LA SEMANTIQUE : DE L’ENONCIATION AU SENS COMMUN
Eléments pour une pragmatique topique

Quatrième partie : POUR UNE POLITIQUE DU SENS COMMUN

1. Le sens commun et la possibilité de la critique

La possibilité de la critique n'est pas seulement un topos du sens commun, elle est en outre une condition des mécanismes par lesquels les configurations doxiques interviennent comme des données historiquement repérables, également susceptibles de transformations. Relativement au modèle théorique précédemment exposé, la perspective d'une politique du sens commun repose sur trois prérequis, également conditionnant à l'égard du système doxique inscrit en langue -ou, par dérivation- appelé par l'usage et relevant, par isomorphie, parallélisme ou complémentarité de pratiques sémiotiques qui prolongent, dans des pratiques distinctes, l'économie de ce premier dispositif.

La réflexivité nécessaire au développement d'une praxis critique authentique (qu'elle s'assume comme "mise en cause", analyse descriptive ou bien encore comme déconstruction) constitue un effet du dispositif sémiotique premier, capable par le seul jeu de ses constituants de produire des procédures d'objectivation caractéristiques de l'identification et de l'évaluation d'une donnée (ou d'un ensemble de données). Dans cette optique, la postulation d'une organisation de la langue au moyen d'un dispositif de topiques, fait reposer sur trois types de conditions internes la possibilité de la critique. Avant d'être assumée comme praxis, le sens critique constitue une modalité du sens, l'une des dimensions du sens commun.

1.1. La condition cognitive

La liaison du sens commun et du sens critique, avant d'être un effet de système susceptible de se manifester dans une pratique de discours, repose sur la mise en oeuvre de la compétence topique de l'énonciateur.

Le système du sens commun inscrit dans la langue, sous l'espèce de dispositifs de topiques structurant à l'égard du processus énonciatif équivaut, au plan sémantique, à une compétence métalinguistique opérant non seulement sur des formes mais encore sur des contenus axiologiques et des orientations argumentatives. Cette capacité de l'énonciateur renvoie donc à une certaine aptitude à porter des jugements d'acceptabilité (topiques) sur l'ensemble des productions discursives [59]. Même décrite sur un mode intuitionniste qui amende l'intentionalisme radical de la plupart des modèles de production du sens, la compétence topique de l'énonciateur fonctionne comme une compétence interprétative (herméneutique), plus ou moins développée selon les sujets [60] - et qui a pour objet l'ensemble des structures sémantico-argumentatives qui lui sont accessibles

1.2. La condition sémiotique

La seconde condition interne de la critique a, dans le système de la langue, un fondement éthique formel à l'aune duquel la compétence topique est en mesure de déployer son potentiel.

L'énonciation en première personne, qui peut être tenue pour la marque par excellence de l'individuation accomplie est aussi le critère d'une prise de parole authentique, c'est-à-dire libre et vivante.

A moins d'être feinte, parce qu'elle constitue l'un des pivots de l'activité discursive, la polyphonie noue de telle façon la parole, qu'elle la recouvre, la dissimule, l'interdit. Or, la distinction dans le champ des échanges entre des types de discours à visée collective -aussitôt figés- et des pratiques de communication individuelle (ou intersubjectives) renvoie, en langue, à la différenciation des différentes places de la deixis pronominale [61].

Lieu premier de la constitution du sens, la relation dialogale Je/Tu -espace de dialectique, de créativité et d'élaboration du sens posé (ou présupposé)­ s'oppose en son principe à l'espace du discours anonyme (qu'illustre formellement le "Il", le "On" ou le "Cela") et réifié de la non-personne [62] . L'espace dialogique Je/Tu constitue, virtuellement du moins, un défi permanent à l'ordre anonyme du "On dit" et du "Ouï-dire" [63].

1.3. La condition philosophique

Cette troisième condition est relative à certaines dispositions doxiques qui caractérisent, historiquement, le système du sens commun, tel que l'assume, d'un point de vue axiologique, le monde occidental, et, bien souvent, sous son influence, le reste de la planète.

Parmi les philosophies du sens commun, spontanément associées au langage ordinaire, la possibilité de la critique s'enracine dans le topos de la contestation par le biais des deux grandes traditions de pensée dans lesquelles se reconnaît la "forme Europe" [64] : le paradigme platonicien et le paradigme biblique.

S'ils structurent, à part égale, le sens commun occidental ces deux paradigmes se spécifient en fonction des conceptions de la critique dont ils sont porteurs, mêmes réduites à leurs lieux communs. La banalisation ainsi opérée, souvent au bénéfice de leur constante interférence, confère à la notion de critique ses deux principales acceptions.

Le paradigme platonicien dont La République (livre V) constitue l'expression canonique, intéresse l'acte de naissance même de l'activité philosophique comprise comme démarche aléthique, en contestation radicale des attendus de la doxa précisément reconnue comme "puissance". Le paradigme biblique, dont la formulation canonique relève de l'ensemble des livres prophétiques de la Bible, marque une autre possibilité de la critique, tout particulièrement comprise ici comme une protestation morale élevée en direction de l'autorité politique. Ces deux modalités de la contestation caractérisent la fonction critique - aléthique et morale -définissant ainsi les deux dimensions de la recherche de la vérité (entendue comme justesse et comme justice).


2. L'espace doxique de la communication : le modèle discursif 1

Le problème est d'examiner dans ses grandes lignes la manière dont la doxa s'articule aux discours, et, partant, de quelle façon il est alors permis de redéfinir la fonction critique et de déterminer les formes et les moyens d'intervention qu'elle adoptera.

2.1. L'arrière-plan topique des discours

L'esquisse théorique précédemment exposée tend à caractériser la place de la doxa dans une théorie de la langue et de la mise en discours. Dans cette perspective, l'inscription de la doxa dans la langue est postulée relativement à l'organisation d'un système du sens commun lui-même régi par un dispositif de topoï (ou de topiques). Ces derniers constituants prédéterminent le procès énonciatif, c'est-à-dire le moment de la mise en discours, aussi bien que ses contenus et ses orientations. D'autre part, ces topiques, identifiés comme des opérateurs de structuration sémantico-logiques se répartissent en deux classes -les topiques épistémiques et les topiques idéologiques- qui assument la cohésion du discours. Relativement à cette économie sémiotique profonde qui corrobore d'un point de vue structurel l'idée que la langue est forme avant que d'être substance, les formes topiques, marquées dès le stade de la composante  lexicale d'une langue, définissent un plan d'antériorité du discours qui se laisse caractériser comme "a priori doxique" de la communication [65] . De cette façon, tout discours sera dit justiciable d'un arrière-plan topique. Pour clarifier l'usage de ces notions cependant, nous en réserverons l'usage au contexte théoriques suivant. On parlera d'a priori doxique de la communication pour caractériser , stricto sensu, l'antériorité théorique de la doxa par rapport à la langue; mais on parlera d'arrière-plan topique chaque fois qu'il y aura lieu d'identifier un discours particulier avec l'ensemble des formes topiques qui lui sont associées.

