APPROCHE MICROGÉNÉTIQUE DU LANGAGE ET DE LA PERCEPTION

Victor ROSENTHAL
INSERM, Paris

(Mémoire d'Habilitation)

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Avertissement :Ce mémoire présente un projet de recherche et un résumé du parcours scientifique de son auteur. Il a été rédigé en vue de l'obtention d'une habilitation à diriger des recherches et son contenu reflète l'usage qui veut que l'on ne réécrive pas l'histoire. Ainsi, seul le premier chapitre exprime les opinions et le sens des travaux actuels de l'auteur, ceux qui le suivent ont pour l'essentiel la valeur d'un document historique sur ses travaux passés et l'évolution de ses idées.

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1. Microgenèse

Le concept de microgenèse désigne le développement à l'échelle du temps présent d'un percept, d'une expression, d'une pensée ou d'un objet d'imagination. Il définit le surgissement de l'expérience immédiate comme un phénomène dont tous les antécédents directs procèdent d'une certaine dynamique de différenciation génétique. Tout processus de perception, d'expression (orale, écrite ou gestuelle), de pensée (dans ses différents modes et formats) ou d'imagination, qui tient dans le creux du temps présent est alors un processus microgénétique de différenciation et de développement, au sens génétique de ces termes. La description microgénétique se substitue ainsi à la représentation usuelle de ces processus en termes de transformation (du flux physique ou de l'information) et d'intégration (de différents types de données ou de composants primitifs). Elle rétablit l'expérience immédiate dans la structure dynamique du présent, dans le déploiement progressif mais immédiat du sens et elle lui restitue sa fonction thématique. Ainsi, chaque antécédent ou précurseur de l'expérience immédiate (d'un visage perçu, d'une image anticipative, d'une pensée verbalisée) porte en germe ce dont il y aura expérience et dont la teneur s'annonce en lui d'une façon latente bien qu'encore mal différenciée et insuffisamment déterminée. Ce déploiement progressif ou ce développement de ce qui fait l'objet d'expérience se caractérise par un parcours catégoriel du général et indéfini vers le spécifique et défini dont se saisit en définitive la thématisation de l'expérience pour le porter à la conscience comme cette chose perçue ou cette pensée pensée. La théorie de microgenèse décrit l'émergence de l'expérience immédiate (c'est-à-dire perception, pensée, expression, imagination) comme un développement; au même titre que tout organisme biologique suit son parcours d'ontogenèse, toute expérience immédiate suit son parcours de microgenèse ou de micro-développement, mais à l'échelle du temps présent.

Voici en grandes lignes la définition de l'approche microgénétique des processus perceptifs et cognitifs qui sous-tendent l'expérience immédiate et qui se veut porteuse d'un projet de psychologie cognitive et phénoménologique de l'expérience. Ce projet marque l'étape actuelle d'un parcours scientifique et intellectuel dont le présent document se propose de résumer la teneur. Mon exposé s'organise en fonction de ce projet et de la théorie de microgenèse dont il procède. La nature de ce document permet en effet de mieux développer cette théorie qu'un article de revue spécialisée. La théorie de microgenèse donne le sens aux travaux sur la compréhension du langage, sur les processus perceptifs de la lecture et les processus de reconnaissance et de dénomination des objets que je décris dans les chapitres qui suivent. Il ne s'agira pas cependant d'une reconstruction ´naïve' du cheminement qui a débouché sur la vision microgénétique des processus qui sous-tendent l'expérience immédiate. Une telle reconstruction ne présenterait aucun intérêt pour le lecteur et je passe sur le caractère de l'épreuve qu'elle aurait imposée à l'auteur. Dans mon récit, je vais néanmoins suivre la chronologie des recherches tout en m'appuyant sur quelques thèmes récurrents présents tout au long de ce parcours et qui ne sont pas étrangers au concept de microgenèse : (a) celui de la structure diachronique des processus qui sous-tendent l'expérience immédiate, (b) celui du déploiement très précoce d'une sorte de schème anticipatif ou précurseur (ou encore le gist ) de ce sur quoi va déboucher l'acte perceptif ou interprétatif en cours et qui arrête dès lors sa teneur générale, (c) celui de l'organisation des processus en fonction du but. Ces thèmes, associés à la mise en cause de l'idée que le principal support de l'activité cognitive réside dans une représentation mentale et à la dénonciation de l'architecture modulaire des processus cognitifs, anticipaient plusieurs aspects de la théorie microgénétique sur lesquelles je reviendrai plus loin. Dans la suite de cette introduction, je vais rappeler les antécédents historiques de la théorie de microgenèse, développer plus concrètement les principaux aspects de l'approche microgénétique du langage et de la perception et discuter certaines de leurs ramifications théoriques et épistémologiques.

Le concept de microgenèse et plusieurs éléments du projet dont il est l'instigateur ont leurs racines dans les travaux de deux écoles psychologiques contemporaines de la Gestalttheorie de l'école de Berlin [1] avec laquelle elles ont d'ailleurs eu beaucoup d'affinité et quelques divergences de vue. Il s'agit d'abord de Heinz Werner dont toute l'úuvre psychologique porte la marque de ce concept qu'il a largement contribué à développer, d'abord en Allemagne des années 1920 et 1930, puis aux États-Unis, et auquel il a donné son nom (Werner, 1935; Werner, 1956; Werner, 1957; Werner & Kaplan, 1963) . Il s'agit ensuite de l'école de Leipzig, avec son principal théoricien Friedrich Sander, dont la méthode d' Aktualgenese [2] est longtemps restée le moyen de référence pour étudier la microgenèse (Flavell & Draguns, 1957; Sander, 1928; Sander, 1930; Smith, 1957) .

L'action des premiers promoteurs de la microgenèse s'inscrivait d'une part dans le cadre de la mouvance gestaltiste au sens large (Werner) et d'autre part dans celui d'une psychologie d'inspiration holiste rivale de la Gestalt (la Ganzheitspsychologie de Leipzig). Les psychologues de la microgenèse ont rejoint le programme gestaltiste, mais sur le terrain que les Berlinois tendaient à abandonner ou par rapport auquel ils se montraient insensibles : la dynamique temporelle de l'expérience immédiate, le temps historique du développement, l'homologation catégorielle des percepts [3] , le caractère sémantique des formes, la fonction symbolique, le langage... A la dynamique de l'organisation du champ des gestaltistes, ils ajoutent la dynamique temporelle des processus cognitifs et perceptifs. Ils mettent en évidence l'existence de phases intermédiaires de l'expérience dont ils soulignent la structure développementale. Tant Werner que Sander insistent sur le caractère relativement amorphe des phases initiales de la perception, celle des Vorgestalten (pré-gestalts), et décrivent une différenciation progressive jusqu'aux gestalts finales, c'est-à-dire jusqu'aux formes dynamiques constituées. Dans le registre sémantique, Werner postule l'intervention précoce de ´sphères de sens' dans le processus microgénétique de compréhension : ces sphères de sens, susceptibles de se déployer même dans des contextes de présentation subliminales, étaient censées se spécifier et s'articuler progressivement dans les conditions normales de compréhension ou de reconnaissance (Werner, 1956) . C'est là un exemple typique de l'approche microgénétique, pour laquelle le déploiement du sens commence avant l'identification explicite des unités.

