Mézaille : ÉTUDIER LES TEXTES LITTÉRAIRES NUMÉRIQUES


Chapitre 3 : Parcours dans la poésie rimbaldienne
Ou comment accéder à des données grammaticales (la subordonnée relative)
à travers le corpus numérisé d'un auteur, pour le cours de français ?

Y aurait-il quelque incompatibilité à vouloir aborder le sens des textes de Rimbaud en s'aidant de l'outil informatique ? Nous pensons pour notre part que le concept d'un « antihumanisme technologique » opposant le monde de la communication à l'univers littéraire artistique, clivage d'autant plus exacerbé que l'objet d'étude est le corpus d'un auteur qui passe pour le prototype du poète Révolté, est une idée de nature romantique, par rapport à laquelle notre étude n’a pas à se définir. Une fois cette question d'idéologie écartée, abordons sereinement celle de la méthode.

Les textes électroniques occupent aujourd’hui une place non négligeable dans le champ des études littéraires, en permettant, par exemple, des localisations quasi immédiates dans une œuvre donnée, grâce aux fonctions de recherche et de mémoire qui sont les atouts les plus visibles de l’outil informatique. Si bien que les interrogations de banques de données se sont démocratisées, jusque dans le milieu enseignant où les cours de littérature, voire de grammaire, peuvent s’appuyer sur elles avec profit. L’étude que nous proposons s’inscrit dans ce cadre, en voulant illustrer une utilisation possible du logiciel Hyperbase d’Etienne Brunet, restreint ici au corpus d’un auteur, dans le cadre d’une Analyse Thématique des textes d’une œuvre poétique Assistée par Ordinateur (ATAO).

Dans la mesure où le gigantisme de la Base est a priori déroutant, par le flot d’informations, qui submerge aussi bien le professeur que l’élève, sa gageure didactique consiste à restreindre l’usage du logiciel pour que les résultats qu’il fournit trouvent une utilisation pratique et concrète en classe. Car il s’agit bien d’orienter l’exploration des lycéens dans les limites d’un exercice donné, afin qu'ils puissent comprendre ce que l’on avait espéré, préalablement, qu'ils comprennent. Voilà pourquoi l’autre restriction – outre celle du seul corpus Rimbaud – est ici celle d’une question traditionnelle de grammaire, mais rendue inséparable du texte littéraire dont elle extrait ses exemples.

Poursuivons sur la visée théorique. L’entrée dans la base s’effectue par le choix d’un signe, lequel prend ici la dimension d’une proposition, subordonnée relative (cf. ailleurs le volet concernant la conjonctive pascalienne). Voilà en quoi la recherche pose un problème d’ordre sémiotique : l’unité de la structure syntaxique, son identité à soi, cache difficilement son altérité sémantique, telle qu’elle est appréhendée une fois resituée dans son contexte.

Or par ses multiples fonctions, le logiciel ne fournit pas seulement chacun de ces segments textuels, de façon exhaustive ; il favorise notamment la comparaison immédiate de résultats, concernant par exemple les spécificités lexico-grammaticales pour un corpus donné, dont l’enseignant de Lettres peut tirer profit, une fois vaincues les réticences qu’il pourrait avoir à faire appel à un outil symbolisant technicité et scientificité.  


Le contenu de la proposition relative

On pourrait concevoir de prendre un plaisir (retors) aux produits endoxaux de la culture de masse, pourvu qu’au sortir d’un bain de cette culture, on vous tendît à chaque fois un peu de discours détergent. Roland Barthes par Roland Barthes (article ‘Méduse’ – emblème de la doxa)

Passons maintenant à l’utilisation possible de Hyperbase dans le cadre d’une étude d’œuvre poétique. Elle aide à la construction thématique du contenu de la subordonnée relative au sein du corpus rimbaldien. Quant à son versant pédagogique, il a consisté, dans le cadre du programme BATELIER – visant à favoriser l’accès des collégiens et lycéens à des bases textuelles –, à soumettre aux élèves des fragments de textes où apparaissent toutes les occurrences d’une proposition, telles que les fournit le logiciel selon un tri mécanique. Il revient alors à la classe, à l’oral d’abord, de passer du stade de l’observation de ces résultats (niveau du signifiant) à une compréhension des différents contextes conduisant à l’élaboration de divers parcours interprétatifs (niveau du signifié).

On devine un objectif didactique : conférer une cohérence à une série de fragments, et, au-delà, fournir une vue globale du contenu des poèmes abordés à partir d’une entrée grammaticale. Son choix peut paraître arbitraire au premier abord mais se révèle motivé par les relations sémantiques qu’ont induit les contenus contextuels de cette unité syntaxique.

PASSATION DE L'ÉPREUVE

Elle s’est effectuée auprès d’une classe de Seconde. Les documents d’étude ont donné lieu à un débat collectif, concernant

- d’abord la mise à l’écart de relatives qui fausseraient la problématique (cf. ci-dessous). Ce doute sur leur nature a ceci d’intéressant qu’il évite de se contenter du tri mécanique fourni d’emblée par le logiciel ;

- ensuite l’essentiel, c’est-à-dire l’influence du sens contextuel sur le statut des relatives ; l’élève constate alors que l’étiquette grammaticale ne peut être affichée qu’après interprétation du contenu. Cette opération, réputée littéraire, préside à la distinction.

Dans un dernier temps, pour donner l’alternance à cette phase interprétative, intervient la production par l’élève lui-même de phrases complexes intégrant des relatives (pouvant être mutuellement comparées, une fois qu’elles sont intégrées à Hyperbase), lesquelles pourront appartenir à des textes de caractère poétique, selon l’exemple fourni par le corpus.

METHODE

Au centre des préoccupations, un grammème, le pronom qui, introducteur des subordonnées, avec antécédent. Au lieu de la version intégrale du corpus Rimbaud qui aurait été excessive avec ses 365 occ. du pronom qui, on présente ici les 130 occurrences en contexte de la sous-base EXEMPLE.2 (de Hyperbase), qui contraste le poète sur quatre autres auteurs du XIXe.

Par ailleurs, on a pu mesurer la variabilité des chiffres, et donc le peu de significativité des fréquences absolues, en interrogeant un logiciel comme l’Encyclopédie de la Littérature Française (Cd-Rom Bibliopolis, 1999) dont le corpus Rimbaud contient 214 occ. du pronom.

Si l’on a fourni ces données sur support papier, on a montré toutefois comment elles résultent de l’activation de la commande concordance tri contexte gauche du logiciel, laquelle fait apparaître les relatives en fonction de leur antécédent, classé par ordre alphabétique. L’utilité que cela présente dans le repérage de régularités lexico-grammaticales a pour contrepartie une nuisance due à la perte de cohésion sémantique entre relatives, puisque le critère de leur rapprochement n’est plus le poème qui pourrait les englober. Pour y remédier et obtenir les occurrences du pronom dans un plus large contexte, on a activé la commande cherche, ‘qui’.

