Thierry Mézaille : THÉMATIQUES LITTÉRAIRES


Chapitre 5. Thématique et modalité de la subordonnée pascalienne

A l’occasion d’un cours de grammaire sur le que conjonctif et l’emploi du mode dans la subordonnée, indicatif ou subjonctif, il nous est apparu opportun de faire appel à la banque de données Hyperbase, que l’on a décidé en la circonstance de restreindre au corpus pascalien. L’intérêt majeur étant de disposer aisément et de façon fonctionnelle, grâce au logiciel, des innombrables segments textuels extraits des Provinciales et des Pensées . Cela, en dépit de la difficulté herméneutique qui consiste à unifier dans la base ces deux ouvrages relevant de genres discursifs fort distincts, respectivement le pamphlet théologique et la méditation philosophique, pourtant classés dans le Dictionnaire des Œuvres Littéraires Françaises (Cd-Rom Bordas, 1996) sous la même étiquette « théorie et débat d’idées ». Par cette approche "alternative" de l’œuvre littéraire, où le cours de grammaire trouve une abondante matière pour s’appuyer sur des « exemples » qu’il convient précisément de trier et de classer, on a procédé à trois restrictions, qui sont autant d’objectifs pédagogiques :

Avec une telle visée didactique, le qualitatif dû à l'analyse prend le relais du quantitatif des données fournies par l'exploration informatique. Aussi le relevé se veut-il illustratif et non un listage ennuyeux.

Méthode : en activant la commande EXPRESSION du menu CONTEXTE, on s’assure par les segments obtenus que le verbe ou la locution par QUE précède la complétive ; et qu'il est suivi(e)
* soit de l'indicatif : "voit, sait, montre, pense, assure, (sou)tient, croit, trouve, espère, prétend, imagine, il est sûr / certain / probable / vrai, etc."
* soit du subjonctif : "faire, souhaite, veut, doute, crains, il faut / suffit / semble / est possible / faux / (in)juste / nécessaire, etc."

Cette liste de supports provient de manuels de grammaire, élargie empiriquement par synonymie. Il s’agit là des « contextes épistémiques » étudiés par R. Martin (1992 : 133-139) et par B. Pottier (1987), qui régissent l’emploi des modes en subordonnée, en relation avec la négation.

Dans le contenu des conjonctives, prioritairement mais non exclusivement, puisque l’on s’autorise à prendre appui sur la thématique des propositions environnantes, resurgissent des topoï pascaliens. Cela donne à penser que les segments textuels où s’insèrent les subordonnants ont un contenu représentatif de l’idéologie dont on crédite l’auteur. L’enjeu ultime est alors d’inciter à reconstituer l’arrière-plan des querelles religieuses qui permettent d’interpréter les passages, majoritairement extraits des Provinciales (1).

Pour les occurrences de la vision :
- D’où il se VOIT QUE, puisque les Papes ne donnent de force à leurs Bulles qu’à mesure qu’elles sont appuyées sur des faits véritables, ce ne sont pas les Bulles seules qui prouvent la vérité des faits; mais qu’au contraire, selon les Canonistes mêmes, c’est la vérité des faits qui rend les Bulles recevables.

- Quand on est instruit ON COMPREND QUE la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches, car qui DOUTE QUE la géométrie par exemple a une infinité d’infinités de propositions à exposer. Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes, car qui ne VOIT QUE ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux-mêmes et qu’ils ont appuyés sur d’autres qui en ayant d’autres pour appui ne souffrent jamais de dernier.

- Je ne suis pas aussi éternel ni infini, mais je VOIS bien QU’il y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini.

- Et ainsi, quand vous êtes d’accord avec les Jésuites touchant le mot de suffisante, et que vous leur êtes contraires dans le sens, il est VISIBLE QUE vous êtes contraires touchant la substance de ce terme, et que vous n’êtes d’accord que du son.

- Il est donc VISIBLE QUE je n’ai manqué en aucune sorte à la discrétion, dans ce que j’ai été obligé de dire touchant les maximes de votre morale.

Il n'est pas oiseux de constater que les supports de certitude sont affinitaires de l'apparence ou de la reconnaissance, avec lesquelles ils se regroupent en une sorte de "massif", que ce soit dans ces deux extraits suivants, respectivement d'une Pensée et d'une Provinciale :

- Tant s'en faut que cela fasse contre, qu'au contraire cela fait pour. Car il est CERTAIN QUE Jésus-Christ a été et que sa religion a fait grand bruit et que ces gens-là ne l'ignoraient pas et qu'ainsi il est VISIBLE QU'ils ne l'ont celé qu'à dessein ou bien qu'ils en ont parlé et qu'on l'a supprimé, ou changé .

- DIRIEZ-VOUS, pour cela, QU'un de ces Papes fut hérétique ? Et NE FAUT-IL DONC PAS AVOUER QUE, pourvu que l'on condamne le sens hérétique qu'un Pape aurait supposé dans un écrit, on n'est pas hérétique pour ne pas condamner cet écrit, en le prenant en un sens qu'il est CERTAIN QUE Le Pape n'a pas condamné, puisque autrement l'un de ces deux Papes serait tombé dans l'erreur ?

Pour les équivalents de ces supports de vision, de nouveau groupés avec ceux exprimant la connaissance objective :

- Je vous le disais pour vous avertir d’une chose importante sur ce sujet, que je TROUVE QUE vous avez oubliée en établissant votre doctrine de la probabilité. [cf. infra l'analyse du support du probable.]

- On va voir le Concile (2) et on TROUVE QUE vous êtes des imposteurs.

- Pour pécher et se rendre coupable devant Dieu, il faut SAVOIR QUE la chose qu'on veut faire ne vaut rien, ou au moins en douter, craindre, ou bien JUGER QUE Dieu ne prend plaisir à l'action à laquelle on s'occupe, qu'il la défend.

- Si un gentilhomme qui est appelé en duel est connu pour n'être pas dévot, et que les péchés qu'on lui voit commettre à toute heure sans scrupule fassent aisément JUGER QUE, s'il refuse le duel, ce n'est pas par la crainte de Dieu, mais par timidité […]

- Mais si l'on VOIT QUE vous anéantissez la loi de Dieu, qui défend ces actions comme criminelles en elles-mêmes, et ne témoignez craindre de les approuver dans la pratique que par la crainte des juges, ne nous donnez-vous pas sujet de JUGER QUE ce n'est point Dieu que vous considérez dans cette crainte […]

La thématique consiste dans ces extraits en un renversement antithétique et paradoxal (concernant par exemple l’autorité des bulles papales), en une apologie de l’infinitude (négation de ce qui est ‘dernier’), sur fond de débat scientifique et de querelle religieuse (contradiction du "sens" jésuite par le janséniste). L’acte de vision à valeur de constat est intégré à une organisation causale (‘car’), consécutive (‘d’où’) et adversative (‘mais’) qui relève de l’acte persuasif.

Il n’en va pas autrement des supports de l’évidence suivants qui concluent respectivement sur l’écriture de l’Ancien Testament et sur la contradiction des jugements jésuites, en l’occurrence au sujet des meurtriers :

- D’où il PARAÎT QUE (3) ce sens n’était point celui qu’ils exprimaient à découvert.

- D’où il ARRIVE QUE ceux qui tuent sans en recevoir aucun prix, mais seulement pour obliger leurs amis, ne sont pas appelés assassins.

Pour ces autres occurrences de l’assertion, qui continuent à promouvoir le domaine religieux :

- La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur fait que leur visage […] imprime dans leurs sujets le respect et la terreur […] Et le monde qui ne SAIT pas QUE cet effet vient de cette coutume, CROIT QU’il vient d’une force surnaturelle.

- [Sur le roseau pensant :] Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il SAIT QU’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien.

- L’Ecclésiaste MONTRE QUE l’homme sans Dieu est dans l’ignorance de tout et dans un malheur inévitable, car c’est être malheureux que de vouloir et ne pouvoir. Or il veut être heureux et assuré de quelque vérité. Et cependant il ne peut ni savoir ni ne désirer point de savoir. Il ne peut même douter.

- Quand Epictète aurait vu parfaitement bien le chemin, il dit aux hommes : vous en suivez un faux. Il MONTRE QUE c’en est un autre, mais il n’y mène pas. C’est celui de vouloir ce que Dieu veut. J.-C. seul y mène. Via veritas.

- Lessius MONTRE QU'on peut tuer même pour un simple geste.

Thèmes : la supériorité que confère la faculté de penser ; sa faiblesse inverse qui se manifeste par l’empire de l’irrationnel (accrédité par l’ignorance des coutumes); la perdition de l’homme sans Dieu, que ce soit par les facultés qu’il dispense (capacité de dire le vrai ou de douter) ou par les principes qu’il édicte (motif du chemin à suivre) semblent tellement incontestables qu’ils constituent la prémisse pessimiste de la démonstration.

Pour ces occurrences de l’opinion certaine :

- [A propos de la preuve des deux testaments] Pour examiner les prophéties (4), il faut les entendre. Car si on CROIT QU’elles n’ont qu’un sens il est SÛR QUE le Messie ne sera point venu, mais si elles ont deux sens il est SÛR QU’il sera venu en J.-C. Toute la question est de savoir si elles ont deux sens.

- Il y a cette différence seule entre ces deux choses qu’il est SÛR QUE Dieu ne voudra jamais le péché, au lieu qu’il NE L’est PAS QU’il ne voudra jamais l’autre. Mais tandis que Dieu ne la veut pas, nous la devons regarder comme péché tandis que l’absence de la volonté de Dieu qui est seule toute la bonté et toute la justice la rend injuste et mauvaise.

N.B. : Profitons de ce contexte pour constater une répartition proportionnellement inverse entre les Pensées et Provinciales de deux mots fréquents :

- Tant il est SÛR QU’on ne peut périr quand on pratique quelqu’une de ces dévotions. (5)

- Mais je lui ai soutenu, comme je SOUTIENS encore, QUE la calomnie, lorsqu’on en use contre un calomniateur, n’est point un péché. [On ne manquera pas de relever les polyptotes insistantes.]  […] Cet hérétique SOUTIENT QUE la grâce n’agit pas sur le libre arbitre en la manière qu’on l’a cru si longtemps dans l’église, […]

- Si MM. Les évêques exécutent dans leurs diocèses les conseils que vous leur donnez, de contraindre à JURER et à SIGNER QU’on croit une chose de fait qu’il n’est pas véritable qu’on croie […], vous réduirez vos adversaires dans la dernière tristesse.

- C’est la doctrine des restrictions mentales [permissivité qui dénonce l’art du mensonge Jésuite] : On peut JURER QU’on n’a pas fait une chose, quoiqu’on l’ait faite effectivement.

- Il est donc VRAI DE DIRE QUE tout le monde est dans l’illusion, car encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il PENSE QUE la vérité est où elle n’est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Il est VRAI QU’il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.

- Or après que Rome a parlé et qu’on PENSE QU’il a condamné la vérité, et QU’ils l’ont écrit, et QUE les livres qui ont dit le contraire sont censurés, il faut crier d’autant plus haut qu’on est censuré plus injustement.

- Si on NE PENSE PAS QUE ce mal soit envoyé de la main de Dieu, ce regret ne suffit pas ; mais si on CROIT QUE ce mal est envoyé de Dieu, […] ce regret est suffisant.

Si les deux derniers supports sont synonymes dans ce contexte, il n’en demeure pas moins que la relation au genre les distingue ainsi, de façon typique :


Le premier étant traditionnellement présenté comme antinomique du second, le corpus pascalien a ceci de remarquable qu’il n’a de cesse de concilier les termes de cette dualité.

Supports de la certitude, de l’assertion et de l’évidence se répondent dans maints fragments, comme pour objectiver l’opinion qui est thématisée :

- La Société est bien satisfaite de leur complaisance [celle des Dominicains, alliés des Jésuites]. Elle n’exige pas qu’ils nient la nécessité de la grâce efficace ; ce serait trop les presser : il ne faut pas tyranniser ses amis ; les Jésuites ont assez gagné. Car le monde se paye de paroles : peu approfondissent les choses ; et ainsi le nom de grâce suffisante étant reçu des deux côtés, quoique avec divers sens, il n’y a personne, hors les plus fins théologiens, qui ne PENSE QUE la chose que ce mot signifie soit tenue aussi bien par les Jacobins (6) que par les Jésuites, et la suite fera VOIR QUE ces derniers ne sont pas les plus dupes.

