Carine DUTEIL-MOUGEL : INTRODUCTION À LA RHÉTORIQUE


Chapitre 3. L’époque impériale (31 av. J.-C. - VIe siècle ap. J.-C.)


1. La rhétorique sous Auguste (31 av. J-C. -14 ap. J-C.)

1.1. La fin de l’éloquence républicaine

Sous César Octavien [199], c’est la fin des jurys populaires ; ils sont remplacés par des juges professionnels - les orateurs sont des avocats. C’est la fin également de l’assemblée du peuple, remplacée par le Conseil du prince ; l’éloquence politique disparaît du Sénat, où seule la volonté d’Auguste [200] compte - pour signifier symboliquement la fin de l’éloquence républicaine, Auguste fait exposer sur les rostres la tête et les mains de Cicéron.

Auguste confisque la parole politique et met en place un système où les écrivains ne sont plus protégés par le mécénat privé mais sont intégrés au régime politique qui se met en place. Il institue également des concours de poésie dotés de prix, et fonde deux bibliothèques publiques dans lesquelles n’entrent que les œuvres acceptées par le pouvoir.

La rhétorique devient un élément essentiel de l’éducation à Rome, elle sert à former de beaux parleurs - que sont devenus les rhéteurs - qui sauront plaire aux foules à défaut de les persuader. Les orateurs de cette époque empruntent les techniques et les thèmes définis à Athènes pendant la période Hellénistique [201], et pratiquent la déclamation, exercice censé préparer ou entraîner l’élève à la production des discours judiciaires et délibératifs. Cet exercice est aussi pratiqué par les adultes amateurs ou professionnels qui déclament leurs discours fictifs devant des auditeurs devenus spectateurs ; il n’y a pas de jugement ni de décision pris au terme de la déclamation, seuls les applaudissements comptent [202]. Les déclamateurs cherchent avant tout à plaire [203] ; leurs discours regorgent de figures (antithèses, jeux de mots, exclamations, répétitions, mots rares …) - figures qui confèrent aux discours une grande théâtralité [204]. Les sujets de la déclamation évoluent rapidement [205], ils deviennent romanesques, et pour la plupart fantaisistes. La frontière entre la rhétorique et la poétique, maintenue par Cicéron, se fragilise [206] ; la rhétorique entre dans l’otium mondain et perd ainsi sa spécificité. Cette évolution est celle programmée par Auguste, qui veille à ce que la rhétorique reste écartée de la politique. Certains rhéteurs tentent dans leurs déclamations sur les tyrans ou les guerres civiles, de faire des allusions à l’époque contemporaine mais certains d’entre eux sont condamnés et d’autres se donnent la mort [207].

1.2. Les rhéteurs Grecs

1.2.1. Denys d’Halicarnasse (né entre 60 et 55 av. – mort vers 8 av. J.-C.)

Denys d’Halicarnasse, rhéteur Grec [208] installé à Rome (en 30 av.), prône un retour au style des Grands Anciens [209] et au modèle attique – pour Denys, Lysias est le meilleur représentant de l’atticisme.

Il condamne l’Asianisme, cette autre rhétorique, insupportable de pompeuse insolence, désordonnée, réfractaire à toute philosophie et à toute culture intellectuelle, et qui se joue de l’ignorance des masses (Denys d’Halicarnasse, [1978], Les orateurs antiques, I, 1, 3, page 70, Les Belles Lettres). Denys reproche à cette rhétorique son opulence, la virtuosité gratuite de ses discours qui traduisent son manque d’aptitude à la réflexion philosophique - une éloquence sans cervelle (ibid., I, 3, 3, page 72) - et sa vulgarité.

Nous nous intéresserons ici aux deux grands traités de rhétorique rédigés par Denys d’Halicarnasse : Les orateurs antiques et La composition stylistique [210].

Denys consacre la première partie de son traité Les orateurs antiques aux trois Anciens : Lysias, Isocrate, Isée ; la seconde partie - annoncée mais vraisemblablement inachevée [211] et dont on n’a conservé qu’une dissertation : Sur le style de Démosthène - traite des trois représentants de la période suivante, à savoir, Démosthène, Hypéride et Eschine.

Denys prend pour référence le style de Lysias qu’il admire pour sa simplicité et son naturel :

Aux yeux de Denys, les caractéristiques du style de Lysias sont le reflet de ses qualités morales et de ses vertus humaines. Ainsi pour Denys, l’excellent orateur est un homme de bien et Lysias se rapproche de l’orateur idéal.

Dans son traité La composition stylistique [212], Denys d’Halicarnasse étudie l’art d’agencer les phrases et les périodes. Ce traité est destiné à un jeune étudiant en rhétorique, Rufus Métilius, fils de l’un des amis de Denys, et a pour objectif d’aider le jeune homme à former son style.

Denys distingue les deux fins de toute œuvre littéraire : la beautéet l’agrément, puis il présente les quatre moyens d’art de la synthesis (ou composition stylistique), susceptibles de les produire : la mélodie, le rythme, la variété, et la convenance :

Il est très attentif aux arrangements rythmiques et rapproche langage et musique :

Il s’intéresse également aux rapports entre prose et poésie, et définit ce qu’il entend par prose poétique : une prose qui prend des allures poétiques ou lyriques, exactement la prose dont use Démosthène. (25, 13, p. 178).

Denys accorde une grande importance aux qualités sonores de l’expression verbale, et un grand pouvoir aux harmonies. Il distingue trois harmonies principales :

- l’austère : elle se caractérise par l’absence de recherche et la simplicité ; elle est instable dans l’accord grammatical, variée dans ses formulations ; elle fait maigre usage des liaisons, supprime les articles, dédaigne les enchaînements naturels, manque totalement de fleurs, est altière, directe, sans afféterie ; elle place la beauté dans l’archaïsme et la patine du style. (22, 6, p. 150). Ses principaux représentants sont selon lui, Antimaque de Colophon et Empédocle le physicien (pour la poésie épique), Pindare (pour la poésie lyrique), Eschyle (pour la tragédie), Thucydide (pour l’histoire), Antiphon (pour l’éloquence publique).

- la polie : elle est très mélodique – On y choisit toujours des mots à belle sonorité, lisses, détendus, virginaux ; on en exclut les syllabes rugueuses et heurtées ; on se garde de toute hardiesse, on prend peu de risque. (23, 4, p. 164) - ; Dans ce style, il serait inconcevable d’écrire un morceau sans périodes, une période sans côla, un côlon sans symétrie. (23, 5, p. 165) ; Comme expressions figurées, on évite celles qui sentent trop l’archaïsme, celles qui confèrent au style de la noblesse, de la gravité, une certaine patine ; on apprécie généralement en revanche les formules délicates et flatteuses, dans lesquelles se trouve beaucoup d’artifice et de trompe-l’œil. (23, 6, p. 165). Ses meilleurs représentants sont pour lui, Hésiode (pour la poésie épique), Sappho, puis Anacréon et Simonide (pour la poésie lyrique), Euripide (pour le genre tragique), Éphore et Théopompe (pour l’histoire), Isocrate (pour l’éloquence).

