Carine DUTEIL-MOUGEL : INTRODUCTION À LA RHÉTORIQUE

ANNEXE 11 : Figures de mots du deuxième genre (Quintilien)

 

FIGURES DE MOTS du deuxième genre

« Il y a plus de vigueur dans celles qui ne reposent pas seulement sur le procédé d’expression, mais qui communiquent aux pensées mêmes, tantôt de l’agrément tantôt de la force. » (28, p.209-210)

« Au premier rang, il y a celle qui procède par addition. Il y en a plusieurs genres. » (28, p.210)
=> sections 28 à 57 (pages 210 à 218)

  • On peut, en effet, doubler les mots, soit pour amplifier, soit dans une intention de pitié 
  • Quelquefois aussi, l’on tourne cette même figure en ironie pour discréditer 
  • Semblable à ce redoublement est la répétition après une incise, mais elle a encore un peu plus de force
  • Et, quand à partir des mêmes mots commencent plusieurs phrases, la répétition est âpre et pressante (anaphore)
  • Et le même effet s’obtient s’il les termine (épiphore)
  • le commencement et la fin des phrases sont identiques (symploque)
  • Même dans les antithèses et les comparaisons, la répétition alternée des premiers mots des phrases qui se répondent est souvent une figure 
  • Un mot mis au milieu peut également répondre au mot du commencement ou de la fin
  • Et personne ne doutera que le même effet puisse se produire si l’on répète le milieu de deux phrases
  • Il y a aussi un genre de répétition qui reprend et divise ce que l’on vient d’énoncer : la regressio
  • Et ces oppositions ont lieu, lorsque les mots expriment non seulement la même idée, mais des idées qui se répondent
  • Cette reprise varie aussi parfois les cas et les genres ; le changement de cas : polyptote
  • Chez Cicéron, un admirable mélange de figures, où, après un long intervalle, la fin de la phrase en reproduit le premier mot, le milieu rappelle le commencement et la fin le milieu : entrelacs ; et le même effet est atteint par la répétition, dans les mêmes phrases, de mots à des formes différentes
  • Mais des membres de phrase tout entiers finissent aussi comme ils ont commencé
  • Quelquefois, c’est la phrase entière qui est reprise, mais les mots sont disposés dans un ordre différent
  • Souvent, aussi le dernier mot d’un premier membre de phrase et le premier du membre de phrase suivant sont identiques, formant ainsi une figure
  • Quelquefois, les membres de phrase commencent et finissent par des termes différents, mais de même signification et de même consonance ; ce procédé est appelé par les uns, synonymie, par les autres disjonction
  • On accumule aussi des mots de même signification [1] : pléonasme ; on accumule non seulement des mots, mais aussi des pensées de sens analogues ; on accumule aussi des éléments différents ; c’est aussi un mélange de mots de sens analogues et opposés : diallagê 
  • On trouve aussi une autre figure, qui, dépourvue de particules de coordination, est dite asyndète [2] 
  • Aussi, employons-nous cette figure, non seulement pour des mots pris isolément, mais pour des phrases ; ce genre de figure, on l’appelle aussi brachylogie et elle peut être liée ou asyndétique
  • On varie aussi les adverbes et les pronoms
  • La gradation est aussi, elle-même, une forme de répétition : en effet, elle reprend ce qui a été dit, et, avant de descendre au degré suivant, elle s’arrête sur les précédents 

« Mais les figures qui procèdent par retranchement, tirent surtout leur charme de la brièveté et de l’originalité » (58, p.218)
=> sections 58 à 65 (pages 218 à 220)

  • Figure qui procède par retranchement et dérivant de la synecdoche [3], où un mot supprimé laisse suffisamment entendre d’après ceux qui restent. Par exemple, Caelius disant contre Antoine : “Le Grec de se pâmer de joie”. Il faut sous-entendre : “commença ” : infinitif de narration ; sont analogues à ces passages ceux où la décence fait supprimer des mots par pudeur [4]
  • La seconde figure par retranchement est celle dont j’ai parlé il y a un instant [5], celle où on supprime les mots de liaison : la polysyndète 
  • La troisième consiste à rattacher à un seul verbe plusieurs expressions de pensée, dont chacune, si elle était prise en elle-même, réclamerait ce mot (le zeugme
  • La même figure réunit aussi les sexes différents, quand, par exemple, nous appelons “fils” un garçon et une fille et elle échange singulier et pluriel
  • Deux constructions différentes par la forme sont combinées
  • La distinction : isole des notions similaires
  • L’opposé de cette figure est celle avec laquelle on passe de concepts voisins à d’autres opposés, comme s’ils étaient semblables

« Le troisième genre de figures est celui qui, par la ressemblance ou la parité ou l’opposition des mots, attire l’oreille de l’auditeur et suscite l’intérêt. » (66, p. 220-221)
=> sections 66 à 86 (pages 220 à 227)