- Il ne CROYAIT donc pas QU’il fût hérétique en effet ? Et néanmoins, après l’en avoir accusé contre sa connaissance, il ne déclare pas qu’il a failli, mais il ose dire, au contraire, qu’il CROIT QUE la manière dont il en a usé lui était permise. A quoi songez-vous, mes Pères, de TEMOIGNER ainsi publiquement QUE vous ne mesurez la foi et la vertu des hommes que par les sentiments qu’ils ont pour votre Société ?

Dans "M. Arnauld NE RECONNAÎT PAS QUE les justes aient le pouvoir d’accomplir les commandements de Dieu" (alors que l'indicatif est requis dans "un boiteux RECONNAÎT QUE nous allons droit"), "…qui NE PENSE QUE la chose soit tenue", "IL N’EST PAS TROP SÛR QUE l’attrition (7) suffise" (on a vu à la page précédente que l'indicatif aussi pouvait être requis derrière cette même locution négative), ou "il N’EST PAS VRAISEMBLABLE QUE […] je me sois exposé à tout perdre" et "il N’EST PAS CERTAIN QUE nous voyions",

on observe que l’emploi du subjonctif après de tels supports n’est dû qu’à la négation de la croyance
* grammaticale : "cette maison n’est point de Dieu, car on N’Y CROIT PAS QUE les cinq propositions soient dans Jansénius; [Cf. la Première Lettre :]

Tant d'assemblées d'une compagnie aussi célèbre qu'est la Faculté de théologie de Paris, en font concevoir une si haute idée, qu'on ne peut CROIRE QU'il n'y en ait un sujet bien extraordinaire."
* ou lexicale : "L'inclination corrompue des hommes s'y porte d'elle-même avec tant d'impétuosité qu'il est INCROYABLE QU’en levant l'obstacle de la conscience, elle ne se répande avec toute sa véhémence naturelle."

Cela est beaucoup moins systématique en revanche pour les verbes DIRE et DÉCLARER, que l’on n’a pas jugé bon de relever au vu de leur fréquence élevée ; seules 2 occurrences échappent à l’indicatif (qui est employé aussi au négatif) :
* il NE DIT PAS QUE ce soit un péché mortel de ne le pas absoudre ;
* il NE DIT PAS QUE ce que les Papes ont décidé ne soit pas probable.

En revanche qui ne sait/sache (pas) que reste, comme APPRENDRE ou SAVOIR au positif, indéfectiblement attaché à l’indicatif. Exceptions :

- on trouve en soi-même la vérité […], laquelle on ne SAVAIT pas QU’elle y fût. (Pensée 652_14)

- O mon Père […] je ne SAVAIS pas QUE vous eussiez le pouvoir d'ordonner sur peine la damnation. Je CROYAIS QUE vous ne saviez qu'ôter les péchés ; je ne PENSAIS pas QUE vous en sussiez introduire ; mais vous avez tout pouvoir. […] je ne SAVAIS pas QUE la direction d'intention eût la force de rendre les promesses nulles.

Elles sont dues à l'ignorance – ici feinte et porteuse d'ironie – dans contextes au passé, encore que cela ne soit pas systématique:

- Ils ne SAVAIENT pas QUE vous êtes en pouvoir de le dire. (955_929)

Cela est prouvé a contrario par l'indicatif requis par les contextes au présent :

- C'est la part de l'envie qui est aveugle et qui ne SAIT pas QUE cette répétition n'est pas faute en cet endroit du discours fût. (515_48)

Poursuivons. La dénonciation de l’aveuglement paradoxal de l’opinion populaire :

- Ce qui m’étonne le plus est de VOIR QUE tout le monde n’est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement et chacun suit sa condition, non pas parce qu’il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure et par une plaisante humilité on CROIT QUE c’est sa faute et non pas celle de l’art qu’on se vante toujours d’avoir.

est à rapprocher du précédent "tout le monde est dans l’illusion", ce qui montre la proximité sémantique, aussi bien que textuelle, des cooccurrents voir que/croit que et pense que/il est vrai que, la vision personnelle se détachant sur la croyance collective.

- Il ne FAUT pas QUE l’homme CROIE QU’il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre.

Ici la négation n’affecte pas directement le verbe épistémique (mais l'opérateur de nécessité). Il ne requiert donc pas à sa suite le subjonctif. Thématiquement, si dans ces deux segments l’acte de croyance relève de la ‘faiblesse’, de l’illusion de ‘la sagesse naturelle’ ou de la superstition religieuse, le même syntagme support doit faire l’objet d’une dissimilation « illocutoire », selon qu’il s’agit dans un cas d’un constat (portant sur le présent d’habitude), dans l’autre d’un souhait (quant à l’avenir).

- Il sait si peu ce que c’est que Dieu qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même. Et tout troublé de la vue de son propre état il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui sinon qu’il l’aime et le connaisse, et pourquoi il CROIT QUE Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. [On note l’insistance remarquable due aux répétitions et polyptotes.]

- Mais le peuple n’est pas susceptible de cette doctrine, et ainsi comme il CROIT QUE la vérité se peut trouver et qu’elle est dans les lois et coutumes il les croit et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité (et non de leur seule autorité). Ainsi il y obéit mais il est sujet à se révolter dès qu’on lui MONTRE QU’elles ne valent rien, ce qui se peut faire voir de toutes en les regardant d’un certain côté.

La représentation imaginaire n’est pas moins empreinte de certitude que l’acte de créance :

- […] en différant pour cela notre entretien des adoucissements de la confession. […] Nous nous séparâmes là-dessus ; et ainsi je m’IMAGINE QUE notre première conversation sera de leur politique.

- Voilà comme il [Jansénius] parle de tous ses chefs, et c’est sur quoi je m’IMAGINE QU’il croit le pouvoir de résister à la grâce, qu’il est contraire à Calvin, et conforme aux Thomistes.

- Car quelle gloire est-ce à nos Pères d’aujourd’hui, d’avoir en moins de rien répandu si généralement leur opinion partout, que, hors les théologiens, il n’y a presque personne qui ne s’IMAGINE QUE ce que nous tenons maintenant de l’attrition n’ait été de tout temps l’unique créance des fidèles ?

- De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’IMAGINE QUE la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu’on court ; on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit.

L’indicatif, pour les contextes positifs (‘sera’, ‘croit’) indique la prise de position de la part du locuteur JE quant à l’éventualité, qu’il envisage comme certaine et réalisable. Il assume la vérité des propositions qu’il énonce, lesquelles, pour être hypothétiques, n’ont rien de chimériques. Pour les 4 occ. de " imagine que ", le mode a pour corrélat la dense isotopie de la /discussion/ (‘entretien’, ‘confession’, ‘conversation’, ‘parle’), laquelle implique l’interpellation de l’interlocuteur et du lecteur des Provinciales.

En revanche la détermination négative de "imagine que" favorise l’emploi déréalisant du subjonctif dans la subordonnée, lequel est en corrélation avec les thèmes de l’erreur (exagération du rôle de l’attrition) et du "divertissement" (qui fait oublier notre malheureuse condition), fussent-ils niés.
Méthode : la caractéristique commune à tous les exemples cités est ainsi de montrer que le choix du mode est étroitement corrélé aux données ayant trait à la dialogique et la thématique. Cela ôte à l’analyse grammaticale son aspect restrictif (quant aux frontières disciplinaires) et l’immerge dans l’étude de contenu, traditionnellement dévolue au cours de littérature. La compatibilité d’approche avec une stylistique conçue comme une interprétation des formes textuelles est alors évidente.

Thématique : ces verbes de constat et de certitude étayent l’isotopie de l’évidence – celle-là même que De Boissieu & Garagnon décelaient déjà (1987, p. 27) à propos de l’une des Provinciales (cinquième lettre).

Dans les multiples occurrences citées de l’opinion certaine, cette isotopie détermine

  1. la conformité à la pensée et la volonté divines,
  2. les querelles théologiques (conception dualiste de la Grâce, efficace-janséniste vs suffisante-jésuite, véracité de l’un et\ou l’autre testament par le biais de l’exégèse biblique, preuve de l’existence de Dieu par les sentiments qu’il inspire : Dieu ‘naturellement connaissable et aimable’),
  3. l’exigence de justice (cf. la réhabilitation partisane d’un disciple du fait qu’il n’attaque plus la Société de Jésus ; l’apparent hérétique en réalité orthodoxe),
  4. le reproche d’une erreur (doctrine déficiente, imposture, notamment celle du clan Jésuite au sein des différents ordres religieux).

La figure affectionnée est l’opposition duelle ("si on ne pense pas mais si on croit", "ni qu’il croie ni qu’il ignore", "il obéit mais il se révolte" ; calomnie retournée contre le calomniateur). Ainsi que l’insistance pléonastique : par exemple "croit que" est une amorce du ‘croire’ en Dieu, le motif de la foi amplifiant celui de la simple modalité.

De même ci-dessous, l’espoir formulé est en fait une espérance, de par son objet religieux (atténuation du Mal) ou métaphysique (l’atteinte de la Vérité) :

- J’ESPÈRE QUE ce que j’en apprendrai sera le sujet de notre premier entretien [concernant la doctrine jésuite face à la morale].

- Je ne pensais pas à cela, lui dis-je ; et j’ESPÈRE QUE, par ces distinctions-là, il ne restera plus de péchés mortels au monde. Ne pensez pas cela, dit le Père, car il y en a qui sont toujours mortels de leur nature, comme par exemple la paresse.

- J’ESPÈRE QUE, quand vous aurez connu la vérité, tout ce qui a été fondé sur un faux rapport sera dissipé. Je prie l’esprit de vérité de vous donner la grâce de séparer la lumière des ténèbres, et de réprouver le mal pour favoriser le bien. Vous VOYEZ donc, mon Père, QUE le degré éminent où sont les Papes ne les exempte pas de surprise, et qu’il ne fait autre chose que rendre leurs surprises plus dangereuses et plus importantes.

Les occurrences de l’opinion certaine incluent enfin l’expression du probable ; elles régissent classiquement l’indicatif, à la différence du possible (8) :

- Car votre Père Suarez en parle de cette sorte. Encore, dit-il, que ce soit une opinion PROBABLE QUE l’attrition suffit avec le Sacrement, toutefois elle n’est pas certaine, et elle peut être fausse. Non est certa, et potest esse falsa. Et si elle est fausse, l’attrition ne suffit pas pour sauver un homme.

- L’ardeur des saints à chercher le vrai était inutile si le probable est sûr. […] Qu’on voie si on recherche sincèrement Dieu par la comparaison des choses qu’on affectionne. Il est PROBABLE QUE cette viande ne m’empoisonnera pas. Il est PROBABLE QUE je ne perdrai pas mon procès en ne sollicitant pas. (Pensée 722_922)

- Il est CONSTANT (9), dit Caramuel, QUE c’est une opinion PROBABLE QU’il n’y a point de péché mortel à calomnier faussement pour conserver son honneur.

Il n'est pas oiseux de remarquer que ce nouveau support de la certitude affirmée se lie aux notions de vérité et de fausseté vérifiables, scientifiques :

- S'il est VRAI d'une part QUE quelques religieux relâchés et quelques casuistes ont trempé dans ces corruptions, il est CONSTANT de l'autre QUE les véritables pasteurs de l'église qui sont les véritables dépositaires de la parole divine, l'ont conservée immuable contre les efforts de ceux qui ont entrepris de la ruiner. (Pensée 965_889)

- Il est bien raisonnable de dire qu'un homme peut se battre en duel pour sauver sa vie, son honneur, ou son bien en une quantité considérable, lorsqu'il est CONSTANT QU'on les lui veut ravir injustement par des procès et des chicaneries, et QU'il n'y a que ce seul moyen de les conserver.

- […] le soufflet de Compiègne. Il est CONSTANT, mes Pères, par l'aveu de l'offensé, QU'il a reçu sur sa joue un coup de la main d' un Jésuite ;

- l'écriture semble dire que la lune est plus grande que toutes les étoiles : mais parce qu'il est CONSTANT, par des démonstrations indubitables, QUE cela est faux, on ne doit pas, dit ce saint, s'opiniâtrer à défendre ce sens littéral, mais il faut en chercher un autre conforme à cette vérité de fait.