- l’intermédiaire : elle tient le milieu entre les deux précédentes ; c’est un mélange assez équilibré des deux autres harmonies ; c’est une sorte de sélection de ce qu’il y a de meilleur dans l’une et dans l’autre. Cette harmonie, à mon sens, mérite le premier prix puisque c’est une sorte de juste milieu : or le juste milieu est la qualité suprême, que ce soit dans l’existence, dans l’action ou dans l’art, comme l’enseignent Aristote et tous les philosophes qui ont embrassé sa doctrine. (24, 1-2, p. 172). Denys prend Homère comme modèle de cette harmonie ; il cite également Stésichore et Alcée (pour la poésie lyrique), Sophocle (pour la tragédie), Hérodote (pour l’histoire), Démosthène (pour l’éloquence), Démocrite, Platon et Aristote (pour la philosophie).

Par beaucoup d’aspects, la réflexion de Denys rejoint celle de Gorgias, le sophiste Grec, mais Denys insiste sur l’impératif moral de l’éloquence.

1.2.2. Le Traité du Sublime (Longin)[213]

Après avoir critiqué un ouvrage de Caecilius de Calé Acté traitant du même sujet [214], Longin accepte, à la demande de son ami Térentianus (à qui il s’adresse), de définir le Sublime.

Selon l’auteur, le Sublime est ce qui forme l’excellence et la souveraine perfection du discours (Chapitre I, 1.3, page 74) [215] ; car il ne persuade pas proprement, mais il ravit, il transporte [216], et produit en nous une certaine admiration mêlée d’étonnement et de surprise, qui est toute autre chose que de plaire seulement, ou de persuader. (Chapitre I, 1.4, page 74).

Le Sublimedonne au discours une certaine vigueur noble, une force invincible qui enlève l’âme de quiconque nous écoute ; et lorsqu’il est produit au bon moment, il renverse tout comme un foudre, et présente d’abord toutes les forces de l’orateur ramassées ensemble. (ibid.).

L’auteur croit au pouvoir de l’expression sur l’âme ; son propos rejoint celui de Gorgias :

La marque infaillible du Sublime, c’est quand nous sentons qu’un discours nous laisse beaucoup à penser, qu’il fait d’abord un effet sur nous, auquel il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de résister, et qu’ensuite le souvenir nous en dure, et ne s’efface qu’avec peine. » (Longin, Traité du sublime, Chapitre V, 7.2-3, [1995], pages 81-82, Librairie Générale Française)

Longin distingue cinq sources principales [217] du Sublime (Chapitre VI) - deux qui relèvent surtout de la nature : 1) une certaine élévation d’esprit, qui nous fait penser heureusement les choses, 2) le Pathétique (l’enthousiasme et la véhémence naturelle) ; trois qui relèvent de l’art : 3) l’utilisation des Figures [218], 4) la noblesse de l’expression (le choix des mots, la diction élégante et figurée), 5) la composition et l’arrangement des paroles dans toute leur magnificence et leur dignité [219] (cette cinquième source renferme en soi toutes les autres (Chapitre V, 8.1, page 83)).

Longin étaye son propos par des analyses de textes (textes d’historiens, de poètes, d’orateurs,…) ; il compare également le style d’Hypéride à celui de Démosthène (Chapitre XXVIII) puis le style de Platon à celui de Lysias (chapitre XXIX).


2. Quintilien (vers 30 - après 95 ap. J.-C.)

Quintilien [220] est un avocat et un professeur de rhétorique de grande renommée ; il est le précepteur des petits-neveux de l’empereur Domitien [221].

Son oeuvre Institution oratoire (entreprise vers 92 ap.), comprend douze livres [222] qui tracent l’éducation (depuis sa naissance) de l’orateur « idéal » (rêvé par Cicéron), dans une époque impériale où pourtant la rhétorique n’a plus sa place [223].

2.1. Les genres oratoires

Quintilien traite des trois genres oratoires traditionnels. Il s’appuie sur son expérience d’avocat pour fournir des exemples de déclamations et des exemples de causes réelles célèbres (genre judiciaire) ; il reprend le système des « états de cause » hérité de ses prédécesseurs et sépare en deux groupes les différents « états de cause » - le premier groupe correspond aux états de cause logique et le second, aux états de cause légale. Il développe le plan qui doit être suivi pour agencer entre eux les différents « états de cause ». Selon Quintilien, toute cause judiciaire a cinq parties : dans l’exorde, l’orateur doit se concilier la bienveillance de l’auditoire, il doit accorder à l’exorde une place importante car c’est le premier contact avec les auditeurs ; dans la narration, l’orateur doit informer, instruire l’auditoire ; dans la preuve, l’orateur cherche à confirmer ce qu’il avance ; dans la réfutation, il cherche à détruire les arguments opposés ; enfin l’orateur utilise la péroraisonpour rafraîchir la mémoire de l’auditoire ou ébranler les esprits.

Le genre délibératif a pour fonction de persuader ou de dissuader. L’autorité de l’orateur y revêt une grande importance dans la mesure où c’est à l’orateur qu’il incombe de proposer son jugement ; l’auditoire doit donc lui faire confiance. Il n’a pas nécessairement d’exorde ; s’y rajoute une partie, tirée de la conjecture, à savoir si ce dont on délibère peut se réaliser dans le présent ou dans l’avenir. L’orateur fait également appel aux émotions de l’auditoire en cherchant à exciter ou calmer la colère de l’auditoire ou en l’incitant à la peur.

Le genre démonstratif (épidictique) est destiné à faire impression sur l’auditoire ; il a pour objet l’éloge [224] et le blâme. Ce genre est propice aux « artifices de l’éloquence » ; il se prête aux effets stylistiques car il contient une part d’ostentation.

2.2. L’élocution

Quintilien aborde le style qu’il considère comme la partie de l’art la plus difficile (Livre VIII, Avant-Propos, 13, page 47) [225].

Cette partie doit être travaillée avec justesse mais sans tomber dans l’excès de raffinement [226] et sans négliger les idées, qui sont les nerfs des procès (Livre VIII, Avant-Propos,18, page 49). Quintilien condamne l’Asianisme et l’Atticisme qui sont tous deux des excès ; le premier manque de goût et de mesure, le second, de vigueur (Livre VIII, Avant-Propos, 17, page 48).