Les deux écoles poursuivent d'une façon conséquente le programme de psychologie microgénétique de l'expérience en l'élargissant, d'une part à la psychologie de l'enfant-l'ontogenèse constituant, bien qu'à une autre échelle du temps, l'exemple premier du développement- et d'autre part à la neuropsychologie [4] . Dans le cadre de cette dernière, ils décrivent les changements pathologiques qui affectent les comportements aphasiques, agnosiques ou alexiques comme un arrêt ou une interruption prématurée du processus microgénétique dans une phase de pré-gestalt relativement amorphe ou mal déterminée. Dans l'ensemble, le programme microgénétique comportait des recherches sur la perception, la pensée, le langage, le développement mental de l'enfant, l'acquisition du langage, les pathologies neuropsychologiques et psychiatriques (notamment la schizophrénie)- en fait sur tout ce qui semblait propice à l'étude des discontinuités structurelles des processus cognitifs ou perceptifs, et donc de la genèse des propriétés des gestalts finales. A ce programme, Werner a ajouté une sensibilité biologique [5] et écologique [6] et une vision ethnopsychologique et anthropologique de l'individu dans la société. Le concept de microgenèse de Werner était directement inspiré par la notion de développement biologique. C'est là que résidait à ses yeux la principale caractéristique de l'expérience : perception, pensée, activité symbolique ne sont pas justiciables d'un procédé mécanique [7] car leur dynamique est celle d'un organisme vivant qui s'adapte à son monde en se développant . Tout processus perceptif ou cognitif est d'abord un processus génétique.

Werner a fondé aux États-Unis une importante école de psychologie cognitive et génétique dont Symbol formation de Werner et Kaplan (1963) est l'un des ouvrages les mieux connus. Le nom de Werner a longtemps été associé à la plus importante doctrine de la psychologie génétique, à côté de celle de Piaget, puis, à partir des années 1980, ce nom a progressivement été gommé des manuels de psychologie. De son côté, la Ganzheitspsychologie a sombré, ou plutôt s'est suicidée, moralement et scientifiquement, avec l'avènement du 3 ème Reich. En Allemagne, seule la branche neuropsychologique du programme microgénétique a survécu au nazisme et à la guerre, mais ses travaux, en particulier les remarquables recherches de Conrad, sont peu connus et cela en dépit des efforts de popularisation déployés par Werner (Werner, 1956) . Des recherches d'inspiration microgénétique, mais d'une moindre portée, ont plus tard été menées à Lund en Suède par Gudmund Smith et ses collègues qui ont d'ailleurs perfectionné la méthode d' Aktualgenese [8] (cf. Smith, 1957) . Aujourd'hui, seul David McNeill se réclame du programme microgénétique dont il souligne, non sans raison, l'affinité avec les idées de Vygotsky. Les recherches de McNeill sur le geste co-verbal poursuivent des pistes initialement balisées par Werner (McNeill, 1992; McNeill, 1999) . É

Ce n'est pas la passion pour l'histoire qui me fait revenir aussi longuement sur le passé de la microgenèse. Ce n'est pas non plus le désir de rappeler un épisode oublié du passé de la psychologie et de la neuropsychologie. Il faut voir dans ce rappel une dénonciation de la fuite en avant dans laquelle s'est installée la psychologie depuis les années 1950 pour faire tous les quinze ou vingt ans un cycle d'effacement et de recommencement. Ces cycles lui ôtent tout caractère cumulatif et la propulsent dans une agitation qui s'alimente par sa propre activité au point de devenir une fin en soi. Les techniques expérimentales ont certes progressé et n'ont plus rien à envier à celles des sciences physiques ou biologiques où en général la structure du problème détermine d'une manière plus univoque le type d'expérience et sa méthodologie. Mais l'intérêt de cette sophistication technique et méthodologique est somme toute limité, à défaut d'une capacité de se construire comme une science, qui doit certes se renouveler, se mettre en cause, réviser ses concepts, mais qui ne recommence pas perpétuellement en effaçant tout. On refait souvent les expériences anciennes parce qu'on les ignore [9] ou parce qu'on trouve la méthode originale critiquable pour retrouver en définitive le même résultat. Les expériences tachistoscopiques d'Erdmann et Dodge (1898) ne satisfont aucun critère méthodologique contemporain, et pourtant l'amorçage morphologique dans la vision parafovéale a résisté tous à les assauts des sceptiques, qui d'ailleurs pour la plupart ignoraient son origine.

L'amnésie [10] de la discipline fut source de mon ignorance. Il est consternant de redécouvrir par ignorance ce que d'autres ont découvert de bonne heure. Que de cheminement fait pour retrouver dans le programme originel de microgenèse les principaux ingrédients de l'approche microgénétique du langage et de la perception, dont j'ai esquissé les grandes lignes au début de ce chapitre! Je ne peux pas préjuger rétrospectivement de ma lucidité ni de ma capacité à deviner la promesse d'une piste qui se serait offerte spontanément à moi. Mais à l'échelle d'une discipline la lucidité collective sait pallier l'absence de discernement d'un individu.

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2. Les contours de la microgenèse

Le concept de microgenèse rétablit l'expérience immédiate dans son objectivité phénoménologique . Perception, pensée, imagination, expression verbale sont tout d'abord des phénomènes de conscience ou d' expérience consciente . L'écran de l'ordinateur sur lequel je lis ce que je viens d'écrire et que je perçois devant moi, la pensée furtive que ces explications risquent d'en agacer le lecteur, l'image de la scène où j'imprime la version définitive de ce texte et qui n'est qu'une anticipation par l'imagination... constituent tous des exemples d'expérience immédiate dont la théorie se veut de décrire la microgenèse sans les vider de leur qualité essentielle d'expérience consciente. L'expérience phénoménale (perceptive, cognitive, d'imagination, etc.) est l'objet premier irrécusable de la psychologie. Car l'objectivité de la vie mentale et même l'objectivité première est phénoménologique. L'objectivité se déploie toute entière dans la conscience. Même lorsqu'il s'agit de mesures physiques c'est en définitive la conscience qui lit les instruments de mesure et les communique aux témoins. Cette question a fait couler beaucoup d'encre et nous y avons consacré, avec Yves-Marie Visetti, ce passage dans Sens et temps de la Gestalt .