Dans un second temps, l’élève a été amené à qualifier la quantité conséquente obtenue. Il s’agit alors de repérer au moins dix relatives déterminatives et dix relatives explicatives, selon l’opposition étudiée préalablement en cours de français, le manuel de référence classique étant la Syntaxe de Béchade, réputée pour son indifférence aux théories linguistiques :

Compléments au dossier de cette dichotomie :

Mais revenons au corpus Rimbaud. Pour y limiter l’abondance des données, exit parmi les 130 occurrences les « fausses relatives » :

Bref, cette série d’éliminations – comme on élimine un « bruit » dans un tri statistique – veut éviter d’obscurcir la nature des subordonnées déterminatives, de sorte que ne sont retenues que celles qui ne sont pas mécaniquement reliées à un élément de la principale. La force de leur liaison s’appréhende alors d’un point de vue purement sémantique. De même que, concernant les explicatives, seront exclues du relevé celles qui sont juxtaposées après une virgule (plus d’une vingtaine) ou un tiret, car la ponctuation constitue un signe trop distinctif : la faiblesse du lien des relatives devient alors trop simplement matérialisée par de telles marques (encore que cela ne soit pas systématique : dans "Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ; qui dans le bercement des hosannah s’endort", la principale à tournure présentative requiert au moins l’une des deux relatives pour qualifier l’antécédent, si bien qu’elles sont déterminatives en dépit de la ponctuation qui les précède ; cf. encore "le bleu regard, qui ment" ci-dessus).

Théoriquement, ces deux types de rejets s’inscrivent dans l’optique du « refus de l’objectivisme » et du « critère de l’évidence », lequel illustre « un point de vue non critique » ; ils traduisent l’abandon de ces caractéristiques positivistes (cf. Rastier, 1996 : 37, 1998 : 99-100), et plaident inversement pour la voie herméneutique.

Face aux données restantes, l’activation successive des commandes concordance et contexte est requise pour décider du statut « nécessaire vs contingent » de la subordonnée relative par rapport à la principale. La proposition se trouve alors resituée dans un segment textuel plus global, lequel lui confère son sens. L’exercice met aussitôt à l’épreuve la faculté de synthèse de l’élève : comment va-t-il gérer la multiplicité des données contextuelles et les utiliser autour d’un point syntaxique précis ?

Soient, finalement enregistrés par la commande notes du fichier extrait.txt (que l’on consulte par la commande Edition) :

Ainsi en dépit de la disparité du contenu des différents contextes et actants, les énoncés suivants extraits du poème Soleil et Chair sont indexés à l’isotopie religieuse  :

Si, plus loin, l’on retrouve des éléments thématiques communs avec "C’est la nymphe qui rêve, un coude sur son vase", la tournure présentative oblige ici à les mettre à l’écart en vertu de la restriction d’ordre grammatical, décidée a priori, laquelle, on le voit déjà, va à l’encontre de l’unité sémantique contextuelle.

On note que l’antécédent divin est insuffisamment qualifié dans la principale, pour que tous deux puissent se passer de la relative consécutive. Ils seront rapprochés du quatrain suivant indexé à la même isotopie religieuse  :

ainsi que du sizain extrait du même poème Les Premières Communions :

Les relatives sont déterminatives car d’une part il s’agit uniquement d’un type de garçons précis, d’autre part l’arrêt de la phrase sur "chastes bleuités" serait trop imprécis et couperait le lien étroit qui unit ce syntagme à ‘célestes’. L’article défini notoire le rêve, les garçons est proche dans ces contextes de la valeur du démonstratif dont on parlait ci-dessus ; de tels groupes nominaux requièrent un complément qui se trouve être une proposition, apparaissant ainsi comme nécessaire à la complétude du sens.

Toutefois, elles sont moins obligatoires encore que dans l’alexandrin "Si les temps revenaient, les temps QUI sont venus !" (selon l’optimisme prophétique de Soleil et Chair paraphrasé par "Ressuscitera") où l’antécédent, en cas de retrait de la relative, serait absurdement répété. Il en va de même à propos des Mains de Jeanne-Marie, lesquelles sont " Des mains QUI ne font jamais mal " (banalité qui cache la pureté du martyr populaire : "ô Mains sacrées" dans "Paris insurgé !" Toutefois l’allusion au fait historique de la répression versaillaise contre les communards n’est qu’un complément au sens du poème) ; le retrait de la relative aboutirait à une tautologie inepte, du type ses mains sont des mains.

Ajoutons que le contexte érotique et profanateur par le rapprochement de ‘vêpres chantantes’ vs ‘effroyables chansons’ ainsi que de ‘impudiques’ vs ‘chastes’ ou ‘Dieux’ vs ‘baisaient la Nymphe’ présente en outre une forte similitude avec le dernier vers de A la Musique  : "Et je sens les baisers QUI me viennent aux lèvres…", lequel sensualise le décor honni du square où se produit un orchestre.

Le poète ira plus loin encore dans la païenne Vénus Anadyomène où l’idéalisme de la mythologie est mis à mal par le sordide et le grotesque des "déficits" corporels (cf. la chute : "Belle hideusement d’un ulcère à l’anus"), parmi lesquels "je remarque […] les larges omoplates QUI saillent, le dos court QUI rentre et QUI ressort" ; or il s’agit ici de trois relatives explicatives, à la différence de la déterminative détaillant Mes Petites Amoureuses, telles que les interpelle le poète :

L’homonyme vautour sous-jacent (convoqué par les sèmes communs /déplacement circulaire/ et /monde céleste/) converge vers la dépréciation satirique de l’étoile dans le ciel de l’amour ; plus ridicule en ressort la chute du spirituel au corporel.

On constate ainsi que des contextes thématiquement très proches (sinon un même poème) peuvent librement entremêler les deux types de relatives, si bien que leur distinguo constitue un artifice grammatical, peu compatible avec la visée interprétative qui s’attache en premier lieu au(x) thème(s) du contexte considéré. Ce constat et cette conclusion seront confirmés bien des fois au cours du relevé.

A l’anti-conformisme poétique qui a transparu de la dérision et de la vulgarité s’oppose la banalité évidente de la norme, formulée par la relative, notamment dans cet alexandrin extrait du Forgeron : "Ecoutant le devoir comme un clairon QUI sonne". Soit un bruit inhérent à l’instrument, comme l’est l’épanchement au liquide dans Les Reparties de Nina : "J’irais, pressant ton corps, comme une enfant qu’on couche, ivre du sang QUI coule, bleu, sous ta peau blanche". C’est dans ce poème que l’on relève encore "les lippes QUI happent", "les pipes QUI fument", "le feu QUI claire", dans le contexte de la description des activités rurales stéréotypées ; le verbe au présent itératif-duratif donne une qualité nécessaire à l’antécédent (en fonction d’un vraisemblable socialisé).

Ces clichés sont en revanche contredits par l’autodérision de l’auteur dans Le Bateau ivre :

La chute retardée est oxymorique par l’irrespect de ‘morves’ face à la tradition poétique de l’azur. Elle est emblématique du pastiche au second degré des parnassiens qu’ont voulu voir des critiques (Etiemble, Le Mythe de Rimbaud) dans ce célèbre poème.