Le style doit être sobre pour conduire à la persuasion :


Quintilien distingue l’élocution dans les mots pris isolément et l’élocution dans les mots pris groupés - il inclut dans cette dernière catégorie l’étude des figures de pensée et l’étude des figures de mots.

2.2.1. L’élocution dans les mots pris isolément

Pour la latinité, Quintilien renvoie le lecteur à son étude grammaticale réalisée dans le livre I ; il précise que l’usage de termes provinciaux et de termes étrangers est à bannir :

Quant à la clarté, elle tient principalement à l’emploi de mots propres. Y contreviennent l’utilisation de la parenthèse, l’utilisation de phrases longues, la transposition par hyperbate, le mélange des mots, l’utilisation de mots familiers à certaines régions ou propres à des techniques, l’utilisation de mots archaïques et l’ambiguïté.

Quintilien aborde ensuite l’ornement, qui relève de l’art , à la différence de la latinité et de la clarté [227]. L’ornement permet au discours de sortir de l’ordinaire, il met en valeur l’orateur et joue un très grand rôle dans les causes car il plaît aux juges : la plupart du temps, ils se laissent prendre par le plaisir même ; quelquefois, l’admiration les transporte. (Livre VIII, III, 5, page 62). La véritable éloquence doit ainsi soulever l’admiration mais pour y parvenir l’ornement du style doit être mâle et robuste et pur et ne doit pas s’attacher à des raffinements efféminés, ni aux teintes trompeuses d’un maquillage ; il faut que ce soit le sang et la vigueur qui lui donnent de l’éclat (Livre VIII, III, 6, page 62). L’ornement du style doit d’autre part être adapté au genre du sujet traité ; il différera selon les genres oratoires.

L’orateur du genre démonstratif visera ainsi davantage la renommée que la cause à la différence des luttes réelles où la renommée passe en dernier lieu :

Avec toutefois une distinction :

L’ornement dans les mots pris isolément doit faire l’usage des mots propres [228], nouveaux et métaphoriques. Quintilien recommande l’usage des premiers qui selon lui tirent leur dignité de leur ancienneté (Livre VIII, III, 24, page 67) ; il précise qu’il faut employer avec mesure les termes propres archaïques. Quant aux mots nouveaux, il considère que les Grecs peuvent en user davantage et avec succès alors que les Latins, pour y recourir, doivent utiliser des sortes d’enclosures (Quintilien parle de « palliatifs ») comme : “s’il est permis de dire... ”, “en quelque sorte”, “passez-moi le terme... ” (Livre VIII, III, 37, page 70). Quintilien recommande également l’usage de ces « palliatifs » pour les métaphores un peu hardies [229].

Quintilien reprend la conception de Cicéron concernant la convenance du style ; le style du discours ne devra pas être trop peignénon qu’il ne doive être peigné et poli, mais tout excès est toujours un défaut. (Livre VIII, III, 42, page 72).

Il énonce les défauts du style à éviter (livre VIII, III, 44-55, pages 72-75) :

- le cacemphaton (ou kakemphaton), la rencontre déplaisante de mots 
- l’usage pervers qui fait dévier un sens établi vers un sens obscène 
- la soudure des mots qui produit un effet malsonnant 
- la coupe des mots
- l’abaissement qui ravale la grandeur ou la dignité de la chose, considéré comme la plus proche de l’inconvenance d’expression
- à l’inverse, la faute qui consiste à donner aux petites choses des noms qui dépassent la mesure [230] 
- l’ellipse [231] qui devient une figure lorsqu’elle est employée à dessein
- la tautologie (dite aussi épanalepse) qui consiste à reprendre le même mot ou la même locution
- l’uniformité, considérée comme le pire défaut [232]
- la macrologia, l’emploi de plus de mots qu’il n’en faut [233]
- le pléonasme où l’on charge l’exposé de mots superflus “Je l’ai vu de mes yeux”; il suffit de dire : “Je l’ai vu”
- la periergia qui est, pour ainsi dire, un zèle superflu 

Quintilien termine son énumération en rappelant que l’emploi de tout mot qui ne concourt ni à l’intelligence ni à l’ornement de l’expression peut être traité comme une faute. (Livre VIII, III, 55, page 75). L’auteur mentionne l’emploi du cacozelon (la recherche malsaine d’originalité), faute qui se rencontre dans tous les genres de style […] partout où l’on va au-delà de la qualité, toutes les fois où le talent manque de goût et se laisse abuser par une fausse apparence de qualité (Livre VIII, III, 56, page 76).

2.2.2. L’élocution dans les mots pris groupés

Les tropes.- Quintilien traite des tropes dans le livre VIII au chapitre VI ; il précise que les grammairiens en donnent eux aussi habituellement les préceptes et qu’ils ne sont pas toujours d’accord avec les philosophes pour établir les genres de tropes, les espèces, leur nombre et leur interdépendance.

Voici la définition qu’il donne du trope :

Selon Quintilien, certains s’emploient pour le sens, d’autres pour la beauté, les uns se rencontrent pour des mots propres, d’autres pour des métaphores, et ils affectent non seulement la forme des mots, mais celle des pensées et l’ordre des mots (Livre VIII, VI, 2, page 104).

Nous disposons dans un tableau en annexe (Annexe 8), les tropes abordés par Quintilien.

Dans le livre IX Quintilien explique en quoi diffèrent tropes et figures [234] en précisant que beaucoup d’auteurs confondent ces deux classes :

Quintilien admet que figures et tropes se ressemblent fortement [235] et c’est pour cela qu’il souhaite marquer nettement la différence entre les deux groupes (Livre IX, I, 4, page 157) [236].

Alors que la figure consiste à donner au langage une forme éloignée de l’expression commune et spontanée (Livre IX, I, 4, page 157) et qu’elle s’effectue à l’aide des mots propres et dans leur ordre naturel (Livre IX, I, 7, page 158), le trope est le transfert d’une expression de sa signification naturelle et principale à une autre, afin d’orner le style, ou, selon la définition de la majorité des grammairiens, le transfert d’un endroit où l’expression a son sens propre dans un autre où elle ne l’a pas (Livre IX, I, 4, page 157).

Les Figures.- Quintilien établit une distinction entre les figures de pensée et les figures de mots en précisant que ces deux types de figures se combinent très souvent.

L’auteur traite d’abord des figures de pensée [237] dont il souligne l’utilité à la fois grande et multiple (Livre IX, I, 19, page 161). Il considère que ces figures rendent le propos plausible et se glissent dans l’esprit des juges par où leur attention n’est pas en éveil. (Livre IX, I, 19, page 161).