Thèmes : quel que soit l’aspect décousu du sens de ces fragments, qui incitent par là à leur reglobalisation, ils témoignent du lien étroit de cette modalité (comme de celle du possible ci-dessous)

  1. avec le domaine religieux, plus précisément la réflexion théologique ; ainsi les exemples triviaux de ‘cette viande’ et de ‘mon procès’ constituent un appel au concret pour trouver une analogie avec la dominante abstraite. Ils sont en effet à rapporter à la doctrine du probabilisme selon laquelle une opinion est probable et sûre en conscience (casuistique) quand elle est approuvée par un théologien (jésuite de préférence), ainsi capable de modeler la morale à son gré (laxisme et hégémonie à la fois, par l’utilisation du spirituel à des fins de domination, qui scandalisent Louis de Montalte dans Les Provinciales) ;
  2. mais aussi avec le domaine de la logique (contradictoires et implications).

Etant donnée la hiérarchie établie entre la vérité, méliorative, puisqu’elle "donne l’assurance" à la différence de la probabilité, ainsi rendue péjorative, il convient de ne pas négliger les multiples occurrences de l’assertion véridictoire: /amour de la justice et du vrai/ vs /haine de l’injustice et du faux/. Cette dualité axiologique détermine sans surprise les trois domaines sémantiques réitérés //métaphysique// (de l’être, que ce soit celui de Dieu ou celui de l’infini en mathématique), //philosophie// (pyrrhonisme), //morale chrétienne// (celle-ci étant posée par réfutation de la doctrine adverse : cf. les ‘auteurs graves’ ci-dessous). Citons quelques-unes des plus caractéristiques :

- Nous CONNAISSONS QU’il y a un infini, et ignorons sa nature […] Donc il est VRAI QU’il y a un infini en nombre, mais nous ne savons pas ce qu’il est. Il est FAUX QU’il soit pair, il est FAUX QU’il soit impair, car en ajoutant l’unité il ne change point de nature. […] Il est VRAI QUE cela s’entend de tout nombre fini. Ainsi peut-on bien CONNAÎTRE QU’il y a un Dieu sans savoir ce qu’il est.

- Il est FAUX QUE nous soyons dignes que les autres nous aiment. Il est INJUSTE QUE nous le voulions. […] Nous naissons injustes et dépravés. [Le poids du péché originel pèse sur l’énoncé de ce postulat pessimiste.]

- Le moi est haïssable. […] Mais si je le hais parce qu’il est INJUSTE QU’il se fasse centre de tout, je le haïrai toujours. [Dans ces deux segments le support d'injustice n'est corrélé à celui de fausseté que sur l'isotopie /négation/ ; le subjonctif qu'il entraîne doit bien entendu être rapporté au verbe de sentiment, comme dans il est juste que; cf. infra.]

- Qui ne hait en soi son amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit rien n’est si opposé à la justice et à la vérité. Car il est FAUX QUE nous méritions cela […] C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire. [Soit une morale (i) de lucidité, (ii) et de combat contre une origine dépravée.]

- S’il est VRAI QUE les riches n’ont presque jamais de superflu, n’est-il pas CERTAIN QU’ils ne seront presque jamais obligés de donner l’aumône de leur superflu ?

- Il est CERTAIN QUE nous voyons en quelques endroits du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples du monde qui s’appelle le peuple juif.

- L’Église a toujours été combattue par des erreurs contraires. […] Il est CERTAIN QUE plusieurs des deux contraires sont trompés. Il faut les désabuser. La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire.

- Cependant il est CERTAIN QUE l’homme est si dénaturé qu’il y a dans son cœur une semence de joie en cela.

- Il n’est pas CERTAIN QUE tout soit incertain. A la gloire du pyrrhonisme (10).

Le distinguo passe du subtil au sibyllin dans cette autre Pensée argumentative :

- Car il n'est pas CERTAIN QUE nous voyions demain, mais il EST CERTAINEMENT POSSIBLE QUE nous ne le voyions pas. On n'en peut pas dire autant de la religion. Il n'est pas CERTAIN QU'elle soit mais qui osera dire qu'il EST CERTAINEMENT POSSIBLE QU'elle ne soit pas.

- [Concernant notre nature mauvaise] N’est-il pas VRAI QUE nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu’ils se trompent à notre avantage […]

- N’est-il pas VRAI QUE, si l’on demande en quoi consiste l’hérésie de ceux que vous appelez Jansénistes, on répondra incontinent que c’est en ce que ces gens disent (i) que les commandements de Dieu sont impossibles, (ii) qu’on ne peut résister à la grâce, etc.

- On dira qu’il est VRAI QUE l’homicide est mauvais : oui, car nous connaissons bien le mal et le faux.

- Quand il serait VRAI QUE Lessius ne serait pas de l’avis qu’Escobar lui attribue, qu’y a-t-il de plus injuste que de s’en prendre à moi ?

- Quand il serait VRAI QUE les auteurs graves et les raisons suffiraient je dis qu’ils ne sont ni graves ni raisonnables.

- Si les Jésuites étaient corrompus et qu’il fût VRAI QUE nous fussions seuls, à plus forte raison devrions-nous demeurer.

L’on aura pu constater dans ce relevé de brefs extraits que, classiquement,

  1. l’affirmation du vrai et du certain – de même que l’interro-négative "n'est-il pas" qui lui équivaut – est suivie de l’indicatif,
  2. et, complémentairement, sa négation (i.e. l’affirmation du faux et de l’incertain) du subjonctif.

Si ce dernier mode ainsi que le conditionnel se substituent à l’indicatif dans les trois dernières occurrences, cela est dû à l’intégration de la complétive dans une subordonnée hypothétique. La modification modale ne constitue donc pas une entorse aux régularités jusque-là observées.
Or il en va tout autrement pour la dénégation, où l’on observe de nouveau une propension à l’antonymie (cf. le couple prétendre \ nier) :

- Dieu n’a jamais laissé pécher un homme sans lui donner auparavant la vue du mal qu’il va faire […] et il n’y a que les Jansénistes qui disent le contraire. Eh quoi ! mon Père, lui répartis-je, est-ce là l’hérésie des Jansénistes, de NIER QUE qu’à chaque fois qu’on fait un péché, il vient un remords troubler la conscience, malgré lequel on ne laisse pas de franchir le saut et de passer outre ?

- Et il est aussi peu raisonnable de PRÉTENDRE QUE l’on a toujours un plein pouvoir, qu’il le serait de NIER QUE ces vertus, destituées d’amour de Dieu, lesquelles ces bons Pères confondent avec les vertus chrétiennes, ne sont pas en notre puissance. (11)

- Voilà leur différend : les Jésuites PRÉTENDENT QU'il y a une grâce donnée généralement à tous les hommes, soumise au libre arbitre [...]; les Jansénistes, au contraire, VEULENT QU'il n'y ait aucune grâce actuellement suffisante, qui ne soit aussi efficace [Indicatif de certitude et de constat objectif pour les uns, subjonctif optatif pour les autres; emplois qui peuvent ici être corrélés aux afférences /force/ vs /faiblesse/.]

- Et ainsi vous ne sauriez NIER QUE ce Jésuite [auteur de l’outrageant soufflet de Compiègne] ne fût tuable en sûreté de conscience, et QUE l’offensé ne pût en cette rencontre pratiquer envers lui la doctrine de Lessius [laquelle autoriserait le meurtre]. Et peut-être, mes Pères, qu'il l'eût fait, s'il eût été instruit dans votre école, et s'il eût APPRIS d'Escobar QU'un homme qui a reçu un soufflet est réputé sans honneur jusqu'à ce qu'il ait tué celui qui le lui a donné.

Dans ce dernier segment, la substitution du subjonctif (‘fût’) à l’indicatif (‘sont’) dans un contexte hypothétique similaire s’explique selon nous par le fait que le défenseur des Jansénistes rend évidentes, outre la confusion, la contradiction interne du camp adverse. L’emploi de l’indicatif se justifie parce que le locuteur assume la transcendance de cette "main toute-puissante" (divine) – de même qu’il assumait la négation du remords Jésuite – pour mieux l’opposer à la "morale toute païenne" qu’il dénonce chez "ces bons Pères" (qualificatif antiphrastique, où l’on voit encore le plaisir ironique du locuteur de poser une contre-vérité).

Affirmer en revanche qu’un individu est ‘tuable’ et peut subir par là l’effet de la doctrine adverse de Lessius (le ne n’est ici qu’explétif) appartient à un monde contrefactuel, selon la thèse Janséniste ; c’est pourquoi cette assertion requiert le mode du virtuel. Parce que le locuteur se réjouit au contraire que le coupable ait la vie sauve, il n’assume pas la conséquence de l’acte inconsidéré du Jésuite se retournant contre lui.

Méthode : c’est dans l’interprétation délicate de tels segments impliquant la connaissance à échelle plus globale des thèses adverses en présence, ce qui permet en retour d’attribuer localement un sens au mode utilisé, que se manifeste l’utilité du logiciel. Outre la sélection et le rapprochement facilité des segments, Hyperbase permet en effet d’élargir le contexte à loisir pour rendre intelligible un phénomène grammatical limité à la proposition. C’est là une vertu didactique non négligeable, de même que celle qui consiste à relever des régularités d'expressions, telle sûreté de conscience à proximité des supports :

Poursuivons sur la dénonciation rhétorique de l’injustice, fût-elle masquée par des tournures appréciatives inverses, révélant un recours à l’antiphrase :

- Mon ami vous êtes né de ce côté de la montagne, il est donc JUSTE QUE votre aîné ait tout.

- La raison ne se soumettrait jamais si elle ne JUGEAIT QU’il y a des occasions où elle se doit soumettre. Il est donc JUSTE QU’elle se soumette quand elle JUGE QU’elle se doit soumettre. [On note la confiance rationaliste en l’auto-réflexion.]

- Il n’était donc pas JUSTE QU’il [Dieu] parût d’une manière manifestement divine […], mais il n’était pas JUSTE aussi QU’il vînt d’une manière si cachée qu’il ne pût être reconnu de ceux qui le cherchaient sincèrement.

Le discours est ici moins celui du Philosophe que de l’exégète néo-testamentaire, pour une fois situé hors de la querelle Jésuite / Janséniste.

- Il est JUSTE QUE ce qui est juste soit suivi ; il est NÉCESSAIRE QUE ce qui est le plus fort soit suivi.

Ce distinguo entre la contrainte physique et l’obligation morale pourrait sous-entendre la corrélation avec /péjoratif/ vs /mélioratif/, mais la suite de la Pensée neutralise l’évaluation négative par une conciliation des deux pouvoirs :

- La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. […] Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela FAIRE QUE ce qui est juste soit fort ou QUE ce qui est fort soit juste. […] Et ainsi ne pouvant FAIRE QUE ce qui est juste fût fort, on A FAIT QUE ce qui est fort fût juste.

- En vérité, mes Pères, […] c’est le moyen de FAIRE QU’on ne vous croie jamais plus,

- Ne pouvant FAIRE QU’il soit force d’obéir à la justice on a FAIT QU’il soit juste d’obéir à la force. Ne pouvant fortifier la justice on a justifié la force,

- Toutes les puissances du monde ne peuvent par autorité persuader un point de fait, non plus que le changer ; car il n’y a rien qui puisse FAIRE QUE ce qui est ne soit pas.

- Pour apaiser ce tumulte, on fut obligé d’appeler un bon P. Capucin d’une vie exemplaire, nommé le P. Quiroga (et ce fut sur quoi le P. Dicastillus le querella tant), qui vint leur déclarer que cette maxime [celle de la calomnie autorisée] était très pernicieuse, principalement parmi des femmes ; et il eut un soin particulier de FAIRE QUE l’impératrice en abolît tout à fait l’usage.

- Pour FAIRE QUE les membres soient heureux il FAUT QU’ils aient une volonté et QU’ils la conforment au corps.

- C’est pourquoi vous [mes Pères] avez eu recours à un nouvel artifice, qui a été de falsifier le Concile de Trente afin de FAIRE QUE M. Arnauld n’y fût pas conforme, tant vous avez de moyens de rendre le monde hérétique.