A la bizarrerie des comparants il convient d’opposer leur disposition tactique régulière : sont ainsi entrelacées les isotopies génériques /monde céleste/ (‘ciel’, ‘soleil’, ‘azur’) et /monde terrestre/ (‘mur’, ‘lichens’), situées sur l’axe de la verticalité, chacune étant déterminée par l’isotopie spécifique /matière visqueuse et baveuse/ (‘confiture’, ‘morves’), dans un processus de liquéfaction, réitérée dans l’injonction de Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs : "Sers-nous […] Des ragoûts de lys sirupeux". Choc des extrêmes, où la matérialité bafoue la spiritualité dans un geste de transgression typique de l’univers rimbaldien.

Comme la première, la seconde relative paraît alors nécessaire à son antécédent pour lever l’étrangeté du comparant isolé (le ciel est comme un mur) du fait qu'elle donne une cohésion au comparant isolé (ainsi au 'mur' répond le 'lichen' qu'il 'porte') ; elle se trouve justifiée et comme rendue nécessaire par son rôle constructif, en dépit de la destruction du monde factuel.

On aura remarqué que ce poème – parmi d’autres – noie le lecteur dans les « sens figurés », à tel point que l’isotopie comparée /monde céleste/ ne peut être identifiée au « sens littéral » si on la replace dans la globalité du poème, puisque dans une strophe précédente elle sert de comparant à /navigation/, elle-même en connexion métaphorique avec /écriture/ (comme dans Salut de Mallarmé) : "je me suis baigné dans le Poème de la Mer, infusé d’astres, et lactescent, dévorant les azurs verts".

Comprendre le sens du texte implique donc des parcours interprétatifs qui débordent le cadre trop limité du contenu de la seule relative, laquelle n’est qu’une unité de point de départ. C’est l’un des constats, minimal, voire un truisme, que l’on émet régulièrement en classe, mais fondamental dans la mesure où il fait sortir les données grammaticales et rhétoriques du ghetto formel où les confine le cloisonnement disciplinaire.

Sur le même thème alimentaire et matérialisant, il convient de citer une relative explicative, où l’astre rompt de nouveau avec la péjoration de l’un de ces vils Accroupissements (éponymes) évoqué dans la principale : "il s’est accroupi, frileux, […] grelottant au clair soleil QUI plaque des jaunes de brioche aux vitres de papier".

L’autodérision s’allie à l’exotisme pour signifier la fluidité de l’écriture, dans un jeu chromatique toujours prédominant : "Ta Rime sourdra, rose ou blanche, […] Comme un caoutchouc QUI s’épanche !", cela dans l’un de ces "noirs poèmes", ici consacré aux Fleurs. Il s’agit bien d’une déterminative car, d’un point de vue sémantique, ‘s’épanche’ est au caoutchouc ce que ‘sourdra’ est à la rime : ce processus de surgissement est rendu nécessaire à l’antécédent par le biais du comparé (isotopie /écriture/), les isotopies /inchoatif/ + /expansion liquide/ assurant la connexion métaphorique.

Quant au domaine //alimentation//, dont on a vu le versant sucré et terre-à-terre avec les comparants confiture-brioche, si antinomique de la supposée ivresse poétique, il se laisse contraster en

On observera que le subjonctif optatif – motivé par le souhait dans la principale – a pour effet de souder la relative qui le contient avec l’antécédent.

Dans ce quatrain, où le lieu de refuge est éponyme du poème, la concordance intertextuelle avec les deux derniers vers de Ma Bohème est frappante et donc requise : "déchiré mes bottines" ici renvoie à "mes souliers blessés, un pied contre mon cœur" là, réitérant la paire d’isotopies entrelacées /vagabondage/ + /poésie/ relevée naguère par F. Rastier (1987: 138-9). Ou encore le cabaret répond à "Mon auberge était à la Grande-Ourse" : dans les deux cas, il s’agit de lieux affectifs, clos ici, ouvert là, où la nourriture, même frugale, qu’elle soit solide (cf. ‘tartine’ et ‘jambon’) ou liquide avec le "vin de vigueur" dans Ma Bohème, constitue un moyen de secours.

En revanche, dans Au Cabaret-Vert l’absence de comparaison stellaire et de thématique du rêve le cède à une matérialité plus pesante voire franchement charnelle (le contexte est en effet celui de "la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs, celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure !" ; quant au céleste, il détermine l’alimentaire, avec ce "rayon de soleil arriéré" qui dore la chope remplie).

Effarés, tel est le titre du poème, "cinq petits", en hiver, situés "Au grand soupirail QUI s’allume, […] Regardent le boulanger faire le lourd pain blond […] Ils voient le fort bras blanc QUI tourne la pâte grise".

Une tendance, plus qu’une règle, se manifeste : comme on l’a entrevu supra, il suffit que l’antécédent soit déterminé par l’article défini et complément d’un verbe (ici de vision), pour que la relative acquière une valeur de déterminative.

Le travail du forgeron emporte la même adhésion : " on irait, au fourneau QUI s’allume, chanter joyeusement ", et comporte la même valeur : en effet si cet éclairage est plus essentiel que le précédent, dans la mesure où il déclenche l’entrain (soit une causalité renforçant le lien entre la subordonnée et la principale), dans les trois cas il s’agit exclusivement de ce bras, ce fourneau, ce soupirail, tels qu’ils sont caractérisés.

On retrouve cette douceur aux niveaux végétal et fluviatile, lors de l’évocation d’Ophélie, cette autre "enfant" triste, morte prématurément, à blancheur fantomatique :

La précision 'qui dort' paraît essentielle à l'antécédent relativement à son antonyme 'éveille'. L'unité sémantique se renforce par la paire sémique /locatif/ + /liquidité/ inhérente aussi bien à 'au(l)ne' qu'à 'nénuphar' et 'flotte'. Mais l’enjeu de son contenu réside dans le tragique merveilleux du Roi des Aulnes qu’il suscite. Si ce thème romantique est sous-jacent à ‘froissés’ et ‘frisson’ (unis par paronymie), il est masqué par l’isotopie dominante /paysage angélique/, laquelle indexe les relatives de cet extrait.

Soit un calme et une tendresse a priori antinomiques de la violence récurrente (abstraction faite du résultat funèbre) :

"Je connais des vieilles QUI s’en vont pleurant sous leurs bonnets parce qu’on leur a pris leur garçon ou leur fille" est un segment textuel extrait du Forgeron, dont la tristesse du sort n’est guère éloignée de : "Effaré comme un vieux QUI mangerait sa prise" et "secouant son escabeau QUI boite" dans de sordides Accroupissements. D’autres déterminatives se complaisent à souligner cette dégradation d’abord physique.