Elles jouent également un grand rôle dans la preuve pathétique : En outre, rien n’entraîne mieux les passions (Livre IX, I, 21, page 162) et dans la preuve éthique :

Dans la deuxième moitié du chapitre I du Livre IX , Quintilien indique la façon dont Cicéron traite l’ensemble des figures [238], et cite des passages du De L’orateur, Livre III (201-208) et de l’Orateur (134-139). Il présente ensuite au chapitre II son point de vue et exprime son intention de ne parler que des figures de pensée qui s’éloignent de la manière directe de présenter les idées (Livre IX, II, 1, page 169). Ces figures sont présentées en annexe (Annexe 9).

Les figures de mots.- Quintilien distingue deux genres de figures de mots : le premier est une façon de s’exprimer ; l’autre est surtout recherché dans l’arrangement des mots. (Livre IX, III, 2, page 202). Tous deux conviennent au discours ; cependant, on pourrait dire du premier qu’il est grammatical, du deuxième qu’il est plutôt rhétorique. (Livre IX, III, 2, page 202). Ces figures de mots sont également présentées en annexe (Annexe 10 et Annexe 11). Quintilien précise qu’il faut savoir user avec convenance de ces figures - autant elles ornent l’exposé, lorsqu’elles sont utilisées à propos, autant elles sont au plus haut point absurdes, quand elles sont recherchées avec excès. (Livre IX, III, 100, page 230) -, et adapter son style aux circonstances [239]

L’arrangement des mots.- Quintilien consacre l’intégralité du quatrième chapitre du Livre IX à l’arrangement des mots. Il s’inspire de celui qui pour lui a le plus élaboré cette partie, à savoir Cicéron, tout en donnant son avis et en étant parfois en désaccord avec lui [240].

Voici comment il définit l’arrangement des mots :

Selon l’auteur, les rythmes tout comme les modes musicaux revêtent une sorte de puissance secrète qui est très vive dans le discours (Livre IX, IV, 13, page 234) :

Comme Cicéron avant lui, Quintilien distingue une prose à contexture liée et serrée (Livre IX, IV, 19, page 236) et une prose libre [241] - comme celle de la conversation et de la correspondance (Livre IX, IV, 19, page 236).

Quintilien considère que trois genres d’éléments sont nécessaires dans tout arrangement :

(i) l’ordre des mots (il faut qu’il y ait gradation ascendante) : s’il est défectueux, quand bien même le style serait lié et aurait des cadences correctes, on dirait à bon droit qu’il manque d’harmonie.(Livre IX, IV, 32, pages 239-240).

(ii) le groupement : Il concerne les mots, les incises, les membres, les périodes, car tous ces éléments, suivant leur contexture, ont des qualités et des défauts. (Livre IX, IV, 32, page 240).

et (iii) le nombre : l’arrangement des mots devra avoir du nombre (le nombre oratoire) ; la prose oratoire devra reposer sur les pieds métriques mais sans être aussi rythmée que la poésie [242] : Pour l’arrangement des mots de la prose, il faut observer une mesure plus stable et plus accessible à tous. [243] (Livre IX, IV, 52, page 245).

Le rythme devra alors se faire sentir surtout dans les clausules :

Après avoir passé en revue les différents pieds et leur adaptation au nombre oratoire [244] (Livre IX, IV, 79-111, pages 253 à 262), Quintilien aborde la définition de l’incise, du membre et de la période [245]. L’incise est définie comme l’expression d’une pensée enfermée dans une unité métrique incomplète (Livre IX, IV, 122, page 265) ; l’auteur ne reprend donc pas la définition proposée par Cicéron, comme partie d’un membre [246].

Comme chez Cicéron, l’emploi des membres et des incises dépend des circonstances :

On retrouve chez Quintilien la mise en évidence du jugement de l’oreille :


3. La Seconde Sophistique 
Grecque

C’est le sophiste athénien Philostrate (Flavius) (vers 170 - vers 249 ap. J-C.) qui introduit la notion de Seconde Sophistique dans son œuvre les Vies des sophistes - œuvre publiée entre 232 et 238 ap. J-C. dans laquelle il retrace l’histoire de la rhétorique. Philostrate distingue la Première Sophistique - l’ancienne Sophistique, celle des sophistes interlocuteurs de Socrate et de Platon - et la Seconde Sophistique, qu’il fait naître au IVe siècle av. J.-C. avec Eschine mais dont le renouveau est assuré par Nicétès de Smyrne au milieu du Ier siècle ap. J.-C. Les œuvres des premiers orateurs de la Seconde Sophistique [247] - Nicétès, Scopélien, Isée de Syrie - n’ont pas été conservées hormis l’œuvre de Dion de Pruse (40-120 ap. J.-C.) dont on possède quatre-vingt discours.

Dion de Pruse (Bithynie), surnommé Chrysostome (Bouche d’or) grâce à son talent et à sa virtuosité oratoire, se définit comme un philosophe qui fait de la politique (Les discours Bithyniens, XLVIII, 14) ; il participe aux affaires politiques en Bithynie et a pour protecteur, Cocceius Nerva, le futur empereur (avènement de Nerva en 96 ap.), qui lui fait accorder la citoyenneté romaine. Dion exprime sa philosophie politique dans ses déclamations oratoires ; il a une vision stoïcienne du monde – dans ses discours Sur la royauté (I-IV), il fait un parallèle entre l’autorité du Roi sur ses sujets et celle de Zeus sur l’univers. Cet ardent helléniste, défenseur des vertus traditionnelles, achève sa carrière en protégé de l’empereur Trajan.

L’apogée de la Seconde Sophistique coïncide avec l’apogée de l’Empire, au IIe siècle ap. J-C. La Grèce est désormais unifiée sous le pouvoir romain [248] ; c’est le temps d’une prospérité célébrée par de nombreuses fêtes, un temps où beaucoup d’écoles fleurissent formant un public instruit amateur de beaux discours.

Les sophistes [249] pratiquent le discours fictif [250] en développant l’exhibition en public lors de conférences qui ont lieu au théâtre, à l’odéon, dans la salle du Conseil ou bien dans un auditorium ou tout autre lieu public de la cité. Ces sophistes se donnent en spectacle, se mettent en scène et jouent des rôles (y compris celui de leur propre personne) comme des acteurs. Les spectateurs attendent d’eux des démonstrations qui sont parfois excentriques avec une action oratoire très développée. A travers les sujets de leurs exhibitions, les sophistes font revivre les temps légendaires et les temps glorieux de la Grèce classique [251].

Très peu accèdent au rang de vedettes ; ceux qui y parviennent effectuent des tournées dans les grandes cités de l’empire et rencontrent les empereurs [252]. On fait appel à eux pour prononcer des discours épidictiques officiels [253] (notamment des discours de fête et d’ambassade).