En schéma :

Système du sens commun

Arrière-plan topique
Doxa
(dispositif  de topoï)
Discours

Fig.5 : Situation de la doxa

2.2. Activité discursive et réalité

2.2.1. Doxa, langage, réalité

Ce que nous nommons la réalité n'existe pas indépendamment de cette force de constitution qui réside tout entière dans l'interférence de la doxa et du langage. Bien au-delà des querelles d'écoles, relatives notamment à la nature des signes (nature interprétables dans une optique réaliste ou nominaliste), l'activité discursive, et plus généralement l'activité langagière, façonnent le monde humain, lui conférant, à l'échelle des grandes coordonnées spatio-temporelles qui configurent l'entour des sociétés, les traits aisément reconnaissables de l'évidence. Sans supposer un instant qu'il n'existe aucune différence entre les pratiques sémiotiques et discursives et le domaine de l'action, ou, pour dire les choses autrement, sans envisager l'indifférenciation du domaine des pratiques discursives et celui des pratiques sociales, la théorie de l'a priori doxique de la communication tend à reconnaître aux premières un coefficient d'efficacité surdéterminant. Renversant l'équation marxiste dans une perspective pragmatique radicale, nous dirons que ce n'est pas l'histoire qui détermine le langage mais les pratiques sémiotiques qui déterminent l'histoire. Pour autant, les deux plans ne sauraient être confondus; ils constituent des objets distincts pour des disciplines de savoir à l'intérieur desquelles ils revêtent leur plein statut d'objets de connaissance à part entière. Il reste cependant que dans la perspective de la pragmatique topique, l'affirmation du parallélisme entre pratiques sémiotiques/action historique consiste à indiquer la dépendance et la constitution de l'action historique sous le rapport de traces sémiotiques. La liaison ainsi établie intéresse alors aussi bien le champ des pratiques elles-mêmes que celui des pratiques théoriques. Si l'action historique ne se conçoit pas indépendamment des prismes sémiotiques et discursifs qui donnent corps à ses manifestations (toute action est sémiotiquement et axiologiquement engagée et appréhendée), elle ne peut non plus s'envisager -cette fois en tant qu'objet de savoir- hors d'une reprise de la question du langage des sciences sociales (et préalablement d'une interrogation qui porterait sur le statut du langage dans les sciences sociales). Aussi, l'assertion de Benveniste selon laquelle "le langage reproduit la réalité" [66] prend ici tout son sens, pour marquer l'ordre de préséance plus haut signifié, tant dans l'ordre des pratiques de vie que des pratiques de savoir [67].

2.2.2. La notion de réalité discursive

Le primat de l'activité discursive et sémiotique dans la reproduction de la réalité induit une compréhension nouvelle du problème de la réalité, et, partant, de l'analyse de celle-ci. Si l'activité sémiotique, elle-même soumise à l'influence de la doxa tend à constituer la réalité en objet médian, qui n'est pas accessible autrement que par le biais d'une préhension sémiotique, il en résulte que ses différents constituants ont avant tout un statut sémiotique. Mais la constitution sémiotique de la réalité met le chercheur en sciences sociales devant une réalité discursive et sémiotique sans laquelle le réel construit par les théories ne peut avoir de consistance.

A plus forte raison, dans le champ des pratiques ordinaires, la réalité discursive-sémiotique est-elle le premier mode de mise en relation du sujet et du monde.

A . Le problème de la représentation

La réalité discursive et sémiotique, dont le premier trait est d'apparaître sous le rapport de l'évidence reconnue a pour corrélat la propriété, inhérente au trait d'évidence, de s'imposer sous le rapport d'un système de représentations sémantiques.

Pour autant, les productions discursives -qui ne sont ni de simples reflets de la doxa qui les suppose, ni de simples miroirs de la société (ou plus restrictivement du contexte dans lequel elle sont proférées)- n'ont en aucun cas le statut de représentations spéculaires. A l'inverse, si doxa et langage sont étroitement liés en vue de la reproduction du réel, sous le rapport initial d'une production partielle, mais déterminante, discursive, leur liaison effective dans le cadre des différents procès énonciatifs constituent les énoncés en lieux de définition d'autant de représentations efficientes. Aussi, en amendement du postulat de la philosophie du langage classique, nous dirons que l'activité langagière véhicule des représentations qui ne sont pas seulement des reflets (de la doxa, du monde etc.) mais des opérateurs à part entière de la constitution du réel.

B. Le problème de la référence

La théorisation qui précède pose à nouveaux frais le problème de la référence. Si le système du sens commun informe la langue et, par suite, l'activité discursive et sémiotique dans leur ensemble, si en outre la réalité discursive s'avère être la première modalité du réel qui soit accessible à la réflexion, il en résulte que l'activité signifiante n'excède dans aucune circonstance "les limites du langage" (Wittgenstein).

Le primat de la production sémiotique du réel, et, partant de la constitution d'une réalité sémiotique, qui s'avère efficiente par rapport à toute expérience du réel, conduit à considérer dans une nouvelle perspective le problème de la référence.

Le peu de place qu'occupe dans les activités discursives la référence par ostension, et, à l'inverse, l'importance accrue des références secondaires (métalinguistiques, intralinguistiques etc.) tend à spécifier l'idée désormais classique de l'autonomie de la langue, et, dans le cas présent, de l'autonomie de la réalité sémiotique. Cette ligne de recherche apporte à la thèse de la constitution sémiotique du réel une délimitation supplémentaire, dans la mesure où elle souligne le fait que le système du sens commun, pour autant qu'il reste lié au problème de la perception, opère sous la forme de dispositifs sémiotiques et discursifs analysables dans des termes analogues. De même que les signes déterminent le réel en vertu d'un système doxique qui en conditionne l'expression, toute intervention critique sur le réel (ainsi constitué) relève prioritairement d'une intervention critique sur la réalité discursive et sémiotique.

2.3. La liaison doxa/discours

En matière de théorie du langage, dans l'espace philosophique contemporain, deux modèles nous paraissent adaptés pour penser dans des termes qui permettent d'aboutir nos propositions théoriques la liaison de la doxa et des discours.

2.3.1. Le modèle analytique

La philosophie du langage ordinaire, défendue par J.L. Austin n'intéresse pas seulement notre propos du fait de la critique du primat de la représentation et de l'esquisse d'une conception pragmatique du langage interprétable dans les termes de l'hypothèse performative (restreinte ou généralisée). C'est en outre pour des raisons qui tiennent aux postulats liminaires de cet auteur que ses conceptions tiennent, pour nous, lieu de premier point d'ancrage assuré. Héritier de L.Wittgenstein et de G.E. Moore, sur la question du langage ordinaire et des relations entre sens commun et langage ordinaire, Austin développe une conception de la pratique philosophique déduite d'une situation de crise de la philosophie, autant que de crise de la civilisation. Ainsi entendu, son projet philosophico-linguistique procède autant d'une considération éthique que méthodologique. En substance, si la philosophie générale a échoué à penser le monde, c'est que les philosophes ont jusque-là insuffisamment réfléchi à leur propre langage. Loin donc d'aborder le réel sans se soucier des moyens (linguistiques) qui permettent de le penser, il convient d'opérer un retour sur les conditions de toute pensée, à commencer par le fait de soumettre le langage à une investigation systématique [68]..Ce geste minimaliste (et d'une philosophie qui ne serait que spéculative) explique à la fois la nécessité d'une science du langage autonome, à l'intérieur même du champ philosophique, et le développement d'une thèse forte habilitant simultanément la critique du représentationalisme et le développement d'une conception pragmatique du langage. Partant, la recherche qui en résulte suffit à mettre en perspective, dans le cadre de la théorie des actes de parole, les différents niveaux d'analyse dont serait alors justiciable le langage courant dans son rapport aux différents aspects de la réalité communicationnelle. En l'espèce, le développement de la doctrine des échecs [69] isole trois niveaux de détermination de l'interaction communicative réussie, ouvrant ainsi la voie à l'examen du sens commun présupposé pour communiquer : la composante formelle (proprement linguistique), la composante situationnelle (le contexte), la composante cognitive [70]. Or, dans le modèle analytique, l'hypothèse pragmatique fait dépendre d'une théorie du langage la compréhension de la liaison doxa/discours.

2.3.2. Le modèle dialectique

Le second considérant intéresse, dans notre perspective, le statut de la théorie du sens commun défendue par A. Gramsci dans le cadre de la philosophie de la praxis.

