Thierry Mézaille : THÉMATIQUES LITTÉRAIRES
Chapitre 6. Analyse de contenu des fameuses "petites madeleines"
Pour faire connaître à l’élève ces trop classiques
gâteaux proustiens, dont on retient certes le nom, mais en en ignorant
le contenu précis, il convient de procéder au relevé
de ses occurrences en contexte.
L’application requiert le logiciel Hyperbase plutôt que Bibliopolis
dans la mesure où cette bibliothèque en ligne ou sur Cd-Rom
ne propose que le premier volume de la Recherche (Du côté
de chez Swann), limitation dommageable concernant le fameuses madeleines,
dont la réapparition massive dans le dernier volume ne peut être
ignorée par qui veut cerner leur étude de contenu.
Etapes méthodiques proposées :
Anticipons : pour renouveler l’explication de texte, l’enjeu du passage
en revue systématique des occurrences du mot dans son contexte aura
résidé dans la mise en évidence du cheminement thématique
d’un discours, où le narrateur passe du récit d’une expérience
merveilleuse au traité d’esthétique.
Voici tout d’abord le contexte élargi de ces trop célèbres "gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines" qui servent aujourd’hui à illustrer la définition du mot – sans majuscule – dans le Petit Robert.
Occ. 1 : Il s’agit là de l’unique occ. où l’on ait le substantif précédé de l’épithète ‘petites’, ainsi que le pluriel, sans doute une façon d’introduire le gâteau qui sera ensuite simplifié dans son appellation. La thématique le définissant est ici double : d’une part l’affection maternelle (cadre familial, breuvage réchauffant dans le froid de l’hiver) ; d’autre part le comparant marin, avec "qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques", laquelle accroît la douceur des courbes de l’aliment par la paronomase implicite ‘mollesse\mollusque’ justifiée par "s’amollir". Cette occ. fait partie de celles, très minoritaires, où le récit au passé le cède à une notation descriptive effectuée au présent de vérité générale, comme pour donner un côté doxal à la comparaison avec le coquillage. Cette remarque, qui touche à la position énonciative du narrateur, est à rapprocher de l’occ. 17 où "le simple goût d’une madeleine ne semble pas contenir logiquement les raisons de cette joie" réitère ce retour au bon sens, mais dans ce cas sans la comparaison.
Occ. 2 : La métamorphose qui affecte Marcel, ce qu’il ressent,
unit les contraires de façon dialectique : le "plaisir délicieux"
de la sensation chasse la tristesse, cela parce que l’expérience
gustative indexée au sème /matérialité/ fait
place à la perception d’une "essence précieuse" indexée
à /spiritualité/. Cela a pour corollaire l’évolution
de la subjectivité, du fait que le moi de Marcel dans sa famille
donne lieu à l’introspection qui analyse ce qui se passe "en moi".
Aspectuellement, la métamorphose superpose à l’opposition
des imparfaits /duratif-itératif/ aux passés simples /ponctuel-singulatif/
("Mais à l’instant... je tressaillis", ainsi que les deux actions
préalables : envoyer chercher et porter aux lèvres), l’arrière-plan
des plus-que-parfaits ("j’avais laissé, j’avais cessé, m’avait
envahi, m’avait aussitôt rendu", etc.) qui ont un effet perfectivant
et insistent sur la fugacité de l’action : à peine le contact
buccal a-t-il lieu que l’esprit est troublé, sans comprendre ce
qui est arrivé. Car l’isotopie /mystère/ de ce changement
est densément lexicalisée ("sans la notion de sa cause" et
la série d’interrogations) et rend l’expérience inachevée
("répéter indéfiniment", "il doit chercher"), ce qui
a au contraire un effet imperfectivant et relance ce que Barthes appelait
le code herméneutique, avec "la vérité que je cherche"
(1).
Le dernier volume reviendra sur cet ajournement des "causes profondes"
de la félicité éprouvée, ainsi que sur le statisme
hiératique de Marcel expérimentateur (cf. "sans oser plus
bouger" dans Le Temps retrouvé).
Les contrastes sont donc forts, depuis "cette puissante joie" inversant
la "morne journée", de la même façon que le breuvage
s’effectue "contre" des habitudes. On note toutefois l’absence de manichéisme
: le bien spirituel ne s’oppose pas au mal matériel, car la sensation
gustative est exempte de dysphorie, comme pour montrer qu’elle est poreuse
à l’euphorie du remplissage par l’essence.