On citera Polémon (Antonius) (88-144 ap. J.-C.), le chef de l’école de Smyrne [254], ambassadeur à Rome et proche des empereurs Trajan, Hadrien et Antonin. Mais aussi le très riche mécène Hérode Atticus [255] (IIe siècle ap. J.-C.), élève de Polémon, maître d’Aristide (Aelius) [256] et du prince Marc Aurèle [257].


4. La production scolaire

4.1. Hermogène de Tarse (fin IIe siècle ap. J.-C. - début IIIe siècle ap. J.-C.)

L’activité théorique reste très vive dans les écoles [258] ; Hermogène de Tarse est le dernier grand théoricien de la Rhétorique [259]. Il écrit plusieurs traités [260] dont les États de cause, destinés à aider les élèves lorsqu’ils ont à traiter des sujets de controverse.

Nous reprenons ci-dessous la présentation des États de cause (staseis) proposée par Françoise Desbordes (1996, p. 105) :

1. Débat possible
1.1. Conjecture
1.2. Point à juger patent
1.2.1. Définition (patent mais incomplet)
1.2.2. Qualification (patent et complet)
1.2.2.1. Etat logique
1.2.2.1.1. Pragmatique (portant sur le futur) (comprend le délibératif)
1.2.2.1.2. Judiciaire (portant sur le passé)
1.2.2.1.2.1. Défense absolue
1.2.2.1.2.2. Opposition
1.2.2.1.2.2.1. Compensation
1.2.2.1.2.2.2. (si la compensation ne s’applique pas)
1.2.2.1.2.2.2.1. Contre-accusation
1.2.2.1.2.2.2.2. (si on ne peut pas accuser l’adversaire)
1.2.2.1.2.2.2.2.1. Transfert d’accusation
1.2.2.1.2.2.2.2.2. Excuse
1.2.2.2. Etat légal
1.2.2.2.1. La lettre et l’esprit de la loi
1.2.2.2.2. Assimilation
1.2.2.2.3. Antinomie
1.2.2.2.4. Ambiguïté
2. Exception, refus du procès

Tabl. 4 : Le système d’Hermogène

À chaque palier d’analyse, selon que l’on répond oui ou non, l’analyse peut s’arrêter ou continuer. Chaque état de cause fournit un plan type d’argumentation dont l’orateur appliquera successivement chaque point aussi bien en accusation qu’en défense [261]

Dans les Catégories stylistiques [262], Hermogène définit sept grandes catégories d’« idées » (ideai). Ici aussi nous reprenons la présentation proposée par Françoise Desbordes (1996, p. 107) :

Clarté (saphèneia)
Pureté (katharotès)
Netteté (eukrineia)
Grandeur (megethos)
Noblesse (semnotès)
Rudesse (trachytès)
Véhémence (sphodrotès)
Éclat (lamprotès)
Vigueur (akmè)
Complication (peribolè)
Beauté (kallos)
Vivacité (gorgotès)
Caractère (èthos)
Naïveté (apheleia)
Saveur (glykytès)
Piquant (drimytès)
Modération (epieikeia)
Sincérité (alètheia)
Sévérité (barytès)
Virtuosité (deinotès)

Tabl. 5 : Catégories d’idées (Hermogène)

Hermogène précise qu’il existe trois sortes de catégories principales : (i) les catégories qui existent par elles-mêmes : beauté, vivacité, virtuosité [263], (ii) les catégories dites génériques qui comprennent des espèces : clarté et grandeur, enfin (iii) les catégories qui partagent certains composants et appartiennent ainsi partiellement à une même espèce : il s’agit du caractère et de la sincérité. Ces catégories du style permettent la composition de nouveaux discours mais elles permettent surtout l’analyse et la critique des discours existants (étude des styles individuels – le style de Démosthène étant, pour l’auteur, le style de référence). L’analyse des composants des catégories stylistiques [264] demeure très abstraite et très complexe [265]. En guise d’exemple, Hermogène cite des passages de Démosthène, auteur qu’il prend pour modèle et chez lequel selon lui, toutes les catégories sont présentes.

Selon Hermogène, on devrait trouver chez chaque auteur des combinaisons de catégories plus ou moins caractéristiques d’un genre - il précise qu’il peut y avoir prédominance d’éléments d’une seule catégorie mais qu’il n’y a jamais une seule catégorie représentée. Il propose un classement des auteurs, les plus hauts classés étant ceux dont le style se rapproche le plus de celui du modèle.


Hermogène établit également les caractéristiques formelles des trois genres oratoires traditionnels. Il précise alors que ces caractéristiques peuvent être partagées par des écrits n’appartenant pas à la rhétorique. Cette réflexion l’amène dans un second temps, à séparer ce qui relève de l’adresse en prose à un auditoire, et ce qui ne relève pas de l’adresse en prose à un auditoire, qu’il regroupe sous l’appellation panégyrique. Le panégyrique n’est donc plus limité au genre épidictique, il englobe tout ce qui relève de la “littérature”.


Les recherches d’Hermogène dépassent ainsi le domaine de l’éloquence ; la rhétorique se rapproche de la “littérature” - les rhéteurs apprennent à bien écrire ; les écrivains sont formés à la rhétorique.

4.2. Manuels et commentaires tardifs

Après Hermogène, la rhétorique est circonscrite au domaine de l’école. Des copies, des commentaires de textes anciens sont produits en grand nombre ; des résumés, des compilations simplifient l’Art Rhétorique.

La lecture expliquée (praelectio) constitue la base de l’enseignement scolaire ; alors que le maître de grammaire explique les textes des grands poètes, le maître de rhétorique explique les textes des grands orateurs. De nombreux commentaires issus de cette lecture expliquée sont rédigés ainsi que des commentaires de technai devenus canoniques - surtout le De l’Invention de Cicéron [266] .

Du IIIe siècle ap. J-C. jusqu’au Ve siècle ap. J-C., devant la diminution progressive du bilinguisme, les manuels grecs sont remplacés par les Artes latines - traductions ou adaptations latines des technai grecques. Ces Artes [267] traitent principalement de l’invention et de la doctrine des « états de cause », devenue l’essentiel du programme des écoles.

Des listes d’écarts de l’expression figurent également dans les Artes ou dans des ouvrages qui leur sont spécialement consacrés comme les Schemata dianoeas (VII/VIIIe siècle ap. J.-C.) - recueil de figures de pensées provenant de plusieurs classements [268].

Du côté grec, on mentionnera trois auteurs de technè : Apsines de Gadara (Valerius) (190-250 ap. J.-C.), Longinus (Cassius) (200-273 ap. J.-C.) et un anonyme, anonymus Seguerianus [269] (fin IIe - IIIe siècle ap. J.-C.). De la fin du Ve siècle ap. J.-C. jusqu’à la fin de l’Empire byzantin, de nombreux commentaires grecs sont produits [270], accompagnés de prolégomènes présentant la rhétorique [271].