Pour Gramsci, le sens commun a partie lié avec le problème de l'hégémonie dans une formation sociale donnée. Or le sens commun s'atteste en discours, et, plus généralement en formations idéologiques qui sont enjeux de la lutte politique. La philosophie de la praxis fait une place prépondérante à cette composante ainsi resituée dans la perspective d'une problématique du bloc historique et de la reproduction sociale. Avec Gramsci, les conceptions véhiculées par et dans le sens commun ont le statut de véritables philosophies elles-mêmes articulées au langage courant. Si leur vecteur, le sens commun, peut sous certains aspects évoquer le fonctionnement des idéologies (dans la mesure où ses cristallisations successives sont autant de traces des différentes praxis), il n'en demeure pas moins tributaire de la théorie du "langage-reflet" caractéristique de l'épistémologie matérialiste du 19è. siècle. Cependant, l'idée d'une liaison forte entre doxa et discours est nettement posée, dans le cadre d'une réinterprétation de la théorie marxiste de l'idéologie.

2.3.3. Les effets théoriques

Entre les deux modèles théoriques du rapport doxa/discours, les points de convergence sont nombreux. Nous mentionnerons ici ceux qui autorisent une conjecture de travail forte. Les développements ultérieurs de la philosophie analytique et, simultanément, ceux du marxisme européen (italien et français) concourent à renouveler la question du langage et, incidemment celle de la reproduction sociale dans une perspective jusque-là inédite. Les voies de rapprochement entre ces deux modèles nous paraissent être de nature à mettre en contact certains de leur concepts opératoires. La liaison doxa/discours engage les deux champs théoriques, à condition toutefois d'expliciter ici certaines équivalences. Nous poserons ici l'équivalence sens commun/idéologie et l'équivalence discours/performativité. Ceci implique préalablement de considérer le rôle éminent des pratiques discursives (plus exactement des procès énonciatifs engagés par ce biais), de sorte à analyser le sens commun (plus exactement les formations doxiques qui en résultent) comme la dimension discursive de l'idéologie. D'autre part, ces deux équivalences induisent un second parallèle qui consiste à poser le caractère efficient des idéologies pour autant qu'elles se réalisent en discours, et, compte tenu du fait que les discours mettent en oeuvre une dimension pragmatique prévalente.

Quant au moyen terme qui justifie en théorie, comme dans le champ des pratiques, la liaison doxa/discours, nous dirons qu'il consiste dans le procès de reconnaissance inhérent à la réussite de tout procès énonciatif. La mise en discours suppose autant qu'elle implique la production d'évidences ainsi exposées/offertes à la reconnaissance du destinataire [71]. Dans cette optique la fonction représentative du discours consiste dans la garantie sémiotique de cette reconnaissance qui seule préside aux finalités pragmatiques des pratiques discursives. C'est dans le moment spéculaire de ce procès de reconnaissance que tient la production du sens [72] :

En schéma :

 

 

Arrière-plan topique

Reconnaissance

 

Doxa
(Dispositif de topoi) 

 

Discours
(représentations efficientes/
/réalité discursive)

 

 

(re) production de la réalité

 

Fig.6 : Doxa et pratique non linguistique

3. L'espace théorique de la fonction critique : le modèle discursif 2

La définition de la relation doxa/discours appelle une redéfinition de la fonction critique dans les cadres mêmes de cette théorie. De fait, la délimitation de la notion de réalité discursive -lieu et vecteur de reproduction de la réalité historique- conduit à une inscription de la pratique critique dans le champ des pratiques discursives. C'est dans cette perspective que nous envisageons de repenser le statut et le rôle que l'analyse du discours est amenée à jouer dans le champ des sciences sociales et d'une théorie critique de la société.

3.1. La relation doxa/discours et le problème de l'analyse du discours

3.1.1. Position du problème

L'analyse du discours continue d'être tenue pour une branche spéciale de la linguistique. Son statut reste indécidable. L'analyse du discours paraît parfois relever de la sociologie (au mieux de la sociolinguistique), parfois encore d'une linguistique de la parole aux contours encore mal définis (trait qu'elle partagerait, dans certains cas, avec les théories de l'énonciation).

Tributaires de modèles philosophiques qui laissent en suspens la théorie du langage, annexant cette composante à une théorie de l'idéologie [73] ou bien de l'archive [74], l'analyse du discours manque d'unité quant elle n'est purement et simplement le lieu d'une discipline où s'engouffre les options théoriques les plus diverses. La plupart de ces théories laissent en suspens l’essentiel des réquisits susceptibles de contribuer à l'édification d'une théorie du langage largement explicative. Parmi les limites du domaine, on mentionnera l'absence d'une théorie adéquate de la compétence, mais également le manque à gagner d'une articulation conséquente d'une théorie de la production discursive et de l'économie discursive avec une théorie des effets de discours. Enfin, et ce n'est pas la moindre des objections que l'on peut légitimement adresser à ce domaine, ses théoriciens comme ses praticiens, à proportion des moyens institutionnels et techniques dont ils disposent, soustraient le plus souvent leurs travaux à toute pratique qui rejoindrait, par ses ambitions, les préoccupations du collectif. Ce qui est éminemment paradoxal, si l'on tient que l'activité discursive autant que son intelligibilité constituent deux des principaux fondements de la vie en société, et, qui plus est, d'une société de plus en plus régie par les techniques de communication.

3.1.2. La place de l'analyse du discours

La théorie doxa/discours -formulée dans le cadre d'une pragmatique topique- permet l'inscription de l'analyse du discours selon une orientation épistémologique qui lui confère unité et cohérence au regard des objets de la recherche. De ce point de vue, l'analyse du discours occupe dans la pragmatique topique la place d'une composante majeure, située entre la recherche fondamentale (le système du sens commun) et le développement d'une pratique interprétative axée sur l'examen des dispositifs doxiques particuliers (le dispositif topique des productions discursives singulières).

Ce rôle charnière situe le domaine de l'analyse du discours en situation d'élaboration constante de la théorie mais aussi de mise à distance réflexive des discours produits dans une formation sociale donnée.

3.2. La relation doxa/discours et les enjeux de l'analyse du discours

3.2.1. Analyse du discours et compétence topique

Relativement aux réquisits d'une théorie du langage homogène, et largement explicative, l'intégration de l'analyse du discours à la pragmatique topique fait rigoureusement dépendre l'idée d'analyse de la notion de compétence topique [75] . Caractérisée comme une discipline interprétative, l'analyse du discours procède d'une entreprise d'objectivation maximale des mécanismes et des règles qui régissent l'économie des productions discursives. De ce fait même, l'évaluation analytique d'un complexe discursif donné constitue le lieu d'exercice systématique et privilégié de la compétence topique des énonciateurs. Sa mise en oeuvre est alors l'occasion d'une élaboration réflexive qui aiguise le sens critique.

3.2.2. Analyse du discours et théorie du discours

L'analyse du discours ainsi resituée vise à rendre compte, en vertu même des prérequis de la pragmatique topique, d'une série d'articulations efficientes.

Respectivement : de la relation du discours examiné avec l'arrière-plan topique qui le conditionne (le dispositifs des topiques sélectionnés en vue de sa production), ses mécanismes propres (l'économie discursive qui, niveau par niveau, détache son isotopie), enfin l'ensemble des interactions formellement repérables que l'usage de ce discours induit dans le champ de sa production (et de sa diffusion).

La mise ensemble des trois termes de cette articulation vérifie, au niveau du programme de travail de la pragmatique topique [76] , le primat accordé dès les prémisses de la théorie au principe de l'efficience de la réalité discursive.

3.2.3. Analyse du discours et pratique interprétative

La mise en oeuvre de l'analyse du discours, au-delà de la constitution théorique du domaine, détermine une pratique interprétative, par principe destinée à rendre compte du fonctionnement sémiotique et pragmatique des discours dans une perspective communicationnelle étendue, c'est-à-dire en dehors des cercles de spécialistes.