- C’est sur cela qu’on essaie en vain de remarquer comment il se peut FAIRE QUE l’expression de M. Arnauld soit autant différente de celles des Pères que la vérité l’est de l’erreur, et la foi de l’hérésie : car où en pourrait-on trouver la différence ?

- Et comment se pourrait-il FAIRE QUE les docteurs, qui sont persuadés que Jansénius n’a point d’autre sens que celui de la grâce efficace, consentissent à déclarer qu’ils condamnent sa doctrine sans l’expliquer, puisque […] ce ne serait autre chose que condamner la grâce efficace, qu’on ne peut condamner sans crime ?

On a multiplié les exemples de contextes factitifs et directifs aux reformulations insistantes afin de montrer que le subjonctif y dépend de l’idée de finalité (cf. ‘pour’, ‘afin de’), subjectivante. Le support est toutefois à distinguer du suivant où l’introduction de l’idée de vision et de constat requiert l’indicatif, comme si l’effet d’objectivité qui en découle était une stratégie dans le scénario récurrent de la querelle doctrinale :

- Cela suffit, mes Pères, pour FAIRE VOIR clairement QU’il n’y eut peut-être jamais une plus grande impudence que la vôtre.

- Il importe de FAIRE VOIR QU'elle [une proposition] est exempte de vos corruptions.

Poursuivons sur le support de l’obligation morale. Thématiquement, à l’idéal utopique de :

- Il est NÉCESSAIRE QUE ce bien universel que tous les hommes désirent ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul.

s’oppose la concession réaliste de :

- Il est NÉCESSAIRE QU’il y ait de l’inégalité parmi les hommes, cela est vrai ; mais cela étant accordé voilà la porte ouverte non seulement à la plus haute domination mais à la plus haute tyrannie.

Cela définit un point de départ en quelque sorte neutre (ni bon ni mauvais en soi). A cette réflexion d’ordre globalement humaniste, s’opposent les deux occurrences suivantes qui donnent ainsi la parole au camp Jésuite :

- Il a été fort NÉCESSAIRE QUE nos Pères aient tempéré les choses par leur prudence.

- [Face à] des personnes de toutes sortes de conditions et des nations différentes, il est NÉCESSAIRE QU’ils aient des casuistes (12) assortis à toute cette diversité.

Nécessité partisane, dans la mesure où il s’agit d’asseoir le pouvoir moral de ceux qui tiennent pareil discours.
Venons-en maintenant à la modalité du possible. Elle se manifeste soit dans un cadre narratif pour Les Provinciales, soit dans une forme gnomique-aphoristique pour les Pensées, les deux genres n’étant que l’alibi de la composante dialogique de la disputatio :

- bien glorieux de savoir le nœud de l’affaire, je fus trouver M. N. (docteur de Navarre qui est des plus zélés contre les Jansénistes) […]. Pour en être mieux reçu, je feignis d’être fort des siens et lui dis : serait-il bien POSSIBLE QUE la Sorbonne introduisît dans l’église cette erreur, que tous les justes ont toujours le pouvoir d’accomplir les commandements ?

Caricaturale, l’éventualité théologique qu’énonce cette première Provinciale est dépréciative. En revanche l’idée contrefactuelle du "faux dominant dans les esprits", modalisée par le subjonctif (par opposition à la factuelle à l'indicatif requis par le verbe de vision) est écartée dans la période suivante :

- Ayant considéré d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes jusques à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’A PARU QUE la véritable cause est qu’il y en a de vrais, car il ne serait pas POSSIBLE QU’il y en eût tant de faux et qu’on y donnât tant de créance s’il n’y en avait de véritables.

La dichotomie vérité/fausseté n’a pour but dans cette Pensée que de poser la notion de plausibilité : on peut accorder de la ‘créance’ à des imposteurs car l’existence de bons remèdes est possible.

- Il faut raisonner de la même sorte pour la religion car il ne serait pas POSSIBLE QUE les hommes se fussent imaginé tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable.

- Saint-Augustin a dit formellement que les forces seront ôtées au juste. Mais c’est par hasard qu’il l’a dit, car il pouvait arriver que l’occasion de le dire ne s’offrît pas. Mais ses principes font VOIR QUE l’occasion s’en présentant, il était IMPOSSIBLE QU’il ne le dît pas.

On note ici que le ne pas pouvoir ne pas être (nécessaire aléthique), bien qu’il implique l’être positif, ne requiert nullement l’indicatif. La négation du contrefactuel reste en effet déterminée par la notion de possible. De là aussi le subjonctif derrière l'affirmation de l'invraisemblable, comme celle du faux.

Pouvoir ne pas dire, ne pas pouvoir ne pas dire : le goût de la dualité se traduit aussi en métaphysique par la nécessité d’admettre l’origine pour concevoir le terme ultime :

- Il est IMPOSSIBLE QUE Dieu soit jamais la fin, s’il n’est le principe.

- Je les prierais de considérer qu’il n’est pas IMPOSSIBLE QU’il [le sentiment d’injustice] vienne d’ailleurs, et qu’il est même assez VRAISEMBLABLE QU’il vient du déplaisir secret et souvent caché à nous-mêmes […]

- Il est permis à toutes sortes de personnes d’entrer dans des lieux de débauche pour y convertir des femmes perdues, quoiqu’il soit bien VRAISEMBLABLE QU’on y péchera.

- En vérité, mes Pères, vous en êtes plus suspects que moi ; car il n’est pas VRAISEMBLABLE QU’étant seul comme je suis, […] je me sois exposé à tout perdre, en m’exposant à être convaincu d’imposture.

Subjonctif de nouveau, dès lors que l’expression du probable ("adjectif gradable" contrairement au possible), dont on a étudié les extraits supra, perd en intensité et n’est plus assumé par un locuteur, comme cela était le cas :

- Eh quoi ! mon Père, la vie des Jansénistes dépend donc seulement de savoir s’ils nuisent à votre réputation ? Je les tiens peu en sûreté, si cela est. Car s’il devient tant soit peu PROBABLE QU’ils vous fassent tort, les voilà tuables sans difficulté. Vous en ferez un argument en forme […]

Le choix de ce mode n’est pas dû en effet à la structure hypothétique, car celle-ci admet indifféremment l’indicatif :

- Si, selon ses maximes [celles de la théologie abominable], il n’était PROBABLE et SÛR en conscience QU’on peut calomnier sans crime pour conserver son honneur, à peine y aurait-il aucune de ses décisions qui fût sûre.

- mon Père, lui dis-je, […] la vie est vie exposée si […] on peut tuer le monde en conscience. Cela est vrai, me dit-il, mais nos Pères […] ont trouvé à propos de défendre de mettre cette doctrine en usage en ces petites occasions […]. Quoi ! mon Père, ce n’est donc ici qu’une défense de politique, et non pas de religion ? Peu de gens s’y arrêteront, et surtout dans la colère ; car il pourrait être assez PROBABLE QU’on ne fait point de tort à l’état de le purger d’un méchant homme.

Ici la certitude reprend de sa force en étant assumée par ces gens qui profitent de la doctrine dévoyée et pervertie, sinon perverse. La différence évaluative des deux modalités n’aura pas échappé au lecteur : alors que l’interrogation sur le probable relève en casuistique de la doctrine (du faire-croire), ce qui interpelle le clan adverse des Jésuites (on aura noté l’ironie cinglante envers ce clan, surtout lorsqu’il tente de légitimer le ‘tuable’), la probabilité n’étant alors qu’une apparence trompeuse de vérité, en revanche l’interrogation sur le possible et sur sa plus ou moins forte certitude relèvent du niveau existentiel (pouvoir-être/faire), valorisé par la réflexion du narrateur, qui s’avère en l’occurrence penseur et logicien.

Le syntagme il faut que est très fréquent avec près de 60 occ. recensées, dont on ne retiendra – pour ne pas alourdir l’exposé – qu’une faible partie, aux résonances très pascaliennes d’après les domaines relevés jusqu’ici et qui caractérisent cet univers :

- Parce, dit-on, que vous AVEZ CRU dès l’enfance QU’un coffre était vide, lorsque vous n’y voyiez rien, vous avez cru le vide possible. C’est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu’il FAUT QUE la science corrige.

Soit ici l’opposition rationaliste de la nécessité morale à la croyance erronée fondée sur l’expérience naïve.

- Qu’est-ce qui sent du plaisir en nous ? Est-ce la main, est-ce le bras, est-ce la chair, est-ce le sang ? On verra qu’il FAUT QUE ce soit quelque chose d’immatériel.

Cela dit d’après les lois de la science et\ou de la religion. Autre nécessaire universel, celui de l’un des deux termes exclusifs de l’alternative ; il s’agit ici d’un postulat, voire d’une hypothèse explicative, dans ces Pensées lapidaires, qui résonnent comme une émanation de la doxa :

- Il FAUT QUE les Juifs ou les Chrétiens soient méchants. (102_759)

- Sans J.-C. il FAUT QUE l’homme soit dans le vice et dans la misère. Avec J.-C. l’homme est exempt de vice et de misère. (416_546)

On retrouvera infra ce glissement de l’obligation à l’être qui apparaît ici dans la formulation insistante des contraires complémentaires. La nécessité est en revanche ouvertement morale dans les préceptes suivants :

- C’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il FAUT QUE la raison s’appuie.

- Voilà la guerre ouverte entre les hommes, où il FAUT QUE chacun prenne parti, et se range nécessairement ou au dogmatisme ou au pyrrhonisme.

- Vraiment je vous admire, de PENSER QUE nous soyons (13) opposés à l’écriture, aux Papes ou aux Conciles ! Il FAUT QUE je vous éclaircisse du contraire. […] ce bon Père jésuite m’avait promis de m’apprendre de quelle sorte les casuistes accordent les contrariétés qui se rencontrent entre leurs opinions et les décisions des Papes, des Conciles et de l’écriture.

De façon didactique, le récit explicite l’enjeu d'un tel discours direct dans Les Provinciales. Tel n'est pas le cas des Pensées , dont les aphorismes fragmentaires se limitent en revanche au monologue d’une parole directive, comme en témoigne le suivant :

- Les grandeurs et les misères de l’homme sont tellement visibles qu’il FAUT nécessairement QUE la véritable religion nous enseigne […] Il FAUT encore QU’elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés. Il FAUT QUE pour rendre l’homme heureux elle lui MONTRE QU’il y a un Dieu […] Il FAUT QU’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances […]

- S’il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout, il FAUT donc QUE la vraie religion nous enseigne à n’adorer que lui et à n’aimer que lui. Mais comme nous nous trouvons dans l’impuissance d’adorer ce que nous ne connaissons pas et d’aimer autre chose que nous, il FAUT QUE la religion qui instruit de ces devoirs nous instruise aussi de ces impuissances et qu’elle nous apprenne aussi les remèdes. Elle nous APPREND QUE par un homme tout a été perdu et la liaison rompue entre Dieu et nous, et que par un homme la liaison est réparée. Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu et il est si nécessaire qu’il FAUT QUE nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste. (205_489)

Si l’on restitue ici la totalité de cette Pensée, c’est pour mettre en lumière le "trafic d’influence" (selon l’expression de De Boissieu & Garagnon, 1987, p. 36) qui s’opère dans sa chute. En effet la dernière occurrence du syntagme support diffère des précédentes qui, à coup de lourdes anaphores, insistaient sur la prescription d’ordre moral, le devoir-faire déontique. Elle, au contraire, situe ce ‘il faut que nous naissions coupables’ dans le cadre de l'aléthique (i.e. l’impossible de ne pas être) - pour reprendre les deux modalités gouvernant les "mondes possibles" (cf. R. Martin, 1992: 123-4). Le repérage du glissement du « il faut que », indice de la subjectivité du locuteur et de l'intersubjectivité de la morale dont il se veut porteur, au nécessaire universel, ontique, à effet objectif, est instructive du point de vue didactique.

En réalité le développement antérieur montre que cette assertion est l’aboutissement d’une chaîne implicative reposant sur l’instruction religieuse (postulat : Dieu est juste; en effet il a envoyé un homme pour racheter l’humanité ; donc ce rachat prouve une culpabilité initiale). Son caractère obligatoire glisse ainsi du culturel au naturel pour les besoins de l’argumentation.