Une telle ontologie proustienne implique on l’a vu le domaine affectif
(cf. "la petite", "le petit morceau de"), ainsi que celui de la mythologie
(l’animisme d’une "croyance celtique"). Elle se fonde sur le paradoxe de
l’extraordinaire contenu dans le détail matériel insignifiant.
Voilà en quoi consiste le sens original du parcours cognitif thématisé
de Marcel dans ce premier extrait.
On note que cette théorie de l’âme du passé enfoui dans un objet matériel présentée de façon gnomique au présent de vérité générale n’a de valeur qu’illustrée par le récit qui embraye avec "Il y avait déjà bien des années que [...]"
Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui [i. e. le souvenir].
Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute
tâche difficile, de toute œuvre importante, m'a conseillé
de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à
mes ennuis d'aujourd'hui, à mes désirs de demain qui se laissent
remâcher sans peine.
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu.
Ce goût c’était celui du petit morceau de MADELEINE que le
dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais
pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa
chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé
dans son infusion de thé ou de tilleul.
Occ. 3 : Est-ce en raison des dix tentatives consécutives ? En
tous les cas l’aspect /singulatif-ponctuel/ ("Et tout d’un coup le souvenir
m’est apparu.") qui marque la victoire que l’on qualifierait aujourd’hui
de ‘cognitive’ n’occulte pas son contraire /itératif-duratif/ qui
indexe aussi les habitudes dominicales du passé remémoré
(le bonjour à la tante), à l’imparfait. Cette vision mnémonique
marque un redoublement de l’affection maternelle : le fragment de gâteau
offert par la mère renvoie à celui que donnait jadis la tante
Léonie.
L'extrait cité enchaîne aussitôt par un passage
sensoriel du visuel au gustatif :
La vue de la petite MADELEINE ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
Occ. 4 : L’influence du contexte immédiat se manifeste lors de
la reprise du comparant de la madeleine, ce "coquillage de pâtisserie"
au "plissage sévère et dévot", dont l’isotopie /religion/
(qui coexiste de façon provocatrice avec l’aspect "grassement sensuel",
dans ce choc du sucré et du sacré) était introduite
par la messe dominicale (à l’occ. 3) ; on relève donc une
sorte d’unification entre les pieuses habitudes de la tante et l’objet
consommé.
D’autre part, si le souvenir est marqué par la négation
temporelle ("ne m’avait rien rappelé", "sans en manger", "désagrégé",
"abolies", "perdu la force", "d'un passé ancien rien ne subsiste"
: isotopie /vacuité/), c’est à propos de la madeleine purement
visuelle (cf. "la vue", "en ayant souvent aperçu", "leur image"),
par contraste avec la gustative, laquelle fait cesser l’ensommeillement
(isotopie /plénitude/). Le syntagme "la vue de la petite madeleine
ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté"
multiplie les couches temporelles, par épaississement, dans la mesure
où ici, bien avant le dernier volume, l’expérience de la
madeleine appartient elle-même au passé révolu (quelle
que soit l’antériorité du visuel sur le gustatif), outre
son renvoi au passé de la jeunesse (celui de la tisane de Léonie).
Le fait que ce réveil mette un terme à la privation ajoute
à l’effet perfectivant que provoque l'emploi des plus-que-parfaits
(depuis l’occ. 2 : "avais laissé, avais cessé, avait envahi,
avait rendu").
Comme plus loin à l'occ. 20, ici la relance, après la
période précédente au présent de vérité
générale, s'effectue par un "Et" dynamisant (p. 47) :
Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de MADELEINE trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s’appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu’on avait construit pour mes parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j’avais revu jusque-là) ; et avec la maison, la ville, depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, la Place où on m’envoyait avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses, les chemins qu’on prenait si le temps était beau.
Occ. 5 : La valeur perfectivante est ici confirmée non plus par
le couple plus-que-parfait + imparfait mais par la paire passé antérieur
+ passé simple ("Et dès que j’eus reconnu… aussitôt…
vint"), soulignant la victoire, avec une accentuation par synecdoque :
c’est tout le "décor de théâtre" de Combray et non
plus seulement la tante Léonie qui revient en mémoire. Par
cette vision globale de l’ancien univers affectif retrouvé, la joie
intense au contact de la madeleine vient de trouver "la notion de sa cause"
qui faisait défaut à l’occ. 2. Cela met un terme à
l’isotopie /mystère/, laquelle est inversée en /élucidation/
: Marcel a compris pourquoi un tel trouble l’a envahi. Le remplissage par
l’essence mystérieuse est ainsi expliqué par la substitution
du spectacle du passé à l’actualité.