Les termes «objectif' et ´subjectif' ne doivent pas servir à séparer la science d'un monde phénoménal qu'elle aurait, paradoxalement, la double t‚che de dénoncer et d'expliquer. Ils renvoient à des dimensions distinctes et co-dépendantes de notre expérience immédiate. Ainsi, en première analyse, le terme ´objectif' , dont les gestaltistes n'auront de cesse de manifester toute l'étendue de l'acception, qualifie tout le versant extérieur de l'expérience immédiate. Il s'applique évidemment à toute l'extériorité qui nous entoure, et même nous inclut : objets, corps et comportements, extérieurs et objectifs, précisément parce que perçus. Mais il comprend aussi dans une certaine mesure, comme on le verra, des valeurs esthétiques et émotionnelles, la présence d'autrui et la dimension sociale. La distinction entre ´objectif' et ´subjectif' n'est d'ailleurs pas toujours tranchée: non seulement elle est fonction du point de vue adopté sur une expérience qui mêle toujours ces deux aspects, mais en certains cas elle peut devenir fondamentalement incertaine, affaire de degrés et de transitions. Kˆhler cite par exemple le cas des brÝlures ou des piqÝres, qui sont des sensations à la fois diffuses et persistantes, où le contact avec le monde se prolonge indéfiniment dans le sentiment de sa propre peau devenue, à l'endroit de la douleur, quelque peu étrangère. Mais qu'il y ait ici une grande variété de cas intermédiaires ne met pas en cause le bien-fondé de la distinction. Ainsi donc la chaise qui vous supporte en ce moment n'est certainement pas une chaise ´subjective' , qui serait, si elle existait, à ranger au catalogue des objets introuvables- et inconfortables. La chaise est bel et bien un élément objectif de notre vie quotidienne, et non une simple apparence. Elle est d'emblée signe et moyen de l'usage que vous en faites, suggestion des façons de s'y tenir, appel à s'y effondrer ou à travailler. Il ne faut donc, ni méconnaître l'extériorité constitutive de l'expérience, ni faire l'impasse sur l'intériorité du sujet percevant et agissant. (Rosenthal & Visetti, 1999, pp. 154-155)

Si donc l'objectivité première est phénoménologique, la façon dont elle se présente à nous ne peut pas être indépendante des propriétés de la conscience, celles du champ dans lequel surgit l'expérience. C'est donc la structure du champ de la conscience qui façonne et négocie la structure du réel [11] . Perception, langage, pensée, imagination sont ainsi tributaires du médium dans lequel elles se déploient et qui conditionne leur existence. Tout trouble neuropsychologique affectant la microgenèse de l'expérience immédiate (par ex. agnosies, alexies, aphasies, etc..) est ainsi également un trouble de conscience. Il est donc vain de vouloir éliminer la phénoménologie de la psychologie scientifique alors qu'elle remplit à elle seule un bonne part de sa feuille de route, tout comme il est vain d'accorder à la conscience le statut d'une qualité supplémentaire, d'un ornement venant agrémenter la présentation du g‚teau. Il n'était pas illégitime aux temps de la première cybernétique de s'imaginer un automate qui identifie des objets, lit ou traduit des textes et, par-dessus le marché, résout des équations. Cet exercice aurait mérité d'être conduit à son terme, non pas parce qu'il avait des chances de réussir, mais pour ce qu'il nous aurait appris sur la qualité inéliminable de l'expérience.

L'expérience consciente est donc l'aboutissement du processus de microgenèse dont la théorie du même non s'efforce de décrire la structure et la dynamique temporelle . Car l'expérience immédiate s'inscrit dans une dynamique temporelle. Le ´creux du temps présent' n'est pas infiniment petit, il compose sa propre histoire qui a un caractère diachronique de déroulement et de déploiement. Il y a déroulement dans la mesure où l'on peut discerner des étapes successives ou des phases intermédiaires qui ont normalement vocation de s'effacer au surgissement de l'expérience. Ces phases sont néanmoins palpables dans des conditions extrêmes (par exemple de présentation tachistoscopique à la limite du perceptible), dans certaines pathologies neuropsychologiques et peuvent être mises en évidence indirectement à partir des propriétés de l'expérience normale. Cette question est abordée plus en détail dans le chapitre sur les processus perceptifs de la lecture. Ces phases constituent précisément les antécédents de l'expérience dont il était question tout à l'heure.

Mais il y a aussi déploiement dans la mesure où l'expérience thématise un objet, une action, un motif dans un champ. Si l'on peut dire d'un point qu'il surgit dans un champ et qu'il représente par conséquent un instant infiniment petit, toute forme, tout motif, toute action se déploient dans le temps. Une forme, qui est une unité intégrante du champ, peut être aussi bien statique que dynamique : elle aura dans tous les cas une constitution temporelle. Elle n'est pas constituée d'abord, et lancée ensuite au fil du temps, dans une simple succession d'instants : non, elle est d'emblée temporelle, intrinsèquement faite d'un temps lui-même organisé. Ainsi un antécédent de l'expérience n'est pas un fragment, une courbe, un bout de trajectoire parmi d'autres dont il faudra le moment venu faire la synthèse : tout antécédent direct de l'expérience déploie à sa façon ce qui fera l'objet d'expérience et dont seul le déploiement définitif se dévoile brutalement à la conscience, en occultant au passage ceux qui l'on précédé.

Cette dynamique temporelle comporte une dilatation du temps (cette épaisseur du Présent ou son ´creux' spacieux) qui ne peut provenir que du sujet. Ce temps est endogène au sens qu'il est interne au sujet et se confond avec le cours de sa vie. Le concept d' autochronie définit l'autogénération du temps propre au sujet qui tire son origine du statut d'être vivant de celui-ci, c'est-à-dire d'un être porteur d'une dynamique développementale unidirectionnelle (cf. Rosenthal, 1993) . Seule l'autochronie, qui est à la fois un concept biologique et phénoménologique, confère au temps sa direction intrinsèque, sa périodicité et son amplitude globale propres à chaque espèce. La direction intrinsèque représente cette indexation du temps à l'écoulement de la vie (ce qui détermine le sens de la ´flèche du temps' ), la périodicité correspond aux variations temporelles pertinentes pour l'espèce et l'amplitude globale délimite le parcours de la flèche.

La microgenèse est donc autant un concept psychologique que biologique. J'ai déjà évoqué à plusieurs reprises le caractère développemental des processus qui sous-tendent l'expérience immédiate. Ce caractère développemental ou génétique donne le sens aux notions de déroulement et de déploiement qui définissent la dynamique temporelle de la microgenèse. J'ai également noté que chaque précurseur de l'expérience immédiate porte en germe ce dont il y aura expérience et dont la teneur s'annonce en lui d'une façon latente, même si l'objet de ces stades précurseurs de l'expérience, de ces Vorgestalten comme disait Sander, est encore mal différencié. Ainsi, les précurseurs de l'expérience comportent, en quelque sorte, le potentiel de développement auquel la microgenèse peut donner lieu. Ce potentiel n'est pas uniquement structurel, il n'annonce pas seulement les unités mais également leur sens . La microgenèse comporte donc le déploiement immédiat et progressif du sens (de ce ´sphères de sens' dont parlait Werner) d'abord très général et sous-déterminé, puis progressivement plus spécifique et défini. La séparation de la forme et du sens qui correspond à l'un des axiomes de la psychologie cognitive (ou plutôt cognitiviste) est un avatar du paradigme symbolique ou calculatoire dans la mesure où le calcul symbolique ne peut porter que sur la forme des unités [12] . Le sens associé aux unités doit donc être stocké séparément, d'où la notion de mémoire sémantique, et on ne peut y accéder qu'après l'identification (abstraite) de ces unités. Ainsi, un processus perceptif ignore tout au long de son cours ce dont il traite. Dans le cadre de la microgenèse, tout comme d'ailleurs dans celui de la Gestalt, une forme, du fait même d'être forme ou objet, c'est-à-dire non pas bruit ou élément physique arbitraire sur le plan phénoménologique mais entité thématisable, ne peut d'aucune façon être séparée de son sens. Ce sens a aussi sa dimension microgénétique de différenciation progressive, il ne se déploie pas d'emblée dans son articulation définie que révèle l'expérience, ni d'ailleurs comme une définition de dictionnaire. Le sens présente les mêmes caractéristiques microgénétiques que les formes qui le recèlent. Loin d'être détachable de la forme qu'il signifie et qui le révèle, le sens accompagne la microgenèse perceptive, cognitive, expressive ou imaginative de cette forme et emprunte son parcours de différenciation du général et sous-déterminé vers le spécifique et défini.

