Volume XXVIII - n°4 (2023). Coordonné par Créola Thénault Baltaretu
Parutions et trésors
Roman Jakobson, Lo Sviluppo della semiotica e altri saggi, 2020.
MARIE-JOSÉ BÉGUELIN
Dans cet article publié d’abord en 2022 dans le n° 74 des Cahiers Ferdinand de Saussure, l’auteure rend compte d’un ouvrage qui est la réédition en 2020 d’un classique paru en 1978, chez le même éditeur (Bompiani, coll. Campo Aperto) et sous le même titre : « Lo Sviluppo Della Semiotica e Altri Saggi ». L’édition de 2020 reproduit à l’identique les textes réunis en 1978 (à savoir quatre études jugées d’intérêt épistémologique majeur pour la sémiologie, publiées durant les trente dernières années de recherche par Roman Jakobson). On y trouve également deux ajouts significatifs: d’un côté, une nécrologie signée par Umberto Eco dans L’Espresso du 15 août 1982, suite au décès de Roman Jakobson (1896-1982) dans laquelle l’auteur brosse un portrait succinct du maître à la longévité scientifique exceptionnelle, auteur de 630 publications, présenté comme un protagoniste majeur de la civilisation contemporaine; et de l’autre côté, l’étude substantielle de Nunzio La Fauci intitulée « D’altro canto », dans laquelle, l’auteur réévalue le legs jakobsonien, qu’il met en balance avec l’héritage sémiologique de Ferdinand de Saussure. Une revue commentée des publications qui ont fait date, traductions comprises, complète utilement son étude. Le lecteur attentif et intéressé y trouve avec profits, outre de quoi rafraîchir et compléter, voire même remettre en cause et bouleverser ses connaissances relatives à la science des signes, au plan historique comme au plan théorique. En effet, l’essai conclusif inédit de Nunzio La Fauci y démontre avec panache que le développement tous azimuts de la sémiotique au cours des années 1970 repose sur le partage d’une conception triviale du signe comme renvoi, étrangère en tout point à la dualité signifiant-signifié posée par Ferdinand de Saussure. [NDLR].
tag dualisme, dualité, Ferdinand de Saussure, relation signifiant-signifié, Roman Jakobson, sémiologie, sémiotique, signe, Umberto Eco,  langue
Saussurismes et sémiotiques
« Mon Saussure »
EUGÉNIO COSERIU
En raison de l’intérêt du texte du savant d’origine roumaine, Eugénio Coseriu, nous reprenons ici en facsimile le texte paru dans sa version française dans le volume La variabilité en langue. Langue parlée et langue écrite dans le présent et dans le passé de Rika van Deyck, Rosanna Sornicola, Johannes Kabatek (éditeurs), dans « Communication & Cognition » (= „Studies in Language”) n° 8, Gent, 2004, pp. 17-24. Il s’agit d’une traduction cumulative et comparative de deux versions antérieures, initialement parues d’abord en anglais sous le titre "My Saussure" (1995), et puis la version espagnole: "Mi Saussure" (1996). Dans ce texte, Coseriu reconnaît la dette qu’il doit à Saussure en soulignant qu’au contraire de ce que l’on pense, Saussure n’a cessé de jouer pour lui le rôle d’un « guide » et d’un « modèle à suivre » dans ses recherches pour appréhender et étudier l’objet de la linguistique, langage et langues. En effet, comme il affirme dans ce texte, c’est que si son travail de linguiste s’est déroulé dans un cadre sausssurien, il ne s’agit pas d’un saussuréanisme « orthodoxe » mais d’un cadre que l’on pourrait qualifier de néosaussurisme qui est selon les mots même de l’auteur: « un saussuréanisme dynamique, entendu comme une conception nouvelle qui permet et suggère des développements divers de cette même pensée ». Le projet est celui d’une linguistique intégrale, dont l’objet proprement dit est l’activité de parler incluant à la fois et inséparablement langue et parole. Autrement dit, et contrairement à ce que l’on a pu affirmer, tout son travail linguistique a eu lieu avec Saussure, non sans Saussure ni contre lui et que si effort de dépasser Saussure il y a « cet effort s’est construit non sans Saussure, ni contre lui, mais toujours avec lui ». De plus, Coseriu souligne qu’il serait injuste de considérer Saussure comme le produit d’une certaine tradition, mais que ce qu’il est juste d’affirmer c’est que Saussure est non seulement un « point de départ », mais aussi un « point d’arrivée» : « à Saussure revient, en effet, le grand mérité d’avoir réalisé la synthèse de ce qui avant lui n’était que disecta membra; par ailleurs, c’est grâce à la synthèse saussurienne que nous autres linguistes avons fait nos premiers pas. ». [NDLR]
tag activité de parler, Coseriu, langage, langue, langues, linguistique intégrale, parole, Saussure
Parutions et trésors
Grinshpun Yana, La fabrique des discours propagandistes contemporains. Comment et pourquoi ça marche ?
