Emma éblouie :

L'Ailleurs nostalgique se réalise au domicile même, lorsqu'Emma retrouve l'objet fétiche de la société aristocratique où elle vient de vivre une fête merveilleuse. Rien d'étonnant alors à ce que les calèches rêvées remplacent les charrettes banalement rurales qui y mènent :

La seconde partie s'ouvre sur la peinture d'Yonville, telle que la voit le couple venant de déménager (la focalisation interne occulte l'évaluation de l'observateur au profit de la précision réaliste) :

Ultérieurement, la description du marché réitèrera la même thématique. Néanmoins elle contraste avec la tension familiale :

Le fait que ce passage soit vu par "Emma accoudée à sa fenêtre" (foc. interne) n'est pas indifférent car quelques lignes plus bas c'est Rodolphe qui entre dans son champ de vision. De sorte qu'il se trouve en quelque sorte introduit par cette description rurale.

Mais revenons au chapitre premier où s'effectue l'arrivée des Bovary. Ils sont accueillis dans le milieu où gravite le pharmacien Homais. La médiocrité dénoncée de ce milieu se traduit par la platitude de l'appellation "voiture", pour l'Hirondelle, plus loin qualifiée de "diligence" (dans un autre contexte, des cooccurrences lexicales similaires sont employées dans un sens différent, mais toujours pour dénoter la dégradation : Emma "se rappela tous ses instincts de luxe, toutes les privations de son âme, les bassesses du mariage, du ménage, ses rêves tombant dans la boue comme des hirondelles blessées"), ainsi que par la dévalorisation du véhicule des arrivants :

La question de savoir si cette diligence est conforme à celle qui a réellement existé, du même nom, est de notre point de vue sans intérêt; l'est en revanche sa situation tactique, en constatant qu'elle introduit quelques lignes plus bas la description du deuxième amant d'Emma (association confirmée en II, ch. 8, infra : "c'était dans cette voiture jaune que Léon, si souvent, était revenu vers elle").

Quant au pharmacien, il indexe 'cabriolet' à l'isotopie /confort/, par contraste avec les véhicules précédents ou le cheval dont use Charles depuis le début du roman :

Le problème financier de Charles introduit une isotopie sur laquelle se développera l'évolution dramatique du sort de sa femme. Quant à la symbolique de la statue brisée, apparue lors des noces, elle semble claire concernant la fêlure du couple :

D'ailleurs, en côtoyant le Léon (clerc du notaire Guillaumin), l'énamoration se produit lors des habitudes au sein de l'auberge ; sa complicité avec Emma semble favorisée par le romantisme de la représentation artistique qui confère à "voitures" une valeur dénotant avec la banalité du véhicule quotidien :

L'idéalisation prend le relais de sa timidité lorsqu'il transfigure le mari mais aussi le boc matériel en autant d'éléments métonymiques d'Emma :

Les adieux déchirants ont lieu lors de la disjonction spatiale (Rouen vs Yonville). Contrairement à la diligence précédente, on note ici que "voiture" ne s'oppose plus à "cabriolet" qui au contraire la paraphrase :

Lors des Comices agricoles, l'arrivée de la sommité s'effectue dans un véhicule (le carrosse, ici paraphrasé par la voiture, et comparant princier du simple landau), qui, pour être flatteur de prime abord, n'en sera que plus ironique a posteriori lors de son discours :

En effet, l'orateur témoigne d'un style ampoulé, lequel dévalorise en outre un véhicule qu'il évoque :

Or cette harangue est interrompue par l'attitude des auditeurs parmi lesquels le nouveau couple Emma et Rodolphe, rencontré au chapitre précédent (7) lors d'une saignée que lui effectue Charles. Le mélange des sensations romantiques qu'éprouve la femme est tel qu'elle mélange plusieurs amants potentiels (Rodolphe, Léon, le vicomte) :

Le ridicule tangage du passager, dû à l'ivresse de son conducteur, rejaillit sur son fiacre, lequel n'est plus ce véhicule romantique ayant fait rêver Emma (chap. 6) :

Après le politique, la médecine subit aussi la dévalorisation avec la pathologie d'Hippolyte, son pied-bot, que Charles se laissera convaincre d'opérer en vain :

Après l'échec de Charles, cet épisode du "sacerdoce" de la chirurgie se clôt (le cas /résultatif/ affecte ainsi le domaine //pathologie//) sur l'appel à un spécialiste :

On infère ainsi l'opposition isotopique par les véhicules qui correspondent au statut social des personnages : /humilité/ des charrettes d'Hippolyte vs /prétention/ du cabriolet de Canivet. Si cette isotopie demeure pour indexer le même véhicule du pharmacien, il n'en va pas de même de la première concernant les charrettes introduisant Rodolphe (qualifié de "fanfaron" lors de sa saignée). Cela démontre que les objets subissent la variabilité thématique des personnages qu'ils accompagnent.

La séparation avec Léon étant accomplie, peut s'établir la complicité amoureuse d'Emma avec Rodolphe. L'Ailleurs romantique qu'elle s'imagine pour son nouveau couple illégitime implique la connexion métaphorique de la voiture banale (qui s'élance : /horizontalité/ terrestre) avec un ballon merveilleux (qui monte : /verticalité/ céleste) :

L'endettement est le problème terre-à-terre qui vient contrarier Emma dans sa rêverie de voyage adultérin, où elle retrouve l'une des calèches princières de son adolescence. Mais elle n'envisage pas la manipulation de Rodolphe ; de là l'isotopie afférente /idéalisme naïf/ (qui est le fondement du bovarysme) :

Relevons deux occurrences d'un syntagme, certes fort distantes, mais qui font le lien entre les deux amants. La première indexée à /trahison amoureuse/, celle de Rodolphe dont Charles décrit innocemment les mœurs à sa femme :

Par relation de cause à effet, le véhicule léger est associé à un état de "paroxysme" (le mot est de Homais), celui de la manifestation corporelle du désir féminin qui oscille de la crise épileptique à ce trouble nerveux féminin qu'est l'hystérie, véritable topos médical de l'époque (sur tout cela, cf. B. Didier pp. 16-17 de l'éd. de Poche, 1983). Quoi qu'il en soit, il s'agit là du deuxième événement pathologique après l'opération ratée du garçon d'auberge.

La seconde occurrence, plus lointaine, est indexée à /besoin financier/, lors de l'épisode des rencontres, cette fois de Léon et Emma :

La spécificité d'un tel véhicule à Rouen constitue un détail identique à plus de soixante pages de distance si précis que la seconde occurrence figure un ressouvenir nostalgique de la première; le fait qu'Emma lui conserve une évaluation méliorative prouve qu'elle n'est pas rancunière de la fuite de Rodolphe.

Mais reprenons le cours chronologique du roman. Toujours sur l'isotopie financière, voici de nouveau l'endettement d'Emma qui enrichit son créancier (lequel, avec Homais et Rodolphe, constitue le clan des matérialistes) :

A propos des distractions et de spectacles proposés à Emma, pour la guérir, le dépaysement à la ville semble un remède :

On retrouve ici la ruralité du "garde-crotte" du cabriolet d'Homais [6], comme pour signifier que cette nouvelle auberge ne diffère pas du Lion d'Or et de son milieu.

Quelques lignes plus bas, le véhicule campagnard éponyme demeure indexé à l'isotopie /quartier populaire/, valorisée par Emma, mais non par son mari, timoré avant d'entrer au théâtre :

La troisième partie s'ouvre sur la métamorphose du clerc retrouvé, devenu citadin plus audacieux :

On note que dans ce contexte d'arrivisme, le véhicule générique appartient au taxème matérialiste //signes de réussite sociale//, par contraste avec sa déclaration romantique, deux pages plus loin, où il se remémore l'idéalisation des fiacres, pareils à ceux des tableaux de la jeunesse d'Emma (cf. supra I, ch. 6) :

Mais quelques pages après, le matérialisme de la relation charnelle adultérine reprend le dessus avec la compromission qu'accepte Emma dans cette même voiture. Ce détail réaliste profanatoire qui n'a pas échappé à l'avocat du ministère public Ernest Pinard lors du procès intenté à l'auteur (cf. éd. de Poche, 1983, p. 474) est d'autant plus perceptible qu'il fait "offense à la morale religieuse" en succédant au rendez-vous des amants dans la cathédrale Notre-Dame. Celui-ci a lieu à "onze heures"; or la mention de la fin de promenade en "voiture close" qui s'achève "vers six heures" est manifestement une exagération, entorse à la chronologie réaliste; elle confirme l'indexation en fin de chapitre du véhicule à l'isotopie /anormalité/, suscitée par le regard choqué des "bourgeois" :

Cette cavalcade du changement de multiples véhicules (de transport tantôt privé tantôt public) traduit bien le climat romanesque indexé à /duplicité/. De telles actions perfectives et ponctuelles au passé simple n'ont rien de contradictoire avec les imperfectives duratives-itératives dans la mesure où toutes relèvent de la thématique de l'amour passion, que ce soit le déplacement soudain ou la lente promenade :

On constate que (depuis I, ch. 7-8, et ici même en III), la multiplicité des véhicules hippomobiles regroupés à la charnière de deux chapitres favorise leur transition en prolongeant l'isotopie /dynamisme/. Il s'agit de l'élan vers la vie de libertinage à Rouen, comparée à "une Babylone", symbolisant LA ville pour Emma. Après le retour mouvementé (III, ch. 2), voici l'aller où l'impatience d'Emma le dispute à la dissimulation :

Comme pour "la rue des Charrettes" supra, ce moyen de locomotion à Rouen est indexé à /agitation populaire citadine/, valorisée par Emma, puisque cela la désennuie.