La fondation de la fonction critique résulte donc de cette inflexion théorico-pratique d'une discipline autrement coupée d'une praxis collective. Dans la mesure où elle procède d'une radicalisation du tournant linguistique de la philosophie, la pragmatique topique ainsi conçue porte aux discours la même attention minimaliste qui justifie, pour des raisons à la fois éthiques et méthodologiques, la réduction analytique de la philosophie. L'intégration dans cette perspective de l'analyse du discours consiste à déployer une pratique interprétative assumée comme élucidation [77] des configurations discursives qui assurent la reproduction de la réalité. En schéma :

 

Arrière-plan topique

 

Doxa

 

Discours
(représentations efficientes!
/réalité discursive)

Analyse du Discours (pratique interprétative)

 

 

(re)production de la réalité

Fig.7 : Situation de l’analyse du discours

4. L'espace discursif de la fonction critique : le modèle discursif 3

La réalité discursive constitue le premier objet de la fonction critique, son lieu d'exercice autant que son motif. Dans le champ contemporain, la réalité discursive résulte du travail de l'histoire des deux derniers siècles dont les valeurs constituent la "toile de fond" des prises de parole et de l'action politique. Simultanément, sur un plan technologique, les développements du quatrième pouvoir constituent l'un des principaux biais par l'intermédiaire duquel s'opère la banalisation des valeurs historiques autant que leur reprise.

4.1. L'arrière-plan topique de la société contemporaine

4.1.1. La structuration historique : le consensus universel

La notion de consensus, entendue comme unanimité doxique et partage commun des mêmes valeurs est une caractéristique princeps du monde contemporain. La progression de cet état de fait participe de l'interférence d'un certain nombre de discours constituants et de discours fondateurs , qui appartiennent respectivement à l'espace discursif philosophique et politique.

A. Les topiques historiques

L'espace discursif d'une société est dominé par un arrière-plan topique, caractérisé par l'ensemble des coordonnées culturelles, déposées par l'histoire dans le savoir partagé des sujets qui la composent : valeurs morales, valeurs juridiques, valeurs politiques, etc.

L'arrière-plan topique ainsi identifié participe des événements fondateurs de cette société, et lui confère son identité extérieure. Dans le cas européen, c'est la Révolution Française qui constitue cet événement de rupture à l'aune duquel se mesurent les contours de la société laïque qui en est issue.

Préalablement portée par le mouvement des Lumières, le système des topiques historiques de l'Europe contemporaine s'expose de manière constante dans le discours de la philosophie de l'histoire . Dans le cas présent, L'Esquisse   d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, de Condorcet, cristallise sous forme d'un précis synthétique l'institution des valeurs universalistes qui définissent dans l'espace républicain naissant la doxa éthico-politique appelée à dominer la majorité des nations modernes [78].

B. La planétarisation des idéaux.

L'extension graduelle de la doxa éthico-politique issue de la Révolution Française, son adoption par les nations d'Europe et les États-Unis, leur radicalisation à l'échelle des États édifiés d'après le modèle marxiste atteste, au plan des discours juridico-politique, la planétarisation des idéaux universalistes.

L'accentuation de cette tendance, également diagnostiquée par les philosophies de l'histoire contemporaines [79] aussi bien que par les sciences sociales [80] est un fait marquant des développements historiques survenus depuis la fin du XVIIIe siècle. Le lien que les discours philosophiques constituants entretiennent avec l'ensemble des discours politiques fondateurs est une autre attestation, tout à fait remarquable, de la substitution d'une doxa à une autre (passage du paradigme théologique d'Ancien Régime au paradigme juridique universaliste des Lumières) dans le champ historique moderne et contemporain. Cet effet discursif de banalisation et de diffusion, le plus souvent par le biais des chartes politiques princeps (Déclarations des Droits de l'Homme et du Citoyen, Constitutions d'inspiration républicaine etc.) tend de même à étayer la prégnance, dans une formation sociale donnée, d'une efficacité toujours opérante du dispositif notionnel fondamental sur les pratiques discursives et sémiotiques qui en résultent. Dans le monde contemporain, l'essor de la doxa universaliste constitue le principal vecteur de la planétarisation des idéaux. Celle-ci tend à réaliser la clôture européocentrique du monde [81]

4.1.2. L'économie sémiotique actuelle : le consensus politico-social

A. Le topos de la société idyllique

La recherche du consensus constitue la norme des sociétés régies par un Etat de droit. Cette norme caractérise au premier chef les nations édifiées à partir du modèle occidental; dans le cas contraire, elles prétendent ou tendent à s'en inspirer. Cette même norme ne laisse pas d'être présentée par le discours politique comme une valeur de liberté (étant entendue que sa réalisation permettrait de garantir les libertés). Mais la traduction exponentielle de cette optique dans les discours qui dérivent de la topique universaliste donne lieu, dans le cas des sociétés qui ont atteint un fort degré de croissance technologique et économique, à une idéologie de la convivialité le plus souvent traduite en discours social.  Cette réalité discursive définit les principales orientations de l'idéologie de la société idyllique, propre à forcer le consensus politique ou à obtenir les conduites de consommation et d'échange adaptées à la nature du système global.

B. La médiatisation des idéaux

Dans l'espace contemporain, l'activité discursive et sémiotique développée par les médias constitue, à l'échelle du collectif, un important relais de diffusion des contenus doxiques dominants. Au-delà des discours constituants et des discours fondateurs, les dispositifs médiatiques produisent des discours occasionnels qui actualisent, selon des modalités diverses, les orientations dominantes. S'agissant du secteur des échanges, le pôle médiatique assure la transmission des idéaux préalablement adaptés aux finalités pragmatiques des discours occasionnels. Les modèles de consommation ou de comportement valorisés, par exemple, par le discours publicitaire ou le discours sportif, prolongent dans l'espace public les attendus des valeurs dominantes ainsi érigées en occasion de pratiques diverses.

4.2. La reproduction sociale communicationnelle

La production discursive de la réalité, sous le rapport d'une élaboration continue de la réalité discursive, atteint dans le monde contemporain une dimension rarement atteinte dans l'histoire de l'humanité. Les pratiques, massivement façonnées par les discours, relèvent de façon inédite de l'action du quatrième pouvoir. La constitution du réel en passe de manière renforcée par la médiatisation de son objet.

4.2.1. La médiatisation du réel

La représentation médiatique du réel impose au collectif des modèles de substitution qui reflète l'état du monde, de la politique etc. sur le mode de la représentation. Le schéma de communication alors en usage réitère, à l'échelle technologique, les attendus de la conception classique du langage, à ceci près que les objets représentés, aussitôt reconnus, en appellent à la confirmation des contenus doxiques supposés pour leur compréhension.

Mais, par-delà les orientations « thématiques » de la discursivité médiatique, la représentation du réel repose sur une préformation de celui-ci par le biais du découpage de l’information. Ces cadres formels préadaptent ses destinataires à entrer dans un espace interprétatif par avance délimité.

4.2.2. La déréalisation du réel

La médiatisation du réel a pour corrélat sa déréalisation à proportion d'une mise à égalité sémiotique de ses différentes dimensions [82] . Tenant lieu de réalité, la réalité discursive ainsi produite détermine des formes de subjectivité accessibles à l'indifférenciation du monde réel et des mondes virtuels. La réification de l'expérience tend alors, et de façon accrue, à situer les termes de la reproduction sociale sur un plan communicationnel [83]. C'est désormais dans cette perspective qu'il convient de penser les stratégies de discours -ici réinterprétées comme vecteur princeps des stratégies d'influence; de même, c'est dans cette optique qu'il sied aussi de redéfinir le problème de la lutte politique ou du combat moral. L'ancienne problématique de l'aliénation et de la domination doit être réexaminée à l'aune des nouvelles conditions d'organisation (et de mise en condition) du collectif.


5.
La forme discursive de 'la fonction critique : le modèle discursif 4

Il nous reste à présent à expliciter les principales articulations qui unissent implicitement la pratique critique au modèle théorique dont elle se laisse déduire, en indiquant notamment de quelle façon la fonction critique, inscrite dans l'horizon de la pragmatique topique, s'enracine dans son dispositif conceptuel pour s'affirmer comme une praxis du sein même d'une formation sociale donnée.