Ainsi Les Premières Communions est un poème où le gai contexte érotique et profanateur (récurrent dans les extraits analysés) fait localement place à celui de la souffrance : il y est question de "la nuit forte où le cœur QUI saigne écoule sans témoin sa révolte sans cris". L’isotopie /épanchement/ inhérente à ‘saigne’ et ‘coule’ suffit à souder ces deux verbes appartenant à des propositions distinctes. Poursuivons sur l’organique :

On constate de nouveau dans ce quatrain extrait de L’Orgie parisienne que le subjonctif de ‘crie’ – ici motivé par la crainte – a le même effet de soudure que précédemment. Mais l’évocation de tels détails dysphoriques de l’anatomie féminine, que l’on retrouve plus loin dans le même poème avec les "seins gros de batailles" de "la putain Paris", rimant avec "entrailles", n’est pas limitée au ton lyrique, classiquement associé au sérieux. Si le cri en question est celui de la Révolte devant la souffrance (cf. supra "Je suis celui qui souffre et qui s’est révolté !"), sa complaisance dans le sordide et le vulgaire est une façon de tourner en dérision le sort de l’humanité et de remonter à l’absurde, métaphysique, au-delà de la contingence de la circonstance historique qui donna lieu à ce poème (apostrophe lancée par Rimbaud aux conservateurs – orgiaques – revenus à Paris après la revanche des Versaillais sur les Communards).

Le poète sait être plus innocemment ludique, notamment dans ces quatrains détaillant l’injonction générique "Dis les exotiques récoltes !" qu’il se lance ironiquement à lui-même, comme un défi à l’inspiration :

Les relatives ont un statut de déterminatives en raison non seulement de la corrélation "des… qui…", indéfini à valeur démonstrative (de ces… qui…), mais aussi du fait que le subjonctif optatif dans la subordonnée répond à l’impératif de la principale. Dans ce contexte de "Trouve…", réitéré en anaphore, elles constituent le point d’orgue de la trouvaille poétique, celle de la fameuse alchimie du verbe que cultivait Rimbaud et qui consiste ici en caractérisations étranges. Si bien que la présence sous-jacente de l’isotopie /écriture/ rapporte l’ailleurs exotique à la quête de la création originale.

Le sens de ces quatre déterminatives est d’autant plus intéressant à étudier qu’en étant réparti dans les quatrains consécutifs il participe à la cohésion globale du poème. Chacune des quatre propositions respectives recèle un effet de surprise :

a. La plus normale est sans doute la personnification du bois,  rendue acceptable par le sème /quiétude/ (‘dort’). Cette relative fait exception en n’étant pas conclue par un point d’exclamation mais relancée par une relative de lieu, ce qui confirme le parallélisme lexico-syntaxique avec "Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson" (supra), lequel induit la réécriture de ‘s’échappe’ en ‘bavent’. Cela constitue un indice permettant d’établir la proximité thématique entre deux poèmes aussi distincts que celui-ci et la pure Ophélie.

b. Son corollaire final est la personnification anatomique (de ‘ovaires’ /organe sexuel/ à ‘amygdales’ /organe buccal/) de l’étrange matière florale quasi minérale (cf. ‘filons’ de ‘gemme-’, "fleurs presque pierres" à "pommades d’or" et "pubescences d’argent"). Le poète avait prévenu : il s’agit de "prés fous".

c. La métaphore de la chaise pour la fleur est, elle, rendue acceptable par le thème du filage et du tissage dans un processus de réification, de dessiccation.

d. Enfin, la cuisson des ‘œufs de feu’ rapporte la couleur et la forme du comparé /botanique/ au comparant /cuisine/, le dégagement de chaleur décuplant ‘les essences’. Leur majuscule valorisante est ironique dans la mesure où on lisait quelques vers auparavant la dépréciation :

La proximité de ‘bavures’ et ‘œufs frits’ favorise le rapprochement entre ‘bavent des pommades d’or’ et la cuisson des ‘œufs de feu’. Une telle désacralisation renvoie à celle des "lys sirupeux " supra – de la même veine que les ‘glucoses’, ‘crachats sucrés’ (ibid.) et autres ‘confitures’ –, contrairement au "grand lys" d’Ophélia, symbolisant peut-être la poésie surannée, mais telle que semble encore la respecter le jeune Rimbaud dans une première période d’imitation parnassienne. Ce n’est plus le cas dans notre poème floral « exotique », où, dès le début, l’écœurement se manifeste par l’intrication des isotopies /écriture/ et /provocation/ : cf. par exemple "Le Lys boira les bleus dégoûts Dans tes Proses religieuses!"

La cohésion textuelle du poème est manifeste par la relation de la cuisson avec les "yeux de braises" (sèmes /brillant/ + /intensité/), et de l’or des calices avec la blondeur des "durs ovaires" ou "l’argent des pubescences", clarté précieuse qui contraste nettement avec "les cheveux sombres" ou les "noirs filons", ayant eux aussi une dureté contradictoire de la douceur onctueuse du filandreux. Sans doute cela est-t-il à rapporter au style antinomiste du poète qui agrémente la thématique sans parvenir à détruire sa continuité. Révélatrices à ce sujet sont les oxymores de ‘mufles-bavent-buffles’ /violence animale/ vs ‘pommades’ /douceur végétale/, ou de ‘chardons’ vs ‘cotonneux’.

Cela est à rapporter plus largement au « sarcasme, ici dirigé contre le lyrisme fleuri », dont parle Hugo Friedrich (Structure de la poésie moderne, Poche [1956] 1999 : 88-89), « contre la tradition en soi » et « contre le mythe lui-même », comme cela était déjà le cas avec la Vénus caricaturée. N’est-on pas au cœur de ce discours détergent ouvertement para-doxal, que réclamait Barthes, particulièrement dans ce poème Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs dont le titre suggère la volonté de prendre le contre-pied du discours stéréotypé reçu – notamment les métaphores florales usées de l’école parnassienne (le poème cite ironiquement Banville, à qui il fut dédié et envoyé à le 15 août 1871) ?

Relativement à une prétendue représentation normale du réel, une nuance est à établir : techniquement, ces trouvailles verbales relèvent non du monde absurde qui « ne suscite pas d'impression référentielle », mais du monde contrefactuel reposant sur la modalité de l’impossible (cf. Rastier 1992: 102 et 1989: 84). Aussi H. Friedrich est-il fondé à affirmer que « de tels groupes réunissent des éléments objectivement inconciliables de manière tellement a-normale que ces éléments concrets et sensibles finissent par faire naître une structure irréelle […], élevés jusqu’au rang de la surréalité […] par les associations sémantiques inattendues » ; sans être ineptes, « de telles images obéissent à une dynamique de la destruction qui transforme le réel lui-même », si bien que « nous nous trouvons désormais dans un monde qui n’existe réellement que dans la langue » (1999 : 111-12). Si l’on peut objecter que tout monde, factuel comme contrefactuel, n’existe réellement que dans et par la langue – pour un analyste de textes –, on ajoutera que l’activation d’isotopies, constituant certes un défi à l’interprétation, crédite en effet d’une acceptabilité le rapprochement de comparants a priori aussi disparates que ‘amygdales’, ‘bavent’, ‘œufs’, ‘yeux de braises’, etc., pour le comparé ‘fleurs’. On ne suivra donc pas le critique allemand lorsqu’il va jusqu’à décréter « incompréhensibles les liaisons possibles entre les contenus » de tels mots qu’opère le vers rimbaldien (1999 : 104).

