CRÉOLA BALTARETU THÉNAULT
Résumé  : Ferdinand de Saussure est universellement connu pour « son œuvre » : le Cours de linguistique générale. Si le Cours peut être considéré comme l’œuvre majeure de Ferdinand de Saussure, c’est d’une œuvre bien particulière qu’il s’agit. Car ce Cours publié en 1916, Saussure ne l’a pas écrit. Saussure n’est pas l’auteur du Cours de linguistique générale : celui-ci a été rédigé par deux de ses collègues, Charles Bally et Albert Sechehaye, « avec la collaboration » de l’un de ses étudiants, Albert Riedlinger. Bally et Sechehaye, ont, semble-t-il, pris conscience d’une dimension irréductiblement originale de la pensée de Saussure : une nouvelle façon de penser la science du langage et de projeter l’avenir de cette science. Après avoir consulté des notes d’étudiants et quelques autographes du linguiste disparu, ils vont, d’une part, imaginer un livre et, d’autre part, infléchir le contenu de ce livre vers une pure épistémologie programmatique de la linguistique, en élaguant quelque peu ce qui dans les textes originaux (notes d’étudiants et autographes de Saussure) relevait de une réflexion épistémologique au sens strict (autrement dit à une épistémologie de la grammaire comparée) et ce qui ressortissait à une réflexion « philosophie » sur le langage, en d’autres termes : à une métaphysique. La conséquence en sera notamment une réduction, dans le Cours, de la place tenue par la sémiologie dans les leçons orales et dans les autographes.
CRÉOLA BALTARETU-THÉNAULT
Résumé  : S’il est en linguistique une pensée bien difficile à comprendre, c’est bien la pensée problématique de Ferdinand de Saussure. La découverte récente du manuscrit De l’essence double du langage rappelle non seulement l’existence d’un important corpus de textes saussuriens originaux accessible depuis les années 1960-1970 (notes d’étudiants et autographes), mais il permet en outre de réinterpréter l’intégralité de ce corpus, et partant de réévaluer et de postuler une compréhension entièrement renouvelée du programme scientifique pensé par le grand Genevois. Parmi la diversité apparente des problématiques traitées par les spécialistes de Saussure (questions philologiques, questions herméneutiques, problèmes linguistiques, etc.), la plus importante semble être celle du rapport entre linguistique générale et linguistique descriptive. Autrement-dit quel est le statut du projet scientifique de De l’essence double du langage ? Epistémologie ou gnoséologie ?, telle est la question que l’on se pose devant les textes de Saussure. Or, selon le point de vue que l’on adopte – hormis un accord d’ensemble sur une critique radicale du Cours de 1916 qui ne visait qu’une épistémologie fallacieusement réduite à la langue en elle-même et pour elle-même, les auteurs s’accordent sur l’idée d’un projet unitaire qui se révèle à la lecture De l’essence, incluant inséparablement langue et parole –, les réponses à cette problématique divergent.
SIMON BOUQUET
Résumé  : La découverte, dans l’orangerie de l’hôtel de Saussure, du manuscrit De l’essence double du langage – appartenant, selon l’expression de Rudolf Engler, à « la suite étonnante des textes restés secrets » – a été un évènement scientifique considérable et inespéré. Ce manuscrit permet de réinterpréter l’ensemble du corpus saussurien – non seulement le Cours de linguistique générale mais, de manière plus cruciale, les textes originaux, autographes et notes d’étudiants, parus depuis les années 1950. Ainsi reconsidéré dans son nouveau corpus, le projet scientifique de Saussure diffère de celui qu’on lui avait communément prêté. Loin d’être caduc ou accompli, ce projet apparaît aujourd’hui, à bien des égards, en rupture avec les courants dominants de la science du langage, tout autant qu’avec les interprétations conventionnelles du saussurisme. La présente réflexion contribue à la relecture du nouveau corpus. Elle se concentrera sur le concept de « double essence » pour mettre en lumière comment ce concept, apparu avec les manuscrits de l’orangerie, constitue le fondement métaphysique de la révolution saussurienne. On s’efforcera de montrer comment la conception d’une double essence du langage, tout comme la figure d’un quaternion – que cette figure ait été ou non entendue par Saussure comme mathématique – dessinent les lignes de force d’une science de la complexité linguistique.
THOMAS F. BRODEN
Résumé  : Cet article réunit les éléments d’une biographie intellectuelle d’A. J. Greimas (1917-1992) en cours d’écriture en anglais. Le présent essai retrace les études supérieures du savant et explore comment elles contribuèrent à préparer sa vie intellectuelle ultérieure. La première partie de l’article expose sa formation en Lituanie et en France dans les années 1930-1940, se terminant au moment où le linguiste lançait sa carrière à Alexandrie. Cette section précise les traditions académiques qui lui furent enseignées, et met en avant les personnes, méthodes, auteurs et livres de sa jeunesse qui eurent un impact significatif sur sa pensée. Ensuite, une discussion propose une synthèse des expériences qui marquèrent les trois premières décennies de sa vie, et ébauche la future trajectoire qu’elles dessinèrent dans l’évolution de ses recherches. Quatre traditions culturelles jouèrent un rôle de premier plan dans le développement de Greimas : lituanienne, slave, germanique et française. D’autre part, il découvrit et prit un vif intérêt à la poésie, au Moyen Âge, à la philosophie, à l’histoire, au modernisme et à la philologie. La conclusion résume les rapports entre sa formation académique et ses travaux scientifiques. Si la sémantique et la sémiotique qu’élabora Greimas doivent beaucoup aux découvertes et aux rencontres qu’il fit après avoir fini ses études, celles-ci conditionnèrent clairement la manière dont il définit ces projets, les distinguant ainsi d’approches rivales dans ces domaines.