5.1. Pragmatique topique et pratique critique

5.1.1. Remarque liminaire

Dans le modèle de la pragmatique topique la fonction critique se traduit en pratique discursive dès lors qu'elle se trouve confrontée à traiter de réalités discursives. Cette situation indique un ordre de consécution invariable entre la théorie d'ensemble et la modalité d'action qui en résulte. Le primat de la théorie ne reconduit pas ici le topos traditionnel de l'opposition théorie/pratique, dans la mesure où, la fonction critique s'affirme comme pratique théorique qui s'exerce comme prise analytique sur des productions discursives particulières.

5.1.2. De la réception à l'interprétation

Pour autant que les productions discursives s'imposent au collectif en constituant les sujets en destinataires (c'est-à-dire en prospects de stratégies discursives finalisées), leur diffusion affecte la compétence topique de ceux-ci sur le plan de la réception.

L'unilatéralité initiale de la production discursive, notamment dans la communication dite de masse, n'attend pas de réponse. Au vu de ce schéma de non réciprocité communicative, l'exercice de la fonction critique -c'est-à-dire sa mise en oeuvre en tant que pratique effective- commence dès l'instant où les discours destinés et reçus donnent lieu à une "reprise" -de l'ordre de l'analyse ou du débat- de la part du collectif concerné.

Dès ce moment, l'exercice de la fonction critique, manifestée comme pratique méta-discursive, prend forme dans des postes d'énonciation spécifiques, enracinée dans la compétence topique des sujet, d'où elle revêt la dimension d'une pratique interprétative.

Cette situation, historiquement marquée, détermine une herméneutique politique des pratiques discursives.

5.2. Pragmatique topique et contre-pouvoir

5.2.1. Le modèle socratique

Si on limite volontairement le champ d'exercice de la fonction critique au seul domaine politique (encore que cette notion puisse d'emblée s'entendre en un sens étendu), il apparaît que le modèle d'action discursif ainsi défini constitue un cadre inédit pour articuler rigoureusement le thème de l'opposition politique, c'est-à-dire le statut de la revendication ou de la contestation dans une société de droit [84].

Il faut alors se représenter l'exercice de la fonction critique [85] (préalablement redéfinie comme pratique discursive interprétative) selon l'exemple socratique qui est au principe de l'activité philosophique.

La transposition du modèle socratique dans l'espace pragmatique contemporain partage avec son paradigme fondateur certains de ses principaux traits : sa situation de plain- pied dans la cité, au milieu des préoccupations communes; et, pour ce qui est de l'esprit qui gouverne sa pratique, l'ironie, c'est-à-dire la mise en oeuvre d'un questionnement qui feint l'ignorance.

Pour autant, la pratique déployée, fondée sur la reprise des discours destinés et reçus, consiste à opposer aux stratégies d'envergure des formes du pouvoir des tactiques de savoir déduites de la mise en rapport de l'information diffusée et de la compétence topique des sujets.

5.2.2. Le légalisme critique

Sur bien des points l'arrière-plan topique des sociétés contemporaines confèrent à son exercice une légitimité a priori (variante concrète de l'a priori doxique de la communication).

La conjonction des dispositifs topiques mis en place par les discours constituants et les discours fondateurs, garantit dans le sens commun, le libre cours de la pratique critique. Le déploiement de l'ironie socratique du sein même de la cité, selon des modalités organisationnelles qui imposent sa transposition aux cadres des sociétés modernes trouve, en principe, dans les dispositions doxiques de ces sociétés les moyens de son expression.

Au plan intérieur comme au plan extérieur, ces ensembles de coordonnées définissent la plate-forme axiologique, inscrite dans le langage ordinaire, au nom de laquelle peuvent être engagées des actions spécifiques. Du point de vue éthico-politique, l'arrière-plan topique des sociétés contemporaines préforment les discours en vue de ce qu'il convient d'appeler le légalisme critique [86].

5.3.1. La position énonciative:

La pratique critique ainsi conçue favorise l'élaboration d'un modèle politique libertaire, fondée sur le primat de l'énonciation en première personne et, corrélativement, pour ce qui touche à ses points d'ancrages concrets, sur la décentralisation communicationnelle [87] Tout sujet énonce; de même tout sujet est susceptible de soumettre à l'évaluation de sa compétence topique les productions discursives qui le constituent en destinataire, selon des finalités pragmatiques spécifiques. Il résulte de ce statut discursif de l'activité critique une déduction de l'éthique comprise comme agissements des libertés fondamentales, à partir de l'instance énonciative.

5.3.2. Le moment dialogique

La pratique critique suppose toute la gamme des positions énonciatives qui instancient la réalité discursive. La topologie communicationnelle au centre de laquelle se situe l'instance énonciative première détermine l'optique à l'aune de laquelle une praxis interprétative, individuelle ou groupusculaire, peut s'affirmer. L'identification de l'énonciation en première personne et de la praxis interprétative constitue en outre le pôle d'arraisonnement [88] des discours produits dans la sphère collective. Leur reprise analytique, dans ce cadre informel, consiste à soumettre le langage réifié du quatrième pouvoir à l'espace de l'interlocution -lieu premier de la donation du sens.

5.3.3. Critique et lien social

Corrélativement, la mise à l'épreuve dialogique des contenus réifiés, en instituant, au-delà de toute représentation institutionnelle, la possibilité d'une régulation éthique de la vie en commun, sanctionne à la base le principe d'une pratique démocratique directe, garante, par ses interventions réitérées, des cadres de la société ouverte [89]. Mais la constitution du lien social, dans un entour dominé par les moyens de communication -et simultanément régi par les critères de la société de droit qui font une large place aux sujets- doit être l'objet d'un soin vigilant. La situation d'atomisation des pratiques, la production de nouvelles formes de subjectivité (et de perception), toutes deux, consécutives aux mutations technologiques, définissent un espace de vie où l'être ensemble relève d'une adhésion imaginaire souvent renforcée, souvent dominée par l'incorporation de l'entour immédiat dans des sphères de réalité médiatisées ou virtuelles. Dans ces conditions qui tendent à se généraliser, en modifiant profondément les structures de perception et d'intelligibilité, le lien social est appelé à se fonder autrement. De sorte que la mise en oeuvre de la critique -toujours conduite à des fins de transformation du monde- doit puiser, dans ces conditions de "décentralisation communicationnelle", de nouveaux moyens d'intervention. Le lien associatif, juridiquement sanctionné ou régi par une dynamique convergente d'intérêts provisoires, paraît adapté pour relever les nouveaux défis.

En schéma :

 

Doxa------------------------

--------------> Pratiques discursive

 

(topoï historiques)----------------

---->discours constituants (philosophiques)

 

(doxa universaliste)---------------

--->discours fondateurs (politico-juridiques)

 

(discours universaliste)

discours occasionnels (médiatiques)

 

Idéologie de la société idyllique

Compétence topique
(Légalisme critique)

 

 

 

Analyse du Discours
(pratique méta-discursive/
herméneutique politique du « langage ordinaire »)

 

 

 

Extraction des topoï

Fig.8 : L’inscription historique de la pratique critique

6. Remarques finales

L'esquisse d'une pragmatique topique exposée dans ce mémoire prévoit l'étude des relations entre doxa et discours. Deux postulats commandent ses orientations de recherche. Le premier affirme la thèse d'une constitution discursive et sémiotique de la réalité, et pose l'autonomie de la réalité discursive qui résulte de ce procès de constitution. Le second postulat développe une ligne de recherche qui conteste la conception classique du langage : les représentations discursives (qui définissent la réalité ) ne sont pas de simples reflets mais des représentations efficientes. Ces représentations efficientes assurent la reproduction du réel selon les contraintes d'un arrière-plan topique conditionnant. Deux options de recherche dérivent de cette construction théorique : une option descriptive et une option critique. Dans les deux cas, la pragmatique topique vise à rendre compte de l'articulation des trois composantes : doxa/discours/réalité discursive dans la perspective de l'activité de la compétence topique des énonciateurs.