Quant à l'isotopie aspectuelle /itératif/ (des imparfaits), elle indexe non seulement la régularité des moyens de transports, mais aussi les habitudes des passagers et des rencontres qu'ils font. Ainsi sur le chemin du retour celle du gueux, dont la parabole sera récurrente lors de l'agonie d'Emma en fin de chapitre 8. Sa thématique de l'amour, associée aux meurtrissures de son corps dont l'horreur rejaillit sur les passagers préfigure son tragique destin :

Même avec le véhicule privé qu'est le boc, qui comme le cabriolet précédent est chargé d'intercepter la diligence, les rendez-vous d'Emma avec Léon demeurent indexés à /duplicité/ ainsi qu'à /soupçon/ de la part des villageois :

En revanche Charles ne se doute de rien, même devant l'évidence ; de là l'isotopie /naïveté/ qui le caractérise depuis l'incipit du roman. Son activisme avec son boc est ainsi frappé du sceau de l'inefficacité face aux ruses d'Emma, dont il est ici plus qu'ailleurs le faire-valoir :

Autre isotopie caractéristique cette fois du pharmacien : /sans-gêne/, du fait que non seulement il s'invite au déplacement à Rouen, mais il s'impose auprès du couple illégitime, en ce sens emblématique leur séparation, qu'il anticipe :

La dégradation finale s'effectue aussi bien au niveau de ses dettes auprès de Lheureux qui s'aggravent immédiatement après cet extrait, que sur le plan amoureux :

Aussi au lendemain de ses nuits de "débauche" le véhicule naguère positif provoque un bruit strident, comme le symbole du signal d'alarme financier et familial.

Toujours à Rouen, elle a une vision fugace, celle d'une aristocratie merveilleuse (souvenir de la Vaubyessard) qui n'est qu'un instant de lueur dans la noirceur dominante :

Autre répétition, celle du motif de "la chanson du gueux", rencontré sur le chemin du retour, et dont le triste sort préfigure celui de l'héroïne. On notera que l'ironie du cocher et du pharmacien rajoute une cruauté gratuite, ce qui rend d'autant plus pénibles ses déplacements à Rouen :

Enfin, troisième épisode de l'isotopie /pathologie/, et deuxième convocation du docteur Larivière auprès d'Emma empoisonnée, son véhicule pourtant banal et régulier hérite le sème /sacralité/ (de sa chirurgie) dû à sa comparaison avec "un dieu" :

Logiquement, le dernier extrait décrit son enterrement à Yonville :

Il s'agit du retour à la campagne initiale, avec la présence du père Rouault qui évoque le "cimetière des Bertaux", indexé aux isotopies /ruralité/ et /rétrospection nostalgique/. Cette évolution chronologique cyclique affecte aussi les véhicules puisque les charrettes mélioratives (de I, ch. 2, bien qu'étant les plus simples des voitures) sont ici récurrentes, mais comme pour symboliser ici que Charles (personnage dominant du début et de la fin du roman [10]) ne sort pas de "l'ornière", mais dans un sens qui n'a pas la valeur dysphorique traditionnelle (cf. "joyeux"). Rebondissons d'ailleurs sur ce mot, crédité de trois occurrences au total. Voici les deux premières, porteuses de la même évaluation : à l'incipit on lisait "Les ornières devinrent plus profondes. On approchait des Bertaux." Moins innocente est l'occurrence intermédiaire qui annonçait ce que Flaubert appelait dans sa correspondance la "baisade dans les bois par un temps d'automne" consécutive aux comices (II, 9) : "Ils descendirent. Rodolphe attacha les chevaux. Elle allait devant, sur la mousse, entre les ornières. Mais sa robe trop longue l'embarrassait, bien qu'elle la portât relevée par la queue, et Rodolphe, marchant derrière elle, contemplait entre ce drap noir et la bottine noire, la délicatesse de son bas blanc, qui lui semblait quelque chose de sa nudité."

***

De ce relevé d'attestations en contexte, sémantisées par les parcours interprétatifs, on conclut que de tels éléments matériels a priori anodins balisent systématiquement des épisodes cruciaux du roman (notamment : mariage, bonheur de Charles près de sa femme, remémoration du couvent, bal à la Vaubyessard, apparition d'Yonville, puis de Rodolphe et de Léon, ambiance au Lion d'Or, Comices, innombrables allers-retours à Rouen, pathologies d'Hippolyte puis d'Emma, projet de fuite avec Rodolphe et trahison, lieux populaires, consommation charnelle d'Emma, L'Exclu, les obsèques). Leur importance est aussi thématique ; en effet, de par les isotopies afférentes que chacune des occurrences des véhicules réactive, elles contribuent à la cohésion sémantique du roman.

Ajoutons que les hippomobiles échangent leurs isotopies qui ne leur sont pas spécifiques, telle la tonale /ironie/ qui affecte certes le "carrosse" (comparant du landau du conseiller aux Comices), dont se moquent les observateurs, ainsi que les "cabriolets crottés des commis voyageurs", mais non la seconde occurrence du "carrosse" qui blasonne le porte-cigares, objet magique pour Emma (isotopie /rêverie/ dans ce cas).

Naguère dans son approche "socio-sémantique" des objets dans le roman, Cl. Duchet (in Travail de Flaubert, "points", 1983, p.13) remarquait à juste titre que "ceux-ci sont très rarement fonctionnels" (p. 18) et pourvus du seul sème casuel /instrumental/ ; ils auraient au contraire trois statuts : "Information, l'objet renseigne sur un monde hors-texte, auquel il donne forme et consistance. Signe, il instaure le sens, profile une idéologie ou une vision du monde. Valeur, il bascule dans l'espace romanesque à la fois comme support de signification et comme matière phonique ; à ce niveau, il acquiert la plénitude de son statut esthétique." (p. 21) Duchet ouvrit ainsi la voie à une description esthético-structurale des objets, dont il reprit "les trois axes actantiels du désir, de la communication et de la lutte" à Greimas (p. 22).

La réduction sémantique à ces trois axes nous paraît bien excessive au vu de la diversité des isotopies qui indexent les différents types de voitures. En revenant à un point de vue sémasiologique (i. e. qui part des entrées du champ lexical – on ne citera pas le générique voiture(s), polyvalent – non plus du sens global contextuel, lequel figure au contraire le point de vue onomasiologique [11]), ressaisissons les principales isotopies afférentes et distinctives; elles constituent l'histoire contextuelle (cf. Rastier) des sémèmes indexés :


II. Comparaison avec L'éducation sentimentale (1869) [12]

Resaisissons les données quantitatives, pour nos quatre romans, telles que les fournit Hyperbase (on a mis en évidence les pics frappants relativement aux déficits voisins) :

30 hippomobiles

Mme Bovary

L'éducation s.

Bel-Ami

Une vie

véhicule(s)

0

1

0

1

voiture(s)

31

71

47

31

fiacre(s)

7

25

33

0

calèche(s)

3

10

0

13

diligence(s)

7

7

0

0

malle(s)

1

1

0

0

cabriolet(s)

7

11

0

0

coupé(s)

0

11

0

0

berline(s)

1

5

0

2

carrosse

2

2

0

0

boc

8

0

0

0

landau

1

5

10

0

phaéton

0

0

0

2

tilbury(s)

4

2

0

1

guimbarde

1

0

0

1

tapissière(s)

1

2

0

0

charrette(s)

14

6

0

5

carriole(s)

6

2

0

13

chariot

0

1

0

0

char(s)

2

3

0

0

tombereau(x)

0

2

0

0

haquet(s)

0

1

0

0

escargot

0

1

0

0

break

0

1

0

0

dog-cart(s)

0

1

0

0

briska(s)

0

1

0

0

wurst(s)

0

1

0

0

tandem(s)

0

1

0

0

victoria(s)

0

1

0

0

stepper à chaise

0

1

0

0

Dans les deux romans de Flaubert, on constate l'absence de "phaéton", la rareté de "chariot", en revanche très présent dans Salammbô, ou encore que "boc" est une spécificité de Madame Bovary (par rapport à l'immense base Auteurs). Le chiffre de "voiture(s)" [13] a plus que doublé dans L'éducation sentimentale (dont la quantité et la variété des hippomobiles sont frappantes); cela nous contraint, pour ne pas alourdir l'exposé, à oublier le relevé exhaustif des attestations du générique. Cette restriction émise, passons en revue les épisodes pertinents, en suivant toujours le cours chronologique du roman.

1) Le premier est assurément la rencontre de Frédéric et de Mme Arnoux sur un navire, à quoi succède un moyen de locomotion terrestre qu'envisage d'utiliser la famille [14] :

De là le refus de la séparation. On constate l'opposition isotopique de /voyage fluvial/ vs /terrestre/ :

La disjonction physique entraîne de la part du protagoniste, de retour chez lui à Nogent-sur-Seine, une mentalisation (rêverie), subjectivité qui se poursuit par une hypothèse (cf. "sans doute"), laquelle marque le refus de l'omniscience :

2) Plus de deux mois plus tard, Frédéric sur les conseils d'un ami tente une adaptation au milieu huppé des Dambreuse, bourgeois riches et influents :

La "jolie Mme Dambreuse, que citaient les journaux de modes" possède sa propre voiture, à laquelle elle propage donc le sème /chic féminin/ :

Comme bien souvent dans le roman, on note que l'échec de l'approche par le protagoniste se traduit par la modalité épistémique, dans la reconnaissance trop tardive, a posteriori.

3) La deuxième approche de Mme Arnoux est indexée à l'isotopie /densité/, concernant les belles promeneuses; elle donne lieu à une rêverie sur le milieu aisé ainsi que sur la poésie du lieu :

Plus tard, la réception chez les Arnoux, à Paris, rue de Choiseul, mentionnera une voiture banale pourtant indexée à /exotisme (culinaire)/, /rareté/, /luxe/ par son contenu :

Le départ s'opère sur l'opposition /désir/ (amoureux) vs /réalité/, symbolisée par un véhicule fruste indexé sociologiquement et péjorativement à /milieu populaire/ (désert-calme ou surpeuplé-agité), du fait qu'il est indice de la conscience d'une appartenance de classe :

L'échec est réitéré lors de sa fausse joie à l'idée une nouvelle tentative infructueuse d'approche :

4) Cette voiture n'est toutefois pas indexée uniquement à /déception/; lui sont aussi propagées les afférences /vie mondaine/ et /distraction/ lorsque, pour détourner Frédéric de son obsession, ses amis recherchent des lieux d'amusement :

Que ce soit pour un déplacement fonctionnel ou festif, le fiacre apparaît comme le mode de transport parisien normal pour le particulier. Interchangeable avec le suivant :

Contrairement à l'imperfectivité qui détermine les premières diligences, calèches et charrettes, on constate que les deux types de voitures légères voient leur perfectivité mise en évidence par l'usage du passé simple.