Ailleurs, il est manifeste que l’ontique et l’épistémique sont sous la dépendance du déontique, en l’occurrence celui de la norme doctorale, dont la contestation (par la surprise ironique) prouve le caractère tout relatif des jugements de vérité qu’elle peut émettre :

- Vous me surprenez, mon Père […] ; ainsi un pécheur se pourrait rendre digne de l’absolution sans aucune grâce surnaturelle. Or il n’y a personne qui ne SACHE QUE c’est (14) une hérésie condamnée par le Concile. Je l’aurais pensé comme vous, dit-il, et pourtant il FAUT bien QUE cela ne soit pas. Car nos Pères […] ONT SOUTENU dans leurs thèses QU’une attrition peut être suffisante […], quoiqu’elle ne soit pas surnaturelle.

Dans un domaine plus laïc, le nécessaire pour le sujet, en l’occurrence écrivain, s’appuie sur la norme picturale, pour parvenir à l’objectivité :

- Je ne puis juger d’un ouvrage en le faisant. Il FAUT QUE je fasse comme les peintres et que je m’en éloigne, mais non pas trop. De combien donc ?

- La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d’extérieur et d’intérieur. Elle élève le peuple à l’intérieur, et abaisse les superbes à l’extérieur, et n’est pas parfaite sans les deux, car il FAUT QUE le peuple entende l’esprit de la lettre et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre.

- Il FAUT QUE l’extérieur soit joint à l’intérieur pour obtenir de Dieu.

La thématique dominante à tout le moins dans les quatre segments ci-dessus est celle de l’erreur de l’expérience naïve, corrigée par les principes scientifiques et surtout religieux. Elle a pour corollaire la supériorité doxale du spirituel sur le matériel. Néanmoins cette opposition n’est pas exclusive et disjonctive dans l’univers pascalien : face au clivage ‘Religion païenne + extériorité + vulgaire (peuple bas)’ vs ‘Religion intellectuelle + intériorité + subtilité (superbes habiles)’, la religion chrétienne opère une saine conciliation des contraires dans la synthèse du littéral externe, plébéien, et du figuré interne, élitiste.

Entre la nécessité et l’éventualité, le possible se prête à l’expression du doute. C’est pourquoi il convient de se pencher sur quelques-unes des nombreuses occurrences de ce sentiment. Il apparaît en contexte comme une perte de certitude face à des règles doctrinales, celles du camp adverse contestées par l’épistolier :

- La question sur cela est de savoir s’il a pu, sans témérité, témoigner par là qu’il DOUTE QUE ces propositions soient de Jansénius, après que Messieurs les évêques ONT DÉCLARÉ QU’elles y sont. (15)

On constate ici que l’unique subjonctif intemporel contraste avec tous les autres indicatifs qui l’entourent et qui eux posent les faits dans une chronologie organisée et vérifiable. Voici ensuite comment dans la huitième lettre le locuteur s’insurge contre la moralité des pères jésuites, en citant parmi eux cette règle d’Escobar :

- Les biens acquis par des voies honteuses, comme par un meurtre, une sentence injuste, une action déshonnête, etc., sont légitimement possédés, et on n’est point obligé à les restituer. On peut disposer de ce qu’on reçoit pour des homicides, des sentences injustes, des péchés infâmes, etc., parce que la possession en est juste, et qu’on acquiert le domaine et la propriété des choses que l’on y gagne. O mon Père ! lui dis-je, je n’avais jamais ouï parler de cette voie d’acquérir, et je DOUTE QUE la justice l’autorise et qu’elle prenne pour un juste titre l’assassinat, l’injustice et l’adultère.

Ce faisant, Pascal oppose le bon droit à la mauvaise conscience. Il poursuit ainsi dans la dixième lettre, en montrant cette fois l’hypocrisie du confesseur jésuite, ce qui renforce le lien entre l’isotopie spécifique /perversité morale/ et la générique /religion/ :

- Est-ce qu’il y a tant de certitude dans ces paroles qu’on donne, que ce seul signe soit convaincant ? Je DOUTE QUE l’expérience ait fait connaître à vos Pères que tous ceux qui leur font ces promesses les tiennent. Cela n’importe, dit le Père ; […] toutes les fois que ceux qui récidivent souvent, sans qu’on y voie aucun amendement, se présentent au confesseur, et lui disent qu’ils ont regret du passé et bon dessein pour l’avenir, il les en doit croire sur ce qu’ils le disent, quoiqu’il soit à présumer telles résolutions ne passer pas le bout des lèvres.

Quant à la dix-huitième lettre, elle s’achève sur l’auto-justification de l’épistolier, expliquant qu’il s’est refusé à un silence complice pour dénoncer l’opprobre injuste qu’a jeté le parti jésuite sur des adversaires :

- Et c’est pourquoi, comme le repos de l’église dépend de cet éclaircissement, il était d’une extrême importance de le donner, afin que, tous vos déguisements étant découverts, il PARAISSE à tout le monde QUE vos accusations sont sans fondement, vos adversaires sans erreur, et l’église sans hérésie. Voilà, mon Père, le bien que j’ai eu pour objet de procurer, qui me semble si considérable pour toute la religion, que j’ai de la peine à comprendre comment ceux à qui vous donnez tant de sujet de parler, peuvent demeurer dans le silence. Quand les injures que vous leur faites ne les toucheraient pas, celles que l’église souffre devraient, ce me semble, les porter à s’en plaindre : outre que je DOUTE QUE des ecclésiastiques puissent abandonner leur réputation à la calomnie, surtout en matière de foi.

Les deux supports en cooccurrence montrent par comparaison mutuelle que l’indicatif succédant à paraître que n’est ni virtuel, ni contrefactuel comme l’est le subjonctif succédant à douter que. Celui-ci prend une valeur directive rhétorique, l’opinion du polémiste devenant incitation des victimes à se retourner contre leurs agresseurs.

Il peut aussi être orienté, non plus vers le futur proche, mais vers le passé récent, comme cela apparaît dans la onzième lettre, où est cette fois mise à mal non plus l’agression, mais la défense jésuite :

- Je DOUTE, mes Pères, QU’il y ait des personnes à qui vous ayez pu le [i.e. que ces personnes blesseraient la charité de frères en vous attaquant, et la modestie de Chrétiens en niant vos maximes] faire accroire.

Quatre occurrences nous retiendront encore, celles où le support, cette fois à la forme négative, ce qui induit la probabilité sinon la certitude, est pourtant suivi du même mode, selon la norme classique :

- Je ne DOUTE point, mes Pères, QUE vous ne leur [aux Pape et Cardinaux] parliez ainsi de moi.

- Nous avons un autre principe d’erreur : les maladies. Elles nous gâtent le jugement et le sens. Et si les grandes l’altèrent sensiblement, je ne DOUTE pas QUE les petites n’y fassent impression à leur proportion.

- On ne DOUTE pas QU’il ne faille exposer sa vie pour défendre le bien public, et plusieurs le font ; mais pour la religion point.

- On ne peut DOUTER QUE le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

La première évoque la menace potentielle que laissent planer les pères jésuites sur le locuteur, qui se refuse à l’envisager dans un futur de l’indicatif actualisant. Les trois suivantes relèvent des Pensées, et à ce titre le présent gnomique de vérité, dans un contexte de généralité (les maladies, on), est déjà imperfectif et virtualisant, ce qui favorise la concordance avec les subjonctifs (fassent, faille, soit). Sur les isotopies dominantes respectives /illusion/, /risque/ et /antiquité/, le locuteur assume l’idée que même les petits symptômes trompent, qu’on ne peut échapper au devoir, et que tout ce qui n'est pas contemporain d'un récit est suspect, mais de telles modalités épistémique et déontique restent envisagées hors d’un cadre spatio-temporel.

Quant aux Provinciales, on a vu que l’expression du doute individuel, fût-il en désaccord avec l’autorité religieuse (Pape et évêques qui déclarent), figure la première étape de l’acquisition d’une vérité. Pour ce faire et pour rétablir une droiture morale, l’argumentation épistolaire use fréquemment du support sans doute que dont la négation a cette fois pour corrélat l’emploi de l’indicatif. Outre la certitude et le refus de l’hypothèse, il en découle un effet d’objectivité accru, que renforcent les tournures indéfinie et impersonnelle :

- Comme la seule chose qui les [i.e. ceux qui ne vous connaissent pas assez] empêche de rejeter vos médisances est l’estime qu’ils ont de vous, si on leur FAIT ENTENDRE QUE vous n’avez pas de la calomnie l’idée qu’ils S’IMAGINENT QUE vous en avez, et QUE vous croyez pouvoir faire votre salut en calomniant vos ennemis, il est sans DOUTE QUE le poids de la vérité les déterminera incontinent à ne plus croire vos impostures.

Dans cette quinzième lettre, toujours adressée aux Révérends Pères Jésuites, l’attaque se fait frontale ; la fausseté des interlocuteurs n’est même plus discutée ; elle est présupposée, et il s’agit désormais de rallier le groupe des neutres, de leur ouvrir les yeux en emportant leur adhésion. Aussi la modalité véridictoire est-elle inséparable de l’épistémique (ne serait-ce que par la causalité du si…alors…), ce qui est évident pour l’un étant encore confus pour les autres : leur représentation du comportement jésuite n’étant pas assez noire.

Quel meilleur exemple d’injuste diffamation que celui dont on est soi-même victime: quelques alinéas plus loin, le locuteur en revient à son propre sort, moins pour se défendre des accusations portées par ses interlocuteurs à son encontre, que pour disculper son ouvrage littéraire en dévoilant son intention positive :

- Il est bon, mes Pères, qu’on entende cet étrange langage, selon lequel il est sans DOUTE QUE je suis un grand hérétique. Aussi c’est en ce sens que vous me donnez si souvent ce nom. Vous ne me retranchez de l’église que parce que vous CROYEZ QUE mes lettres vous font tort. Vous CROYEZ QU’il doit restituer au cas où il se soit servi de l’entremise des démons ? Vous CROYEZ QU’on n’entend pas ce que c’est, selon vous, que se défendre. Vous CROYEZ aussi bien qu’eux QUE ce pain est réellement changé au corps de Jésus-Christ.

Concernant croire, ainsi cooccurrent du doute, on note que le subjonctif est systématique dès lors que l’inversion de l'interrogative est respectée :

- Et CROYEZ-vous QU’un seul suffise pour condamner un homme à mort ?

- Vous m’avez fait peur. CROYEZ-vous QU’une chose si visible n’ait pas été prévue ?

- CROYEZ-vous QU’il soit d’une nécessité absolue, pour être catholique, de confesser qu’Origène a tenu en effet ces erreurs ?

On note que ce dernier mot est une lexicalisation du thème de l’erreur maintes fois relevé ; il a pour caractéristique d’inclure les modalités du doute et de la croyance. Les tables de concordance synthétisent utilement ces variations :


Dans les Pensées, la certitude n’est plus assumée par le locuteur érigé en justicier ni par ses adversaires en calomniateurs. Elle est celle du religieux partisan, qui assène frontalement sa vérité :

- Il est sans DOUTE QU’il n’y a point de bien sans la connaissance de Dieu.

Ou bien par la subtilité du paradoxe :

- CHOSE ÉTONNANTE cependant QUE le mystère le plus éloigné de notre connaissance qui est celui de la transmission du péché soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes. Car il est sans DOUTE QU’il n’y a rien qui choque plus notre raison que de DIRE QUE le péché du premier homme ait rendu (16) coupable ceux qui étant si éloignés de cette source semblent incapables d’y participer.

L’argument-topos est celui de la nécessité des contraires rapprochés : le mystère de la perpétuation du péché originel ferait partie de la connaissance de soi. L’indicatif de constat (‘il n’y a…’) est ainsi celui du bon sens commun d’emblée mis à mal (cf. ‘cependant’) par la réflexion du philosophe croyant qui aboutissait quelques lignes plus haut à cette conclusion : "Concevons donc que la condition de l’homme est double", aspirant au progrès rationnel et pourtant déchu de la perfection.

Le ton n’est guère différent lors de la célèbre ouverture métaphysique :

- Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini […] Manque d’avoir contemplé ces infinis les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature comme s’ils avaient quelque proportion avec elle. C’est une CHOSE ÉTRANGE QU’ils ont voulu comprendre (17) les principes des choses et de là arriver jusqu’à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans DOUTE QU’on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature.