L'option descriptive consiste dans le développement de la théorie ;elle a pour finalité la constitution d'une topique générale (fondée sur la distinction de deux classes de topoï : épistémiques et idéologiques). Elle intéresse l'ensemble des recherches cognitives à partir de la question philosophique du sens commun. La seconde option constitue une inflexion de la pragmatique topique dans le cadre d'une théorie critique de la société. Cette branche, fondée sur le primat d'une pratique discursive interprétative redéfinit les orientations et spécifie les buts traditionnellement reconnus à la critique des idéologies.

Les deux options de la pragmatique topique ont en commun de développer une pratique discursive spécifiquement liée à l'examen des relations doxa/discours. Dans cette double perspective, on envisage de redéfinir l'analyse du discours selon les orientations de la théorie doxa/discours afin d'en justifier l'intégration, comme une composante décisive, aux cadres de la pragmatique topique.

La mise en oeuvre concrète de l'analyse du discours intervient dans un second temps pour organiser simultanément l'examen des configurations topiques sous-jacentes aux formations discursives spécifiques et pour assurer une intervention critique continue dans le champ politique.

Ainsi caractérisée, le modèle de la pragmatique topique reconduit dans le champ des sciences du langage et des sciences sociales la geste philosophique dont elle procède, selon le topos fondateur de l'affrontement de la doxa et d'une tradition de pensée définie dans cette initiative de rupture.

Mais d'autre part, en tant que théorie critique, redéfinissant dans le cadre d'une théorie sémantique les exigences du tournant linguistique de la philosophie, la pragmatique topique constitue également, du point de vue politique, une redéfinition du modèle socratique dans le champ contemporain.


7. Doxa, orthodoxie, hétérodoxie, paradoxe (note prospective)

Si l'on en juge par la relative diversité du champ lexical relatif à la doxa, ce que désigne cette dernière se situe, dans l'éventail même des opinions, comme la voie du milieu.
Les trois vocables qui constituent le champ lexical de la doxa sont donc obtenus par dérivation préfixale, de sorte à délimiter un espace notionnel à l'intérieur duquel sont contenus les marquages lexicaux des positions doxiques prévues par la langue.
En examinant de plus près le champ de référence de ces divers vocables en y incluant d'emblée le terme doxa comme terme de tête, on discrimine deux perspectives paradigmatiques.
L'horizon de signification auquel introduit la question de la doxa s'avère, dans l'histoire de la langue française, d'abord saturé par une délimitation théologique et, plus tardivement seulement, par une acceptation sécularisée de la précédente.
Au reste, l'autorité théologique prévoit deux positions doxiques, nécessairement inconciliables : l'orthodoxe et l'hétérodoxe.
Seul le modèle d'une autorité doxique sécularisée paraît admettre trois positions doxiques, en incluant, comme une singularité en la matière, celle qui résulte du paradoxe.

Pour considérer le premier domaine de définition envisagé, l'histoire de la langue fait initialement droit [90] en matière d'opinion, à l'orthodoxie. Toujours, dans la même perspective historique, la place d'une opinion contraire, caractérisée comme hérésie, n'entre que plus tardivement dans la langue, d'où elle reçoit le nom d'hétérodoxie [91] . Dans ce tout premier champ d'acceptation, la langue reconnaît déjà à la doxa la valeur d'une autorité qu'il est permis de codifier en "opinion droite" (orthodoxie) et opinion contraire (hétérodoxie). Implicitement déjà, le domaine de référence de ces deux positions doxiques appelle la conjonction de deux topoï :celui d'une autorité codifiée susceptible, en cas de dérogation ou d'écart, de s'exercer comme force de contrainte par le biais d'un pouvoir organisé (celui de l'Église, en l'occurrence). Les acceptions plus tardives, qui consistent dans des caractérisation séculières de la même série lexicale, entérinent définitivement les topoï initiaux en redéfinissant un espace doxique diversifié, toujours préordonné à une position doxique liminaire (la doxa elle-même) dont les autres termes organisent la codification en la spécifiant. Le schéma notionnel est sensiblement équivalent au précédent. L'autorité de l'opinion admise (orthodoxie) [92] constitue une ligne de démarcation nette vis-à-vis d'une position qui s'en écarte d'une façon antagonique (hétérodoxie). Cependant, le paradigme doxique séculier, en admettant dès le début de ce procès de différenciation lexicale, l'existence d'un troisième terme identifie, relativement à l'opinion antagonique (hétérodoxe) [93]une autre catégorie d'opinion contraire (le paradoxe) [94] qui, à la différence de la précédente, ne constitue pas un écart antagonique, mais un écart distinct. Si la doxa est la source première d'une autorité, spécifiée par l'orthodoxie, combattue par l'hétérodoxie, le paradoxe (en tant que singularité ou bizarrerie) constitue moins une seconde modalité du refus affirmé de l'orthodoxie (comme c'est le cas de l'hétérodoxie), qu'une dérogation principielle aux normes de la doxa [95]. Si les termes du champ lexical de la doxa définissent un réseau d'oppositions d'abord ternaire (doxa -orthodoxie/hétérodoxie/paradoxe), le champ de la doxa cède, par le jeu des signifiés, à une économie dominée par une série d'opposition de type binaire (doxa -orthodoxie/hétérodoxie; hétérodoxie/paradoxe). Mais in fine, le paradoxe, qui se rattache d'emblée, dans l'histoire de la langue, au paradigme d'une autorité de la doxa sécularisée paraît bien représenter un affrontement, et comme tel un retour sans médiation, à la contestation de la doxa. Mais le paradoxe, qui désigne plus nettement la contradiction -et même la contradiction logique (antinomie), constitue une dérogation non pas axiologique à la doxa (comme c'est le cas de l'hétérodoxie par rapport à l'orthodoxie) mais une dérogation logique [96]. En somme, le statut du paradoxe, à condition d'être davantage questionné, constitue un biais privilégié pour mieux comprendre ce qu'est la doxa [97]. En tant que voie du milieu, mais encore en tant que pôle de convergence d'une communauté, la doxa s'entend d'un ensemble de normes, à la fois axiologiques et logiques. La doxa est en somme dépositaire d'une rationalité première. C'est en tant que telle qu'elle constitue une autorité incontestée par le plus grand nombre, un savoir partagé. De sorte que si l'on considère les autres termes du champ lexical de la doxa à la lumière de cette hypothèse, et des nouveaux éléments qui ont permis de la fonder, on pourra conclure en première approximation que les termes oppositifs précédemment évoqués illustrent bien les deux dimensions de la doxa, sa dualité intrinsèque. La doxa serait une raison commune intégrant des normes axiologiques et des normes logiques, à la fois un système de valeurs (dont les sociétés dériveraient une certaine morale pratique), à la fois un dispositif rhétorico-logique (dont les membres de cette société se serviraient pour conduire (ou construire) leurs raisonnements). Dans cet ordre d'idée, l'orthodoxie -premier des trois dérivés lexicaux du champ de la doxa- serait une partition, par spécification, de l'autorité naturelle de la doxa en quelque sorte aménagée par une autorité historique actuelle en vue de régir les modes de pensée et de conduite d'une partie ou de l'ensemble d'une société (le cas de l'Église l'atteste clairement). Cette autorité historique actuelle aurait d'autant plus de droit à imposer la conformité aux normes qu'elle prescrit que ses attendus s'adapteraient sans "paradoxe" aux dispositions de l'opinion préalablement admise. L'autre hypothèse consisterait à envisager une doxa d'emblée imposée comme orthodoxie, fut-ce au prix de la production d'une situation paradoxale (au moins dans les commencements de son entreprise d'hégémonie). Deux conceptions de la doxa en résultent : la première qui consiste à supposer qu'une doxa historique tend à se légitimer par une autre (plus ancienne); la seconde aux termes de laquelle une doxa s'impose d'emblée comme orthodoxie (et du même coup comme paradoxe), en rupture totale avec la doxa précédemment admise. Le premier cas, qu'illustre par exemple une situation de transition historique graduelle correspond à une situation de mutation sans rupture; le second cas, qu'illustre par exemple une situation historique marquée par le conflit physique, correspond à une conjoncture révolutionnaire. Mais le problème de l'économie d'une doxa est encore plus complexe si l'on tente de résoudre, dans une perspective historique, la question des modalités d'articulation entre normes axiologiques et normes logiques selon les conjectures envisagées. On peut tout d'abord généraliser le schéma de raisonnement qui précède en avançant que ce qu'il faut entendre par "situation historique" peut aussi bien désigner une situation politique qu'une conjoncture scientifique. Auquel cas, l'histoire nous offre bien des exemples de vérification de ce schéma, y compris en inversant les termes ou en les combinant [98]. Ceci posé, les différents termes du champ lexical de la doxa paraissent définir leur système d'oppositions dans une perspective qui privilégie soit l'aspect axiologique soit l'aspect rhétorico-logique de la doxa. L'opposition orthodoxie/hétérodoxie (en supposant que l'orthodoxie se confond ici avec la doxa) relève prioritairement de la contradiction axiologique (un système de valeurs et de croyances combat un autre dispositif de valeurs et de croyances). Dans cette optique le paradoxe définit un écart radical analogue à la production d'une troisième valeur. L'opposition doxa/paradoxe (ou orthodoxie/paradoxe, donc quel que soit ici le statut de la doxa) définit, par différence, une opposition de type logique, n'affectant pas nécessairement le plan des valeurs, mais plus fondamentalement celui du raisonnement [99]. Ces différents systèmes d'opposition permettent de déplacer provisoirement le problème dont nous traitons en direction d'un approfondissement du statut du paradoxe afin de mieux préciser notre compréhension de la doxa. Qu'on l'envisage comme "singularité" ou comme "contradiction logique" le paradoxe introduit dans la problématique de la doxa une possibilité qui fait osciller la réflexion entre une logique binaire et une logique trivalente. En tant que "singularité", le paradoxe n'affecte que lointainement l'opposition doxa /orthodoxie/hétérodoxie, dans la mesure où il constitue une dérogation liminaire au dispositif reconnu, à part égale, par les deux positions qui s'affrontent (orthodoxie/hétérodoxie). Du point de vue logique, il en est de même, puisque orthodoxie et hétérodoxie s'affrontent sur une donnée fondamentale commune, tandis que le paradoxe consiste dans la mise en cause radicale de cette même donnée, ou bien s'institue comme un "à côté" par lequel, tout en introduisant une contradiction, il échapperait à l'affrontement [100]. Pour clore cet aperçu, nous soulignerons une donnée notionnelle que chacun des termes du champ lexical de la doxa paraît comprendre, ou impliquer, dans son signifié. Les différentes positions doxiques donnent prise au débat dans la seule mesure où elles s'objectivent dans des pratiques, et notamment dans des pratiques discursives. L'idée d'une prédétermination des discours par des stratifications doxiques conditionnantes, confirme alors, à l'échelle de l'examen d'un champ lexical, les principales hypothèses de travail de la théorie doxa/discours [101]. Les positions discursives s'articulent à des dispositions doxiques qu'elles objectivent, sous le rapport de stratégies argumentatives ou de pratiques sémiotiques non linguistiques qui en dériveraient. D'autre part, les différents procès d'objectivation des positions doxiques dans des pratiques sémiotiques ont pour enjeu les positions de pouvoir dont elles procèdent ou qui sont enjeux de ces pratiques. Cet horizon théorique justifie également une caractérisation contextuelle du problème de la doxa. Arrère-plan conditionnant des pratiques discursives, une doxa constitue toujours une région du sens commun; comme telle, elle intègre un dispositif de topiques propres, d'abord inscrits dans la composante lexicale des langues. Enfin l'examen des configurations doxiques d'une langue constitue un biais d'accès privilégié pour construire la sémiotique du collectif informé par cette langue. La connaissance descriptive d'une culture, à travers ses diverses œuvres, de même que le projet critique [102] qui peut en résulter, participent des orientations du même programme de recherche.