Le modèle génétique ou microgénétique de la constitution de l'expérience comporte une certaine logique de progression dans la différenciation, une gradation sémantique et phénoménologique qui tranche avec les dichotomies aristotéliciennes qui dominent encore la pensée psychologique. C'est donc un modèle continuiste [13] qui régit le cours de l'expérience, et cela même lorsqu'il y a des discontinuités structurelles du point de vue biophysique [14] . J'ai déjà évoqué le rôle de la catégorisation en tant qu'elle introduit la dimension de l'identité à travers les variations ou fluctuation, cette dimension est aussi essentielle sur le plan de la dynamique temporelle : le parcours de différenciation est celui d'une catégorisation [15] progressive qui par sa dimension d'identité en assure la continuité et la stabilité. Et c'est ainsi que chaque précurseur direct de l'expérience peut annoncer en lui d'une façon latente ce dont il y aura expérience. De même, puisque toute catégorisation a un sens, le déploiement immédiat de la catégorisation signifie déploiement immédiat du sens, même si le sens des formes ne se réduit pas à leur identité catégorielle.

Le modèle continuiste de la microgenèse s'applique également à la conscience qui n'admet pas davantage les dichotomies aristotéliciennes où l'on voudrait qu'une chose soit ou bien consciente ou non consciente. Si les précurseurs directs de l'expérience s'effacent au surgissement de cette dernière (comme l'amorce du stimulus est occultée par le pattern-mask), ils ne sont pas dépourvus d'un caractère phénoménologique susceptible de se manifester à la conscience. Toute la tradition des travaux de type Aktualgenese en témoigne et c'est d'ailleurs la capacité des sujets de décrire leurs impressions concernant les stades intermédiaires de l'expérience perceptive ou cognitive qui a grandement motivé le concept de microgenèse. Il existe d'autre part différents modes d'engagement par rapport à l'expérience [16] . Enfin, si la thématisation explicite caractérise typiquement l'expérience consciente elle n'en est pas la forme unique. La thématisation est une figure portée au devant d'un champ dont elle fait partie et qui la supporte mais dont le sujet n'ignore ni la présence ni les dynamiques qui annoncent d'une façon latente les figures à venir [17] .

Ceci clôt la présentation des caractéristiques génériques de la microgenèse. Ces caractéristiques s'inscrivent sur bien des plans dans la continuité du programme gestaltiste dont nous avons fait avec Yves-Marie Visetti une présentation assez détaillée [18] et dont une version plus complète sous la forme d'ouvrage est en préparation. La microgenèse apporte au programme gestaltiste des rectifications importantes, dont plusieurs ont été mentionnées plus haut, mais elle tient pour acquis son infrastructure générale de l'ordre par stabilisation au sein d'un système dynamique. Voici un récapitulatif de ces principales caractéristiques de la microgenèse de l'expérience :

- L'inscription phénoménologique de la perception, de la pensée, de l'imagination et de l'expression (décrites en tant qu'expériences);
- Le caractère développemental des processus qui sous-tendent l'expérience;
- Leur dynamique temporelle de déroulement et de déploiement;
- Le développement comme différenciationdu général et sous-déterminé vers le spécifique et défini;
- La catégorisation comme stabilisation des unités [19] , continuité identitaire tout au long du processus et homologation de l'identité à travers les variations ou fluctuations;
- Présence de discontinuités structurelles (étapes qualitativement différentes, formats incompatibles) dans une dynamique du continu;
- Le parcours du global au local;
- Le caractère intrinsèquement sémantique et valuée des formes (le sens est indissociable des formes et toute forme a une valeur);
- Le caractère sémantiquement et phénoménologiquement gradué du parcours de différenciation;
- Chaque antécédent ou précurseur direct de l'expérience annonce en lui d'une façon latente ce dont il y aura expérience;
- La thématisation comme principe organisateur du champ de l'expérience [20] .

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3. Ramifications et caractéristiques du parcours

Le projet de microgenèse s'inscrit résolument dans une démarche de naturalisation de l'expérience, tout en récusant le modèle de naturalisation par la mécanisation des processus psychologiques. Il déclare le primat du théorique par rapport à l'empirique. Cela ne signifie pas que l'expérience importe peu mais plutôt que la cohérence théorique doit primer sur la recherche de compatibilité avec les résultats expérimentaux. Bien évidemment une compatibilité totale est impossible à atteindre et l'on ne peut s'en sortir qu'en excluant les recherches ´suspectes' et en rétrécissant le champ d'application de la théorie. Le primat du théorique veut dire que c'est la vision théorique d'ensemble qui doit primer, qu'une théorie plus générale est préférable à celle qui a réuni plus de données. Il va de soi qu'une théorie contredite par l'expérience doit être rejetée ou tout au moins amendée. Cependant, la notion de contradiction par l'expérience (ou de falsification) pose quelques problèmes. Dans ma thèse de doctorat, j'ai décrit le concept d' hypothèse auxiliaire et discuté un certain nombre de problèmes théoriques et méthodologiques que soulève ce concept. Il n'existe pas de rapport direct entre une hypothèse et l'expérience censée l'évaluer. Afin de pouvoir procéder à l'expérience il faut pouvoir instrumentaliser l'hypothèse dans un contexte matériel censé l'instancier. La première hypothèse auxiliaire d'une expérience est donc celle- ou plutôt le réseau de celles- qui rattache le contexte expérimental à la question théorique posée, donc celle qui dit que l'expérience entreprise permet d'évaluer l'hypothèse étudiée. Nous avons assisté en psychologie à des combats titanesques (par articles interposés) pour savoir si un contexte expérimental était adéquat pour évaluer une hypothèse donnée. Ce premier type d'hypothèse auxiliaire repose souvent sur un raisonnement pratique, parfois il s'agit d'hypothèses qui ont donné lieu à une évaluation expérimentale en association avec d'autres hypothèses auxiliaires. Le second type d'hypothèse auxiliaire renvoie au raisonnement qui sous-tend la méthode choisie; les exemples courants sont légion : le rapport entre le temps de réponse et la quantité du traitement, le caractère additif du temps de réaction, le rapport entre la quantité des items produits au rappel et la quantité de traitement dont ces items ont fait l'objet, le rapport entre la structure (ou le contenu) du matériel restitué au rappel et le traitement lors de la compréhension, etc.. Les hypothèses auxiliaires de ce type ne sont pas déraisonnables mais ce ne sont que des hypothèses qui s'ajoutent ainsi au cortège d'hypothèses auxiliaires qui interviennent dans l'expérience. Le troisième type d'hypothèse auxiliaire renvoie à des concepts théoriques qui n'ont pas fait l'objet d'une évaluation expérimentale, qui correspondent souvent aux grands postulats théoriques de la discipline (par exemple l'idée que la signification des mots est représentée dans un lexique mental et que par conséquent il faut y accéder), et sur lesquels s'appuie l'hypothèse propre du chercheur ou certaines de ses hypothèses auxiliaires.