D’un tel projet, l’indicatif affirme avec force la vanité, au double sens du terme. Le religieux reste ainsi connoté, même si l’objet plus scientifique de la nature s’est substitué au principe de totalité divine, face auquel l’homme dessine comme l’image antithétique du rival.

Enfin, dernière occurrence étudiée, la thématique se fait plus laïque pour aborder non plus "la condition de l’homme" mais "les conditions des hommes", le pluriel marquant le passage de l’être, de l’invariant, de l’absolu, au faire, à l’usage, aux accidents de l’Histoire. Cette fois le support sans doute que sert à introduire le nouveau principe explicatif ; outil de liaison, il n’a pas le ton catégorique qu’il avait précédemment :

- Car des pays sont tout de maçons, d’autres tout de soldats, etc. Sans DOUTE QUE la nature n’est pas si uniforme ; c’est la coutume qui fait donc cela, car elle contraint la nature, et quelquefois la nature la surmonte et retient l’homme dans son instinct malgré toute coutume bonne ou mauvaise.

Le "choix du métier" se détermine donc lui aussi par antithèse : norme de la coutume (culturelle) vs résistance de l’instinct (naturel).
Au fil des extraits, on aura observé une affinité entre assertion, certitude, infinitude, généralité, vérité en tant que négation de fausseté (‘calomnie’, ‘imposture’, ‘hérétique’, ‘revenus de vos égarements’, ‘faire accroire’, fausse uniformité), dans le cadre d’un dualisme récurrent.

L’absence de doute se présente lui aussi davantage comme la conclusion résultant d’une réflexion (par esprit de finesse, que requiert la subtilité de l’argumentation), plutôt que comme son a priori (par esprit de géométrie ; cf. le syntagme initial "qui doute que la géométrie par exemple a une infinité d’infinités", en cooccurrence supra avec "qui voit que" ; cette science formelle servant de filtre à l’anthropologie pascalienne qui appréhende la "disproportion de l’homme" entre télescope et microscope). En dépit de formules impersonnelles (du type ‘il est…’), l’expression de la certitude et de son contraire ressortissent également à l’opinion personnelle.

On aura constaté aussi que le syntagme doute que n’est pas isolé, et doit être resitué pour chaque segment dans une lexicalisation variée de l’épistémique (il équivaut alors à ne pas croire, ne pas imaginer, etc.). De plus, en doutant de p, c’est-à-dire en ne tenant pas p pour probable, on est proche du sentiment de crainte, comme le prouve l’expression subjective de ce sentiment concernant la question de fait (cf. supra), dès la première Provinciale :

- Je CRAINS QUE cette censure ne fasse plus de mal que de bien, et qu’elle ne donne à ceux qui en sauront l’histoire une impression tout opposée à la conclusion; car, en vérité, le monde devient méfiant et ne croit les choses que quand il les voit.

Or ce support est à dissimiler de celui qui semble identique plus loin dans le même ouvrage ; en effet, dans la suite de la dix-huitième lettre (déjà évoquée supra dans un segment du "doute"), perce l’ironie du locuteur à l’encontre des autorités ecclésiastiques dont la passivité face à la calomnie des Pères jésuites est trop étrange pour ne pas révéler une complicité. Si bien que dans la phrase suivante il s’agit moins de crainte que de réprobation :

- Je les vois néanmoins si religieux à se taire que je CRAINS QU’il n’y ait en cela de l’excès.

En revanche, ce sens rhétorique est plus délicat à détecter dans cette neuvième lettre :

- En vérité, lui dis-je, mon Père, je ne puis m’empêcher de vous dire ma pensée : Je CRAINS QUE vous ne preniez mal vos mesures, et QUE cette indulgence ne soit capable de choquer plus de monde que d’en attirer. Car la Messe, par exemple, est une chose si grande et si sainte, qu’il suffirait, pour faire perdre à vos auteurs toute créance dans l’esprit de plusieurs personnes, de leur montrer de quelle manière ils en parlent.

- Je crains de vous ennuyer, je CRAINS QUE cela soit trop long. Ou on entraîne, ou on irrite.

Dans ce fragment des Pensées, la précaution oratoire est dénoncée par le commentaire (on risque d’irriter à force d’afficher sa crainte de dire), alors qu’elle est utilisée dans les deux précédents extraits des Provinciales. Cela illustre la duplicité du locuteur, d’un ouvrage à l’autre.

Thèmes communs aux segments : la crainte d’engendrer le mal au détriment du bien, dans une dualité manichéenne qui relève de la morale chrétienne. On note la permanence de l’isotopie /intensité/ (‘plus’, ‘tout’, ‘trop’, ‘si grande et si sainte’, etc.).

Dans la mesure où le genre est celui de la prise de parole polémique épistolaire, cette crainte ressortit à l’isotopie /contestation de l’autorité religieuse/ (notamment des docteurs réunis en Sorbonne).

Tout aussi sporadiques sont les exemples de l’optatif, exprimé subjectivement dans les trois occ. suivantes :

- Je serais bien MARRI QUE vous CRUSSIEZ QUE nous manquons à ce que nous leur devons [à ’écriture sainte, aux Papes et aux Conciles]. Vous avez sans doute pris cette pensée de quelques opinions de nos Pères qui paraissent choquer leurs décisions, quoique cela ne soit pas. Mais pour en entendre l’accord, il faudrait avoir plus de loisir. Je SOUHAITE QUE vous ne demeuriez pas mal édifié de nous. Si vous voulez que nous nous revoyions demain, je vous donnerai l’éclaircissement.

- Empêchez-les donc bien, mes Pères, de voir mes lettres, puisque c’est le seul moyen qui vous reste pour conserver encore quelque temps votre crédit. Je n’en use pas ainsi des vôtres ; j’en envoie à tous mes amis ; je SOUHAITE QUE tout le monde les voie ; et je CROIS QUE nous avons tous raison. Car enfin, après avoir publié cette quatrième imposture avec tant d’éclat, vous voilà décriés, si on vient à SAVOIR QUE vous y avez supposé un passage pour un autre.

- J’ai eu tort de l’avoir soupçonné […] Le bruit commun m’avait emporté : mais cette excuse, […] je m’en repens, je la désavoue, et je SOUHAITE QUE vous profitiez de mon exemple.

Les thèmes sont ici ceux de l’élucidation de la doctrine, de la dissipation de l’erreur, invariablement sur fond de religion (‘repens’, ‘soupçon’, ‘éclaircissement’, ‘imposture’ + ‘décriés’), que le locuteur se fasse porte-parole des ‘Pères’ ou appartienne au camp de leurs opposants jansénistes, dans les deux derniers segments.

Le support étudié contraste avec la volonté divine suivante, celle qui s’affirme "dans la loi nouvelle" contre l’idolâtrie et un certain manque de générosité juif:

- Il DÉCLARE QU’enfin Dieu s’irritant contre eux les dispersera parmi tous les peuples de la terre, […] et VEUT QUE toutes ses paroles soient conservées éternellement et que son livre soit mis dans l’arche de l’alliance pour servir à jamais de témoin contre eux. Isaïe dit la même chose.

- Il y a deux cas, dit saint Thomas, où l’on est obligé de donner l’aumône par un devoir de justice : l’un quand les pauvres sont en danger, l’autre quand nous possédons des biens superflus. Les troisièmes décimes que les Juifs devaient manger avec les pauvres ont été augmentées dans la loi nouvelle, parce que Jésus-Christ VEUT QUE nous donnions aux pauvres, non seulement la dixième partie, mais tout notre superflu.

- Dieu n’a pas voulu absoudre sans l’Église. Comme elle a part à l’offense il VEUT QU’elle ait part au pardon.

Ou avec la volonté du clan partisan dominateur jésuite, devenant doxale, comme le dénonce l’interlocuteur privilégié des Pères :

- L’on VEUT QU’ils soient hérétiques, s’ils ne signent que le sens de la doctrine de Jansénius.

- La doctrine des nouveaux Thomistes est bizarre, me dit-il. Ils sont d’accord avec les Jésuites d’admettre une grâce suffisante donnée à tous les hommes ; mais ils VEULENT néanmoins QUE les hommes n’agissent jamais avec cette seule grâce, et QU’il FAILLE QUE Dieu leur donne une grâce efficace qui détermine réellement leur volonté à l’action, et laquelle Dieu ne donne pas à tous.


Il convient de ne pas négliger les hésitations quant à l’emploi de l’indicatif et du subjonctif pour un même support (hésitation dont on a eu un rapide aperçu avec le "probable" supra) :

1.

- Qu’on fasse réflexion là-dessus, et qu’on dise ensuite s’il n’est pas INDUBITABLE QU’il n’y a de bien en cette vie qu’en l’espérance d’une autre vie, et QU’on n’est heureux qu’en mesure où on s’en approche.

- Car il est INDUBITABLE QUE le temps de cette vie n’est qu’un instant, QUE l’état de la mort est éternel.

- Il est INDUBITABLE QUE l’âme soit mortelle ou immortelle.

L’isotopie /vie éternelle/ qui assure la cohésion de ces trois fragments des Pensées requiert chez le croyant la certitude (par l’interro-négative qui asserte le positif et légitime l’indicatif dans le premier segment) et l’alternative non résolue chez le logicien indécis (elle légitime alors le subjonctif dans le troisième segment).

2.

- Je m’ASSURE QUE vous remarquerez aisément, dans le relâchement de leur morale, la cause de leur doctrine touchant la grâce.

- Je m’ASSURE QUE vous AVOUEREZ À LA FIN QU’il n’y a peut-être rien de si difficile que de rendre hérétiques ceux qui ne le sont pas.

- Je vous ASSURE QUE vous devez compter pour quelque chose la violence que je me fais. Il est bien pénible de voir renverser toute la morale chrétienne par des égarements si étranges, sans oser y contredire ouvertement.

- Sont-ils si dignes de foi par la vertu de leurs auteurs ? Sont-ils conservés avec tant de soin qu'on puisse s'ASSURER QU'ils ne sont point corrompus ?

- Si le témoignage d'un tel homme est de grand poids pour nous ASSURER QU'une chose se soit passée, par exemple à Rome, pourquoi ne le sera-t-il pas de même dans un doute de morale ?

- Je m’ASSURE QUE, si vous en étiez mieux informé, vous auriez du regret de ne vous être pas instruit avec un esprit de paix.

- Je vous ASSURE QUE si vous ne m’aviez dit que le P. Le Moyne est l’auteur de cette peinture, j’AURAIS DIT QUE c’eût été quelque impie qui l’aurait faite.

- Escobar vous eût satisfait […] On lui a envoyé les dix premières Lettres, vous pouviez aussi lui envoyer votre objection, et je m’ASSURE QU’il y eût bien répondu. [i.e. en français moderne : "si vous lui aviez envoyé… il y aurait…"]

Les tournures littéraires, aujourd’hui archaïsantes, des deux derniers segments, usent d’un conditionnel identifiable à un subjonctif, dû à l’insertion d’une structure hypothétique. De tels choix modaux derrière des verbes déclaratifs de certitude sont toutefois rares chez Pascal. Ainsi la seconde occurrence de dit que ci-dessus est la seule relevée parmi une centaine dans le corpus qui soit suivie du conditionnel / subjonctif (‘c’eût été’).

Citons un autre support parasynonyme, "tenir que", pour confirmation de l’alternance modale :
 

- On dit seulement par toute la terre que les Jacobins TIENNENT QUE tous les hommes ont des grâces suffisantes. Que peut-on conclure de là, sinon qu’ils TIENNENT QUE tous les hommes ont toutes les grâces qui sont nécessaires pour agir, et principalement en les voyant joints d’intérêt et d’intrigue avec les Jésuites, qui l’entendent de cette sorte ? [Est ici dénoncée l’alliance entre deux clans.]

Alors que dans cet extrait de la deuxième lettre des Provinciales l’indicatif est normalement employé, la première montre la transition avec le mode virtualisant, lorsque le locuteur utilise une interrogative indirecte, comme cela était déjà le cas avec "croire que", supra :

- Il ne CROYAIT donc pas QU’il fût hérétique en effet ?