[Continuer]


NOTES

[59] Il faut se tourner vers la tradition rhétorique (Aristote, C. Perelman) et la sémiotique (A. J. Greimas) pour trouver, à partir de la problématique du sens commun, les éléments théoriques susceptibles d'être mobilisés pour mener une critique de la compétence linguistique.

[60] L'idée de compétence topique ouvre de fait sur la question de l'individuation, envisagée d'un point de vue philosophico-politique mais aussi éducatif.

[61] Le problème des fondements éthiques formels de la prise de parole, a été successivement traité en philosophie générale par M. Buber et E. Lévinas, en théorie du langage par E. Benveniste et F. Jacques.

[62] Le "Cela" par M. Buber, le"Il"par E. Benveniste, et, comme une modalité radicale de la présence anonyme, le "Il y a" par E. Lévinas

[63] Il semble que c'est dans les rangs du radicalisme américain (H. Marcuse, N. Chomsky) et du  situationnisme européen (H. M. . Enzensberger) que l'on trouve une problématique discursive de la contestation, en rapport avec les données formelles du langage (par exemple: "L'univers du discours clos" de H. Marcuse, in L'Homme unidimensionnel ).

[64] Cette perspective d'analyse emprunte principalement à la ligne de pensée phénoménologique qui , depuis La crise de l'humanité européenne et la philosophie (1937) de E. Husserl développe une interrogation philosophico-historique sur l'Europe (cf. également : J. Patocka, Platon et l'Europe, ainsi que E. Lévinas, A l’heure des nations).

[65] Pour un premier exposé de cette notion, cf. G. E. Sarfati, "Pragmatique et sens commun - note pour une pragmatique topique"( 1 995b).

[66] Cf. E.Benveniste, "Coup d'oeil sur le développement de la linguistique", in Problèmes de linguistique générale, T. 1.

[67] .Cette distinction, peu satisfaisante, a principalement une portée méthodologique, consistant à souligner l'importance des pratiques discursives

[68] Particulièrement une analyse du discours philosophique. Cependant, telle que nous l'envisageons ici, sa pratique se démarque de celle que définit F. Cossutta dans les Eléments pour la lecture des textes philosophique (1989). Dans la perspective de la pragmatique topique, l'analyse du discours philosophique poursuit deux buts : (1). La délimitation du statut du sens commun afin de reconnaître les conditions de possibilité épistémologiques d'une théorie linguistique du sens commun; (2).L'identification de l'affrontement topique à la doxa qui se joue dans la discursivité philosophique, tenant lieu de paradigme à la théorie critique déduite de la pragmatique topique. L'analyse de la discursivité philosophique détermine, en outre, un critère de démarcation entre doxa et critique. Comme la philosophie, la fonction critique se situe du côté d'une tradition de savoir. Enfin s'agissant de la série textuelle produite dans le champ de la philosophie de l'histoire, l'analyse du discours philosophique vise à mettre au jour les configurations doxiques qui sont à l'origine du discours occidental, et de sa mondialisation, notamment au plan politique.

[69]   J. L. Austin, Quand dire, c'est faire, deuxième conférence.

[70] C'est ainsi que nous interprétons le statut théorique des trois composantes A, B et "Gamma" identifiées par Austin au cours de sa recherche des conditions de réussite d'un acte de parole.

[71] Il convient de souligner ici la convergence théorique qui existe, entre Austin et Althusser, autour du concept de reconnaissance. Austin, le premier, a recours à ce concept pour rendre compte de la réussite d'un acte de parole ("securing into uptake"); quant à Althusser, on le sait influencé par la théorie lacanienne du stade du miroir, il rapporte l'efficacité de l'idéologie à la mise en oeuvre d'un procès de "reconnaissance des évidences" (de l'idéologie). Si l'on thématise le sens commun en tant que dimension discursive des idéologies, ou en tant que réalité qui s'objective dans des pratiques discursives et sémiotiques, le procès de reconnaissance supposé constitue un moment déterminant de la communication.