Toujours dans le contexte du divertissement, ici au théâtre, Frédéric, comme au début, ne reconnaît pas d'emblée celle de Mme Dambreuse, qu'il rencontrera peu après à l'entracte avec son mari. L'erreur se justifie par le fait que le véhicule suivant est nettement distinct du coupé bleu précédent qui appartenait déjà à Mme Dambreuse :

Quant au véhicule utilitaire suivant, son apparition a lieu peu après lors d'un retour temporaire en province (aux environs de Nogent-sur-Seine), comme en témoigne la mention du lieu-dit :

5) Cet acte de dévouement de la part du régisseur du banquier M. Dambreuse précède l'événement qui clôturera la première partie du roman, à savoir l'héritage de Frédéric. Parmi ses conséquences, le choix d'une multitude de voitures, soit rêvées soit réellement empruntées (on note que la diligence reparaît en début de partie comme cela était le cas en I pour le voyage initial des Arnoux, et comme cela se vérifiera en III lors de la gêne provoquée à Frédéric et Rosanette par l'insurrection) :

Cette arrivée à la capitale débouche sur la description des quartiers populaires parisiens :

Frédéric choisit un moyen de locomotion plus rapide pour rencontrer un informateur :

Quant à Mme Arnoux, elle fait preuve de mansuétude envers son mari, dont les excès sont d'abord alimentaires :

6) La même voiture, associée à la maîtresse d'Arnoux (avant de devenir celle de Frédéric), est indexée à /vie mondaine/ et /théâtralité/, par le rôle qu'elle s'octroie :

Ce coupé dont il a rêvé devient un élément du standing bourgeois qui lui sera indispensable, notamment pour honorer l'invitation des Dambreuse :

En revanche, l'ami de Frédéric fait preuve de muflerie à l'égard de sa maîtresse; de là l'afférence /ironie/ propagée au véhicule, par dérision :

L'injustice du traitement est d'autant plus criante qu'on se rappelle le premier portrait de la jeune fille victime de Deslauriers "le Clerc" [19] :

Quant à la seconde et dernière occurrence de ce véhicule, elle demeurera indexée à l'isotopie /conflit amoureux/, cette fois entre Mlle Vatnaz, maîtresse d'Arnoux, donc rivale de la Maréchale à qui elle voue une haine féroce :

Mais reprenons le cours chronologique du récit. L'isotopie de l'arme financière se poursuit sur le domaine //spéculation// auquel est indexé l'épisode du placement lucratif de l'industriel. Cela implique des moyens de locomotion pour aller à sa recherche dans la manufacture de faïence :

Or cette isotopie /dégradation/ ('disloquée') traduit bien l'échec de l'intercession financière.

Elle contraste avec l'évaluation méliorative de l'isotopie /galanterie/ :

7) Autre manifestation de l'isotopie /vie mondaine/, celle du domaine //hippisme// au Champ de Mars, lieu que vient hanter une voiture étrange pour Frédéric qui ne l'attribuera avec certitude à Mme Arnoux qu'a posteriori ; de là l'afférence /mystère/ (amoureux) :

En revanche il est une autre forme de féminité qui ne se dissimule plus, mais est indexée à /théâtralité/, le narrateur s'amusant à lui associer le sème /vulgarité/ :

Toujours par alternance, le retour à la femme discrète implique l'isotopie /gêne/ de son admirateur, très perceptible par contraste avec la provocation de Rosanette, ex-maîtresse de M. Arnoux :

Clou du spectacle, la parade des véhicules énumérés active non seulement la paire /ostentation/ et /luxe/, par l'accumulation des raretés, mais aussi /chic féminin/ du point de vue de Frédéric, pour qui toutes ces mondaines réunies (hormis la discrète Mme Arnoux, absente de la réunion) sont des objets aussi convoités que leurs parures mobiles :

Un tel comique de situation détend l'atmosphère qui, comme le montre l'échange suivant, a tendance à tourner à la jalousie entre femmes, ce dont témoigne l'afférence /curiosité/ par la question rétrospective de Rosanette :

Indirectement, l'acte de galanterie témoigné à Rosanette (dont "les deux toutous étaient reconduits", cf. supra p. 2289) procure à Frédéric une vexation publique :

8) Cela est isotope de l'humiliation par Cisy qui déclenchera peu après le duel, motif romanesque ici indexé à l'isotopie /ridicule/, et qui requiert trois voitures. Elles se lisent sur la thématique de l'anti-héroïsme de leur occupant, puisque Frédéric sera sauvé par son "protecteur" sans avoir à combattre :

9) L'isotopie /trahison/ est afférente à l'épisode où Deslauriers, "ami" de Frédéric, en dépit de leur brouille financière, annonce à Mme Arnoux qu'il courtise, le mariage de ce dernier avec Mlle Roque; de là l'isotopie /déception amoureuse/ afférente à cette scène psychologique où l'imperfectivité du passage des voitures traduit le vide sentimental ressenti par l'héroïne :

10) Toujours à Paris, Frédéric se rend chez Rosanette, dont le standing est indexé à /embourgeoisement/ (/luxe/ + /ostentation/: "Elle était, maintenant, avec un homme très riche, un Russe, le prince Tzernoukoff, qui l'avait vue aux courses du Champ de Mars, l'été dernier") :

11) La troisième partie s'ouvre sur la fusillade urbaine, lors des événements de 1848 auxquels Frédéric assiste en spectateur, dans un contexte macabre :

L'émeute se traduit par l'utilisation détournée d'un véhicule et d'un conducteur :

L'usage des voitures implique l'action; or c'est au niveau des discours que l'une d'elles est indexée à l'isotopie /engagement politique/ :

En revanche, la promenade décontractée de Frédéric et Rosanette aux alentours de Paris suscite l'isotopie afférente /inconscience/, par contraste avec les batailles ensanglantant la capitale :

A la lecture dans un journal de la blessure de son ami Dussardier, le héros réagit sur l'isotopie /urgence/; néanmoins la multiplicité des véhicules est indexée à /blocus/, voire /destruction/ :

12) Lors d'un dîner parisien, l'isotopie /urgence/ continue d'indexer les déplacements des personnages, mais ici dans le contexte amoureux de Mlle Roque demandant Frédéric en mariage:

Or, toujours dans ce contexte amoureux, la transition page avec le troisième chapitre s'effectue dans une même sur l'opposition /déception/ ('charrettes') vs /plénitude/ ('calèche'), de la fille Roque éconduite du domicile de Frédéric à la continuité des amours de ce dernier avec la Maréchale :

Mais Frédéric se déclare à Mme Arnoux, et par une coïncidence romanesque c'est au moment où "s'étreignirent debout, dans un long baiser" que, sur l'isotopie /jalousie/,

13) A cette précipitation due à la compromission, répond peu après la détente des réunions à l'hôtel Dambreuse où domine l'isotopie /engagement politique/ :

Toujours sur l'isotopie aspectuelle /itératif/, la liaison avec Mme Dambreuse, adultérine, est indexée à /dissimulation/ :

Lors des obsèques de M. Dambreuse, le recueillement intérieur contraste avec la perception des véhicules à l'extérieur, dont l'isotopie /animation/ ("Paris s'éveille") indexe aussi la reprise d'activité de Frédéric (dans une sorte de mimémétisme), maintenant qu'il a le champ libre :

Pareil choix d'un véhicule ostentatoire est paraphrasé lors de la cérémonie du banquier député :

Et la maîtresse devient initiatrice sur l'isotopie /stratégie électorale/ :

14) Mais la Maréchale qui au retour de la scène de jalousie ci-dessus avait lancé à Frédéric "Ne me tue pas ! Je suis enceinte !" l'oblige à des déplacements indexés à l'isotopie /maternité/ :

Si la ville noue les fils des différentes intrigues, l'isotopie précédente est très vite liée à /exil rural/ :

Quant au divertissement de Mme Dambreuse, il s'insère plus globalement dans un épisode de provocation, en aboutissant à l'achat d'un objet des Arnoux, où Frédéric ne voit que de la vénalité :

Bref le mariage programmé avec Mme Dambreuse est lui aussi frappé du sceau de la discorde :

alors que celui de l'ami de Frédéric avec la jeune Louise Roque – éconduite – marque la réussite. Cette euphorie contraste non seulement avec la désillusion du protagoniste, dont le retour temporaire en province est un échec, mais de nouveau avec l'isotopie /blocus/ :

15) Ce véhicule demeure modalisé par la dysphorie, en fin de roman. En effet, bien des années plus tard, en 1867, Frédéric reçoit la visite de Mme Arnoux. Elle se clôt sur leur séparation définitive, l'histoire d'amour s'achevant ainsi sur l'isotopie /déception/ :

***

Comme pour Madame Bovary, on resaisira pour les items du taxème étudié les principales isotopies afférentes et distinctives (mutuellement au sein de L'Education sentimentale, mais surtout entre les deux romans flaubertiens) :


III. Les hippomobiles de Maupassant

Chez Jourdain, la grande salle était pleine de mangeurs, comme la vaste cour était pleine de véhicules de toute race, charrettes, cabriolets, chars à bancs, tilbury, carrioles innommables, jaunes de crotte, déformées, rapiécées, levant au ciel, comme deux bras, leurs brancards ou bien le nez par terre et le derrière en l'air. (La ficelle) [32]

On a opté pour la comparaison de Madame Bovary avec deux autres classiques Bel-Ami et Une vie, dans lesquels l’entrée s’effectue toujours par des mots vedettes appartenant au même taxème. Comme toujours, le choix a priori de ce thème (micro-générique) ne trouve de justification qu’a posteriori par la densité et la consistance des relations sémantiques qui indexent ce corrélat à ses différents contextes.

A la fréquence remarquable de la voiture dans laquelle se noue l’intrigue de Boule de suif, proportionnellement à la nouvelle (5 occurrences [33], aucune dans les deux romans), à tel point qu'elle en devient emblématique, s'oppose celle du "fiacre(s)" dans Bel-Ami (33 occurrences [34]), ainsi que "landau" (10 occ.) voitures aux potentialités narratives plus variées que la seule isotopie /voyage/ (décomposable en /déplacement/, /en Normandie/, /hivernal/, /duratif/, /mouvementé/) indexant 'diligence'.

Une requête quantitative dans L'Encyclopédie littéraire numérisée (Bibliopolis) concernant "fiacre(s)" apprend que Maupassant ne vient cependant qu’en quatrième position, après Zola, Balzac, et le Hugo des Misérables (dépourvu de la thématique sulfureuse, puisqu’il n’y est question que du moyen de locomotion pris dans des syntagmes utilitaires comme "poursuite du, suivre le, renvoie le, monter dans le, descendre du, etc." sur une simple isotopie /locatif/).