JEAN GIOT
Dans cet article critique, l’auteur montre clairement comment dans une démarche analytique à double portée critique, de connaissance et d’éthique, à la fois système et conscience, le concept de discours de la propagande se donne à voir dans une « hétérogénéité et une pluralité de manifestations », langagières ou non, saisies dans des cours d’action, s’articulant dans une architecture sémiotique à la fois interne et externe dans un tissu de relations différentielles simultanément archi/inter et co(n)textuelles. La définition de l’objet d’étude se présente ainsi : « La propagande est un système de diffusion de l'idéologie » – soit d’un ensemble « de vues et d’idées qui exprime les intérêts de différentes classes sociales » (p. 22) – « qui doit s’adresser à tous quels que soient leur niveau de connaissances et la nature de leurs croyances. Autrement dit, l’objet de la propagande est la conscience des gens » (p. 23) ; la fabrique du discours idéologique contemporain se produit ainsi sur des scènes énonciatives. Partant de l’analyse de cet objet d’étude qui procédant par dénominations, classements articulés et relevés d’effets, conformément au principe herméneutique général de la détermination du global sur le local, cet « essai » illustre de manière lumineuse un « couplage sémiotique » (articulant faits psychiques et faits sociaux dans un environnement sémiotique dont on élucide des spécificités textuelles et imagées. En effet, si la tâche et le projet de l’auteur mettent à mal les absolus que les propagandes œuvrent à installer, s’ils rendent lisible la facture mythique qui s’y expose, sle détachement critique qu’ils impliquent ouvre vers les lectures capables de conjuguer éthique et savoir. [NDLR]
tag architexte, contexte, corpus, discours, idéologie, intertexte, propagande, texte
Dits et inédits
Anthropologie darwinienne, matérialisme, écologie et politique dans l’œuvre de Patrick Tort.
PHILIPPE MONSEL et PHILIPPE KERNALEGUEN
Les sociétés humaines doivent aujourd’hui affronter une immense angoisse de survie. Malgré l’effort dérisoire et servile des professionnels de la réassurance et l’ensommeillement de la conscience dont ils sont les instruments d’appoint, les constantes culturelles succombent à peu près universellement sous la désintégration de leurs régularités fondatrices par des facteurs que l’opinion est à peine en mesure d’identifier, et donc moins encore de relier entre eux et d’articuler à un déterminisme causal : l’aggravation du dérèglement climatique et de ses effets ; la misère sociale et la criminalisation des réponses qu’elle suscite ; la rupture concertée de la conscience de classe ; le sacrifice inhumain des populations les plus pauvres et des migrants ; la colonisation des mentalités par les technologies de l’influence, de la fabrique des consensus et de l’addiction aux récompenses symboliques ; les contresens inlassablement entretenus à propos de Darwin et de Marx ; l’incompréhension globale face à la solidarité souvent occultée du combat politique et social et de la lutte pour le droit égal de chacun aux conditions physiques et biologiques requises par la civilisation ; le brouillage et le désarroi idéologiques généralisés, les stratégies du mensonge et de la désinformation, engendrant le dégoût croissant de la politique. Et leur corollaire : la résurgence massive du fascisme. Le texte qui suit est entièrement constitué d’extraits de différents ouvrages de Patrick Tort et de communications écrites ou orales qui ont permis à l’auteur de rendre un compte partiel d’une pensée qui nous semble aujourd’hui porteuse d’avancées théoriques et méthodologiques sérieuses dans la compréhension de ces questions cruciales posées, avec une urgence désormais évidente, par le monde contemporain.
tag Darwin, écologie, idéologies, Marx, matérialisme
Repères pour l'étude
Reinhart Koselleck (1923–2006). L’esprit de la défaite.
SIDONIE KELLERER
Reinhart Koselleck est considéré comme un des plus éminents historiens allemands. En avril 2023, à l’occasion de son centenaire l’historien, la Süddeutsche Zeitung le qualifia de « Diderot allemand ». C’est une formule étonnante étant donné le caractère violemment anti-Lumières de son premier livre publié en 1959: Kritik und Krise. Dans la contribution suivante l’auteur propose de rendre compte des principaux aspects de la généalogie et de l’histoire de la réception de cet ouvrage qui est à l’origine de la réputation internationale de Koselleck.
tag Aufklärung, Carl Schmitt, complotisme, critique, Franc-maçonnerie, Heidegger, national-socialisme, théorie de l’histoire
Repères pour l'étude
Le goût des mots.
Pour une sémiotique de la dégustation.
FRANÇOIS RASTIER
Cet avant-propos à Sylvie Normand, Les mots de la dégustation du champagne – analyse sémantique d’un discours professionnel (Paris, éd. du CNRS, 2002), entend, au-delà des questions de lexicologie qui peuvent paraître anecdotiques, souligner la dimension textuelle des corpus de dégustation pour les intégrer aux recherches en sémiotique des cultures.
tag cognition, dégustation, perception, termes, textualité, vin