  • La paronomase (l’adnominatio) ; elle revêt ordinairement plusieurs formes : tantôt elle se sert de la proximité du nom précédemment exprimé, mais à un autre cas ; ou bien, on fait suivre un mot du même mot avec un sens plus significatif
  • À la paronomase s’oppose le cas où, en répétant le mot, on l’accuse, pour ainsi dire, d’être employé à faux : “ Cette loi ne semblait pas être une loi pour des particuliers ”
  • Une figure voisine est l’antanaclase, où le même mot est pris dans un sens contraire à celui qu’il a naturellement
  • On obtient aussi une opposition, en rapprochant, non pas le même mot, mais deux mots voisins, comme si l’on disait que doit être suppliciée une personne que l’on a jugée digne d’être suppliée.
  • Le passage d’un sens à un autre : (syllepse) ; Cornificius [6] appelle cette figure traductio
  • Les anciens orateurs avaient à cœur de plaire en employant des mots qui se correspondent ou qui s’opposent [7] ; il n’y a guère que quatre manières de jouer sur des mots qui se ressemblent :

1) rapprocher des mots qui ne sont pas très dissemblables ou, du moins, qui ont le même nombre de syllabes et la même consonance de syllabe finale [8] ;

2) homéotéleute : les membres de phrase (deux membres de phrase ou plus) se terminent de la même façon, les dernières syllabes de chacun d’eux ayant le même son (ce procédé peut s’étendre à quatre phrases ou plus mais il peut aussi se rencontrer avec des mots isolés) ;

3) homéoptote : les désinences casuelles sont identiques ; l’homéoptoteconsiste seulement dans la similitude des désinences flexionnelles, même si les mots n’ont pas la même déclinaison : de plus, il ne se trouve pas uniquement à la fin, mais la correspondance peut se trouver à une place initiale ou médiane ou finale ; il peut même y avoir permutation et le milieu peut rappeler le commencement et la fin le milieu [9] ;

4) l’antithèse, que certains appellent aussi contentio ; elle se présente de plus d’une façon : a) on oppose des mots les uns aux autres, un à un, b) ou deux à deux, c) ou des pensées à d’autres pensées, d) on peut aussi rattacher très avantageusement à cette figure la forme d’antithèse que nous avons appelée distinctio, e) ou bien celle où il y a à la fin de membres de phrases deux mots de même désinence, mais non de même sens, f)  quelquefois, les deux mots opposés ne se suivent pas, g) Il y a antithèse également avec le jeu de la figure appelée commutatio, où l’on reprend les mots sous une forme différente, h) ou bien, comme on le voit chez Cicéron, lorsque la consonance reste la même, quoique la désinence soit changée, i) on joue aussi avec le même mot

  • Les mots placés en ordre inversé ont aussi leur charme (antimétabole)

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NOTES

1 « lorsqu’il s’agit d’une addition qui est superflue et qui alourdit, c’est un défaut ; lorsque la pensée est rendue plus forte ou plus claire, c’est une qualité. » (Livre IX, III, 46, page 215).

2 « elle convient lorsque nous parlons avec insistance plutôt pressante, car elle grave les objets un à un dans l’esprit et les fait paraître, pour ainsi dire, plus nombreux. » (Livre IX, III, 50, page 216). 

3 Quintilien l’a abordé au livre VIII, chapitre VI : « Suivant certains, c’est une synecdoche, lorsque le contexte supplée à ce que nous taisons ; un mot peut en effet en faire saisir un autre : “Les Arcadiens de se ruer aux portes”, ce qui, considéré parmi les défauts, est appelé “ellipse”. Je préfère voir là une figure, et j’en rendrai compte sous cette rubrique. » (Livre VIII, VI, 21, page 109).

4 « Quelques rhéteurs voient dans cette figure l’aposiopèse : ils ont tort, car, dans l’aposiopèse, ce qui est sous-entendu est incertain ou, du moins, doit être expliqué par une périphrase assez longue ; ici, il ne manque qu’un mot et il est, au vrai, facile de le suppléer. » (Livre IX, III, 60, page 219).

5 Il en a parlé juste après l’asyndète : « la figure opposée est celle qui abonde en particules de coordination » (Livre IX, III, 50, p.216).

6 L’auteur supposé de la Rhétorique à Hérennius.

7 « Gorgias en use sans mesure ; Isocrate avec abondance, surtout dans sa jeunesse. Cicéron s’y est complu aussi, mais il a eu de la modération dans la recherche de cet agrément que l’excès rend déplaisant, et il a lesté du poids des idées une chose, qui, par elle-même, aurait été légère. » (Livre IX, III, 74, page 223).

8 « ce procédé a un joli effet, lorsqu’il s’applique à des pensées pénétrantes » (Livre IX, III, 76, page 223).

9 « La meilleure forme paraît être, semble-t-il, celle où le commencement et la fin des propositions correspondent, et de telle façon qu’il y ait entre les mots une quasi similitude et une cadence égale et une identité de terminaison. » (Livre IX, III, 79, page 225).