C'est la parenté attestée avec le vocabulaire de Flaubert (cf. Brunet, 2004, en ligne au site Texto! : "Nous avons réuni l’œuvre de Flaubert et celle de Maupassant et là encore le seuil de fusion est atteint pour Madame Bovary et Une vie") qui nous a poussé à sélectionner le corpus de cet auteur présenté comme son disciple.

En revanche, pour le second lexème qui nous retiendra, 'calèche’, le corpus Maupassant n’occupe que la sixième place avec 13 occ. au singulier uniquement, derrière cette fois Dumas (51 occ.), Zola (40 occ.), Chateaubriand (37 occ.), Balzac (29 occ.) et Stendhal (16 occ.). Cela contraste le mot sur un fond couleur romantique, dont on avait l’intuition en pensant à des déplacements aventureux, héroïques et liés à la royauté.

Comme pourL'éducation sentimentale, le nombre élevé des attestations de "voiture(s)" dans Une Vie (31 occ.) et Bel-Ami (47 occ.), qui remplit encore son rôle de générique en paraphrasant tous types de véhicules, nous contraint à ne pas les aborder exhaustivement.

L'analyse demeure chronologique (la pagination est celle du logiciel Hyperbase corpus Maupas, plus complet à tous points de vue) pour permettre (a) l'intelligence des épisodes dans le suivi du roman; (b) l'interrelation des différents véhicules :

A l'incipit de Bel-Ami (1885), le héros Duroy retrouve son ancien ami Forestier qui l'introduira dans sa sphère journalistique; l'isotopie /initiation/ se poursuit dans l'extrait suivant, mais concernant les plaisirs; en effet la file de véhicules garés devant les Folies-Bergères témoigne de leur afférence /tourisme/ (selon le code culturel du Paris canaille) :

Succède le repas mondain, en présence de M. Walter, député, financier et patron du journal La Vie Française. Les topoï de la conversation sont dénoncés comme autant de clichés superficiels et généralisateurs qui créent cependant un "effet de réel" à partir de notations typiques matérialistes et de banalités sur la vie quotidienne parisienne, ici dans le domaine des transports :

Comme dans l'extrait précédent, on retrouve une énumération, cette fois des acteurs situés sur l’échelle sociale, allant des proxénètes aux princes, ceux que Duroy est désormais chargé de côtoyer afin d'éviter l'échec de ses chroniques, trop coupées de son vécu. Si bien qu'il plonge dans un cosmopolitisme et un nivellement de valeurs qui relèvent de l’isotopie (im)morale /opportunisme/ du protagoniste :

On note ici la modification aspectuelle des isotopies : après /duratif/ du début descriptif, voici /itératif/ des innombrables rencontres furtives.

Au terme d'un deuxième repas mettant en valeur les qualités de Duroy, et équivalant à son intronisation dans la sphère médiatico-politico-financière, par la séduction qu’exerce Duroy sur son auditoire, voici le premier fiacre individualisé, par lequel se conclut sa réussite amoureuse, le roulement ininterrompu (aspectualisé en /imperfectif/) symbolisant la progression continue. La relation charnelle sous-entendue dans ce type de véhicule est un motif repris de Maupassant à Flaubert :

A la descente, quelques lignes plus bas, son premier succès de prédateur se trouve confirmé, comme si la "boîte noire" avait révélé son image positive auprès de la mondaine :

L’encanaillement social se poursuit dans le milieu que fréquentent cette fois non seulement Duroy mais sa maîtresse Clotilde qui l’accompagne ; l’isotopie /péjoratif/ provient dans ce contexte du mystérieux 'personnage', client de l’humble restaurateur, comme le sont les cochers ainsi que les amants (soit paire isotopique /locatif/ + /populaire/) :

Par contraste avec ce calme et cette lenteur imperfectives, la même Clotilde de Marelle est cette amante qui oblige Duroy à la promptitude, car à la fin du même chapitre et de nouveau aux Folies-Bergères, elle est en proie à "une sorte de crise nerveuse" qui n’est qu’un effet de sa jalousie possessive la faisant fuir une rencontre scandaleuse de son amant volage avec Rachel. Si bien qu’un tel contexte est dominé par l’isotopie amoureuse :

La dispute s'achève sur l'isotopie /humiliation/ dont Duroy est l'objet, sous les quolibets péjoratifs des anonymes :

Bref, l’ambivalence évaluative du moyen de transport fait de cet habitacle un lieu crucial, véritable point nodal pour la caractérisation des protagonistes.

Quant aux passés simples suivants qui indiquent toujours la promptitude des actions (aspectualisées en /ponctuel/), ils renouent avec l’isotopie générique /ennuis/, ceux que Duroy doit subir en début de roman, notamment la rivalité et la diffamation entre journalistes. L’ambiance dysphorique est en outre corroborée par cette double froideur directive qui va du patron à l’employé, puis de Duroy au cocher, sans même parler du guide colporteur de ragots (cf. le morphème 'potin' du patronyme) :

Or la voiture officielle change de nom et de fonction puisqu'elle augmente de contenance, à mesure que le duel se précise, selon un motif éminemment romanesque :

Or quelques pages plus loin, elle sert à promener le malade, lequel n'est plus Duroy mais son initiateur. Si bien que par meurtre ou pathologie, elle est indirectement associée à la mort :

Anticipons. Elle servira, sur l'isotopie /séduction (adultérine)/, à côtoyer la riche famille des propriétaires du journal où travaille le désormais auto-anobli Du Roy :

Mais revenons à la chronologie du roman, où le décès de Forestier permet le remariage de sa femme à sa convenance : "Elle avait décidé que le mariage se ferait en grand secret, en présence des seuls témoins, et qu'on partirait le soir même pour Rouen. On irait le lendemain embrasser les vieux parents du journaliste, et on demeurerait quelques jours auprès d'eux." (p. 159).

A cette péripétie romanesque du voyage en province, s’opposent la passivité et la patience du cocher dont le bon sens populaire le dote de la connaissance des mœurs de ses clients :

A l'arrivée, le décalage social et psychologique est patent entre la mère de Duroy et Madeleine :

Peu de temps après, le départ précipité s’opère dans le même climat de tension péjorative :

Quelques pages plus loin, une autre promenade provoquera la remémoration de ce voyage à Rouen. Mais si l’apparent romantisme de la situation confortable et idyllique des deux époux n’a plus rien à voir avec l’inconfort du précédent fiacre décapoté dont la rouille dépréciait l’image que Du Roy se faisait de ses parents paysans, le lecteur décèle une discordance voire un malaise au sein du couple quand Georges tente d’extirper à Madeleine l’aveu de cocufiage de son ex-mari :

Dans ce segment qui densifie les occurrences, la force de la cohésion sémantique repose sur l’isotopie /duratif/ (imparfaits). Elle aspectualise la douceur sensuelle à cliché romantique du cygne au miroir et du firmament, auquel l’ouverture du fiacre permet de participer, les courbes agréables donnant lieu à la métaphore de la liquidité en mouvement ("fleuve d’amants qui coulait", "nageaient"), laquelle fait la transition avec cette comparaison ultérieure ("comme un navire" [38], après "courant des voitures") qui succède à la tentative insistante de séduction de Mme Walter :

Un tel retour en compagnie de Mme de Marelle concrétise la double tromperie de sa femme Madeleine dont il profite cyniquement de la position sociale qu'elle lui procure.

On constate donc que ce sont les passions des protagonistes qui déteignent sur le véhicule, par relation métonymique, et contribuent fortement à la distinction du sens de ses emplois. Ainsi les épisodes de la liaison (avec les deux femmes Walter, infra) puis des rupture et réconciliation (avec Mme de Marelle, supra) est-elle fortement sollicitée pour distinguer les occurrences de "fiacre(s)", ce lieu clos de connivence (en termes sémantiques, sèmes /locatif/ + /relation amoureuse/).

Abordons la série d’occurrences succédant à l’apogée conjugale, située à la fin de la première partie. Le déclin s’amorce par le passage aux actes de Mme Walter, qui cède aux avances de Du Roy avant que le cynisme de ce dernier ne le pousse à préférer "la fillette à la maman" :

Immédiatement après, on constate que l’éventualité d’un intérêt pécuniaire et machiavélique le dispute à la prédation amoureuse, lorsque "il la saisit comme une proie" (syntagme qui rappelle celui de la violence de l’époux dans Une vie : "il la saisit à bras-le-corps, rageusement, comme affamé d’elle ; et il parcourait de baisers rapides, de baisers mordants, de baisers fous.")

Plus tard, le désamour se transforme en une mauvaise humeur provoquée par la "corvée" que représente le fait de se rendre avec sa femme à une exposition chez cette Mme Walter qui le poursuit de ses assiduités :

Cette durée d’attente et d’épanchement des mauvais sentiments contraste avec l’urgence qu’éprouve Du Roy à se rendre auprès de sa femme pour lui annoncer la triste nouvelle concernant un ami intime et riche (son "guide" Saint-Potin ne lui avait-il pas confié à propos de sa future épouse Madeleine Forestier : "- Oh! une rouée, une fine mouche. C'est la maîtresse d'un vieux viveur, le comte de Vaudrec, qui l'a dotée et mariée...") :

Or avant l'agonie de Vaudrec, Du Roy s'engage en politique en devenant le "porte-voix" du ministre des affaires étrangères qu'il exècre, et sur qui il veut une revanche :

Le machiavélisme de Du Roy consiste à faire d'une pierre deux coups en surprenant sa femme en flagrant délit d’adultère, précisément avec Laroche-Mathieu. La voiture fermée, aussi secrète que ses plans, s’insère donc dans l’épisode du stratagème retors de l'espionnage, qui requiert la fréquence soudaine d'un tel moyen de transport :

A ce moyen de transport décapotable, spacieux et décontracté, où s'affiche ouvertement la bonne conscience, s'oppose de nouveau le suivant, symbole de discrétion voire de dissimulation, qui sert une rencontre furtive des deux amants, pour ce rebondissement final que constitue l’épisode du rapt projeté, au stratagème romantique, trahison de la quiétude opulente de la famille Walter :

Par effet d'alternance, précisément entre les isotopies /secret/ vs /affiché/, la promenade familiale s'achève sur le retour de la machination ourdie par Du Roy. La réalisation de son projet s'effectue cette fois au passé simple de récit (non plus au futur de discours), par le narrateur :

L'expression déjà rencontrée "il cria au cocher" (avant son duel, p. 117) se lit cette fois sur l’isotopie amoureuse, associée à la promptitude avec laquelle la dernière femme acquise par Duroy, la jeune Walter, s’enferme avec lui :

Le départ précipité met un terme au doute. La suite de la même scène montre que la dysphorie colore inlassablement la relation de Du Roy avec les femmes ; outre son indifférence à la déchirure familiale de Suzanne, son matérialisme intéressé est incompatible avec la douceur sentimentale :

Mise en marche et action imperfective de la progression du véhicule illustrent la réussite continue des plans du protagoniste. L'aspectualité favorise ainsi cette connexion réécriture du détail matériel sur le plan du comportement humain : indice de caractère et d'actions décisives, le fiacre (et dans un moindre mesure le landau) participe de l'essence même de Du Roy.