On voit bien à partir de cette description que jamais l'hypothèse propre du chercheur n'est seule en lice, qu'elle requiert toujours des complicités. Cette situation n'est pas spécifique à la psychologie car jamais la théorie n'a une prise directe sur la réalité étudiée. Ce qui varie d'une science à l'autre est la quantité d'hypothèses auxiliaires mises en úuvre. Le nombre d'hypothèses auxiliaires peut être très faible dans certaines branches de la physique mais tend à être relativement important en psychologie ou en neurosciences. Or, il faut souligner que ces hypothèses auxiliaires sont rarement évoquées pour ne pas dire spécifiées par le chercheur et ne font qu'exceptionnellement l'objet d'un examen critique au même titre que l'hypothèse propre [21] .

Il y a plusieurs conséquences pratiques de cette accumulation d'hypothèses auxiliaires. J'ai déjà évoqué les combats titanesques pour savoir si un contexte expérimental était adéquat pour évaluer une hypothèse donnée. Une autre conséquence concerne le caractère asymétrique de l'évaluation expérimentale. Lorsque le résultat est conforme à l'attente du chercheur, il dira que son hypothèse est confirmée (en oubliant au passage son association avec les hypothèses auxiliaires, si tant est qu'il en soit conscient). Mais lorsque le résultat n'est pas conforme à son attente, il mettra en cause certaines de ses hypothèses auxiliaires jusqu'alors implicites; en particulier il s'attaquera à celle qui rattache le contexte expérimental à la question théorique posée. Il dira alors qu'il n'a pas réussi à valider son hypothèse car le contexte expérimental ne convenait pas et se tournera vers un autre contexte. La course frénétique à la sophistication des méthodes expérimentales n'est pas étrangère à cette observation, même si elle ne l'explique pas complètement. Par ailleurs, plus l'hypothèse du chercheur est spécifique, plus elle appelle des hypothèses auxiliaires à son aide. Et plus le résultat obtenu dans un tel contexte est discutable.

Le primat du théorique répond en partie à ces problèmes. Il n'effacera pas l'utilisation d'hypothèses auxiliaires mais permettra d'en limiter le nombre et la portée. Si une théorie plus générale est préférable à celle qui s'est construite à partir d'un plus grand nombre de données c'est notamment parce que ces données sont par définition fragiles et dépendantes d'une trop grande quantité d'hypothèses auxiliaires, dont certaines peuvent par ailleurs être en contradiction avec d'autres. Plus une théorie est générale, plus son champ d'application est vaste et moins elle est tributaire d'hypothèses auxiliaires spécifiques. Car si une hypothèse s'applique à une variété de situations, la défaillance d'une hypothèse auxiliaire particulière aura peu de chance de l'affecter.

Le retour vers l'objectivité phénoménologique constitue une autre réponse. La physicalisation de la psychologie répondait sans doute en partie au désir de suivre un bon exemple mais elle répondait encore plus à la crainte d'être en prise avec des phénomènes subjectifs, variables et non quantifiables. Cette physicalisation qui fait sourire les physiciens a cependant fragilisé la psychologie en tant que science. L'objectivité phénoménologique est certainement moins récusable que les données quantifiées concernant un automatisme. Je présente, par exemple, à un patient dont un hémichamp est réputé aveugle un contour subjectif de Kanizsa de telle sorte qu'il s'étende sur ses deux hémichamps, hémianopsique et sain. A la question que voit-il, le sujet décrit le contour subjectif tout en le plaçant du côté de l'hémichamp sain [22] . Puisque le contour subjectif utilisé se déploie sur les deux hémichamps et qu'aucun ne suffit à lui seul pour identifier le contour, je ne peux qu'en conclure que l'hémichamp réputé aveugle a bel et bien participé à la perception de ce contour sans en revendiquer le bénéfice (ce qui s'est traduit par le «déplacement' de la forme vers le champ sain). J'aurais certainement pu procéder autrement. En appliquant une méthode psychométrique courante j'aurais pu présenter des spots ou des taches dans le champ hémianopsique et demander au sujet d'appuyer sur le bouton 'oui' ou 'non' pour savoir s'il y avait quelque chose dans ce champ. J'aurais par exemple obtenu 54% de réponses correctes ce qui correspond au hasard. Voici à quel point ces données quantifiables non phénoménologiques sont fragiles en comparaison avec l'évidence phénoménologique du contour subjectif, et qui nous apprend davantage sur la perception des formes.

Il est temps de clore cette introduction et de passer à l'exposé des travaux. Tout au long de mon parcours, j'ai maintenu un dialogue entre la psychologie, la neuropsychologie et une démarche que je qualifierais de cybernétique, dans la mesure où elle se voulait une sorte d'expérimentation in vitro sur ordinateur pour évaluer ce qu'un concept ou une hypothèse recèle comme potentialité, en évaluer la plausibilité sur le plan computationnel ou en constater le caractère stérile. Cette diversité méthodologique s'inscrivait dans une vision unitaire; ma principale préoccupation était une théorie psychologique des phénomènes langagiers et perceptifs, et chaque type d'expérimentation correspondait au type de problème posé ou palliait les carences d'autres méthodes. J'ai évolué sur bien de plans mais je ne renie pas cette démarche.

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4. Compréhension du langage

Compréhension du langage désigne usuellement en psycholinguistique le domaine de recherches qui porte sur le versant perceptif du langage et non pas le phénomène de compréhension. J'utilise de préférence le terme interprétation [23] pour désigner le mode de traitement computationnel du signal langagier justiciable d'une description en termes d'analyse, transformation, construction, intégration, etc., qui se veut indifférente aux ajustements intersubjectifs et libre de tout recours à la phénoménologie [24] . Ce type de description convient pour les travaux présentés dans cette section; il caractérise encore la majeure partie des recherches psycho- et neurolinguistiques, et il semblait représenter au cours des années 1980 la seule approche scientifique du langage. Ce refus de l'objectivité phénoménologique venait de la conviction que le langage et la cognition sont constitutivement indépendants de la conscience, d'ailleurs il ne semblait y avoir d'autre objectivité que celle à laquelle renvoyaient les concepts de processus et de structures internes. L'insensibilité aux phénomènes est pour un psychologue comme une automutilation thématique. J'ai dÝ réaliser par la suite que cette vision du langage, ´détachée' de la phénoménologie et du cadre intersubjectif, n'est pas tenable; j'ai déjà évoqué l'impossibilité de séparer forme et sens, sens et conscience, et j'y reviendrais plus loin (voir aussi Rosenthal, 1993; Rosenthal & Visetti, 1999, et infra) . D'ailleurs, les contorsions auxquelles on doit se livrer pour expliquer les concepts d' interprétation et d' interprétation conventionnelle illustrent parfaitement la difficulté d'un tel «détachement' .