- 71 docteurs entreprennent sa défense [d’Arnauld, bien sûr] et SOUTIENNENT QU’il n’a pu répondre autre chose à ceux qui, par tant d’écrits, lui demandaient s’il TENAIT QUE ces propositions fussent dans ce livre […]

Il en va de même peu après, quand il se rend chez le "docteur de Navarre, des plus zélés contre les Jansénistes", personnage apparu dans un des segments du possible que suivi du subjonctif (cf. supra) ; les segments actuels répondent en quelque sorte à ce premier contexte dont ils relèvent également :

- Mais il me rebuta rudement et me dit qu’il y en avait de ceux de son côté qui TENAIENT QUE la grâce n’est pas donnée à tous ; [En revanche, auprès de son beau-frère qui par antithèse est Janséniste :] je le priai de me dire confidemment s’il TENAIT QUE les justes eussent toujours un pouvoir véritable d’observer les préceptes.

Dans ce cas, l’alternance modale peut être rapportée aux deux clans pro- (incertitude du subjonctif) et anti-Jansénistes (pouvoir établi à qui revient l’indicatif de certitude), comme le confirme cet extrait de la cinquième lettre :

- Allez donc, je vous prie, voir ces bons Pères, […] vous y verrez tant de crimes palliés, et tant de désordres soufferts, que vous ne trouverez plus étrange qu'ils SOUTIENNENT QUE tous les hommes ont toujours assez de grâce pour vivre dans la piété de la manière qu' ils l' entendent.
3.
- Je n’examine pas ici, mon Père, ce point de fait : savoir si Jansénius est en effet conforme à Calvin. Il me SUFFIT QUE vous le prétendiez, et QUE vous nous FASSIEZ SAVOIR aujourd’hui QUE, par le sens de Jansénius, vous n’avez entendu autre chose que celui de Calvin.

- Miracles : […] Peut-être avez-vous des raisons pour ne les pas condamner. Il SUFFIT QUE vous appreniez ce que je vous en adresse.

- Il SUFFIT QUE la règle ne soit pas absolument universelle pour nous donner sujet d'appliquer l' exception au sujet présent

- Et d’où a-t-il pris cela, mon Père ? Il n’importe pas d’où il l’ait pris ; il SUFFIT QUE les sentiments de ces grands hommes-là sont toujours probables d’eux-mêmes. (18)

Dans ce dernier cas, l’indicatif montre que le locuteur assume une vérité générale (doxale) concernant les sentiments de ces hommes. Il ne se contente pas, comme dans les deux occurrences précédentes, de rendre virtuels les actes de parole/épistémique (‘fassiez savoir’, ‘prétendiez’, ‘appreniez’). Il ne s’agit donc plus dans son discours d’une possibilité suffisante, mais d’une réalité présentée comme un argument suffisant, donc convaincant au cœur de la polémique religieuse.

4.

- Cela est bien vrai, dit le Père, à l’égard de certaines gens ; mais ne SAVEZ-vous pas QUE nous nous accommodons à toute sorte de personnes ? Il SEMBLE QUE vous ayez perdu la mémoire de ce que je vous ai dit si souvent sur ce sujet. Je veux donc vous en entretenir la première fois à loisir, en différant pour cela notre entretien des adoucissements de la confession.

- Comment ! dit-il, ce serait là une véritable contrition. Il SEMBLE QUE vous ne sachiez pas que tous nos Pères ENSEIGNENT d’un commun accord QUE c’est une erreur et presque une hérésie de DIRE QUE la contrition soit nécessaire, et QUE l’attrition toute seule, et même conçue par le seul motif des peines de l’enfer, qui exclut la volonté d’offenser, ne suffit pas avec le sacrement. [ce segment illustre à merveille la répartition des modes : indicatif pour l'opposant jésuite qui pose sa thèse, et renvoie l'interlocuteur Montalte à l'ignorance et au contrefactuel qu'exprime le subjonctif.]

- Nos Pères rendent justice aux pauvres aussi bien qu'aux riches. Je dis bien davantage, ils la rendent même aux pécheurs. Car encore qu'ils soient fort opposés à ceux qui commettent des crimes, néanmoins ils ne laissent pas d'ENSEIGNER QUE les biens gagnés par des crimes peuvent être légitimement retenus.

- Je viens maintenant à vos impostures. Vous vous étendez d’abord sur l’obligation que Vasquez impose aux ecclésiastiques de faire l’aumône ; mais je n’en ai point parlé, et j’en parlerai quand il vous plaira ; il n’en est donc pas question ici. Pour les laïques, desquels seuls il s’agit, il SEMBLE QUE vous vouliez faire entendre que Vasquez ne parle en l’endroit que j’ai cité que selon le sens de Cajetan, et non pas selon le sien propre ; mais comme il n’y a rien de plus faux, et que vous ne l’avez pas dit nettement, je VEUX CROIRE pour votre honneur QUE vous ne l’avez pas voulu dire.

C’est le cadre même de la dispute théologique qui confère au subjonctif un rôle euphémisant (il adoucit les accusations de mauvaise foi, d’ignorance et d’imposture lancées à l’interlocuteur), ce qui concorde avec l’autre précaution oratoire qu’est le support lui-même. On observe de nouveau que l’emploi de ce mode est en étroite corrélation avec une forte modalisation épistémique : ‘vouliez faire entendre’, ‘sachiez’, ‘oubliez’, ‘veux croire que’, etc.

Mais dans la majorité des occurrences, où le sujet de la discussion reste éminemment religieux, le locuteur utilise l’indicatif pour affirmer contradictoirement sa certitude, de front ou par antiphrase (cf. infra l’intention légitime de tuer, contradictoirement revendiquée). Dans cette optique, le syntagme "il me semble que" constitue une marque d’objection audacieuse :

- Je rapporte toute cette suite parce qu’il me SEMBLE QUE cela découvre assez l’esprit de votre Société en toute cette affaire, et QU’on ADMIRERA DE VOIR QUE, malgré tout ce que je viens de dire, vous n’ayez pas cessé de PUBLIER QU’ils étaient toujours hérétiques. Mais vous avez seulement changé leur hérésie selon le temps.

- […] vous ADMIREREZ comme moi QUE tant d’éclatantes préparations [celles de la censure] se soient anéanties sur le point de produire un si grand effet.

- […] vous ADMIREREZ QUE la dévotion […] ait pu être traitée par nos Pères avec une telle prudence, qu’ayant abattu cet épouvantail que les démons avaient mis à sa porte, ils l’aient rendue plus facile que le vice, et plus aisée que la volupté ;

- Pourquoi ADMIREZ-vous QUE nous soyons trompés ?

- On ne doit pas être surpris des mauvais effets que causa cette doctrine. Il FAUDRAIT ADMIRER au contraire QU’elle ne produisît pas cette licence.

- Les plus aveugles de vos amis seront contraints d’AVOUER QUE ce ne sera point un effet de votre vertu, mais de votre impuissance, et d’ADMIRER QUE vous ayez été si méchants que de l’étendre jusqu’aux religieuses de Port-Royal.

Par un excursus, on a rebondi sur le cooccurrent "admirer que" pour faire observer que cet appréciatif requiert au contraire le subjonctif ; ici l’idée subjective l’a en effet emporté sur la vision objective. Comme pour la négation ("Si on ne pense pas que ce mal soit envoyé"), citons l'exemple supra : "je vous admire, de penser que nous soyons…", contredit néanmoins par ces deux autres extraits des Pensées :

- S'ils vous ont donné Dieu pour objet ce n'a été que pour exercer votre superbe ; ils vous ont fait PENSER QUE vous lui étiez semblables et conformes par votre nature.

- On pourrait peut-être PENSER QUE quand les prophètes ont prédit que le sceptre ne sortirait point de Juda jusqu'au roi éternel ils auraient parlé pour flatter le peuple et que leur prophétie se serait trouvée fausse à Hérode.

Mais l'appréciation ne régit pas systématiquement l'emploi du subjonctif après des supports verbaux de vision. Bien au contraire pour le syntagme "voir que" :

- la suite fera voir que ces derniers ne sont pas les plus dupes;

- Ce qui m’étonne le plus est de voir que tout le monde n’est pas étonné de sa faiblesse;

- Ses principes font voir qu’il était impossible…;

- vous serez bien satisfait de voir que c’est une chose aussi peu importante…;

- on a soulagé les scrupules en faisant voir que ce qu’on croyait mauvais ne l’est pas;

Et si l'on compare les interrogatives, de type oratoire ou rhétorique :

- Qui s’étonnera donc de voir que la religion ne fait que connaître à fond ce qu’on reconnaît d’autant plus qu’on a plus de lumière.

- Et qui ne s’étonnera de voir qu'un philosophe païen ait été plus éclairé que vos docteurs ?

on constate que ce qui fait le départ entre ces formulation quasi-identiques, c'est bien la négation, affinitaire du subjonctif, comme le confirme l'occ. suivante :
- Nous ne sommes plus étonnés de voir que le Pape et quelques évêques aient été si zélés contre le sens de Jansénius.

Poursuivons sur l’indicatif après le verbe d’apparence auquel nous revenons :

- Que si vous avez quelque voie pour connaître le sens d’un auteur autrement que par ses expressions, et que, sans rapporter aucun de ses passages, vous VOULIEZ SOUTENIR, contre toutes ses paroles, QU’il nie le pouvoir de résister, et QU’il est pour Calvin contre les Thomistes, N’AYEZ PAS PEUR, mon Père, QUE je vous accuse d’hérésie pour cela : je dirai seulement qu’il SEMBLE QUE vous entendez mal Jansénius; mais nous n’en serons pas moins enfants de la même église.

- Mais, mon Père, après avoir si bien pourvu à l’honneur, n’avez-vous rien fait pour le bien? Il me SEMBLE QU’on peut bien diriger son intention à tuer pour le conserver. Oui, dit le Père, […] Tous nos casuistes s’y accordent.

- Cependant je vous dirai qu’il me SEMBLE QU’on peut sans péril douter du pouvoir prochain, et de cette grâce suffisante, pourvu qu’on ne soit pas Jacobin.

- Je porte envie à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d’un don duquel il me SEMBLE QUE je ferais un usage si différent.

- Il me SEMBLE QUE J.-C. ne laissa toucher que ses plaies après sa résurrection. Noli me tangere. Il ne faut nous unir qu’à ses souffrances.

Dans ces cinq occurrences, le verbe recteur d’impression appartient à une proposition elle-même imbriquée dans une chaîne de causalité (cf. ‘parce qu’il me semble…’ ; mauvaise compréhension de Jansénius identifiée à une conséquence des propositions du Père adverse, etc.), voire dans un discours quasi-pléonastique à valeur insistante (cf. ‘plaies’ \ ‘souffrances’, ‘toucher’ \ ‘tangere’ \ ‘unir’, ‘ne laissa que’ \ ‘ne faut que’ \ impératif, avec la récurrence du sème générique /évangélisme/ dans chaque mot). Soit une stratégie démonstrative qui débouche dans ces lettres polémiques moins sur la radicalisation des oppositions que sur la réconciliation (cf. le refus de l’accusation d’hérésie et l’unification : "nous n’en serons pas moins enfants de la même église"); dans les deux derniers fragments des Pensées sur un sens directif (par l’hypothèse future ou l’exemple évangélique) ; le support "il me semble que" devient alors l’équivalent de quelque chose comme "ne voyez-vous pas comme moi que".

***

Au terme de cet exposé, il convient de rappeler son orientation. D’une part il ne s’est pas laissé engluer dans l’immensité des données qui finiraient par faire de la masse des informations un bruit et du lecteur un spectateur passif devant le défilé des segments textuels. Si les relevés quantitatifs d’un corpus déjà énorme comme celui de Pascal peuvent être exhaustifs grâce à l’outil informatique, notre étude n’a pas cédé à cette tentation en ne retenant qu’une partie des occurrences. Vouloir saisir toutes les complétives par que nous eût éloigné de l’objectif illustratif et empêché de conférer une valeur qualitative aux segments obtenus en les appréhendant du point de vue de leur contenu et selon un certain ordonnancement.

L’analyse thématique – fût-elle sommaire et peu structurale, au profit d’une progression au ‘pas à pas’ – a permis non seulement de donner localement une interprétation aux choix modaux du locuteur pascalien, mais aussi de situer le contenu de la proposition dans le contexte de l’œuvre qui donne une vue plus cohérente des segments épars. Soit une première étape incitant par la suite à provoquer davantage de liens sémantiques entre eux et par là même à intensifier leur cohésion.