***

Rétrospectivement, il apparaît que la voiture en question est un mot clé sur le plan du code des actions (proaïrétique dans S/Z), dans la mesure où, en tant que lieu de rencontre, il permet essentiellement de cerner l’intrigue amoureuse du quatuor des femmes centrales gravitant autour de Duroy (Clotilde de Marelle, Madeleine Forestier, les Walter mère et fille), sans pour autant se réduire à cette thématique.

Bref, après avoir resitué les extraits dans une trame narrative globale qui leur confère une cohérence, on constate qu’une même situation dans une voiture identique n’empêche pas une différenciation sémantique contextuelle. Schématiquement, les deux étapes pédagogiques sont (a) le repérage d’un fond unificateur – c'est là le rôle du mot clé en tant qu'entrée dans un corpus – ( b) sur lequel se détache ensuite une forme différenciatrice.

Il n’est pas oiseux de remarquer que cette juxtaposition d’analyses locales tend à dessiner une vision globale du sens du récit, ce qui justifie a posteriori le choix du mot vedette comme bon candidat pour entrer dans le corpus romanesque de l’auteur.

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Dans le premier roman de Maupassant, Une Vie (1883), la dominance quantitative des véhicules revient à 'calèche' et 'carriole(s)', chacune créditée de 13 occ. Elles s'opposent mutuellement en /noble/ vs /roturier/, selon la norme sociale, et son évaluation corrélative /mélioratif/ vs /péjoratif/ – la carriole étant définie comme "petite charrette campagnarde ou mauvaise voiture".

En dépit des intempéries, le climat initial du premier chapitre est celui de l’harmonie familiale, avec l’enfance de Jeanne, l’héroïne ici enthousiaste devant la nouveauté du décor, désormais libérée du couvent de Rouen pour déménager avec toute la famille au manoir retiré des Peuples. A cette euphorie s'ajoute celle de l'aisance financière (le père, baron du Perthuis des Vauds est ici indépendant de la sphère politique et journalistique à la différence du roman précédent, mais aussi de Madame Bovary, où Emma était partie de rien), comme en témoigne cette scène :

Une seconde scène, au chapitre 3, aborde les festivités des fiançailles d’un autre noble avec Jeanne, Julien de Lamare, lui aussi en harmonie dans un premier temps avec sa belle famille, qui l’accueille favorablement :

On note le distinguo doxal : 'carriole' roturière /alimentation/ vs 'calèche' noble /parure/.

Au chapitre 6, à peine le mariage est-il célébré que le mari Julien révèle son intransigeance et son orgueil, concernant une marque aristocratique :

Le problème matériel longuement décrit est symbolique de la disharmonie qui déjà s’installe dans le jeune couple. Le paradoxe est que le mari apporte plus de soin à ce détail accessoire qu’à l’essentiel, si bien que la réussite technique du peintre qui a lieu peu après est un leurre. Le contraste demeure entre les complémentaires (de type psychologique et social) /exigence noble/ vs /admiration roturière/.

Débute alors le long épisode de la promenade champêtre et familiale, dont l’objectif est de présenter la femme de Julien au voisinage. L’ambiance est vite indexée à l’isotopie /dégradation/, moins par le maculage de boue que par la violence décalée et disproportionnée du mari, dont la crise contraste avec la joie bondissante des aristocrates campagnards. L’affectivité domine la description de cette famille où l’hypocoristique « petite mère » répond au « petit père » précédent :

Avant que d’être victime des coups excessifs de Julien, qui contraste avec la quiétude joviale du reste de la famille : le sème /dynamisme/ du véhicule est auréolé de dysphorie. L’altération de la bonne ambiance n’est pas sans similitude avec celle de la promenade parisienne en fiacre des jeunes époux de Bel-Ami, Georges Duroy ne pouvant s’empêcher de gâcher le climat de douce sensualité par son "irritation jalouse" à l’égard de son ancien ami Forestier. Ce point de convergence – de même que le sème /distinction/ commun à 'fiacre' et 'calèche' – tend à gommer la principale divergence entre 'fiacre' dont le sème /voiture de louage/ rappelle qu’il s’agit d’un métier citadin, et'calèche’, élément du patrimoine campagnard : "la vieille voiture de famille".

Quantitativement, le pic statistique du roman se situe dans ce chapitre 6 où sont groupées ces occurrences, ainsi révélatrices d’un moment sinon crucial du moins pittoresque du récit.

Au chapitre 8, 'carriole' actualise aussi le sème /transport de personnes/ ; cette polyvalence confirme l’aspect pratique du véhicule qu’attestent ses sèmes /légèreté/ (à la différence de la noble et lourde 'calèche', qui nécessite préparation et présentation) et /moyen d’urgence/, dans un tel contexte indexé à l’isotopie générique /maternité/, lors de ce premier temps d’une grossesse difficile de l’héroïne :

A l'ambulance de fortune succède un véhicule élégant (sèmes /haut sur roues/, /découvert/, comme le tilbury); changement qui traduit une modification de statut social du fait de sa fonctionnalité aristocratique :

Avant le retour à un relatif bonheur, on note que la passivité féminine et de l'objet ("la carriole fut attelée") s’inscrit dans la dysphorie ("on craignait un accident"). Cela facilite, ultérieurement, la transition avec le meurtre de Julien, mari adultère de Jeanne, ainsi que celui de la femme du comte de Fourville, commis par ce mari jaloux qui épie le retour des deux corbillards de fortune. Comme l'indique la parlure, on assiste de nouveau à une défiguration roturière d'un véhicule noble :

Au chapitre 11, la voiture utilisée pour la mise au collège du Havre de Paul, l’enfant couvé de Jeanne (Paulet, adouci en Poulet), est plus officielle, ce qui accroît la tristesse ambiante. Pour la surmonter, la mère oppose 'calèche' à 'phaéton' sur la base /transport collectif : dysphorie/ vs /transport individuel : euphorie/. Or la relation affective que ce sème induit rapproche ce véhicule de la carriole, tout en lui conservant l'afférence /citadin/ :

Autre départ, celui du déménagement pour vente en raison des problèmes financiers occasionnés par le fis, au chapitre 12. Il requiert les véhicules de Denis Lecoq, dont l'onomastique elle aussi indexée à /campagnard : péjoratif/ (grotesque de ce coq qui emmène la mère poule séparée de son Poulet), mais dont l'émotion provient du retour aux racines :

Aspectuellement, on note que la paire /ponctuel/ + /perfectif/ (passés simples) n’exclut pas sin contraire /duratif/ + /imperfectif/ (lenteur et itérativité du convoi). Quant à ce tilbury, seule distraction qui sort Jeanne de sa "morne et lugubre tristesse", la description grotesque et rurale de son conducteur l'assimile à 'charrette' et 'carriole', en dépit de l’opposition sémique /pour les personnes/ du premier véhicule vs /pour les fardeaux/ des secondes – hors contexte [46]. Leur perspective les grossissant et les réduisant, selon le point de vue de Jeanne, mais aussi de l'indéfini "on", les fait accéder au statut d’effets de réel cultivés par le registre réaliste.

Plus d’un an après, Jeanne partira de nouveau de Normandie, cette fois pour voler auprès de son fils Paul qui ne répond plus, par un sentiment de jalousie envers sa femme qui le retient à Paris. De sorte que cette agitation des déplacements répétés est une thématique dominée par le sentiment de l’amour maternel. Le voyage en train est ainsi précédé de ce moyen de locomotion qui traduit la prise de décision maternelle, après la phase d'attente :

Moyen de transport pour déménagement, livraison, urgence, voire corbillard : dans ces quatre cas, 'carriole' s’oppose aux autres sur la base sémique /véhicule utilitaire/ (vs /tourisme/). Quant aux passés simples de verbes perfectifs de ces extraits ('sortit', 'sentit', 'prirent', 'montèrent', etc.), leur aspect /ponctuel/ est fréquemment et logiquement associé à l'usage des voitures.

Plus tard, le plaisir de retourner au domaine familial des Peuples, aux origines et aux attaches affectives sera troublé par la nostalgie, maintenant que Jeanne est abandonnée de son fils. Cette charge spirituelle au décor matériel des lieux :

Enfin, à cette arrivée (‘détela’) succède un ultime départ (‘atteler’) pour accueillir en gare la servante dévouée qui revient de Paris avec la fille de Paul, avant le retour de son père. Ainsi à la dernière page du roman s’opère un mélange de mort (la maîtresse de Paul) et de vie (la naissance de sa fille), qui n'entament pas l’optimisme de Jeanne, à l’image de la dernière phrase du roman ayant allure de proverbe : "La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit." Aussi le véhicule se trouve-t-il au carrefour tant de l’agitation dramatique que de la calme promenade consécutive à ces émotions :

La structuration antithétique dissimilant les deux occurrences du même segment textuel est nette :

- /aller/ (T1) de la carriole : /utilitaire/, /ponctuel/ + /perfectif/ (passé simple), /dysphorie/ (appréhension d’un échec, macabre) ; futur immédiat, prisonnier des circonstances ;

- vs /retour/ (T2) de la carriole : /tourisme/, /duratif/ + /imperfectif/ (imparfait), /euphorie/ (plaisir de la promenade, quiétude, vitalité) ; présent et avenir à long terme, libération.