Des auteurs Grecs écrivent également des traités sur les figures et les tropes : on peut citer Alexandre, fils de Noumenios (IIe siècle ap. J-C.), Tiberius (III/IVe siècle ap. J-C.), Zonaios (V/VIe siècle ap. J-C.) ou encore Hérodien (Ve siècle ap. J-C.). Des méthodes de classement nouvelles apparaissent : le Grec, Phoibammon (Ve ou VIe siècle ap. J-C.) en est l’illustration typique, lui qui dans un petit traité des figures, dans la lignée de Caecilius Calé Acté, systématise le classement formel par addition, soustraction, mutation métathèse. Grammairiens et rhéteurs se partagent ce domaine, les premiers recueillent les écarts dans les textes des poètes qu’ils commentent ; les seconds, dans les textes des orateurs. Les tropes sont répertoriés et servent à dénommer telle “impropriété” rencontrée dans un texte des Auteurs Classiques.

Lorsque l’enseignement passe aux mains des chrétiens, son contenu est peu modifié ; la « christianisation » de la rhétorique est décelable dans le choix des exemples que proposent les auteurs de traités et de prolégomènes tardifs [272].

Les encyclopédies latines réunissant les sept arts libéraux paraissent massivement au début du Ve siècle ap. J-C. Cette réunion des sept arts libéraux est due à Augustin [273] (354 - 430 ap. J.-C.) ; il emprunte vraisemblablement cette liste au grand historien Varron. Les sept arts sont divisés en deux groupes inégaux, qui correspondent à deux voies de la sagesse : le Trivium qui comprend grammaire, dialectique, rhétorique ; le Quadrivium qui comprend musique, arithmétique, géométrie, astronomie [274].

Martianus Capella, un rhéteur païen du Ve siècle ap. J.-C., présente cette liste des sept arts libéraux dans Les Noces de Mercure et de Philologie [275] (vers 420 ap. J-C.). La liste est reprise par des chrétiens, notamment Cassiodore (Flauius Magnus Aurelius Cassiodorus Senator) (485-580 ap. J-C.) et Isidore de Séville (560-636 ap. J-C.) ; ils légitiment par là-même les sept arts libéraux et les soumettent à la théologie.

Ces sept arts libéraux vont organiser tout l’enseignement chrétien du Moyen-Age.


[Continuer]


NOTES

199 César Octavien, également appelé Octave, (63 av. -14 ap. J-C.) remporte la bataille d’Actium en 31 av. J.-C. ; c’est l’acte de naissance de l’Empire romain.

200 César Octavien reçoit le surnom d’Auguste en 27 av. J.-C.

201 C’est-à-dire à l’époque du déclin de l’éloquence grecque.

202 Cette gratuité de la déclamation la rapproche du genre épidictique. Cf. infra, la Seconde Sophistique.

203 Les rhéteurs s’affrontent dans de véritables joutes oratoires.

204 Les orateurs ressemblent aux acteurs. Cette ressemblance de l’acteur et de l’orateur n’est pas vraiment étonnante puisque l’hypocrisis ou action oratoire est d’abord le nom de l’interprétation théâtrale, mais ce que les auteurs comme Quintilien vont déplorer chez ces orateurs, c’est leur excès dans l’action, leur manque de naturel (leur action « se voit » trop).

205 Comme en témoigne le recueil d’extraits de déclamations (dix livres de controverses et sept livres de suasoires) réalisé par Sénèque le Père (55 av. - 39 ap. J.-C.), véritable passionné de déclamation.

206 Ce rapprochement de la rhétorique et de la poétique apparaît de façon significative chez Ovide (43 av. - 17 ou 18 ap. J.-C.). Ce poète formé à la rhétorique sera souvent cité au Moyen-Age pour avoir postulé la parenté de la poésie et de l’art oratoire.

207 Albucius aurait cessé de s’alimenter, impuissant face au déclin de l’éloquence ; Labienus se serait fait enfermer vivant dans le tombeau de ses ancêtres, lui dont les livres avaient été brûlés sur l’ordre du Sénat, et qui était par conséquent menacé d’être privé de sépulture.

208 Il a écrit également un grand ouvrage historique, les Antiquités romaines- la première histoire grecque de Rome.

209 Les « dix orateurs attiques » : c’est le rhéteur Sicilien Caecilius de Calé Acté, ami de Denys, qui a dressé la liste canonique des orateurs attiques : Lycurgue, Andocide, Isée, Hypéride, Dinarque, Antiphon, Lysias, Démosthène, Eschine, Isocrate.

210 Des études sur le style dans la lignée de Théophraste se développent jusqu’au IIe siècle ap. J.-C.

211 « Comme orateurs, j’en présenterai trois qui appartiennent à la première génération, Lysias, Isocrate et Isée, et trois qui se sont illustrés dans la période suivante, Démosthène, Hypéride et Eschine ; ce sont les plus importants à mon avis. Mon traité sera donc divisé en deux livres : le début sera consacré aux anciens. » (Denys d’Halicarnasse, [1978], Les orateurs antiques, I, 4, 5, pages 73-74, Les Belles Lettres).

212 Toutes les traductions citées proviennent de l’édition de 1981, Les Belles Lettres (cf. bibliographie) ; c’est pourquoi, dans les citations intégrées au texte, nous ne répétons pas tous les éléments de référence.

213 Ce traité (dont il manque une partie) a vraisemblablement été écrit à l’époque d’Auguste ; Boileau l’a traduit en 1674. L’auteur de ce célèbre traité n’est pas connu ; on l’attribue cependant à Longin (il ne s’agit pas de Longinus (Cassius)).

214 Caecilius prône l’atticisme et refuse le recours au pathos.

215 Les traductions citées proviennent de l’édition de 1995 : Traité du sublime, traduit par Boileau ; intro. et notes de Francis Goyet, Paris, Librairie Générale Française.

216ekstasis : Longin partage avec Cicéron le troisième but de l’orateur : - mouere - émouvoir, bouleverser l’auditoire.

217 Longin précise qu’un autre moyen contribue au Sublime : l’Amplification ; elle est « un accroissement de paroles, que l’on peut tirer de toutes les circonstances particulières des choses, et de tous les lieux de l’oraison, qui remplit le discours, et le fortifie, en appuyant sur ce qu’on a déjà dit. » (Chapitre X, 12.2, page 93).

