Résumé : Le prestige de la polysémie tient à la permanence d'une linguistique du signe perpétuant la conception commune du langage comme nomenclature. Le mot isolé résulte d'une décontextualisation. Restituer son contexte, c'est restituer les conditions de sa sémantisation, c'est-à-dire de son interprétation comme signe. Un mot n'est polysémique que si on le sous-détermine en le coupant de tout contexte, bref, si l'on renonce à le comprendre. La polysémie perd beaucoup de son mystérieux prestige si l'on reconnaît quela sémantique lexicale est déterminée par la sémantique textuelle.Rapportés à de problématiques " choses " et/ou à des "représentations " qui échappent à la linguistique, le postulat référentiel et la volonté d'univocité ont suscité le problèmede la polysémie. Elle reste pour l'essentiel l'artefact d'une tradition logico-grammaticale indifférente à la diversité des discours, des genres et des textes et conduite à juxtaposerdes acceptions hétéroclites sans contextes communs.La notion de prototype a certes paru limiter les aspects jugés angoissants de la polysémie, mais le référent prototypique, souvent identifié à un objet, semble relever de l'ordre de la doxa en cours plus que d'un ordre naturel.On proposera de différencier nettement (i) le lexique des morphèmes (qui appartient à l'ordre de la langue), pour lesquels le problème de la référence ne se pose pas, car leursignification n'est pas déterminable hors d'une analyse sémique par contextes contrôlés, et (ii) le lexique des lexies, formations de discours dont la linguistique de corpus permet de mieux cerner les sens, déterminés par leurs contextes préférentiels en raison de phénomènes de diffusion sémantique.À partir de cette distinction, on étudiera la création de nouveaux signifiés pour des lexies existantes, ou néosémies. La notion de néosémie invite à considérer l'émergence d'une nouvelle sémie en termes d'économie ou d'organisation sémique : la variabilité des actualisationspossibles d'une lexie induit un réaménagement des sèmes composant son signifié. Plus précisément, on observera deux tendances conjointes : d'une part, certaines néosémies résultent d'une modification de l'appartenance domaniale,laquelle s'accompagne de variations des contraintes génériques et discursives (changement de domaine,nouvelle domanialisation, etc.), d'autre part, la néosémie est une reconfiguration du ou des sémèmes constituant la lexie d'origine, notamment par diffusion sémique des contextes.On illustrera cette notion au moyen de quelques exemples détaillés.
Pour citer ce document
FRANÇOIS RASTIER et MATHIEU VALETTE (2009) «De la polysémie à la néosémie», [En ligne], Volume XIV - n°1 (2009). Coordonné par Évelyne Bourion.,
URL : http://www.revue-texto.net/index.php/http:/www.revue-texto.net/1996-2007/Archives/Parutions/Archives/Parutions/Marges/docannexe/file/4227/docannexe/file/4011/docannexe/file/104/docannexe/file/2379/docannexe/file/4981/index.php?id=2119.