[72] Le même procès de reconnaissance demeure une nécessité quand on envisage l'interférence des pratiques discursives et de la sémiotique des modes de perception, Cf. F. Rastier, 1995.

[73] Notamment dans sa version althussérienne, cf. L. Althusser, "Idéologie et appareils idéologiques d'État", adaptée par exemple par M. Pécheux dans L'Analyse automatique du disours.

[74] Telle qu'elle se trouve développée par M. Foucault dans L'Archéologie du savoir, et, par exemple, reprise après discussion, par D. Maingueneau dans L'analyse du discours, introduction à une lecture de l'archive.

[75] Cf. notes (5 3) et (60).

[76] Cf. note 51. Ajoutons ici une autre précision. L'idée d'une doxologie, comprise en un sens philosophique, a été formulée par Leibniz (Discours de métaphysique, § 27) pour désigner une "manière de parler adaptée à l'apparence, à l'opinion ou à la pratique", cité par A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Mais, nous nous sommes démarqué de cette terminologie pour identifier une théorie générale du langage qui a pour objet l'analyse (et la critique) des configurations doxiques qui sous-tendent les ensembles discursifs produits dans une formation sociale donnée (d'après la définition proposée au Premier Congrès International de Pragmatique, qui s'est tenu à Jérusalem, sous la présidence de Marcelo Dascal, en Mai 1995). Ce projet définit une pragmatique qui se situe au-delà de la problématique de l'intersubjectivité .

[77] Pour une genèse très précise du minimalisme philosophique qui est au principe de cette méthode, on se reportera à J. Bouveresse, La parole malheureuse.

[78]   Il est remarquable de suivre la progression des effets historiques de cette pensée, à quelques décennies d’intervalle, sous la plume de A. de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique.

[79] Cf. note (65).

[80] Dans une perspective critique générale, on se reportera à l'ouvrage de S. Latouche : L'Occidentalisation du monde.

[81]   La perspective que nous développons se fonde, entre autres, dans les travaux de N. Elias, en particulier : La dynamique de l'Occident.

[82] P. Schaeffer interprète comme une consommation de signes la communication dans une société industrialisée où la construction du réel suppose des médiations et des médiatisations successives. Cf. "La Communication", in Encyclopaedia Universalis.

[83] Il s'agit de maintenir dans un cadre pragmatique des éléments autrement réinterprétés dans une perspective sociologique par des auteurs comme J. Habermas et P. Bourdieu.

[84] Dans l'état actuel de la politique mondiale, tous les États se prévalent d'être dotés de constitutions qui garantissent les droits de l'homme et les libertés individuelles. Cette situation rend d'autant plus pertinente l'édification d'un légalisme critique assumé pour faire valoir des revendications fondamentales, dans le cadre d'une conception discursive de la fonction critique.

[85] Comment ne pas reconsidérer ici la proposition de Marx : "Les philosophes ont jusque-là interprété le monde. Il s'agit à présent de le transformer" (Thèses sur Feuerbach ). Dans la conception pragmatique de la fonction critique, l'interprétation ne s'oppose plus à la transformation. La détermination de la fonction critique comme pratique interprétative - c'est-à­dire, selon une définition complémentaire comme herméneutique politique des pratiques discursives - intervenant sur des dispositifs discursifs efficients constitue de facto un facteur de transformation.

[86] Les "valeurs philosophiques de la civilisation" constituent le fonds commun des sociétés affectées par l'universalisme des Lumières. C'est dans cette perspective que se comprennent les actions de la dissidence politique, telle qu'elle s'est, par exemple, illustrée dans les pays de l'ex­Bloc de l'Est. Le cas de la Charte des 77 (animée par J. Patocka) vérifie cette inspiration fondamentale. Sur un plan national comme sur un plan international, d'autres initiatives, comme celles, par exemple d' Amnesty International, procèdent du même potentiel critique de la doxa éthico-politique contemporaine. Plus généralement, les notions de "conscience internationale" et d' "opinion publique", alléguée comme des autorités naturelles sont à resituer et à repenser dans la perspective d'une réflexion fondamentale sur les normes idéales de la "forme-Europe". Dégradées en idéologies, ces mêmes normes sont érigées, dans une perspective critique, en valeurs-force pour mener des actions de revendication ou de protestation.

[87] Avec le développement des moyens individuels de communication, l'utopie d'une société décentralisée, et de ce fait même hautement informatisée permet de renouer, dans une optique jusque-là inédite, avec un certain nombre de thèses libertaires. Cf. les ouvrages de P. Breton : L'Explosion de la communication, la naissance d’une nouvelle idéologie et L'Utopie de la communication.

[88] C'est-à-dire, littéralement, de mise à la raison, par le biais de la pratique critique.

[89] La mise en oeuvre de la fonction critique, exprimée comme pratique interprétative dans une société dominée par l'idéologie de la communication constitue une défense de la société ouverte mise en oeuvre du sein même de la société civile. Comme telle, cette pratique critique radicale est une réalisation première de la démocratie, sa véritable garantie.

[90] Pour ce qui est de l'acception théologique du terme, les dictionnaires proposent la date de 1580.

[91] Les dictionnaires datent l'apparition de cet autre vocable de 1690 (mais de 1667, celle du terme "hétérodoxe").

[92] Le sens tardif, obtenu par extension du sens théologique est attesté à partir de 1787, pour désigner, au-delà du refus du dogme ecclésiale, une attitude anticonformiste.

[93] C'est, une fois de plus, par généralisation de l'extension du signifié que le sens plus tardif est obtenu, à partir du 19è siècle, assurant ainsi le passage de "l'hérétique" au "dissident".

[94] Le terme est attesté à partir de 1485; il précède de loin (respectivement un siècle et deux) l'apparition des termes du couple lexical orthodoxe/hétérodoxe.

[95] Dans tous les cas de figure, l'opposition paradoxe/doxa est distinct (diachroniquement, aussi bien que notionnellement) de l'opposition orthodoxie/hétérodoxie.

[96] Le paradoxe est avant tout caractérisé comme une infraction au bon sens.

[97] Antérieurement à l'hétérodoxie, le paradoxe est la première modalité reconnue de dérogation à la doxa. Comme si l'opposition orthodoxie/hétérodoxie, avant d'être sécularisée, avait consisté, dans une perspective strictement théologique, en une relecture spécifique de l'opposition initiale doxal/paradoxe. Auquel cas, l'hétérodoxie serait, par rapport à l'orthodoxie dans le champ théologique, l'analogue du paradoxe par rapport à la doxa. Dans une situation de sécularisation généralisée de ces termes, la notion de paradoxe, ressentie comme redondante, se spécialiserait dans l'usage pour désigner plus spécifiquement l'infraction de type logique. La question de savoir quels sont les raisonnements topiques de la doxa, tenus pour une forme de rationalité commune, est certainement l'un des enjeux majeurs d'une analyse sémantique du sens commun.

[98] Ce schéma général indique que la théorie de la culture pourrait également être pensée dans une perspective doxique : par exemple, la question de l'esthétique et celle de l'innovation scientifique, et, dans la perspective d'une analyse du discours de la philosophie de l'histoire le problème du "Zeitgeist" d'une société ou d'une ère de civilisation.

[99] Cf. note (98).

[100] Le terme de paradoxe, en vertu de son préfixe ("para-"), spécifie l'extériorité ("à côté de") davantage que la différence par opposition, comme le suggère l'hétérodoxie relativement à la doxa.

[101] Théorie construite dans le cadre de la pragmatique topique.

[102] Sous son versant critique, la pragmatique topique est une pratique hétérodoxe.