Mais passons à un phénomène d'osmose des matières alimentaires.
Mille petits détails inutiles – charmante prodigalité
du pharmacien – qu’on eût supprimés dans une préparation
factice, me donnaient, comme un livre où on s’émerveille
de rencontrer le nom d’une personne de connaissance, le plaisir de comprendre
que c’était bien des tiges de vrais tilleuls, comme ceux que je
voyais avenue de la Gare, modifiées, justement parce que c’étaient
non des doubles, mais elles-mêmes et qu’elles avaient vieilli. Et
chaque caractère nouveau n’y étant que la métamorphose
d’un caractère ancien, dans de petites boules grises je reconnaissais
les boutons verts qui ne sont pas venus à terme ; mais surtout l’éclat
rose, lunaire et doux qui faisait se détacher les fleurs dans la
forêt fragile des tiges où elles étaient suspendues
comme de petites roses d’or – signe, comme la lueur qui révèle
encore sur une muraille la place d’une fresque effacée, de la différence
entre les parties de l’arbre qui avaient été "en couleur"
et celles qui ne l’avaient pas été – me montrait que ces
pétales étaient bien ceux qui avant de fleurir le sac de
pharmacie avaient embaumé les soirs de printemps. Cette flamme rose
de cierge, c’était leur couleur encore, mais à demi éteinte
et assoupie dans cette vie diminuée qu’était la leur maintenant
et qui est comme le crépuscule des fleurs. Bientôt ma tante
pouvait tremper dans l’infusion bouillante dont elle savourait le goût
de feuille morte ou de fleur fanée une petite MADELEINE dont elle
me tendait un morceau quand il était suffisamment amolli.
D’un côté
de son lit était une grande commode jaune en bois de citronnier
et une table qui tenait à la fois de l’officine et du maître-autel,
où, au-dessous d’une statuette de la Vierge et d’une bouteille de
Vichy-Célestins, on trouvait des livres de messe et des ordonnances
de médicaments, tout ce qu’il fallait pour suivre de son lit les
offices et son régime, pour ne manquer l’heure ni de la pepsine,
ni des Vêpres. De l’autre côté, son lit longeait la
fenêtre, elle avait la rue sous les yeux et y lisait du matin au
soir, pour se désennuyer, à la façon des princes persans,
la chronique quotidienne mais immémoriale de Combray, qu’elle commentait
ensuite avec Françoise.
Occ. 6 : Après la comparaison avec l’animal (le mollusque "d’une
coquille de Saint-Jacques"), la madeleine est en harmonie avec le végétal
au "goût de feuille morte ou de fleur fanée", puisqu’il s’offre
aussi à la dégustation, non de Marcel mais de sa tante Léonie.
Voilà donc un cas de remarquable adaptation contextuelle. Cette
infusion est d’autant plus liée au gâteau qu’elle présente
comme lui la thématique nostalgique mais optimiste de la jeunesse
passée remémorée dans la vieillesse. Soit une nouvelle
"métamorphose", cette fois non plus intérieure mais d’aspect
extérieur : celle de l’encore vert, doré et rose du végétal
(/inchoatif/) dans son crépuscule déjà tombé
(/cessatif/). De la même façon que la vieillesse de la tante
de jadis, du jeune Marcel, se retrouve dans la madeleine trempée
actuelle : cela met au premier plan les aspects /imperfectif/ et /duratif/
dans la tisane mais aussi dans le geste d’offrande de Léonie fanée.
Un parcours interprétatif converge avec cet optimisme : c’est par assimilation avec l’infusion que la madeleine devient intelligible, tels une "fresque" et un "livre où on s’émerveille", sur l’isotopie générique /art/, confirmant bien que la matière est empreinte de spiritualité. L'harmonie avec le décor est totale, puisque la thématique de celui de la chambre de Léonie décrit au paragraphe suivant, avec l’isotopie /religion/ (‘maître-autel’, ‘la Vierge’, ‘livres de messe’, ‘offices’, ‘Vêpres’) entrelacée avec /pharmacie/ (‘officine’, ‘bouteille de Vichy-Célestins’, ‘ordonnances de médicaments’, ‘régime’, ‘pepsine’, selon la "prodigalité du pharmacien" ayant fourni le tilleul) se diffuse par contiguïté dans le contenu du gâteau trempé, de même que, plus largement, l’isotopie /provincialisme/ ("la rue sous les yeux", "lisait la chronique quotidienne mais immémoriale de Combray") qui s’offre au regard à travers la fenêtre.