Elle aura aussi permis de saisir des faits atypiques par rapport aux régularités constatées dans le corpus pascalien. Revenons à un exemple caractéristique : en sollicitant la commande CONCORDANCE TRI CONTEXTE DROIT, on a pu constater que des supports verbaux constamment suivis de l'indicatif, tels que témoigner, montrer, dire, prétendre, s'imaginer que, pouvaient dans de rares contextes négatifs requérir le subjonctif à effet virtualisant, et cela par contraste avec croire, paraître que, à l'indicatif actualisant, dans le même élan argumentatif :

- Je CROIS, mes Pères, QU'il n'y a rien dans mes lettres qui TÉMOIGNE QUE je n'aie pas eu ce désir pour vous ; et ainsi la charité vous oblige à CROIRE QUE je l'ai eu en effet, lorsque vous n'y voyez rien de contraire. Il PARAÎT donc par là QUE vous ne pouvez MONTRER QUE j'aie péché contre cette règle, ni contre aucune de celles que la charité oblige de suivre ; et c'est pourquoi vous n'avez aucun droit de DIRE QUE je l'aie blessée en ce que j'ai fait. (Provinciale)

- Et alors je ne saurais MONTRER QUE la prophétie soit accomplie, mais on peut bien CROIRE aussi QUE ce sera des iniquités. (Pensée)

Des contextes où la négation n'a pas toujours l'évidence de la marque grammaticale ne… pas, mais peut être lexicalisée par l'affirmation d'un éloignement intellectuel, ou sous-jacente à des interro-exclamatives :

- ce qui TÉMOIGNE QU'il est bien éloigné de CROIRE QUE cela soit permis à des juges.

- Qui pourra CROIRE QUE les épicuriens, qui niaient la Providence divine, eussent des mouvements de prier Dieu ?

- Qui oserait s'IMAGINER QU'on fît par toute l'église tant de bruit pour rien ?

- N'est-ce pas […] ridicule de PRÉTENDRE QU'il y eût des hérétiques dans l'église ?

- Que vous êtes simples de CROIRE QU'il y en ait !

***

Face à de telles recherches, déjà fouillées pour des lycéens, où, sinon le plaisir du moins la motivation pédagogique, aura résidé dans la récolte empirique des occ. illustratives, libre au professeur d’opérer ensuite un tri plus restrictif ou à l’inverse de solliciter davantage les fonctions statistiques de Hyperbase (on pense aux commandes GRAPHIQUE ou ÉCART RÉDUIT, laquelle n’a été ici activée que ponctuellement) ou de faire appel à d’autres fonctionnalités du logiciel. Une des possibilités qu’il offre est par exemple celle d’intégrer des extraits textuels dans un fichier autonome selon les étapes suivantes :
(a) les placer dans le bloc notes de WordPad (donner un nom au fichier, ici "conjonctives"),
(b) demander d’ajouter une nouvelle base (renommée par ex. "Blpascal.exe"),
(c) dans cette base solliciter le bouton création et appeler le fichier concerné, "conjonctives.txt" ;
(d) peut enfin commencer l’exploitation par Hyperbase de ces seules données, distinctes de l’ensemble du corpus pascalien ; des divergences significatives ne manqueront pas alors d’apparaître dans ce sous-corpus.

Au final, le fil directeur aura consisté en une volonté de dissiper l’impression d’« excès de puissance » ou d’« aspect touffu » du logiciel, pour montrer comment ses ressources peuvent être exploitées dans le cadre d’un cours de français ne séparant pas grammaire et littérature. Sa pertinence apparaît dès lors que l’enseignant sait, non seulement l’utiliser, mais ce qu’il veut enseigner en sélectionnant une infime partie de la banque textuelle. Libre à lui d’intégrer ensuite davantage de données et d’utiliser d’autres fonctionnalités du logiciel. Cette ouverture prend tout son sens relativement à une restriction préalable et délibérée. C’est peut-être là le moyen de conserver intacte la curiosité de l’élève dans le maniement de cet outil aux capacités immenses.

[Continuer]


NOTES :

[1] «Le premier livre de génie qu’on vit en prose fut le recueil des Lettres provinciales, en 1656. [...] Il faut rapporter à cet ouvrage l’époque de la fixation de la langue.» écrivait Voltaire. « Œuvre anonyme, parue d’abord sous forme de lettres séparées, adressées à un provincial par un de ses amis, ces lettres polémiques (1656-57) défendent Cornelius Jansénius, un évêque hollandais, mort en 1638 dans la communion de l’Église, mais qui lui légua, avec le manuscrit de son Augustinus, un véritable brûlot théologique propre à alimenter un siècle et demi de controverses. De quoi s’agissait-il ? De revenir, par-delà l’inspiration humaniste et optimiste de la Renaissance représentée dans le catholicisme par l’ordre des jésuites, à un augustinisme sévère, voire déformé, qui semblait faire bon marché de la liberté de l’homme devant la toute-puissance divine. Le jansénisme sera condamné à plusieurs reprises par Rome. […] Du point de vue moral, nombreux sont ceux qui ont accusé Pascal de calomnie à l’égard des jésuites : en fait, si l’on peut mettre en question l’interprétation systématiquement machiavélique qu’il donne de la politique de l’ordre, «Montalte» a dénoncé une authentique dérive laxiste des casuistes de la Compagnie en même temps qu’une tentation prononcée d’utiliser le spirituel à des fins de domination. Par là, par le combat qu’elles ont mené contre des pouvoirs sortis de leur sphère de légitimité, Les Provinciales ne cessent de témoigner pour le libre amour de la vérité. » (extraits du D.O.L.F., op. cit.)

[2] « Assemblée d'évêques et de docteurs pour statuer sur des questions de doctrine, de discipline » (Littré). Elle met au premier plan la modalité déontique, requérant le subjonctif (cf. Martin, 1992). Il est donc surprenant qu’on ait ici le constatif, requérant l’indicatif.

[3] Si ce verbe support est attesté, en revanche « apparaît que » est inconnu de la base.

[4] Hyperbase nous apprend que ce mot, suivi de "hérétiques" et "miracles", toujours au pluriel, constituent le trio des trois premiers noms communs statistiquement et hiérarchiquement les plus spécifiques du corpus pascalien (avec respectivement des "écarts" positifs de 108, 87 et 80). Quant à l'assertion "il est sûr que… sera", elle lexicalise d'une autre façon la prophétie en question.

[5] Il s’agit là d’une marque de volonté de croire, portant préférentiellement sur le futur, à distinguer du support IL EST CERTAIN QUE (étudié infra), lequel au contraire induit l’assertion d’une vérité indépendamment d’un acte épistémique et portant sur l’actualité présente.

[6] Autre nom des Dominicains. Retenons les deux sens de 'Jacobin' que donne Littré : « 1° Religieux et religieuses de l'ordre de Saint-Dominique, dits jacobins à cause de l'église de Saint-Jacques qu'on leur donna à Paris et près de laquelle ils bâtirent leur couvent. 2° Membre d'une société politique établie, en 1789, à Paris, dans l'ancien couvent des jacobins, et ardente à soutenir et à propager les idées d'une démocratie et d'une égalité absolues. » Dans la controverse, Littré définit la « grâce suffisante comme la grâce donnée généralement à tous les hommes, soumise de telle sorte au libre arbitre qu'il la rend efficace ou inefficace à son choix, sans aucun nouveau secours de Dieu. » C’est celle introduite par le jésuite Molina, qui s’oppose à la « grâce efficace, celle qui a toujours son effet. Que la grâce n'est pas donnée à tous les hommes ; que tous les justes ont le pouvoir d'accomplir les commandements de Dieu ; qu'ils ont néanmoins besoin, pour les accomplir et même pour prier, d'une grâce efficace qui détermine leur volonté ; que cette grâce efficace n'est pas toujours donnée à tous les justes et qu'elle dépend de la pure miséricorde de Dieu, Provinciale 1. »

[7] Écoutons encore Littré : « Terme de théologie. Regret d'avoir offensé Dieu, causé par la crainte des peines. » Par opposition à la contrition : « Douleur vive et sincère d'avoir offensé Dieu, laquelle vient moins de la crainte du châtiment, que d'un sentiment d'amour et de reconnaissance. » Le distinguo recèle un enjeu dans la Querelle, puisque l’attrition serait une technique de salut jésuite que dénoncent les jansénistes pour qui la contrition est autrement importante et nécessaire.

[8] R. Martin (1992, p. 121), qui ne conteste pas cette dichotomie guillaumienne, la complète par l’explication des « mondes possibles et contrefactuels ».

[9] Cf. Littré : "Certain, indubitable, bien établi. La chose est constante. Une vérité constante. Il est constant qu'il a dit cela. Il n'est pas constant qu'il ait dit cela. Il faut tenir pour constant que cette proposition est vraie (Descartes, Médit. II)".

[10] « Doctrine de Pyrrhon, qui, entre les dogmatiques qui prétendaient qu'il y a une vérité absolue, et les sophistes qui le niaient, voulait que le philosophe s'abstînt. Nous avons une impuissance de prouver invincible à tout le dogmatisme ; nous avons une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme, Pensées, VIII, 9, éd. Havet. » (Littré)

[11] Étudiant cette période clausulaire de la cinquième lettre, De Boissieu & Garagnon (1987, pp. 32-3) constatent que "si prétendre et nier sont à rapporter au même agent (les jésuites), c'est un parallélisme vrai qui condamne doublement les jésuites […], traçant la voie moyenne du Jansénisme entre Pélagisme (plein pouvoir de l'homme) et Calvinisme (plein pouvoir de Dieu)." Si l'on peut généraliser ce constat aux autres occ., il convient néanmoins de préciser que la dénégation (= on ne peut pas nier que) témoigne du combat verbal des jansénistes et de leur porte parole.

[12] "Théologien qui s'applique à résoudre les cas ou les difficultés de conscience par les règles de la raison et du christianisme." (Littré)

[13] Ce subjonctif après penser que provient de la dominance du verbe de sentiment "admirer".

[14] Dans de tels contextes de présents de vérité générale, l'affirmation du savoir, ou d'une négation du savoir, voire d'une négation d'ignorance comme ici, s'accompagne de l'indicatif. Il en va de même dans cette Pensée, où l'hypothèse mettant "savoir" au subjonctif (et le final au conditionnel) n'empêche pas l'affirmation de l'existence, à l'indicatif : "Je réponds que si j'étais dans une ville où il y eût douze fontaines, et que je SUSSE certainement QU'il y en a une qui est empoisonnée, je serais obligé d'avertir tout le monde de n'aller point puiser de l'eau à cette fontaine."

[15] La première Provinciale d’où vient cette phrase consiste en un diptyque, puisqu’elle traite deux questions : « La Sorbonne reproche en effet à Arnauld d’avoir insinué dans ses Lettres que les cinq propositions condamnées ne figuraient pas dans l’Augustinus (question de fait) et d’avoir lui-même soutenu que la grâce avait manqué à saint Pierre lors de son reniement (au lieu de dire que saint Pierre avait manqué à la grâce : c’est la question de droit). Malgré une défense vigoureuse, Arnauld est censuré sur la question de fait le 14 janvier 1656 et la condamnation sur le droit semble inévitable. […] Montalte conclut à l’inanité de l’accusation portée contre Arnauld » (in D.O.L.F.).

[16] Comme précédemment pour penser que, le subjonctif après dire que provient de la dominance du verbe de sentiment (ici "être choquant").

[17] Les deux expressions appréciatives sont néanmoins harmonisées par leur rection du subjonctif : cf. "Ce n'est pas une CHOSE ÉTONNANTE, ni nouvelle, QUE l'esprit de l'homme puisse tromper et être trompé." ou "c'est une CHOSE bien ÉTONNANTE, QU'elle se soit toujours conservée constamment durant tant de siècles", et "C'est une CHOSE ÉTRANGE, mes Pères, QU'on ait néanmoins de quoi vous en convaincre". Auxquelles on peut adjoindre les variantes : "c'est peu de CHOSE QUE tu convertisses les tribus de Jacob". Ou encore : "N'est-ce donc pas une CHOSE HONTEUSE, mes Pères, QUE vous osiez produire ces paroles ?"

[18] Cela dit avec une intention de pastiche ou de parodie du discours jésuite, que décèlent De Boissieu & Garagnon (1987, p. 38).


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