Poursuivons sur le floral, avec le quatrain concluant Chant de guerre parisien :

Le vers 3 (lequel résonne avec ces "Dieux QUI mordaient d’amour l’écorce des rameaux" supra) révèle le caractère nécessaire de la subordonnée : sans elle, la principale serait étrange ; il revient en effet à la brisure d’être déterminative par rapport à l’audition, selon un schéma de causalité. Notons que la précision sur les "rouges froissements" (euphémisants pour le massacre humain ; l’uniforme de l’armée française était rouge), en relation avec la rime ("accroupissements") et l’isotopie /bruit/ (‘entendront’), fait d’autant plus ressortir l’égoïsme de ces "Ruraux QUI se prélassent" ne percevant que leur univers familier dans la tourmente qui les dépasse (les « Ruraux » formaient, à l’Assemblée Nationale, le parti des riches propriétaires antirépublicains ; cf. le vers initial "Du cœur des Propriétés vertes"). Quant à cette dernière relative, explicative au contraire de la précédente, elle montre une fois encore combien un même contexte les entremêle indifféremment, pour associer « qui se prélassent » et « qui cassent » dans une révolte contre la politique et l’armée.

Le même poème contenait déjà cet autre quatrain :

Le décalage du registre par rapport à la cruauté du rouge sanguin de l’espace englobant s’appuie sur l’allusion ludique à la chanson naïve contenue dans cette relative (contexte musical requis en outre par la rime avec "tam-tam"). S’agit-il d’une explicative ou d’une déterminative ? On penchera pour la deuxième solution car la suppression – au demeurant tout à fait acceptable – de la subordonnée passerait sous silence son contenu, essentiel au contexte d’injustice qu’il contribue à construire, par l’isotopie /naïveté/ afférente aux ‘yoles’ du fait que ce sont uniquement celles qui n'ont jamais navigué qui sont confrontées à la mort.

De même à propos de ces "des yoles qui n’ont jam, jam…" : leur structure casuelle /locatif/ + /dysphorie/ ("fendent le lac aux eaux rougies") de dénonciation antimilitariste accentue le contraste avec leur naïve inexpérience (dans la relative), symbole de pacifisme.

Ajoutons que le tragique tourné en dérision, dans une joie "printanière", n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’atmosphère du Dormeur du Val, avec ses "deux trous rouges au côté", mais aussi la répétition de son syntagme "couché dans les glaïeuls" (ces glaives si proches du sabre en question).

Avouons qu’il n’a pas été aisé de décréter telles les relatives suivantes, tant il est vrai que le poète cultive la spécificité de leurs antécédents. Voilà tout de même une sélection, dont le critère essentiel reste celui de leur suppression sans nuisance à la complétude du sens des phrases auxquelles elles appartiennent.

A la tristesse des "vieilles" dans une déterminative supra répond la dépréciation des Assis, "vieillards" bureaucrates et routiniers, dans les deux explicatives suivantes :

symboliquement celle de leur ‘regard’ venimeux (l’ambiance n’est toujours pas méliorative avec ‘tue’ qui rime avec ‘battue’, et ‘corridors’ avec ‘pieds tors’). Dans la succession des ‘prunelles’ métaphoriques et de ‘l’œil’, au sens propre par défaut, l’isotopie générique /vision/ renforce thématiquement la soudure entre principale et subordonnée. A cette inversion sens figuré vs sens littéral se superpose celle des sèmes casuels : autour du processus d’accrochage, ‘boutons’ acquiert /ergatif/ et ‘œil’ /accusatif/, et ce, encore une fois à contre-pied de la doxa.

Concernant le statut d’explicative, on notera qu’il suffit que l’antécédent soit déterminé par une épithète (‘invisible’, ‘fauves’ ; cf. supra ‘larges’ avec ‘omoplates’, ou ‘court’ avec ‘dos’) ou un complément du nom (cf. ‘en rut’ ci-dessous), sans être précédé d’un impératif (cf. ‘trouve’ ci-dessus), pour que la relative n’apparaisse plus soudain comme indispensable au sens global de la phrase.

Poursuivons. La reprise lexicale de ‘prunelle’ ressortit à un tout autre contexte dans ces vers d’un autre poème, dont nous taisons le titre dans l’immédiat :

C’est par une hypallage distante que la relative qui nous intéresse se rattache au titre Les Premières Communions, dont la solennité religieuse forme un contraste saisissant avec la sexualité païenne exprimée dans la principale. Leur rapprochement a ainsi un effet paradoxal ; il revient à ‘frémit’ de jouer le rôle du signifiant polysémique (i. e. objet d’une syllepse), unissant les contraires par le frémissement de chair (rut) et\ou du sentiment de solennité. On n’est alors nullement surpris de constater que ce paysage appartient au même contexte que celui supra des filles allant à l’église (isotopie /pureté/) appelées ‘garces’ par les futurs militaires ‘gueulant’ (isotopie /vulgarité/).

Le frémissement de la nature, féconde et pleine, doit être mis en relation avec le désir adolescent et festif, exprimé dans Roman, où les points de suspension suggèrent davantage :

La relative n’est pas nécessaire à son antécédent car, bien que dépourvu d’épithète, ‘un baiser’, en tant que complément d'objet suffisant, pourrait clore la phrase après son contexte ‘griser’ et ‘la sève monte’ qui a développé le thème des plaisirs. Or pareille clôture n’est décidable qu’au terme d’un parcours interprétatif. Cela confirme que le critère présidant au distinguo Explicative vs Déterminative n’est pas de l’ordre de la règle syntaxique décontextualisante, mais de la description sémantique en contexte, laquelle observe des régularités sans pour autant édicter de règles – F. Rastier (1995 : 325-6) rapporte d’ailleurs cette « discipline normative » qu’est la grammaire au « positivisme en linguistique », par lequel « le sens fut réputé insaisissable ». En précisant « qu’une règle de grammaire est un type reconstruit à partir d’un certain nombre d’occurrences, en attente de contre-exemples » (1994 : 21) Rastier rappelle le fondement empirique, a posteriori et non définitif de la règle (ainsi étrangère au rationalisme procédant a priori) ; de sorte que les contre-exemples ne figurent pas des « exceptions » mais des remises en cause d’une tendance.

Outre ces énoncés alternativement péjoratif (vieillesse) et mélioratif (jeunesse), on assiste à une poésie prenant le parti

a) De la pureté idéale et douce, telle que la lexicalise cet alexandrin : voilà "Les maisons sur l’azur léger QUI s’irradie", pourtant extrait d’un poème sur L’Orgie parisienne. De même, dans Soleil et Chair, "le grand hymne" nostalgique à la "Nature vivante" : "je regrette les temps […] Où les arbres muets, berçant l’oiseau QUI chante" ; ici la chute par la relative crée un contraste dans la sacralité (par le mutisme vs le chant).

b) Ou, a contrario, de cette violence faite par ces Douaniers (éponymes) à la pureté de l’azur, par la limite qu’ils y tranchent :

Le ton accusateur du poète est tout aussi agressif avec une évaluation ici uniment négative. Un effet d’écho se manifeste dans la mise en relation intratextuelle de ce dernier alexandrin avec les précédents "mufles d’où bavent des pommades d’or sur les cheveux sombres des Buffles", ainsi qu’avec le "caoutchouc QUI s’épanche" comme la rime sourd, syntagmes eux mélioratifs extraits du poème supra consacré aux fleurs si étranges. Toutefois ces lexicalisations sont synthétisées de façon péjorative dans l’amer poème ironique Mes Petites Amoureuses, Mes laiderons :

Ici comme dans les Douaniers l’épanchement ne parvient pas à purifier l’atmosphère. On constate ainsi qu e de telles reprises lexicales dans des contextes très différents entretiennent l’ambiguïté évaluative caractéristique de l’univers rimbaldien.