218 Et Longin de préciser : « si les Figures naturellement soutiennent le Sublime, le Sublime de son côté soutient merveilleusement les Figures » (Chapitre XV, 17.1, page 103) ; « C’est pourquoi il n’y a point de Figure plus excellente que celle qui est tout à fait cachée, et lorsqu’on ne reconnaît point que c’est une Figure. Or il n’y a point de secours ni de remède plus merveilleux pour l’empêcher de paraître, que le Sublime et le Pathétique, parce que l’Art ainsi renfermé au milieu de quelque chose de grand et d’éclatant, a tout ce qui lui manquait, et n’est plus suspect d’aucune tromperie. » (Chapitre XV, 17.1-2, page 104).

219 L’auteur précise qu’il a déjà traité de cette matière dans deux volumes.

220 Marcus Fabius Quintilianus.

221 Quintilien écrit du temps des Flaviens (69-96 ap. J.-C.).

222 Livre I : La première éducation chez le grammaticus ; Livre II : La formation chez le rhéteur, la définition de la rhétorique et de son utilité ; Livres III à VII : Les genres oratoires, l’invention, la disposition ; Livres VIII à XI : L’élocution, la mémoire et l’action ; Livre XII : Les qualités morales de l’orateur.

223 Cette œuvre semble avant tout s’adresser aux hommes cultivés qui souhaitent parfaire leur culture.

224 On peut faire l’éloge des Dieux, des hommes, des autres êtres animés ou des choses.

225 Toutes les traductions citées du Tome V (Livre VIII et Livre IX) proviennent de l’édition de 1978, Les Belles Lettres (cf. bibliographie) ; c’est pourquoi dans les notes et les citations intégrées au texte, nous ne répétons pas tous les éléments de référence.

226 Le style qui comporte trop d’ornements « effémine les idées » (Livre VIII, Avant-Propos, 20, page 49).

227 « Car s’exprimer correctement et clairement est, à vrai dire, un mérite assez mince ; c’est, semble-t-il, une absence de défauts plutôt qu’une grande qualité. » (Livre VIII, III, 1, page 61) ; « L’ornement est quelque chose de plus que ce qui est seulement clair et plausible. » (Livre VIII, III, 61, page 77).

228 « Ils rendent en effet le style et plus noble et plus admirable parce que le premier venu n’en aurait point usé, et Virgile, dont le goût est si pénétrant, a fait de cet ornement un usage vraiment unique. » (Livre VIII, III, 24, page 67).

229 « il n’est rien que l’on ne puisse dire en toute sûreté, si nous montrons, par notre préoccupation même, que notre goût n’est pas faussé. » (Livre VIII, III, 37, page 70).

230 « à moins que ce ne soit délibérément pour faire rire » (Livre VIII, III, 48, pages 73-74).

231 « quoique ce défaut de style concerne plutôt l’obscurité que le manque d’ornement. » (Livre VIII, III, 50, page 74).

232 « qui ne soulage l’ennui de l’auditeur par l’agrément d’aucune variété et dont toute la teinte est d’un seul ton et qui se révèle particulièrement par l’absence d’art dans l’expression et qui dans les pensées et les figures et la composition produit de loin l’effet le plus désagréable pour l’esprit et aussi pour l’oreille. » (Livre VIII, III, 52, pages 74-75).

233 « Mais la périphrase, qui est un tour voisin, est tenue pour une qualité. » (Livre VIII, III, 53, page 75).

234 « en grec schemata » (Livre IX, I, 1, page 156).

235 « certaines ne sont séparées que par une démarcation très tenue ; par exemple, on trouve l’ironie rangée parmi les figures de pensée aussi bien que parmi les tropes ; d’autre part, dans la périphrase, l’hyperbate et l’onomatopée, d’éminents théoriciens aussi ont plutôt vu des figures de mots que des tropes. » (Livre IX, I, 3, pages 156-157). Quintilien lui-même considère que l’ironie est tantôt un trope, tantôt une figure.

236 Mais Quintilien relativise tout de même la différence entre tropes et figures : « Et si des hommes, venant à recevoir un autre nom que celui qu’ils ont reçu n’en demeurent pas moins les mêmes hommes, les formes d’expression dont nous parlons, qu’on les appelle tropes ou figures, auront le même effet. Leur valeur ne repose pas, au vrai, sur les noms, mais sur les effets » (Livre IX, I, 8, page 158).

237 « Comme il est naturel de concevoir les idées avant de les énoncer, il convient de parler tout d’abord des figures qui concernent la pensée. » (Livre IX, I, 19, page 161).

238 « il ne tenait pas pour figures toutes les formes d’expression, ni les seules expressions qui présentent un tour éloigné de l’usage courant ; mais il donnait ce nom à celles qui étaient particulièrement brillantes et capables de frapper l’auditeur » (Livre IX, I, 25, page 163).

239 « Il y a des orateurs qui, négligeant le poids des choses et la force des idées, se croient de grands artistes, s’ils ont gâté des mots même vides de sens en leur donnant un tour figuré, et, pour cette raison, ils ne cessent d’enchaîner des figures aux figures, alors qu’il est aussi ridicule de s’y attacher sans souci du fond que de chercher, en l’absence de corps, une attitude ou un geste » (Livre IX, III, 100, page 230).

240 « Aussi, tout en convenant que l’art de l’arrangement, du moins de l’arrangement parfait, est à peu près le dernier que les orateurs aient connu, je pense que les écrivains anciens, eux aussi, s’en sont préoccupés proportionnellement aux progrès qu’ils avaient faits. Et Cicéron, malgré toute son autorité, ne me persuadera pas que Lysias, Hérodote, Thucydide n’y ont pas appliqué leur zèle. » (Livre IX, IV, 16, page 235).

241 « Parfois, dans les causes de seconde importance convient aussi la même simplicité, qui, loin de se passer du nombre, se sert d’autres nombres, qu’elle cache et se borne à utiliser moins apparemment. » (Livre IX, IV, 21, page 237).

242 « le discours, lui, n’en viendra pas à être scandé avec un bruit de doigts » (Livre IX, IV, 55, page 246).

243 « Car la prose, liée à certaines exigences, doit donner cependant l’impression d’être dégagée des lois métriques. » (Livre IX, IV, 77, page 252).

244 Mais Quintilien précise : « À la vérité, tout ce développement ne signifie pas pour nous que le style, qui doit être rapide et coulant, se dégrade à mesurer des pieds et à peser des syllabes ; ce soin est en effet d’un esprit mesquin et surtout occupé de minuties. » (Livre IX, IV, 112, page 262).

245 Il distingue deux sortes de périodes : « l’une, simple, quand une seule pensée se développe en une période un peu longue, l’autre, faite de membres et d’incises, qui expriment plusieurs pensées » (Livre IX, IV, 124, page 266).

246 « mais la plupart des auteurs y voient une partie d’un membre » (Livre IX, IV, 122, page 265).

