Simon Bouquet
Ontologie et épistémologie de la linguistique dans les textes originaux de Ferdinand de Saussure
Résumé : Les manuscrits de Ferdinand de Saussure découverts en 1996 – et l’éclairage qu’ils projettent sur l’ensemble des textes originaux déjà connus, autographes et notes d’étudiants – remettent en cause, sur des points essentiels, le cadre conceptuel du Cours de linguistique générale. Le double apport de la pensée saussurienne, philosophique et épistémologique, y apparaît clarifié et, notamment, la définition de l’objet de la linguistique popularisée par Bally et Sechehaye – « la langue en elle-même et pour elle-même » – se révèle apocryphe et diamétralement opposée à la pensée du Genevois. On peut soutenir aujourd’hui que le projet authentique de Saussure entendait, au contraire, jeter les bases d’une science duelle de la langue et de la parole et esquissait, de ce fait, une linguistique du sens. Regardant la linguistique de la langue elle-même, les textes authentiques développent, de manière beaucoup plus radicale que le Cours, une ontologie du langage et une épistémologie de la linguistique fondées sur deux principes originaux : (1) le principe de sémioticité étendu à l’ensemble des objets de cette linguistique ; (2) le principe de différentialité, spécifiant le programme d’une science révolutionnaire des valeurs pures. Etendus à l’objet « parole », ces principes clarifiés permettent de concevoir une linguistique posée à la fois comme double et inséparable – « Sémiologie = morphologie, grammaire, syntaxe, synonymie, rhétorique, stylistique, lexicologie, etc., le tout étant inséparable ». Ce programme dénié par le Cours est porteur d’un enjeu manifeste pour une discipline qui peine aujourd’hui à se reconnaître dans une épistémologie unifiée et tend à se diluer dans le pluriel institutionnel et paradoxal de « sciences du langage ». Il permet, selon nous, de concevoir une science linguistique singulière (1) unissant analyse de la langue et analyse de la parole dans une relation de complémentarité, (2) répondant d’un objet empirique et (3) satisfaisant à une épistémologie de type « galiléen » fondée sur des critères de littéralisation, de formalisation et de réfutabilité. Il n’est probablement pas exagéré de soutenir qu’à l’orée du XXI° siècle la réflexion philosophique et épistémologique du Saussure des textes originaux peut jouer un rôle refondateur au sein d’une science que le Pseudo-Saussure de Bally et Sechehaye a contribué à inspirer. Cette réflexion épistémologique est propre, selon nous, tout autant à renouveler l’ensemble des champs de la linguistique contemporaine, qu’à faire apparaître a posteriori les conditions de scientificité, souvent largement implicites, de ces champs.
Communication au Colloque international ICHoLS (Potsdam 2008)
Pour citer ce document
SIMON BOUQUET (2008) «Ontologie et épistémologie de la linguistique dans les textes originaux de Ferdinand de Saussure», [En ligne], Volume XIII - n°3 (2008). Coordonné par Carine Duteil.,
URL : http://www.revue-texto.net/index.php/http:/www.revue-texto.net/1996-2007/archives/parutions/archives/parutions/archives/parutions/parutions/archives/parutions/parutions/parutions/archives/parutions/archives/Parutions/Semiotiques/docannexe/file/2347/docannexe/file/Parutions/Semiotiques/index.php?id=1850.