La pureté se teinte aussi de merveilleux dans le poème Les Sœurs de Charité où l’alexandrin "Le beau corps de vingt ans QUI devrait aller nu" (celui du jeune homme qui "Se prend à désirer sa sœur de charité") exclut toute vulgarité, comme il ressort de son comportement : il "tressaille devant les laideurs de ce monde" et de la comparaison consécutive : "Impétueux avec des douceurs virginales […], Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales, QUI se retournent sur des lits de diamants". Précédée d’une virgule, la relative ne fait ici que compléter un antécédent déjà suffisamment qualifié ; on la cite pour les sèmes /parure/, /pur/, /inchoatif/ (activés par les ‘diamants’ des larmes, autre émanation corporelle) qu’elle met en évidence, par assimilation avec le contenu des propositions précédentes.

c) De la familiarité terre-à-terre et grotesque, dans ces vers extraits des Reparties de Nina :

L’animalisation se comprend d’autant mieux que l’on recourt à l’étymon germanique muffel signifiant ‘museau’.

Le fait que les relatives ne soient pas directement requises par la rime les rend moins nécessaires et confirme leur statut d’explicatives. Ajoutons qu’elles ne font que donner des précisions sur de menues actions itératives, diversement évaluées selon que l'affectivité de l'observateur engendre amour ou répulsion.

Cette enfance ainsi revisitée engendre une complicité de la part du jeune poète, exactement à l’inverse de la froideur vis-à-vis des plus âgés, plus matérialistes encore que les Douaniers supra (où déjà ‘retraités’ rimait avec ‘traité’) :

Soit un quatrain extrait du poème A la Musique (celui qui contenait la relative déterminative "je sens les baisers QUI me viennent…" supra), où ils sont assimilés à ces "bourgeois poussifs" et "rentiers à lorgnons" exécrés.

d) De la laideur morbide, avec le A de Voyelles, "noir corset velu des mouches éclatantes QUI bombinent autour des puanteurs cruelles" (selon H. Friedrich, op. cit. p. 107, « chez Rimbaud, la laideur sert une violence qui exige la déformation de la réalité concrète » ; elle ne saurait donc y être gratuite et semble orienter à ce titre de l’empirique au transcendant, celui du monde infernal opposé à celui des "Anges" qui caractérise la voyelle O dans le même sonnet). Ce verbe montre incidemment que la relative rimbaldienne contient elle aussi ces termes sinon rares du moins saugrenus, dont le poète s’amuse, tels "amygdales", "morves", "sirupeux", "crasseux", "égrener", "fleurer", "épeurer", etc.

e) Du funèbre, notamment dans le Bal des Pendus :

Dans ce contexte ludique du "chant des ossements", les isotopies /cassure/ + /violence/ ne sont mélioratives ni libératoires comme elles le sont dans Morts de 92 où soldats, "vous brisiez le joug QUI pèse sur l’âme". On note ici que si la relative est déterminative au contraire de la précédente, cette différence de statut n’a pas de fondement thématique ; en effet, que ce soit le sème /pesant/ par rapport à ‘joug’ ou /solidité/ par rapport au fémur cassant, tous deux sont de même inhérents (cf. Rastier, 1987). La distinction entre les deux relatives repose plutôt sur la tournure syntaxique (cf. le fait que l’antécédent dans la principale "Crispe ses petits doigts sur son fémur" soit suffisamment qualifié vs "vous brisiez le joug").

f) De l’irrespect (a) avec le cri légitime du Forgeron : "Nous en avons assez de […] Nos doux représentants QUI nous trouvent crasseux !", la contradiction évaluative ‘crasseux’ vs ‘doux’ faisant ressortir la satire de telles autorités condescendantes, (b) ou avec le vomissement nautique de l’armée dans Le Cœur volé :

Dans une péjoration globale, ces vers opposent la tristesse du Moi (sème /résultatif/), victime d’autrui et dont le cœur qui bave représente une maladie avant tout morale-affective, à la joyeuse raillerie des forts (sème /causatif/), laquelle emplit la relative. Le spasme par lequel est rejeté le comportement militaire (face à leurs "hoquets bachiques […] J’aurai des sursauts stomachiques") emprunte au comparant nautique pour somatiser l’écœurement.

On note que le détachement ironique qu’expriment les exclamations est renforcé par un jeu de mots : la rime de la relative provoque la syllepse de ‘général’, lisible à la fois sur /collectif/, par défaut, et sur /grade militaire/, par rapprochement avec ‘caporal’ (la figure de style est affectionnée du poète car on décelait déjà une syllepse (a) sur ‘écoutant’ dans la comparaison supra  : "Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne" ; (b) sur ‘écoule’ dans "écoule sans témoin sa révolte", syntagme rapporté au sujet concret de son verbe : "le cœur qui saigne" ; (c) enfin dans l’exclamative « En somme !… », recul pris par des retraités mais aussi somme d’argent cumulée par ces rentiers).

Inversement on assiste à une dédramatisation satirique du contexte militaire (cf. supra les "yoles QUI n’ont jam, jam…" dans le Chant de guerre parisien) ayant lieu lors de l’évocation de L’Eclatante Victoire de Sarrebrück :

La cohésion y est frappante avec le contexte précédent de ‘pioupiesques’ si l’on considère en outre que ‘se lèvent’ (aux armes) lexicalise un sème définitoire du rare ‘ithyphallique’. Comme pour ‘dix-sept ans’ d’insouciance festive supra, la jeunesse des fantassins est valorisée, la relative explicative sur leur douceur ensommeillée de poussins ayant quelque chose de paradoxal, de décalé et de dérisoire en pareille circonstance belliciste. Leur innocence naïve fait que la scène, son manichéisme et langage infantiles ("Féroce comme Zeus et doux comme un papa" ) semblent relever le leur point de vue ; voilà comment la caricature d’un discours indirect libre peut conduire de la thématique à la dialogique.