Le plaisir que ressent parmi eux [i.e. les aristocrates "conservateurs
du passé"], beaucoup plus que parmi d’autres écrivains, un
écrivain, ce plaisir n’est pas sans danger, car il risque de croire
que les choses du passé ont un charme par elles-mêmes, de
les transporter telles quelles dans son œuvre, mort-née dans ce
cas, dégageant un ennui dont il se console en se disant : "C’est
joli parce que c’est vrai, cela se dit ainsi." Ces conversations aristocratiques
avaient du reste chez Mme de Guermantes le charme de se tenir dans un excellent
français. A cause de cela elles rendaient légitime, de la
part de la duchesse, son hilarité devant les mots "viatique", "cosmique",
"pythique", "suréminent" qu’employait Saint-Loup – de même
que devant ses meubles de chez Bing.
Malgré tout, bien différentes
en cela de ce que j’avais pu ressentir devant des aubépines ou en
goûtant à une MADELEINE, les histoires que j’avais entendues
chez Mme de Guermantes m’étaient étrangères. Entrées
un instant en moi qui n’en étais que physiquement possédé,
on aurait dit que (de nature sociale et non individuelle) elles étaient
impatientes d’en sortir… Je m’agitais dans la voiture, comme une pythonisse. J’attendais un nouveau dîner où je pusse devenir moi-même
une sorte de prince X…, de Mme de Guermantes, et les raconter. En attendant,
elles faisaient trépider mes lèvres qui les balbutiaient
et j’essayais en vain de ramener à moi mon esprit vertigineusement
emporté par une force centrifuge.
Occ. 7 : Avec ce nouveau volume, Le côté de Guermantes,
c’est la thématique de la mondanité qui suscite une comparaison
avec des souvenirs de Combray, parmi lesquels le gâteau que l’on
retrouve associé au végétal, en l’occurrence les aubépines,
dont la blondeur des étamines ainsi que le "goût d’une frangipane"
frappaient déjà les sens du jeune Marcel, à la sortie
de l’église (cf. Du côté de chez Swann). Si le point
commun est le "charme" des "choses du passé", la différence
est que les bons "mots" prononcés chez la duchesse tant admirée
ne font pas appel au vécu de Marcel comme dans l'univers originel
de Combray, qui conserve la vérité du temps de l'origine.
La perception auditive (des "conversations aristocratiques") est ainsi
hiérarchiquement inférieure à la gustative. Soit le
diptyque :
‘conversations aristocratiques’
des Guermantes |
‘madeleine’ (humble)
de Combray |
ici, maintenant (T2) – sens auditif
mémoire à court terme : "charme social, possession physique" ; "entrées un instant en moi […] impatientes d’en sortir" sème /discontinuité/ thème de l’altérité : "m’étaient étrangères" |
là, jadis (T1) – sens gustatif
mémoire à long terme : "charme individuel", possession mentale ; entrées éternellement en moi sème /continuité/ thème de l’identité |
La reprise lexicale de termes rares qui mène de la citation humoristique de "pythique" à l’autodérision "je m’agitais comme une pythonisse" met en scène cette possession, mais de façon si spectaculaire que l’humour qui s’en dégage ôte à la paire sémique déjà relevée /spiritualité/ + /mystère/ toute la profondeur qui était celle de l’expérience du biscuit reviviscent.
En roulant les tristes pensées que je disais il y a un instant
j’étais entré dans la cour de l’hôtel de Guermantes
et dans ma distraction je n’avais pas vu une voiture qui s’avançait;
au cri du wattman je n’eus que le temps de me ranger vivement de côté,
et je reculai assez pour buter malgré moi contre des pavés
assez mal équarris derrière lesquels était une remise. Mais au moment où me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un
pavé qui était un peu moins élevé que le précédent,
tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité
qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donnée la
vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture
autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une MADELEINE
trempée dans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé
et que les dernières œuvres de Vinteuil m’avaient paru synthétiser. Comme au moment où je goûtais la MADELEINE, toute inquiétude
sur l’avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés. Ceux
qui m’assaillaient tout à l’heure au sujet de la réalité
de mes dons littéraires et même de la réalité
de la littérature se trouvaient levés comme par enchantement.
Cette fois je me promettais bien de ne pas me résigner à
ignorer pourquoi, sans que j’eusse fait aucun raisonnement nouveau, trouvé
aucun argument décisif, les difficultés insolubles tout à
l’heure avaient perdu toute importance, comme je l’avais fait le jour où
j’avais goûté d’une MADELEINE trempée dans une infusion.