WILLIAM J. CARRASCO
Résumé: Cette présentation trace le développement du concept du signe (ou kén?me) de Saussure à la notion de passage proposée par François Rastier. Cette manière de concevoir la sémiosis substitue le signe monadique avec une relation complexe et complètement cont
EUGÉNIO COSERIU
Résumé  : En raison de l’intérêt du texte du savant d’origine roumaine, Eugénio Coseriu, nous reprenons ici en facsimile le texte paru dans sa version française dans le volume La variabilité en langue. Langue parlée et langue écrite dans le présent et dans le passé de Rika van Deyck, Rosanna Sornicola, Johannes Kabatek (éditeurs), dans « Communication & Cognition » (= „Studies in Language”) n° 8, Gent, 2004, pp. 17-24. Il s’agit d’une traduction cumulative et comparative de deux versions antérieures, initialement parues d’abord en anglais sous le titre "My Saussure" (1995), et puis la version espagnole: "Mi Saussure" (1996). Dans ce texte, Coseriu reconnaît la dette qu’il doit à Saussure en soulignant qu’au contraire de ce que l’on pense, Saussure n’a cessé de jouer pour lui le rôle d’un « guide » et d’un « modèle à suivre » dans ses recherches pour appréhender et étudier l’objet de la linguistique, langage et langues. En effet, comme il affirme dans ce texte, c’est que si son travail de linguiste s’est déroulé dans un cadre sausssurien, il ne s’agit pas d’un saussuréanisme « orthodoxe » mais d’un cadre que l’on pourrait qualifier de néosaussurisme qui est selon les mots même de l’auteur: « un saussuréanisme dynamique, entendu comme une conception nouvelle qui permet et suggère des développements divers de cette même pensée ». Le projet est celui d’une linguistique intégrale, dont l’objet proprement dit est l’activité de parler incluant à la fois et inséparablement langue et parole. Autrement dit, et contrairement à ce que l’on a pu affirmer, tout son travail linguistique a eu lieu avec Saussure, non sans Saussure ni contre lui et que si effort de dépasser Saussure il y a « cet effort s’est construit non sans Saussure, ni contre lui, mais toujours avec lui ». De plus, Coseriu souligne qu’il serait injuste de considérer Saussure comme le produit d’une certaine tradition, mais que ce qu’il est juste d’affirmer c’est que Saussure est non seulement un « point de départ », mais aussi un « point d’arrivée» : « à Saussure revient, en effet, le grand mérité d’avoir réalisé la synthèse de ce qui avant lui n’était que disecta membra; par ailleurs, c’est grâce à la synthèse saussurienne que nous autres linguistes avons fait nos premiers pas. ». [NDLR]
HAKIM HESSAS
Résumé  : — « Comment comprendre le paradoxe suprême qui caractérise toute la vie intellectuelle et rendre raison du silence scientifique de Ferdinand de Saussure ? » Telle est la question que l’on se pose dans cet article. Pour y répondre, l’auteur considère qu’ il faut non seulement lire et analyser ses manuscrits, mais aussi tenter de reconstituer, non son parcours de vie à partir de l’analyse biographique, mais essayer de tracer l’archéologie de sa pensée : de sa trajectoire dans l’espace des possibilités (et des impossibilités) qui s’offrent à lui. Saussure, serait parti à la recherche d’une forme d’expression ultime, mais qu’il n’aurait pas trouvée, car parti trop tôt ailleurs, d’ici. Il nous a pourtant légué l’esquisse consistante d’un projet scientifique se laissant résumer en cette seule phrase : « Sémiologie = morphologie, grammaire, syntaxe, rhétorique, stylistique, lexicologie, etc., le tout étant inséparable. (ÉLG, 2002, p. 45), pouvant être considérée comme la forme de l’expression ultime résumée en une équation, à résoudre.
SAVAS KILIC
Résumé  : L'auteur examine la critique que F. de Saussure formule à l'encontre de la notion de loi, notion empruntée aux sciences exactes et, donc, d'application problématique en linguistique, partie des sciences de la culture.
PIERRE-YVES TESTENOIRE
Résumé  : La prise en compte des manuscrits de Ferdinand de Saussure modifie considérablement les contours de la linguistique saussurienne telle que la dessine le Cours de linguistique générale, publié à titre posthume. Ce constat vaut tout particulièrement pour le concept de « linéarité ». Son traitement dans le Cours de linguistique générale est des plus succincts. L’adjectif linéaire n’intervient que deux fois et s’applique tantôt au signe, tantôt à la langue. L’objet de l’article est d’exhumer les variations et la productivité d’une réflexion autour de la linéarité dont la publication posthume de 1916 ne rend pas compte. On s’applique à observer, à partir des écrits manuscrits du linguiste et des cahiers de ses étudiants, la genèse, le développement et les variations terminologiques - « consécutivité », « unispatialité » - que connaît ce concept dans la pensée saussurienne. Ce parcours conduira à isoler, dans les cahiers consacrés à la recherche des anagrammes, le passage où Saussure fait de la succession linéaire inhérente aux faits de langue « le principe central de toute réflexion utile sur les mots ».
CRÉOLA THÉNAULT
Résumé  : La métaphysique du « signe » occupe une place à part dans la pensée saussurienne. Si le concept de « signe » appartient à une tradition séculaire, la proposition « La langue est un système de signes » s’enracine dans la tradition métaphysique du langage. Les solitaires de Port Royal, des philosophes comme Locke, des encyclopédistes et idéologies, des comparatistes comme Bopp, Whitney et Bréal en sont les représentants les plus illustres. C’est à ce « large fleuve » que puise la « métaphysique » saussurienne, tout en ayant un caractère profondément novateur.