Tous ces contextes de dysphorie sont en revanche contredits par les relatives explicatives suivantes, lesquelles présentent une évidente identité syntaxique et thématique, en contenant l’action imperfective musicale, indexée à /continu/ (chant ‘qui monte’) ou /discontinu/ (‘qui s’égrenait’ en trilles) :
- "Je baisai ses fines chevilles. Elle eut un doux rire brutal QUI s’égrenait en claires trilles", "un bon rire QUI voulait bien", lit-on un peu plus loin dans le poème Première Soirée, développant la même sensualité (cf. "je lui jetai le reste au sein dans un baiser") ;
- " le fleuve murmure un chant plein de bonheur QUI monte vers le jour !… – C’est la Rédemption ! c’est l’amour !" ; dans ce nouvel extrait de Soleil et Chair, ici à tonalité chrétienne, l’ascension inverse la chute négative originelle, dont il est question en termes crus : " Singes d’hommes tombés de la vulve des mères ".

Toujours dans ce poème et sur le thème de l’épanchement divin amoureux, voici deux figures féminines païennes mythologiques similaires, avec l’allusion
- à Vénus, mère protectrice et regrettée : "l’immortelle Astarté QUI jadis, […] fleur de chair que la vague parfume, Montra son nombril rose où vint neiger l’écume" ;
- à la séduction d’Europé par Zeus : "elle meurt Dans un divin baiser, et le flot QUI murmure De son écume d’or fleurit sa chevelure."

On constate que ces relatives enchâssées, fussent-elles explicatives (narratives avec ‘Montra’ singulatif, ou descriptives avec le murmure itératif [5]), sont soudées à leur antécédent par la rime, -ume ou -ure, comme s’il ne pouvait notamment y avoir d’écume sans ‘que la vague parfume’, indexées à la même isotopie /mer/.

Il n’en va pas différemment des contextes péjoratifs inverses, comme l’atteste cette paire d’alexandrins extraite du Forgeron : "Et c’était dégoûtant, la Bastille debout Avec ses murs lépreux QUI nous racontaient tout" où la rime renforce le lien entre subordonnée et principale, de sorte que la relative acquiert une valeur nécessité qui la rapproche des déterminatives. De même supra la réponse "vos reins QUI boitent" en écho à "vos omoplates se déboîtent".

Ajoutons que ce poème (« qui chante les aspirations égalitaires du peuple, très hugolien de ton », selon D. Leuwers, éd. Poche, p. 254) propage la dévalorisation au conflit politique pré-révolutionnaire :

L’univers rimbaldien révèle ainsi une maladie récurrente contaminant les pouvoirs établis (armée, sûreté, royauté). Cela contraste avec la résistance positive de l’un d’eux, durant une bataille, dans le contexte dénonçant Le Mal  :

Si l’on rapporte ce domaine militaire à celui des quatre vers précédents :

on constate que la différence de construction syntaxique (indépendante juxtaposée et anaphore, ici vs subordonnée d’opposition, là) n’empêche pas le même effet de clôture à la rime – que nous avons soulignée –, et par conséquent de soudure de la relative au segment textuel qui l’englobe, dont l’unité thématique repose notamment sur l’isotopie spécifique /répugnance/ (expression du topos littéraire de la Révolte), socialement normée dans les ‘crachats’ et ‘bave’ comparants.

Cette ambivalence évaluative, qui, comme on vient de le voir, affecte le contenu des relatives, peut être manifestée dans un même poème, tel celui qui est consacré aux Etrennes des orphelins  :
- /euphorie/ : "Leur front se penche, encor, alourdi par le rêve, Sous le long rideau blanc QUI tremble et se soulève…"
- /dysphorie/ : "L’âpre bise d’hiver QUI se lamente au seuil Souffle dans le logis son haleine morose ! On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose…"

Dans les deux cas, la subordonnée n’apporte qu’une redondance à la principale, celle du sème /triste/ (‘lamente’), afférent à ‘bise’, ou du sème /léger/ (‘tremble’, ‘soulève’), inhérent à ‘rideau’, sélectionné par contraste avec la lourdeur de la tête.

Au-delà, c’est la cohésion thématique textuelle qui intrigue : « qui tremble » et « qui se lamente » sont indexés à l’isotopie /fragilité/ de ces ‘petits-enfants’ prisonniers de leur ‘chambre glacée’ (froideur de leur sort d’orphelins) ; quant au ‘rideau flottant’ sous lequel ils apparaissent, il matérialise l’action du vent hivernal, lequel s’arrête ‘au seuil’ : cela constitue l’isotopie /médiation/, laquelle fait passer de la dysphorie matérielle à l’euphorie spirituelle, du ‘rêve maternel’ qui est la plus belle des étrennes de ces enfants, le poète observateur attendri jouant le rôle d’un médiateur.

Voilà comment peut s’opérer la prise de conscience que le contenu de propositions n’est qu’un fragment de l’univers rimbaldien qui se dessine, occurrence après occurrence, poème après poème.

On voit bien là ce que cette conception a de contradictoire avec le « proposionnalisme » qui règne dans la sphère logico-cognitive.


Conclusions

Si l’on a relevé davantage de déterminatives, c’est que dans les extraits considérés les précisions apportées par les relatives par qui n’apparaissent pas, classiquement, comme des détails superflus, mais au contraire comme des qualités propres aux antécédents et qui restreignent de ce fait leur sens.

Cependant le caractère d’unité phrastique dû à des facteurs langagiers aussi hétérogènes que le mode dans la subordonnée ou l’effet clôturant de rime suffit à jeter le doute sur la validité du critère ontologique pour appréhender le type de liaison (fort vs faible) entre principale et subordonnée.

Pour en décider, l’élève a pris conscience que l’intérêt du distinguo entre les deux types de relatives vient précisément du fait qu’il n’a rien de mécanique, et que l’interprétation en contexte est indispensable (celle-là même qui lui a montré les variations du vocabulaire rimbaldien, conciliant termes crus et termes rares, dans une poésie qui ne peut laisser indifférent). Que penser par exemple des niveaux de langue des deux relatives dans Les Reparties de Nina :

Les deux subordonnées à structure identique diffèrent cependant selon qu’on leur applique une lecture :

En fait, la distinction des relatives livrant une qualité nécessaire vs contingente à la compréhension du sens de l’antécédent relève de l’ontologie classique, laquelle se fondait comme on sait sur la séparation entre l’accident et l’essence. Elle perd de son intérêt dans le cadre de l’analyse contextuelle, qui ne raisonne pas en termes de propriétés des référents. Aussi la question se savoir s’il existe, dans un monde donné, isolément, des "fleurs QUI aient des amygdales gemmeuses" (au-delà du constat selon lequel les sèmes génériques /humain/ de ‘amygdale’ et /minéral/ de ‘gemme-’ sont a priori antinomiques de /végétal/, la compatibilité s’établit sur la prise en compte que l’amygdale est une végétation – étymologiquement une amande – et que ‘gemme-’ a l’acception ancienne de bourgeon, en botanique) devient-elle secondaire voire oiseuse par rapport à l’établissement de la cohésion sémantique du poème. Celle-ci fait ressortir en revanche une organisation qui relègue au second rang la discussion sur le statut des relatives.