Finalement, cette voiture, à l’image de son ambivalence, et thématiquement inséparable de ses cooccurrents (charrette, tilbury, phaéton, guimbarde, mais aussi calèche et berline, celles-ci fussent-elles réservées aux maîtres), unit indissociablement le milieu noble aux serviteurs paysans, dans une entente complice. Or cette série est exclusive du fiacre dont la fermeture secrète permet l’intrigue; comme le landau et le coupé qui lui sont associés, il relève du monde citadin, étranger au paysage rural.

Hormis le boc, le carrosse, le cabriolet et la diligence, pour ne citer que les plus frappants, Une Vie et Bel-Ami réitèrent ceux de Madame Bovary. Au-delà de cette répartition statistique déjà éloquente, l’étude contextuelle du sens des hippomobiles a révélé des variations qui dissipent l’idée qu’ils pourraient passer pour un détail matériel anodin et insignifiant.

En outre, les multiples occurrences constituent autant de jalons dans la trame du récit. Ajoutons que les usages précis, divers et variés qui en sont faits par les protagonistes s’inscrivent dans l’objectif esthétique de la création d’effets de réel. Il s’agit en effet pour le narrateur de "vraisemblabiliser" les déplacements de ses personnages en adaptant leur trajet à la diversité des moyens de locomotion historiquement attestée.

Ainsi, que ces occurrences aient le statut de fonctions, au sens barthésien, en s'imbriquant dans des séquences d'actions, par les déplacements qu'ils impliquent, ou d'indices de la psychologie des protagonistes ou de l'atmosphère concernant les mœurs du milieu décrit (cf. la vie parisienne ou la fierté familiale que traduit le souci des "armoiries de la calèche" provinciale), fondée sur des topoï, il apparaît que c'est dans ces éléments d'un même taxème que se révèle la mise en pratique de la théorie des romanciers, ici le réalisme-naturalisme. De sorte que l'analyse de leur relevé constitue une étape importante de l'approche didactique d'une œuvre intégrale, en milieu scolaire.

 

[Continuer]


NOTES

[1] "Livre qui se donne en cadeau, et qui renferme des pièces de vers et des fragments de prose, entremêlés de gravures" (Littré). "Avec Walter Scott, elle s'éprit de choses historiques" et "elle eut le culte de Marie Stuart", lit-on à la page précédente; cela témoigne de l'empreinte culturelle laissée par l'isotopie /anglicité/; il est donc normal qu'elle serve à valoriser aussi des noms de véhicules – elle deviendra élément de snobisme avec l'Odette de Proust. Et lors du départ de Léon, Emma lui tendra la main en lançant "à l'anglaise, donc" (cf. ci-dessous), propos auréolé de charme. En fait, cette isotopie participe à /exotisme/, comme en témoigne cette mention lors du bal de "gentleman" à la Vaubyessard (ci-dessous) : "Après le souper, où il y eut beaucoup de vins d'Espagne et de vins du Rhin, des puddings à la Trafalgar".

[2] On a souligné la fonction de quelques personnages, ici noble ailleurs roturier (cf. Hivert le cocher de la diligence) pour visualiser leur fréquence à proximité de véhicules auxquels ils sont associés. De tels corrélats contribuent à la cohésion sémantique des passages étudiés.

[3] Le mot n'a pas à être lexicalisé pour que le thème soit signifié, comme cela apparaît par exemple dans la mention de ces détails vrais : "Mais c’était surtout aux heures des repas qu’elle n’en pouvait plus, dans cette petite salle au rez-de-chaussée, avec le poêle qui fumait, la porte qui criait, les murs qui suintaient, les pavés humides" (I, 9).

[4] Cf. déjà Balzac "La voiture, à laquelle on attelait quatre chevaux gris pommelé qui eussent fait honneur aux Messageries royales, était divisée en coupé, intérieur, rotonde et impériale. Elle ressemblait parfaitement aux diligences appelées Gondoles qui soutiennent aujourd'hui sur la route de Versailles la concurrence avec les deux chemins de fer. A la fois solide et légère bien peinte et bien tenue, doublée de fin drap bleu, garnie de stores à dessins mauresques et de coussins de maroquin rouge, L'Hirondelle de l'Oise contenait dix-neuf voyageurs." (Un début dans la vie; à propos duquel le D.O.L.F. précise : "Le thème du voyage en voiture publique, outre qu’il offre bien des commodités romanesques, était alors un sujet littéraire en vogue. Son traitement par Balzac consiste à tracer un historique de ce mode de transport, puis à peindre les paysages traversés, enfin à brosser un tableau d’Histoire.") Roman dans lequel le véhicule est indexé à /finance/ : "Il avait bien commandé la voiture chez Farry, Breilmann et Compagnie, les carrossiers qui venaient de substituer les ressorts carrés des Anglais aux cols de cygne et autres vieilles inventions françaises ; mais ces défiants et durs fabricants ne voulaient livrer cette diligence que contre des écus. Peu flattés de construire une voiture difficile à placer si elle leur restait, ces sages négociants ne l'entreprirent qu'après un versement de deux mille francs opéré par Pierrotin. Pour satisfaire à la juste exigence des carrossiers, l'ambitieux messager avait épuisé toutes ses ressources et tout son crédit. Sa femme, son beau-père et ses amis s'étaient saignés. Cette superbe diligence, il était allé la voir la veille chez les peintres, elle ne demandait qu'à rouler ; mais, pour la faire rouler le lendemain, il fallait accomplir le paiement. Or, il manquait mille francs à Pierrotin ! Endetté pour ses loyers avec l'aubergiste, il n'avait osé lui demander cette somme. Faute de mille francs, il s'exposait à perdre les deux mille francs donnés d'avance, sans compter cinq cents francs, prix du nouveau Rougeot, et trois cents francs de harnais neufs pour lesquels il avait obtenu trois mois de crédit. Et poussé par la rage du désespoir et par la folie de l'amour-propre, il venait d'affirmer que sa nouvelle voiture roulerait demain dimanche. En donnant quinze cents francs sur deux mille cinq cents, il espérait que les carrossiers attendris lui livreraient la voiture ; mais il s'écria tout haut, après trois minutes de méditation : Non, c'est des chiens finis ! des vrais carcans. […] Tu n'es pas encore assez avancé dans la vie, mon cher trésor, pour juger les gens avec lesquels tu vas te rencontrer et il n'y a rien de plus dangereux que de causer dans les voitures publiques. En diligence, d'ailleurs, les gens comme il faut gardent le silence." (ibid.)

On trouve aussi une expression rassemblant deux véhicules : "Son père lui ayant dit de voyager seul et modestement, il était venu dans le coupé de la diligence retenu pour lui seul, assez content de ne pas gâter une délicieuse voiture de voyage commandée pour aller au-devant de son Annette, la grande dame qu'il devait rejoindre en juin prochain aux Eaux de Baden." (Eugénie Grandet) "Allez payer vos dettes d'honneur, et revenez ici ; je vais retenir le coupé de la diligence, car ma pupille est avec moi, dit le vieillard." (Ursule Mirouet) "Au retour de son voyage dans les contrées méridionales, l'Illustre Gaudissart occupait la première place du coupé dans la diligence de Laffitte-Caillard".

[5] Il s'agit ici de la "malle-poste" précédente (attestée dix fois dans le corpus Balzac), ainsi définie par Littré : "voiture par laquelle l'administration des postes envoie les lettres aux bureaux d'administration et dans laquelle on reçoit quelques voyageurs." L'opposition sémique /transport public et régulier/ vs /transport privé et exceptionnel/ est bien distinctif de 'calèche' dans ce contexte.

[6] Chez Balzac (La Rabouilleuse), le rabaissement s'effectue par la matière, qui permet d'unifier les trois véhicules : "80 personnes arrivèrent […], qui dans une carriole, qui dans un cabriolet d'osier, qui dans une méchante charrette."

[7] Une telle mention est surprenante pour une telle voiture de promenade. Sans doute le poids écrasant des conséquences de l'adultère consommé avec Léon y est-il pour quelque chose.

[8] Le véhicule demeure dans ces 4 occ. du roman indexé à /chic aristocratique/, dans le sillage des 12 occ. du mot dans Le Député d'Arcis de Balzac (outre l'isotopie /politique/). Citons-les car elles constituent un pic statistique dans Hyperbase : "Or, comme tout Arcis était encore tranquille, trois jours avant la matinée où, par la volonté du créateur de tant d'histoires, celle-ci commence, tout le monde avait vu venir, par la route de la Belle-Étoile, un étranger conduisant un joli tilbury attelé d'un cheval de prix, et accompagné d'un petit domestique gros comme le poing, monté sur un cheval de selle. […] Chacun, dans Arcis, imagina le soir que ce personnage avait l'intention d'acheter la terre d'Arcis, et l'on en parla dans beaucoup de ménages comme du futur propriétaire du château. Le tilbury, le voyageur, ses chevaux, son domestique, tout paraissait appartenir à un homme tombé des plus hautes sphères sociales. […] Il a, monsieur Olivier, dit Ernestine, le plus joli tilbury du monde. […] Comment ! Antonin, tu ne m'avais pas dit qu'il avait un tilbury, ce matin quand nous avons parlé de ce conspirateur ; mais le tilbury, c'est une circonstance atténuante ; ce ne peut plus être un républicain […] Eh bien ! donne un coup de pied au Mulet et tâche d'y donner un coup d'œil au tilbury du monsieur qui y loge ; puis viens me dire ce qui s'y trouvera peint. Enfin fais bien ton métier, récolte tous les cancans … Si tu vois le domestique, demande-lui à quelle heure monsieur le comte peut recevoir le sous-préfet demain dans le cas où tu verrais les neuf pointes à perles. […] Monsieur, disait dans la salle à manger le domestique d'Antonin à son maître, le tilbury est armoirié […] Le comte, qu'était couché, quand il a lu la lettre, s'est levé ; maintenant il s'habille. On attelait le tilbury. Le comte va passer la soirée à Cinq-Cygne. […] Gare ! cria le tigre qui précédait à cheval le tilbury. Papa Poupart ! ouvrez ! cria-t-il d'une voix aigrelette. […] Les trois domestiques du Mulet s'attroupèrent et le tilbury fila sans que personne pût voir un seul des traits de l'inconnu. Le sous-préfet suivit le tilbury et vint sur le seuil de la porte de l'auberge. Maxime de Trailles était en tilbury, sur la route de Troyes, une heure après."