En effet, qui dit interprétation soulève eo ipso la question de la variation et de l'incommensurabilité d'interprétations individuelles. Tout d'abord il n'existe aucun critère objectif pour dire quelle est l'interprétation adéquate d'un énoncé (Moore & Carling, 1982; Rosenthal & Bisiacchi, 1997) et rien dans la forme de ce dernier n'indique jusqu'où doit aller son interprétation [25] . Et comme le sens du message ne se livre pas de lui-même, on ne peut retenir d'autre critère de sortie dans le cadre d'une description computationnelle que celui d'une interprétation conventionnelle qui, à défaut de satisfaire le sujet ou de s'appuyer sur ses anticipations thématiques, est néanmoins susceptible d'obtenir un minimum d'adhésion de la part des membres d'une communauté linguistique. Une adhésion que l'on peut mesurer, par exemple au moyen d'une épreuve d'appariement phrase- image (image, elle-même, conventionnelle) ou de toute autre épreuve du même ordre.

Mes travaux sur l'interprétation du langage s'inscrivaient dans une démarche interdisciplinaire qui associait les concepts et méthodes de la psycholinguistique, neurolinguistique et linguistique automatique. Je m'étais fixé pour objectif une spécification détaillée et chronologique des traitements qui conduisent à l'interprétation conventionnelle d'un message linguistique. Si rétrospectivement cela prête à sourire, cette orientation a permis de mettre en évidence des discontinuités structurelles dans le déroulement de la compréhension du langage et a permis des distinguer des étapes qualitativement distinctes des traitements (de Fornel & Rosenthal, 1987; Rosenthal, 1988; Rosenthal & Bisiacchi, 1997; Rosenthal & Goldblum, 1989) .

La spécification détaillée et chronologique des traitements qui conduisent à l'interprétation conventionnelle d'un message linguistique revient à définir ce qui doit être fait et dans quel ordre, compte tenu des propriétés de l'entrée ( input ) et de l'objectif recherché. La notion d'ordre est importante, car toute analyse n'est pas possible à n'importe quel stade du traitement et une donnée ou une connaissance n'est utile qu'à partir d'un certain niveau d'élaboration; bref, la réalisation de certaines opérations constitue le préalable pour d'autres. Cette structure hiérarchique se traduit par une séquence temporelle dont on postule la nécessité logique et non pas la simple commodité (Andreewsky & Rosenthal, 1986; Rosenthal, 1988) . Une telle description met d'emblée en relief les discontinuités structurelles (étapes) et le caractère nécessairement graduel de l'interprétation . La pathologie du langage illustre abondamment ce caractère graduel de l'interprétation : tel patient aphasique incapable de répéter des mots ou certaines phrases, et incapable de dire "avec ses mots" de quoi il s'agit, s'avère pourtant capable de désigner correctement, sur un choix multiple, le contexte sémantique global dont il est question. Ce comportement n'a rien d'aberrant ou créé de toute pièce par la pathologie, on peut obtenir le même effet avec un sujet normal à qui on présente un mot ou une phrase d'une façon subliminale [26] . Cet exemple suggère le sens dans lequel évolue l'interprétation au cours du traitement : il ne s'agit pas de traiter pièce par pièce les divers éléments de l'énoncé mais, schématiquement, d'aller du plus général au plus spécifique . Peu importe dans ce contexte de savoir pourquoi l'interprétation du patient aphasique ou du sujet d'une expérience subliminale s'interrompt à une étape donnée, ce qui est important est que dans son évolution l'interprétation se focalise progressivement en passant du plus général au plus spécifique. Cette évolution n'est sÝrement pas imposée par le signal lui-même, elle ne peut qu'être inhérente au traitement interprétatif. Puisque ce n'est pas le signal lui-même qui véhiculerait par exemple le contexte général sémantique auquel appartient le message, l'on ne peut que s'en remettre aux connaissances générales du système qui interprète (Moore & Carling, 1982) . Les recherches utilisant la technique subliminale montrent par ailleurs que le repérage des connaissances relatives au contexte intervient très tôt au cours du traitement (Andreewsky & Rosenthal, 1986; Marcel, 1983) .

Deux étapes qualitativement distinctes des traitements peuvent être distinguées :

1. Une étape de détermination de l'identité lexicale des mots (Rosenthal & Goldblum, 1989) . Ceci comporte la segmentation du signal en entités fonctionnelles de taille lexicale et leur identification comme mots [27] précis de l'inventaire morphémique de la langue (cette étape n'est que grossièrement affectée par le sens, elle concerne essentiellement la catégorisation de la forme du signal et le traitement de sa structure [28] ). Cette catégorisation lexicale constitue le préalable à toute interprétation; elle implique pour essentiel des analyses morpho-syntaxiques qui suffisent à elles seules pour résoudre la quasi-totalité des ambiguïtés de forme (par exemple distinguer les deux occurrences de nuit dans 'La nuit tous les chats sont gris; 'Fumer nuit gravement à la santé').

2. Une étape de structuration référentielle, qui est celle à proprement parler de l'interprétation (de Fornel & Rosenthal, 1987; Rosenthal & Bisiacchi, 1997) . Cette étape marque un changement qualitatif de la nature des traitements qui désormais ne portent plus sur l'identité des formes mais, partant de leurs rapports structuraux, sur le sens de l'énoncé traité. L'étape référentielle comporte toute une série d'opérations qui thématisent, orientent et structurent l'interprétation. On peut dire d'une façon très schématique que cette étape consiste à concilier les anticipations thématiques de l'auditeur/lecteur et ses connaissances générales et spécifiques sur le sujet traité avec les instructions d'interprétation ´placées' par le locuteur/scripteur dans la structure même de son énoncé. Ces instructions sont comme des traces des intentions communicatives du locuteur qu'il s'agit d'analyser en suivant un certain ordre. Ces analyses avaient été classiquement décrites comme purement grammaticales mais on peut aisément mettre en évidence l'implication nécessaire des connaissances générales de l'individu dans le traitement référentiel [29] . La plupart des troubles de compréhension des aphasiques décrits dans la littérature renvoient d'une façon plus ou moins spécifique à un déficit au niveau des opérations référentielles (Hickok & Avrutin, 1995; Mauner, Fromkin, & Cornell, 1993; Rosenthal & Bisiacchi, 1997; Sherman & Schweickert, 1989) . Ces troubles affectent la capacité des patients à structurer et orienter leur interprétation en fonction des instructions référentielles du locuteur et non seulement en fonction de ce qu'ils anticipent ou savent déjà. C'est notamment le cas des patients agrammatiques qui, incapables d'utiliser les indices référentiels relatifs, par exemple, à la structure casuelle des énoncés (pour déterminer qui est l'agent et qui est le bénéficiaire d'une action), interprètent une phrase comme " Le patient soigne le docteur" selon le schéma usuel des rapports médecin-malade, c'est-à-dire que c'est le docteur qui soigne le patient.

Autant il est aisé de préciser que la première étape conduit à la détermination de l'identité lexicale des mots entendus ou lus (et qu'il est par conséquent facile de savoir si le résultat est correct ou non), autant il est impossible de définir le résultat de l'étape référentielle avec une telle précision, pour la raison déjà évoquée plus haut : il n'existe pas de critère objectif de l'interprétation. Nous autres, psychologues ou neurolinguistes, oublions trop souvent que l'évaluation expérimentale ne peut porter que sur une interprétation conventionnelle ou, à défaut, sur certains aspects non controversés de l'interprétation, comme par exemple sur la relation thématique de base (déterminer qui sont le sujet et l'objet de l'action).