Citons pour finir de s’en convaincre les deux dernières explicatives extraites du poème consacré aux Chercheuses de Poux : "Il écoute chanter leurs haleines craintives QUI fleurent de longs miels végétaux […]. Voilà que monte en lui le vin de la Paresse, Soupir d’harmonica QUI pourrait délirer". A la première unissant /auditif/ + /olfactif/, sème afférent à ‘végétal’ mais aussi à ‘haleine’ de la proposition principale, ainsi que ‘silences parfumés’, répond la seconde unissant /auditif/ + /gustatif/, sème ici afférent à ‘vin’ et l’ivresse du délire, ainsi qu’au ‘miel’ précédent. On peut en conclure que les relatives ne rompent pas avec le sens de leur antécédent, pour lui conférer une propriété contrefactuelle, mais constituent des syntagmes privilégiés dans lesquels s’opère la synesthésie rimbaldienne – qui se décrit de façon intralinguistique . cela, d’autant plus que dans ces deux autres vers du même poème : "Elles assoient l’enfant devant une croisée Grande ouverte l’air bleu baigne un fouillis de fleurs", la relative propage la paire /tactile/ + /olfactif/ (de la fluidité florale) au sème /visuel/ (de ce poste d’observation qu’est la fenêtre).

Si bien qu’au cours de l’exercice, où l’objectif constamment poursuivi aura été d’ouvrir le cadre trop strict de la proposition (subordonnée/ principale), au profit d’un environnement textuel et culturel plus global, la barrière érigée entre cours de littérature et cours de grammaire qui traditionnellement et a contrario ne laisse pas de place aux parcours interprétatifs, s’effondre. Cette mise à mal des frontières disciplinaires ne fait en réalité que renouer avec l’unité qu’impose l’objet d’étude, du point de vue de l’analyse de son contenu.

Ajoutons que si, lors de cette constitution d’unités textuelles transpropositionnelles, l’on a eu recours à « un modèle inférentiel », en revanche à la différence de « l’approche cognitive » on n’a pas conçu « le sens comme une instruction à construire un contexte approprié » (Kleiber, 1994 : 17). En effet, toujours à propos de ces Chercheuses de Poux éponymes, le contexte sémantique est établi par les propositions principales "Il écoute chanter leurs haleines craintives" et "Voilà que monte en lui le […] Soupir d’harmonica" ; de sorte que la cohésion repose sur l’isotopie comparante /musique/ (+ /douceur/, par assimilation de ‘soupir’ à ‘haleines craintives’), articulée au schéma aspectuel /résultatif/ + /mélancolie/ + /duratif/ (cf. "L’enfant se sent […] sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer"). C’est dans ce cadre thématique que précisément viennent s’inscrire les relatives.

Finalement, l’observation des structures syntaxiques devient, sinon le prétexte, du moins l’occasion d’une analyse sémantique des segments textuels. Quoi qu’on pense de cette interaction, on constate que l’élève en retire une meilleure connaissance de l’univers rimbaldien, celui-ci conférant une unité aux données éparses et aux signes isolés sur lesquels se fonde l’étude grammaticale. Si bien que l’absence d’intérêt a priori d’un balayage du corpus se sera révélée fausse : l’essentiel aura en effet moins résidé dans le repérage formel de l’unité sémiotique (à partir du pronom et de la subordonnée qu’il introduit) que dans les liens thématiques insoupçonnés établis autour des occurrences d’une entrée.

Grâce au logiciel qui sélectionne toutes les occurrences du pronom étudié, l’œuvre rimbaldienne se lit ainsi du point de vue du contenu de ces relatives qui font entendre mutuellement des "correspondances" lexicales, sous-tendues par une continuité thématique, en dépit des changements de contextes (on ne s’accordera donc pas avec H. Friedrich lorsqu’il affirme à propos de Rimbaud que "l’essence de cette poésie est désormais à peine thématique", au vu de la propension au "désordre", aux "fragments", au "chaos"; op.cit. p. 80).

Encore fallait-il montrer la variété du contenu récurrent des propositions ; et refuser de considérer ce sens comme un simple décalque de la syntaxe, la relative n’étant plus alors conçue dans sa dépendance vis-à-vis de son antécédent qu’elle complèterait, mais dans son autonomie et son interrelation avec les autres relatives de l’œuvre. C’est selon nous dans cette perspective et en ne perdant pas de vue la cohésion globale du sens, à échelle textuelle, que peuvent être appréhendées les questions de grammaire traditionnelles (notamment dans la subordonnée les effets sémantiques du verbe, dus à sa place, immédiate ou retardée, sa personne – cf. le vocatif rimbaldien –, son mode – cf. l’alternance indicatif/subjonctif). Loin d’aboutir à ce que certains pédagogues appellent confusionnisme, la prise en compte du contexte leur confère un évident un intérêt supplémentaire.


Aller au Chapitre 4

Retour au Sommaire


NOTES :

[1] En philosophie du langage, on dirait plus exactement que « la déterminative restreint l’extension de son antécédent, alors que l’explicative ne fait que développer sa compréhension ». Sur cette opposition d’origine médiévale et d’ordre ontologique entre la substance vs l’accident, dans l’acte de prédication, cf. S. Auroux & I. Rosier, « Les sources historiques de la conception des deux types de relatives » ; Langages, 88, 1987, pp. 9-29.

[2] Plus précisément, comme dans le vers de Racine cité par Rastier (1994: 70) Un père en punissant, Madame, est toujours père, la déterminative (ici qui punit, comme dans qui boivent) opère une dissimilation entre ‘alsaciens’ /buveurs/ vs ‘alsaciens’ /sobres/.

[3] Dans ce cas, ‘tous’ n’équivaut plus à la totalité de mes élèves, mais à chacun de ceux qui se sont préparés.
Au passage, on note de nouveau l’omniprésence de la causalité, y compris dans la relative qui n’est pas dite « explicative ».

[4] Pour « foireux » ; l’épithète est un hapax non seulement chez Rimbaud, mais dans tous les corpus ; seul Apollinaire osera écrire « Ta mère fit un pet foireux Et tu naquis de sa colique » ( Alcools ).

[5] Le fait que /murmurant/ soit dans le genre poétique un sème socialement normé de ‘flot’ ne particularise pas celui-ci ; sa valeur typique élimine la possibilité d’une subordonnée déterminative.


BIBLIOGRAPHIE (références linguistiques)

Kleiber, G.       (1994) Contexte, interprétation et mémoire, Langue Française, 103, pp. 9-22.

Pottier, B.        (1987) Théorie et analyse en linguistique, Hachette.

Rastier, F.       (1987) Sémantique Interprétative, PUF.

                       (1989) Sens et textualité, Hachette.

                       (1992) Réalisme sémantique et réalisme esthétique, TLE 10, pp. 81-118.

                       (1994) & alii, Sémantique pour l’analyse, Masson.

                       (1995) Sur l’immanentisme en sémantique, CLF 15, pp. 325-35.

                       (1996) Problématiques du signe et du texte, Intellectica 23, pp. 11-52.

                       (1997) Défigements sémantiques en contexte, La Locution entre langue et usage, E.N.S. Editions, pp. 307-32.

                       (1998) Le problème épistémologique du contexte, Langages , 129, pp. 97-111.

                       (2001) Arts et sciences du texte, PUF.

Sanfourche, J.-P. (2000) : Problèmes didactiques liés à la lecture