[9] Carrosse suspendu et fermé, à deux fonds et à quatre roues (Littré). Balzac l'assimile à un autre nom : "il entendit le bruit d'une voiture de poste et vit passer un briska où se trouvaient les gens de la jeune duchesse de Lenoncourt-Chaulieu et la femme de chambre de Clotilde de Grandlieu. Les voilà, se dit Lucien, allons, jouons bien cette comédie, et je suis sauvé, je serai le gendre du duc malgré lui. Une heure après, la berline où étaient les deux femmes fit entendre ce roulement si facile à reconnaître d'une voiture de voyage élégante." (Splendeurs et misères des Courtisanes)

[10] Notons à ce stade que seul le mari est indexé avec sa femme à l'isotopie /pathétique/, par contraste avec l'indifférence des deux amants : "Rodolphe […] dormait tranquillement dans son château; et Léon, là-bas, dormait aussi." (ibid.)

[11] Pourtant prioritaire, comme le montrent par exemple les expressions figées, telle rouler carrosse (cf. César Birotteau: "Jamais je ne roulerai carrosse avec le bien d'autrui") dont le sème /luxe/ inhérent au véhicule ici remplacé par /richesse/ a fini par l'exclure du taxème des hippomobiles. Cf. infra l'analyse similaire de "char".

[12] A l'échelle globale, le pessimiste est déterminant ; il s'agit en effet d'un faux "roman d’apprentissage", aux "piétinements et impasses", où dominent "l’échec, la faillite tant individuelle qu’historique. La vie s'y répète plutôt qu’elle ne progresse; elle apparaît comme une fade succession d’avortements plutôt que comme une ferme trajectoire aboutissant à la réalisation d’un but." Le tout sur fond historique de "l’effondrement de la République" (cf. III, 5). De là, au niveau littéraire "une écriture qui, à l’image de son objet, est contaminée par la dissolution, vouée aux réitérations et à l’insignifiance" (D.O.L.F.). Non plus «Mœurs de province» (sous-titre de Madame Bovary), mais parisiennes.

[13] A dominante singulier, comme déjà dans Les Liaisons dangereuses (1782) où 16 occ. de "voiture" uniquement sont attestées dans ce roman épistolaire.

[14] On note la modalisation épistémique par le conditionnel et l'imparfait qui le précède ("devaient"), temps constitutifs du style indirect libre, lequel s'insère furtivement dans le récit d'actions factuelles au passé simple.

[15] On relève ici au total 4 occ. de équipage(s), 2 dans Madame Bovary et Une vie; en revanche attelage(s) est attesté ici trois fois, et une fois dans Madame Bovary, Une vie et Bel-Ami, lorsque Georges et Suzanne préparent leur fuite finale. Cette relative équivalence quantitative ne fait que mieux ressortir la disproportion qui affecte le corpus balzacien, avec 111 occ. de équipage(s) – bien que marin dans La femme de trente ans – contre seulement 7 occ. de attelage(s).

[16] La co-occurrence lexicale unique avec Balzac est frappante : "Taillefer se piqua d'animer ses convives, et fit avancer les terribles vins du Rhône, le chaud Tokay, le vieux Roussillon capiteux. Déchaînés comme les chevaux d'une malle- poste qui part d'un relais, ces hommes fouettés par les flammèches du vin de Champagne impatiemment attendu, mais abondamment versé, laissèrent alors galoper leur esprit dans le vide de ces raisonnements que personne n'écoute […]" (La Peau de chagrin). Ici la fougue équine sert de comparant aux effets de l'enivrement.

[17] Voiture légère ouverte de tous côtés qui sert principalement au transport des meubles ; on l'emploie aussi pour les déménagements, pour le transport de certaines marchandises ; elle s'emploie aussi pour les promenades populaires dans les environs de Paris (Littré).

[18] Cette expression (absente du corpus Maupassant) n'est pas flatteuse quand on sait que ses deux seules occurrences dans Madame Bovary, contre huit dans L'éducation sentimentale, sont prononcées par Homais. Rien ne vient inhiber l'afférence /médiocrité/ ainsi propagée par assimilation inter-romanesque.

[19] La commande graphique de Hyperbase révèle le pic de ce mot "clerc" dans L'éducation sentimentale (29 occ., avec un écart réduit de + 4), mais surtout dans Madame Bovary (35 occ., écart réduit de + 7). Un trait sémantique leur est commun : /séducteur/ (attendrissant concernant sa relation avec Emma; en revanche surtout ami de Frédéric ici).

[20] En révélant (tardivement) au héros observateur l'identité de sa passagère, le véhicule est donc fortement modalisé par l'épistémique. On note incidemment que la reprise des deux noms de voitures contribue à la cohésion de la scène.

[21] Les 30 occ. de ce vocable dans le roman (au singulier, et précédé de l'article défini qui désigne le même personnage, rival de Frédéric, M. de Cisy, paradoxalement "enfant de grande famille et qui semblait une demoiselle, à la gentillesse de ses manières", p. 1965) ont une évaluation péjorative contraire aux 12 occ. du même vocable de Madame Bovary.

[22] Par assimilation, la majuscule du complément active l'acception de "voiture riche ou élégante" (Littré); il renvoie au "char de l'Etat" du conseiller Lieuvain, au figuré et littéraire : l'isotopie est ici /style élevé/.

[23] Unique occurrence du mot, son emploi est indexé à l'opposition /rural/ + /paix/ vs /citadin/ + /guerre/.

[24] Celle de sa rupture avec Rosanette qu'il accuse d'avoir provoqué la ruine des Arnoux.

[25] En revanche, une nouvelle comme Ferragus, outre qu'elle révèle un pic statistique pour ces deux voitures dans la base Balzac, les unissait dans une intrique héroïque et policière, qui constitue l'enjeu du récit, d'abord par l'enquête et les soupçons : "il vit un fiacre arrêté le long d'un mur, à un endroit où il n'y avait ni porte de maison ni lueur de boutique. Est-ce elle ? n'est-ce pas elle ? La vie ou la mort pour un amant. Et cet amant attendait. Il resta là pendant un siècle de vingt minutes. Après, la femme descendit, et il reconnut alors celle qu'il aimait secrètement. Néanmoins il voulut douter encore. L'inconnue alla vers le fiacre et y monta. La maison sera toujours là, je pourrai toujours la fouiller, se dit le jeune homme qui suivit la voiture en courant afin de dissiper ses derniers doutes, et bientôt il n'en conserva plus. Le fiacre s'arrêta rue de Richelieu, devant la boutique d'un magasin de fleurs, près de la rue de Ménars. [...] Tiens, vois ? sans vouloir faire ici le Bartholo, ton chapeau t'a trahie. Ces taches ne sont-elles pas des gouttes de pluie ? Donc tu es sortie en fiacre, et tu as reçu ces gouttes d'eau, soit en allant chercher une voiture, soit en entrant dans la maison où tu es allée, soit en la quittant. Mais une femme peut sortir de chez elle fort innocemment, même après avoir dit à son mari qu'elle ne sortirait pas. [...] Que le vieux pauvre eût séduit Ida ? Cette séduction tenait du prodige. En se jouant dans le labyrinthe de ses réflexions qui se croisaient et se détruisaient l'une par l'autre, le baron arriva près de la rue Pagevin, et vit un fiacre arrêté dans le bout de la rue des Vieux-Augustins qui avoisine la rue Montmartre. Tous les fiacres stationnés lui disaient quelque chose. Y serait-elle ? pensa-t-il. Et son cœur battait par un mouvement chaud et fiévreux. Il poussa la petite porte à grelot, mais en baissant la tête et en obéissant à une sorte de honte, car il entendait une voix secrète qui lui disait : Pourquoi mets-tu le pied dans ce mystère ? [...] Il avait disait-on, mis une vieille femme rue de Ménars, sur la place de fiacres qui s'y trouve, vieille espionne occupée en apparence à vendre aux cochers l'eau de ses tonneaux, mais en réalité chargée d'épier les démarches de Mme Jules Desmarets."

Puis par les deux tentatives d'assassinat : "Le lendemain, au moment où le baron de Maulincour passait en cabriolet devant cet échafaud, en allant chez Mme Jules, une pierre de deux pieds carrés, arrivée au sommet des perches, s'échappa de ses liens de corde en tournant sur elle-même, et tomba sur le domestique, qu'elle écrasa derrière le cabriolet. [...] L'affaire en resta là. M. de Maulincour en fut pour son domestique, pour sa terreur, et resta dans son lit pendant quelques jours ; car l'arrière-train du cabriolet en se brisant lui avait fait des contusions ; puis, la secousse nerveuse causée par la surprise lui donna la fièvre. [...] Dix jours après cet événement, et à sa première sortie, il se rendait au bois de Boulogne dans son cabriolet restauré, lorsqu'en descendant la rue de Bourgogne, à l'endroit où se trouve l'égout, en face la Chambre des députés, l'essieu se cassa net par le milieu, et le baron allait si rapidement que cette cassure eut pour effet de faire tendre les deux roues à se rejoindre assez violemment pour lui fracasser la tête ; mais il fut préservé de ce danger par la résistance qu'opposa la capote."

[26] "Sorte de voiture"; sans autre précision, Littré cite ce passage du roman. Encore une fois la base Balzac fournit deux occurrences ayant cette acception : "Les deux roués, le jeune et le vieux, se levèrent. En regagnant son escargot à un cheval, Maxime […]" (Béatrix) "Quand, en voyant passer aux Champs-Elysées une de ces charmantes petites voitures basses appelées escargots, doublée de soie gris de lin ornée d'agréments bleus, […] (Ursule Mirouët).

[27] Voiture ayant un siège sur le devant et deux autres derrière dans le sens de la longueur se faisant face ; c'est comme un petit omnibus découvert (Littré).

[28] Calèche de voyage très légère. Mot russe. Cf. Balzac (déjà cité supra pour la berline associée) : "l'élégant briska du colonel pour les deux femmes de chambre et les paquets. La voiture à quatre chevaux était menée par des tigres mis avec une coquetterie ordonnée par le grand écuyer , souvent mieux servi que le roi." (Modeste Mignon)

[29] Voiture longue, en forme de boudin, selon le mot allemand.

[30] Voiture aménagée pour le transport des chiens de chasse. Anglicisme; cf. break, victoria, tilbury (boghei), etc.