La félicité que je venais d’éprouver était
bien en effet la même que celle que j’avais éprouvée
en mangeant la MADELEINE et dont j’avais alors ajourné de rechercher
les causes profondes. La différence purement matérielle était
dans les images évoquées. Un azur profond enivrait mes yeux,
des impressions de fraîcheur, d’éblouissante lumière
tournoyaient près de moi et dans mon désir de les saisir,
sans oser plus bouger que quand je goûtais la saveur de la MADELEINE
en tâchant de faire parvenir jusqu’à moi ce qu’elle me rappelait,
je restais, quitte à faire rire la foule innombrable des wattmen,
à tituber comme j’avais fait tout à l’heure, un pied sur
le pavé plus élevé, l’autre pied sur le pavé
le plus bas. Chaque fois que je refaisais rien que matériellement
ce même pas, il me restait inutile ; mais si je réussissais,
oubliant la matinée Guermantes, à retrouver ce que j’avais
senti en posant ainsi mes pieds, de nouveau la vision éblouissante
et indistincte me frôlait comme si elle m’avait dit : "Saisis-moi
au passage si tu en as la force et tâche à résoudre
l’énigme du bonheur que je te propose". Et presque tout de suite
je le reconnus, c’était Venise dont mes efforts pour la décrire
et les prétendus instantanés pris par ma mémoire ne
m’avaient jamais rien dit et que la sensation que j’avais ressentie jadis
sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc, m’avait
rendue avec toutes les autres sensations jointes ce jour-là à
cette sensation-là, et qui étaient restées dans l’attente,
à leur rang, d’où un brusque hasard les avait impérieusement
fait sortir, dans la série des jours oubliés. De même le goût de la petite MADELEINE m’avait rappelé
Combray. Mais pourquoi les images de Combray et de Venise m’avaient-elles
à l’un et à l’autre moments donné une joie pareille
à une certitude et suffisante sans autres preuves à me rendre
la mort indifférente ?
Tout en me le demandant et en étant
résolu aujourd’hui à trouver la réponse, j’entrai
dans l’hôtel de Guermantes, parce que nous faisons toujours passer
avant la besogne intérieure que nous avons à faire le rôle
apparent que nous jouons et qui ce jour là était celui d’un
invité.
Occ. 8 à 13 : La proximité lexicale de ces 6 occ. est
remarquable. Leur reprise insistante a sans doute pour effet de leur conférer
une densité sémantique.
On note d’abord que le biscuit gustatif (précédé
de ‘goûtais’, ‘saveur’, ‘mangeant’, à paraphrase insistante)
n’est plus ici isolé. Par les comparaisons systématiques
(cf. les ‘comme’ et ‘même’) avec les clochers visuels, la sonate
de Vinteuil, plus artistiquement auditive que le simple bruit de la cuiller
contre une assiette dans l’hôtel de Guermantes (cf. infra), et le
pavé tactile dans la cour de cet hôtel, il fait partie, indissociablement,
de ces "sensations" merveilleuses – qui s’épanouissent en effet
"comme par enchantement" ; cf. infra le "son magique" – donnant "la même
félicité" et l’optimisme pour entreprendre la création
littéraire (toujours par contraste avec la tristesse antérieure
à la sensation éprouvée). Dans la vision que chacun
occasionne et qui permet de "résoudre l’énigme du bonheur",
on décèle le thème de la révélation,
qui confère une sacralité à ces signes matériels,
ainsi qu’aux "dons littéraires" qu’ils révèlent en
même temps. Son indexation à l’isotopie /religion/ est corroborée
par "la céleste nourriture" qu’ils apportent au moi, si l’on élargit
la fenêtre contextuelle jusqu’à l’occ. 17.
La similitude perçue, "une de ces identités entre le présent et le passé" (infra), non seulement au sein d’une sensation répétée entre les époques et les lieux différents (cour Guermantes et baptistère vénitien), mais entre les sensations elles-mêmes n’a rien de surprenant depuis Combray (2). Alors que l'univers de ce coin de province cumulait un ici et un ailleurs, remémoré via la madeleine, en revanche concernant les villes capitales, à l’ici de la cour à Paris correspond l’ailleurs exotique de Venise avec son azur méridional et son baptistère, les sensations privilégiées (ou Signes) contribuant à fusionner les images des deux lieux distants. Une différence toutefois est à noter entre les deux Signes : la madeleine relève a posteriori d’un échec (cf. le défaitisme : "dont j’avais alors ajourné de rechercher les causes profondes"), alors que le lecteur y voyait une victoire, contrairement au pavé (cf. l’optimisme : "Cette fois je me promettais bien de ne pas me résigner à ignorer pourquoi").