247 Ce mouvement est essentiellement grec ; du côté latin, on peut citer deux Africains, Apulée, conférencier mondain très réputé à Carthage, et Fronton qui enseigne avec Hérode Atticus, la rhétorique à Marc Aurèle.

248 La culture grecque est élargie à tout le territoire de l’Empire où l’on parle grec.

249 La plupart appartiennent à des familles de notables. Les plus célèbres d’entre eux sont également des rhéteurs brillants ; ils enseignent la rhétorique dans leurs écoles où ils font des exercices de déclamations.

250 Fictions érudites prononcées lors de véritables récitals.

251 Et en prenant parfois quelques libertés avec l’histoire (Démosthène s’accusant après la défaite de Chéronée … ; Démosthène défendant Eschine …).

252 Leur renommée leur vaut des ambassades, des charges impériales et parfois l’amitié d’un empereur.

253 Le genre épidictique s’étend largement pour s’adapter aux multiples occasions de célébration, publiques ou privées : - pour les cérémonies publiques, on peut mentionner : le « discours “royal” », « l’éloge de l’empereur », le « discours aux dieux », le « discours d’ambassade », le « discours de remerciement pour un honneur », le « discours aux athlètes à l’ouverture des jeux », le « discours d’invitation », le « discours d’arrivée », le « discours d’accueil », le « discours de réception », le « discours d’adieu », le « souhait de bon voyage » ; - pour les cérémonies privées, on évoquera : « l’épithalame », le « discours pour une naissance », le « discours d’anniversaire », « l’oraison funèbre »…

254 Deux de ses déclamations ont été conservées.

255 Lucius Vibullius Hipparchus Tiberius Claudius Herodes Atticus.

256 Publius Aelius Aristides Theodorus d’Hadriani (117-180 ap. J.-C.). Aristide, élève de Polémon et d’Hérode Atticus, maîtrise le genre épidictique (éloges de villes, éloges funèbres, hymnes aux dieux, hymnes en prose …) ; il réalise également des déclamations et imagine des plaidoyers prononcés à l’époque classique. Son œuvre est admirée ; elle sera utilisée plus tard dans les écoles.

257 Parce qu’ils ont enseigné la rhétorique à Marc Aurèle, Hérode et son ami Fronton reçoivent le titre de consuls (en 143 ap.).

258 De nombreux traités du IIe siècle ont disparu.

259 Son œuvre a eu un grand retentissement à l’époque byzantine et à la Renaissance.

260 Philostrate (Flavius) (Vies des Sophistes) fait d’Hermogène un enfant prodige ; il aurait été orateur célèbre à quinze ans et auteur de cinq ouvrages constituant un cours complet de rhétorique mais deux de ces ouvrages seulement sont authentiques : les États de cause et les Catégories stylistiques.

261 Ces recherches sont d’une grande complexité.

262 Traité qui comprend deux livres divisés chacun en douze chapitres. Les livres I et II 1-9 sont l’exposé du système des catégories stylistiques ; le livre II 10-12 est une application de ce système (avec caractérisation de styles individuels).

263 La virtuosité est considérée comme étant la catégorie suprême, elle est l’emploi de toutes les autres catégories et à ce sujet Hermogène annonce à plusieurs reprises une Méthode de la virtuosité dont on n’a pas de trace aujourd’hui.

264 Le système des composants est le suivant : 1. les pensées ; 2. le mode de présentation des pensées ; l’expression qui comprend : 3. l’expression (mots) ; 4. les figures, ; 5. les côla ; 6. l’assemblage des mots : (i) l’hiatus, (ii) la succession des syllabes longues ou brèves ; 7. la pause ; 8. le rythme.

265 Ce traité témoigne de la même rigueur méthodique que le traité sur les états de cause.

266 Œuvre que Cicéron a pourtant reniée.

267 Parmi les auteurs d’Artes les plus connues, nous mentionnerons Sulpitius Victor (début du IIIe siècle ap. J-C.), Fortunatianus (Consultus) (IVe siècle ap. J-C.), et Julius Victor (Gaius) (IVe siècle ap. J-C).

268 Ce recueil comprend (i) un traité – qui est vraisemblablement une traduction latine du traité de Caecilius de Calé Acté -, (ii) un extrait des livres VIII et IX de Quintilien, et (iii) le chapitre 21 du livre II d’Isidore de Séville.

269 Du nom de l’auteur, Séguier, qui a publié en 1843 une compilation intitulée Technique du discours politique.

270 Sur un corpus réunissant les Progymnasmata d’Aphtonius d’Antioche, les États de cause et les Catégories stylistiques d’Hermogène, l’Invention (traité attribué au pseudo-Hermogène mais aussi à Apsines de Gadara), et la Méthode de la virtuosité (attribuée au pseudo-Hermogène).

271 On mentionnera Syrianus (Ve siècle ap. J.-C.)., Jean de Sardes (IXe siècle ap. J.-C.), Jean Doxopatros (XIe siècle ap. J.-C.), ou encore Planude (1255-1305 ap. J.-C.).

272 En voici deux illustrations : l’éloquence de Grégoire de Nazianze (330-390 ap. J-C.) est préférée à celle de Démosthène ; les figures et les tropes sont exemplifiés à partir de passages de la Bible.

273 Aurelius Augustinus.

274 « Le regroupement de l’arithmétique, de la musique, de la géométrie et de l’astronomie remonte au moins à l’Introductio arithmetica de Nicomaque de Gerasa (IIe siècle ap. J.-C.). Si le regroupement de la grammaire, de la rhétorique et de la dialectique a tardé à être institué, en raison sans doute de la disparité de leur statut social, les affinités théoriques de ces trois disciplines ont été souvent évoquées dans l’Antiquité. Voici comment les Scolies de Denys le Thrace (malheureusement de date inconnue) présentent leurs objectifs respectifs : La fin de la dialectique est la vérité ; la fin de la rhétorique est la persuasion ; la fin de la grammaire est la compréhension du logos, c’est-à-dire l’explication de ce qu’il signifie et comment (Hilgard A., éd. Grammatici graeci, Hildesheim, Olms, 1965, IV, p. 115). La théorie des arts libéraux qui fit autorité pendant le Moyen Age est exposée par Martianus Capella (actif entre 410 et 439) dans son De nuptiis Mercurri et Philologiae. Mais le trivium ne reçut son nom qu’au VIIe siècle, semble-t-il. Un vers mnémotechnique le présentait ainsi : Gram. loquitur ; Dia vera docet ; Rhe. verba ministrat. » (F. Rastier, 1990, « La triade sémiotique, le trivium et la sémantique linguistique », in Nouveaux Actes Sémiotiques, 9, PULIM, p. 11).

275 Le livre V de cette encyclopédie est consacré à la rhétorique.