[31] Au singulier, celle du père Roque hérite du sème /dévouement/.

[32] Cf. les grilles sémiques contextuelles élaborées par F. Rastier (Sémantique interprétative, 1987, pp. 85-6), dans un esprit "d'économie descriptive", concernant les voitures de ce même extrait de la nouvelle de Maupassant.

[33] "Donc, une grande diligence à quatre chevaux ayant été retenue pour ce voyage, et dix personnes s'étant fait inscrire chez le voiturier, on résolut de partir un mardi matin, avant le jour, pour éviter tout rassemblement. […] Enfin, la diligence étant attelée, avec six chevaux au lieu de quatre à cause du tirage plus pénible, une voix du dehors demanda : Tout le monde est-il monté ? Une voix du dedans répondit : Oui. – On partit. […] La voiture allait si lentement qu'à dix heures du matin on n'avait pas fait quatre lieues. Les hommes descendirent trois fois pour monter des côtes à pied. On commençait à s'inquiéter, car on devait déjeuner à Tôtes et l'on désespérait maintenant d'y parvenir avant la nuit. Chacun guettait pour apercevoir un cabaret sur la route, quand la diligence sombra dans un amoncellement de neige. […] Bien que la diligence fût immobile, personne ne descendait, comme si l'on se fût attendu à être massacré à la sortie. Alors le conducteur apparut, tenant à la main une de ses lanternes, qui éclaira subitement jusqu'au fond de la voiture les deux rangs de têtes effarées, dont les bouches étaient ouvertes et les yeux écarquillés de surprise et d'épouvante. […] La diligence, attelée enfin, attendait devant la porte, tandis qu'une armée de pigeons blancs, rengorgés dans leurs plumes épaisses, avec un œil rose, taché, au milieu, d'un point noir, se promenaient gravement entre les jambes des six chevaux, et cherchaient leur vie dans le crottin fumant qu'ils éparpillaient."

[34] Elles y sont régulièrement réparties, avec deux pics, thématiquement concentrés sur la relation amoureuse. Première partie : I: 1 occ., II: 1 occ., IV: 1 occ., V: 6 occ. (épisode de la liaison Duroy\Mme de Marelle), VII: 1 occ. Deuxième partie : I: 4 occ., II: 6 occ. (la promenade au bois), III:1 occ., IV:2 occ., V:2 occ., VII:1 occ., VIII:3 occ., IX:4 occ.

[35] Le coupé ("voiture bourgeoise", Littré) est ici anaphorique du fiacre ("voiture de louage" et "mauvaise, par dénigrement", Littré). Or ils sont pourtant distincts, au moins depuis Balzac : "Deux valets dépliaient le marchepied d'un coupé de bon goût, chargé d'armoiries. La fille aux yeux d'or y monta la première, prit le côté où elle devait être vue quand la voiture se retournerait, mit sa main sur la portière, et agita son mouchoir […]. Puis apercevant un fiacre prêt à s'en aller après avoir amené du monde, il fit signe au cocher de rester. Suivez ce coupé". Voir encore ce goût des énumérations : "Lucien avait trois beaux chevaux dans son écurie, un coupé pour le soir, un cabriolet et un tilbury pour le matin." (Splendeurs et misères des Courtisanes) "Moi, je veux au contraire afficher un luxe à la Louis XIV, dit Crevel. J'ai commandé des voitures neuves, celles de madame, deux jolis coupés, une calèche, une berline d'apparat avec un siège superbe qui tressaille comme Mme Hulot." (Cousine Bette) "Alençon, qui ne comptait pas en 1816 deux voitures propres, vit en dix ans rouler dans ses rues des calèches, des coupés, des landaus, des cabriolets et des tilburys, sans s'en étonner." (La vieille fille)

[36] Unique occurrence du mot dans Bel-Ami, on retrouve ce corrélat comme dégradation du sort du héros – conformément à la phraséologie être dans l'ornière – alors que les 5 occurrences du mot dans Une Vie traduisent la normalité boueuse de la campagne où l'héroïne a ses racines.

[37] Véhicule d'élégance féminine, au moins depuis Balzac : "Cette femme-là doit cent mille écus, dit le juge en montant dans le cabriolet de son neveu. [...] Elle était à grand-peine sortie d'un landau vert qui lui seyait à merveille : la femme ne se concevait pas sans le landau, ni le landau sans la femme." (L'interdiction)

[38] Comparaison fondée sur la syllepse du verbe rouler (double signification terrestre et maritime).

[39] A Paris, cela n'a pas le côté choquant de "cette chose si extraordinaire en province, une voiture à stores tendus" dont parlait Flaubert (supra). Simple dissimulation balzacienne : "Lucien employait d'ailleurs les plus grandes précautions pour aller rue Taitbout ou pour en sortir. Il n'y venait jamais qu'en fiacre, les stores baissés, et faisait toujours entrer la voiture." (Splendeurs et misères des Courtisanes)

[40] Du Roy profite de la naïveté et du tempérament romanesque de la fille Walter pour lui proposer un marché formulé en ces termes : "- Et puis, c’est là que ça devient grave. Si vous êtes résolue, bien résolue à être ma femme, ma chère, chère petite Suzanne… Je vous… je vous enlèverai." Elle eut une grande secousse de joie et faillit battre des mains. "- Oh ! quel bonheur ! vous m’enlèverez ? Quand ça m’enlèverez-vous ?" Toute la vieille poésie des enlèvements nocturnes, des chaises de poste, des auberges, toutes les charmantes aventures des livres lui passèrent d’un coup dans l’esprit comme un songe enchanteur prêt à se réaliser. (ibid.)

[41] On note qu'ici comme à l'autre occ. du chap. 5 (p. 50 : Quatre jours plus tard arriva la berline [...] Après huit jours de route, par une chaleur terrible, ils arrivèrent à Marseille.) ce véhicule est assimilée à la calèche, sur l’opposition sémique /pour les personnes/ vs /pour les fardeaux/ qui les distingue de 'charrette' mais aussi 'carriole'. Il est bien évident que le pic remarquable de "berline(s)" chez Zola dans la base Auteurs est dû à la voiture non hippomobile de Germinal.

Balzac jouait du contraste évaluatif entre les différents véhicules, pour ses romans de mœurs : "Cette carriole, connue de toute la ville, était soignée par Jacquelin autant que le plus beau coupé de Paris : Mademoiselle y tenait, elle s'en servait depuis douze ans, elle faisait observer ce fait avec la joie triomphante de l'avarice heureuse. La plupart des habitants savaient gré à Mlle Cormon de ne pas les humilier par le luxe qu'elle aurait pu afficher ; il est même à croire que, si elle avait fait venir de Paris une calèche, on en aurait plus glosé que de ses mariages manqués. La plus brillante voiture d'ailleurs l'aurait conduite au Prébaudet tout comme la vieille carriole." (La vieille fille)

Concernant l'exotisme de l'étymologie des voitures, 'berline' et 'landau' sont indexées à /germanisme/, 'calèche' à /slave/ et 'phaéton' (autre voiture légère et découverte comme les tilbury, boghei et cabriolet) à /mythologie grecque/ (cf. le char d'Helios), pour faire contrepoids à l'anglophilie précédente.

[42] C'est là l'unique occurrence de cet autre générique dans Une vie, le mot étant absent de Bel-Ami.

[43] Manifestation somatique d'une hypersensibilité féminine : ce diagnostic l'identifie à Emma Bovary.

[44] Contrairement à l'autre unique occ. de ce véhicule dans Mme Bovary qui se situait dans le point de vue de l'usurier (cf. "ruiner la guimbarde du Lion d'Or"), ici le sème inhérent /dégradation/ est contrebalancé par le comique de la scène qui illustre une vengeance bénigne, contre celui qui a déclenché la mort des infidèles et a refusé au corps du baron l'entrée de l'église. Cela est à rapporter au ton global du roman qui dédramatise les rudes épreuves d'Une Vie, typique.

[45] Avec 16 occurrences du vocable, ce roman est encore très proche des 18 occ. dans Madame Bovary; en revanche le hapax de Bel-Ami est euphorique et figuré avec la "pluie de millions" matérialiste.

[46] C'est dans la brève nouvelle Le petit fût (1884) que les 4 occ. de cette voiture constituent un pic statistique, lequel focalise sur cet instrument du plan machiavélique du paysan normand, aux déplacements intéressés : "Maître Chicot, l'aubergiste d’Épreville, arrêta son tilbury devant la ferme de la mère Magloire. C'était un grand gaillard de quarante ans, rouge et ventru, et qui passait pour malicieux. Il attacha son cheval au poteau de la barrière, puis il pénétra dans la cour. Il possédait un bien attenant aux terres de la vieille, qu'il convoitait depuis longtemps. […] Il reprit : - Je m'explique. J'vous donne, chaque mois, cent cinquante francs. Vous entendez bien : chaque mois j'vous apporte ici, avec mon tilbury, trente écus de cent sous. Et pi n'y a rien de changé de plus, rien de rien ; vous restez chez vous, vous n'vous occupez point de mé, vous n'me d’vez rien. […] Il allait de temps en temps rendre visite à la fermière, comme on va voir, en juillet, dans les champs, si les blés sont mûrs pour la faux. Elle le recevait avec une malice dans le regard. On eût dit qu'elle se félicitait du bon tour qu'elle lui avait joué; et il remontait bien vite dans son tilbury en murmurant : - Tu ne crèveras donc point, carcasse ! […] Alors Chicot, dans un élan de générosité, s'écria: - T'nez, puisqu'elle vous plaît, j'vas vous en donner un p'tit fût, histoire de vous montrer que j'sommes toujours une paire d’amis. La bonne femme ne dit pas non, et s'en alla, un peu grise. Le lendemain, l'aubergiste entra dans la cour de la mère Magloire, puis tira du fond de sa voiture une petite barrique cerclée de fer. Puis il voulut lui faire goûter le contenu, pour prouver que c'était bien la même fine ; et quand ils en eurent encore bu chacun trois verres, il déclara, en s'en allant : - Et puis, vous savez, quand n'y en aura pu, y en a encore ; n'vous gênez point. Je n'suis pas regardant. Pû tôt que ce sera fini, pu que je serai content. Et il remonta dans son tilbury. Il revint quatre jours plus tard."


NB. Cette page a été mise à jour en septembre 2004.