Dans ce qui suit, je vais m'appuyer essentiellement sur des travaux neurolinguistiques et sur certaines considérations relatives au traitement automatique du langage naturel, pour expliquer les raisons qui motivent la distinction entre ces deux étapes et pour exposer la théorie qui les sous-tend. Je dois toutefois souligner que mon approche de la neuropsychologie et ma manière d'interpréter les déficits neuropsychologiques et neurolinguistiques diffèrent considérablement de l'approche la plus répandue dans ce domaine et dont la logique repose essentiellement sur les dissociations. Cette approche majoritaire que l'on peut appeler modulariste, cherche à identifier à l'aide d'une représentation schématique ( flowchart models ) de la fonction étudiée (ex. la reconnaissance visuelle des mots) les opérations spécifiques et autonomes (autrement dit, modulaires ) dont l'atteinte serait responsable du déficit observé (Caramazza, 1986; Caramazza & Martin, 1983; Coltheart, 1987b; Shallice, 1988) . L'approche, dont je me suis efforcé de promouvoir le principe [30] , évoque une interruption structurelle du traitement [31] , postulant que la lésion entraîne l'interruption de la structure logique des processus (à savoir l'objectif de certaines opérations intermédiaires n'est pas atteint), des produits intermédiaires insuffisamment ou incorrectement élaborés affectant en cascade toute la suite du traitement et conduisant (à défaut d'une compensation) à des résultats déficients (Rosenthal, 1988; Rosenthal & Bisiacchi, 1997; Semenza, Bisiacchi, & Rosenthal, 1988) . L'objectif n'est pas tant d'identifier des opérations autonomes mais de découvrir la structure logique du traitement et en particulier la chronologie des opérations. Les raisonnements qui suivent s'appuient fortement sur cette approche.

[Continuer]


NOTES

[1] Voir Rosenthal et Visetti (1999) pour une description de l'école de Berlin et de ses rapports avec d'autres courants d'inspiration ´holiste' .

[2] Cette méthode avait pour but d'étudier les ´précurseurs' perceptifs ou cognitifs des gestalten finales. Elle consistait, par exemple, en la présentation successive de stimuli très brefs (en allongeant graduellement les temps de présentation), et/ou de stimuli présentés dans des conditions d'éclairage déficientes et progressivement améliorées. A partir de ce que les sujets disaient avoir senti ou perçu dans ces conditions (inhabituelles, marginales, ou extrêmes), on déterminait la structure micro-temporelle de l'activité perceptive, cognitive, ou sémantique, telle qu'elle doit se déployer dans des conditions normales.

[3] La catégorisation fait de la dynamique de l'organisation perceptive bien autre chose qu'une simple unitarisation ou segmentation du champ : elle introduit la dimension de l'identité à travers les variations ou fluctuations de la présentation (un chien, quel qu'il soit, est et reste un chien à travers la multiplicité des apparitions de chiens, il a toujours en lui toute la ´chienneté' qui caractérise son appartenance catégorielle, et fait de lui la cible d'une visée qui reste identique). A. Gurwitsch, notamment, le soulignait, en cherchant à concilier les théories de la Gestalt avec la théorie husserlienne du noème perceptif (Gurwitsch, 1957) . C'est là disait-il que réside le sens fondamental de la perception. C'est là aussi que se joue la possibilité d'identifier deux unités prises chacune dans un champ différent, c'est-à-dire de poser a = b, et ce faisant, d'accomplir une des transitions élémentaires nécessaires au raisonnement.

[4] La neuropsychologie est un exemple intéressant du terrain abandonné par les gestaltistes berlinois. Wertheimer a conduit plusieurs études neuropsychologiques (à Vienne et à Prague) avant la formulation des premiers postulats de ce qui allait devenir la Gestalttheorie . L'examen d'un patient qui percevait un objet en mouvement comme plusieurs objets n'était pas étranger à l'idée des premières expériences sur le mouvement apparent qui ont été à l'origine de sa Gestalttheorie . Cette dernière a immédiatement trouvé un écho favorable auprès de neurologues (Goldstein, Fuchs) ou neuropsychologues (Gelb) qui n'ont pas ménagé leur peine pour apporter leur contribution neuropsychologique à la nouvelle théorie. Et pourtant, comme Goldstein allait l'écrire plus tard avec quelque dépit, le trio fondateur de la Gestalt n'a pas voulu s'investir dans les recherches neuropsychologiques. Pour les psychologues de la microgenèse, la neuropsychologie constituait au contraire le terrain de recherche privilégié.

[5] Werner qualifie son approche d'organique par opposition à une psychologie mécaniste qu'il combat avec vigueur (Werner, 1957; Werner & Kaplan, 1963) .

[6] L'organisme est immergé dans son champ vital ou son Umwelt pour citer le concept du célèbre biologiste Jacob von Uexküll dont Werner s'inspire.

[7] Ou en termes d'aujourd'hui : computationnel, logique, symbolique.

[8] Cette méthode, soit dit en passant, est à l'origine de plusieurs techniques «modernes' telles les présentations tachistoscopiques subliminales, les présentations masquées, l'amorçage sémantique ou morphologique,..

[9] Ainsi par exemple la détermination de l'empan mnésique à 7 ± 2 éléments n'est pas due à George Miller (´The Magical Number Seven...' ) mais à Jevons qui en fit la démonstration en 1871. Le travail de Jevons est longuement discuté par Woodworth (1938) dans son manuel qu'aucun étudiant de psychologie des années 1940- 1950 ne pouvait ignorer. Mais il est vrai que dans les années 1950 on voulait recommencer à zéro. De la même manière, ce n'est pas Tulving qui a mis en évidence l'organisation subjective des items en mémoire (Tulving, 1962) . L'organisation subjective des items en mémoire avait été décrite par von Restorff et Kˆhler dans les années 1930. Les travaux de von Restorff ont eu un grand retentissement (et même aujourd'hui tout spécialiste de la mémoire connaît l'effet von Restorff) et Kˆhler les discute notamment dans Dynamics in Psychology (Kˆhler, 1940) . Ces mêmes auteurs ont d'ailleurs mis en évidence un ensemble de phénomènes d'organisation en mémoire.

[10] Amnésie n'est peut-être pas le meilleur qualificatif. Ce qui distingue le concept d'amnésie de celui, étymologiquement apparenté, d'amnistie, c'est que le premier évoque un oubli involontaire alors que le second, un oubli volontaire et un pardon. Et c'est ainsi que périodiquement on se pardonne le bilan actuel en se promettant d'agir désormais autrement, et l'on oublie ce dont on se sent coupable.

[11] Il faut souligner ici que la notion du réel est phénoménologique, c'est une notion liée intrinsèquement à l'état de l'être vivant qui découpe son monde d'une façon propre à son espèce. La notion du réel n'existe pas dans le monde physique indépendant des êtres qui l'habitent. Le monde physique et le monde réel ne sont pas davantage antagonistes : le découpage du monde auquel procède une espèce vivante, et notamment l'homme, est forcément viable, sinon cette espèce ne survivrait pas. Mais cela n'empêche pas la possibilité de découpages alternatifs qui seraient non moins viables.

[12] Cette séparation de la forme et du sens rappelle le formalisme de la scolastique médiévale où l'on soulignait par exemple que la bonté ne revêt pas nécessairement une apparence avantageuse et agréable ou que le mal personnifié par le diable ne prend pas nécessairement une forme hideuse, au contraire la ruse satanique consiste à revêtir une belle apparence. On trouvait dans les ouvrages du 19 èmesiècle destinés à former les futures mères l'injonction de ne pas oublier le moment venu d'avertir le fils que la bonté ne se confond pas avec la beauté.

[13] La vision microgénétique est d'ailleurs patente dans l'úuvre de René Thom dont on souligne souvent l'inscription dans la lignée gestaltiste (cf. Rosenthal & Visetti, 1999) .

[14] Un exemple de ces discontinuités dans la modalité visuelle est présenté dans le chapitre concernant les processus perceptifs de la lecture. Schématiquement, il s'agit par exemple de l'observation que ce ne sont pas les mêmes propriétés de l'objet stimulus auxquelles sont sensibles les récepteurs qui interviennent aux différentes phases du traitement, ce qui donne lieu à des incompatibilités de format entre ces différentes phases.

[15] Je reviendrai dans les chapitres suivants sur le rôle de la catégorisation.

[16] Marcel (1993) a montré que si l'on introduit trois modes de réponses censés être équivalents (cligner des yeux, appuyer sur un bouton, ou répondre verbalement), les sujets à qui l'on demande s'ils détectent une lumière ou un changement d'intensité lumineuse à tel moment précis, ne donnent pas les mêmes réponses suivant le mode utilisé (même lorsqu'on exige simultanément les trois modes!). En somme, ces trois modes qu'une approche fonctionnaliste aurait traités comme des variantes purement conventionnelles, des ´synonymes' stricts du même type fonctionnel, s'avèrent exprimer des modes différents d'engagement du sujet vis-à-vis de sa propre expérience.

[17] Cette subsidiarité du champ de la conscience a donné lieu a plusieurs élaborations théoriques dont celles de Polanyi (Polanyi, 1962; Polanyi, 1965) et de Gurwitsch (1957) semblent les plus articulées.

[18] Dans Sens et temps de la Gestalt (Rosenthal & Visetti, 1999) . Nous y avons d'ailleurs souligné l'étrange absence en psychologie des problématiques et des concepts hérités de la Gestalt, alors qu'ils sont si présents ailleurs (modélisation, théories mathématiques du champ visuel, sciences du langage, neurosciences cognitives, théories de morphogenèse,..), parfois même à la pointe des recherches dans des disciplines que la psychologie prend souvent pour modèle.

[19] Ces unités ne se limitent pas aux objets, ils incluent les formes dynamiques dans toutes les dimensions et modalités : actions, événements, effets, accords sonores, odeurs, sensations somesthésiques, qualités tactiles, ... (voir aussi Dubois, 2000) .

[20] Ce qui conduit à évoquer une pratique interprétative et donne à l'organisation du champ une dimension herméneutique.

[21] Ceci vaut pour les autres sciences qui ne s'embarrassent pas davantage d'hypothèses auxiliaires. Toutefois, plus le nombre de ces hypothèses augmente plus leur utilisation non critique pose problème.

[22] Je n'invente rien. Wilhelm Fuchs a réalisé cette expérience en 1920 avec des patients blessés à la tête. Il n'a pas utilisé pour cela des contours subjectifs de Kanizsa mais d'autres formes. Marcel (1998) a utilisé des contours de Kanizsa avec deux patients atteints de ´blindsight' et obtenu le même résultat.

[23] Ce qui n'est pas sans inconvénient car le terme interprétation peut évoquer les pratiques interprétatives, c'est-à-dire l'herméneutique c'est qui n'est pas le cas ici. Dans cette partie du texte interprétation renvoie à un ersatz culturel, susceptible d'une homologation par des moyens empiriques, désigné ci-dessous comme interprétation conventionnelle .

[24] Dans le présent contexte phénoménologie renvoie tout simplement à l'étude de notre expérience immédiate, et non pas à la technique philosophique initiée par Husserl.

[25] Interpretive elaboration appears [...] as a gradual process, evolving from a relatively shallow global perception of what is being talked about to a fine-grained exploration of all referential indices, thus leading to the conventional interpretation of a speaker's communicative intent and presumably beyond. How far interpretation may go depends on a variety of individual and contextual factors which do not concern us here. The point is that in the course of language comprehension, interpretation gradually gets more and more elaborate, building increasingly on additional referential leads, i.e. moves over different in-depth levels of fineness.
There are three important implications to this view. First, interpretation need not be very elaborate in order to meet certain communicative requirements (see Moore & Carling, 1982) . In fact, certain early referential operations (e.g. determination of verb-argument structure, assignment of main thematic roles) provide a basis for relatively coarse-grained shallow interpretation which may suffice in various interpretive contexts. The second implication is that we ought to be more specific with respect to the levels of interpretation we are probing in aphasiological studies of language comprehension. [...] consider that in studies of agrammatism it is usually the patient's ability to assign thematic roles which constitutes the critical test of his comprehension. But does a correct match of thematic roles really constitute an adequate metrics of sentence understanding? [...]

This leads us to the third implication : interpretation [...] also depends on the comprehender's appreciation of the interpretive requirements obtaining in a given communicative context. One may fail to properly appreciate these interpretive requirements and either keep on elaborating beyond what is contextually necessary or else suspend referential analysis prematurely. Filmmakers often use such misconstruals to create comic situations. (in Rosenthal & Bisiacchi, 1997, p. 560)

[26] C'est-à-dire une présentation très brève qui ne permet pas au sujet d'identifier le stimulus mais qui affecte néanmoins son comportement.

[27] La segmentation est particulièrement critique pour la parole, elle l'est moins pour l'écrit (quoique ceci dépende des langues et des types d'écriture), mais dans tous les cas se pose le problème de l'identification lexicale.

[28] Ce qui n'empêche pas dans les conditions normales que des effets d'anticipation sémantique ou plus généralement du contexte sémantique influencent ces traitements de forme. Ainsi, par exemple, le temps nécessaire pour identifier un mot est légèrement plus court si ce mot est précédé par un autre qui lui est sémantiquement proche. Mais l'existence de ces effets de contexte sémantique ne change pas la nécessité pour le système perceptif du langage de pouvoir identifier un mot avec comme seul moyen d'analyse le traitement de la forme du signal.

[29] Dans les exemples suivants tirés de Rosenthal et de Fornel (1985)  :
'Le camion a heurté le piéton. On l'a entendu hurler.'

'Le camion a heurté le piéton. On l'a entendu freiner.'

il est impossible de déterminer le référent de chaque l' sur la base purement syntaxique. Seules nos connaissances du monde nous permettent de conclure que c'est le piéton qui hurle et le camion qui freine.

[30] Avec peu de succès.

[31] Cette idée d'interruption du traitement préfigurait celle microgénétique d'interruption du développement. Les neurologues Bouman et Grünbaum, qui furent des précurseurs de l'approche microgénétique, ont ainsi décrit les changements pathologiques intervenus chez le patient aphasique : ´an arrest at an earlier stage of development of a mental process, which normally proceeds in the direction from amorphous total reactions toward differentiated and definite forms' (cité dans Werner, 1956) .


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©  décembre 2001 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : ROSENTHAL, Victor. Approche microgénétique du langage et de la perception. Texto ! décembre 2001 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Rosenthal/Rosenthal_Micro1.html>. (Consultée le ...).