Sur l’extrême différence qu’il y a entre l’impression vraie que nous avons eue d’une chose et l’impression factice que nous nous en donnons quand volontairement nous essayons de nous la représenter, je ne m’arrêtais pas ; me rappelant trop avec quelle indifférence relative Swann avait pu parler autrefois des jours où il était aimé, parce que sous cette phrase il voyait autre chose qu’eux, et de la douleur subite que lui avait causée la petite phrase de Vinteuil en lui rendant ces jours eux-mêmes, tels qu’il les avait jadis sentis, je comprenais trop ce que la sensation des dalles inégales, la raideur de la serviette, le goût de la MADELEINE avaient réveillé en moi n’avait aucun rapport avec ce que je cherchais souvent à me rappeler de Venise, de Balbec, de Combray, à l’aide d’une mémoire uniforme ; et je comprenais que la vie pût être jugée médiocre bien qu’à certains moments elle parût si belle, parce que dans le premier cas c’est sur tout autre chose qu’elle-même, sur des images qui ne gardent rien d’elle qu’on la juge et qu’on la déprécie.
Occ. 14 : Deux pages plus loin, cet extrait donne l’occasion d’aborder la première grande période, typique du style d'amplification qui symbolise l’écriture proustienne. Elle englobe entre autres le nom du gâteau, lequel est d’autant plus valorisé qu’il est du côté de la mémoire involontaire, du vécu profond, dans le diptyque relevant toujours de l’introspection :
- Les signes "avaient réveillé en moi" (dans une pluralité
de sensations amalgamées) : aspect /perfectif/, accompli, du plus-que-parfait
(associé explicitement à /ponctuel/ à l’occ. 17 ci-dessous
: "Une minute affranchie de l’ordre du temps […] ce trompe-l’œil ne durait
pas") ; sème casuel /ergatif/, mélioratif car cette activité
des choses, corollaire de la passivité du moi, délivre une
"impression vraie",
- vs "je cherchais souvent à me rappeler" : aspect /imperfectif/
de l’action en cours; associé à /duratif/ (cf. occ. 17 :
"on peut prolonger les spectacles de la mémoire volontaire") ; sème
casuel /ergatif/ péjoratif car, inversement, cette activité
du moi, intentionnelle, ne donne qu’une "impression factice".
L’évaluation associée à la valeur aspectuelle
des temps que l’on a relevée doit être distinguée d’une
autre paire sémique : /discontinuité/ est ainsi déprécié
car "ne gardent rien d’elle" témoigne de l’échec d’un vécu
où les similitudes entre sensations ne peuvent se produire ; inversement
/continuité/ est mélioratif dans cette optique en révélant
la beauté de la vie, unitaire sans être uniforme.
Synthétisons le nouveau diptyque :
images mélioratives (dont celles de la madeleine) : ‘impression vraie’ qui donne la sérénité, l’extra-temporalité) | images péjoratives :
‘impression factice’ prisonnière du carcan de l’inquiétude, de la temporalité |
/perfectif/, /ponctuel/, /continuité/
/duplicité/ (‘trompe l’œil’– malgré la vérité – 2 moi, ‘métaphore’), /plénitude/ |
/imperfectif/, /duratif/, /discontinuité/
/unicité/ (‘uniforme’, 1 moi sens littéral – malgré la fausseté), /vacuité/ |
Ces relations sémiques dépendent du contexte – plus ou moins local ; ici elles anticipent le contenu d’autres segments – et n’ont pas vocation à être systématisées à l’ensemble du texte (pour preuve, l’occ. 6 où la tisane qui amollit le gâteau associe /discontinuité/, /imperfectif/, /itératif/, /duratif/, /euphorie/ ; de même ‘images’ n’est déprécié que par référence à l’actualité dénuée de mémoire involontaire ; de même ce "livre d’images" superficiel de l’occ. 17 ; en revanche "les images de Combray et de Venise" des occ. 11 et 13 sont valorisées).
Je glissais rapidement sur tout cela, plus impérieusement sollicité que j’étais de chercher la cause de cette félicité, du caractère de certitude avec lequel elle s’imposait, recherche ajournée autrefois. Or cette cause, je la devinais en comparant entre elles ces diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que je les éprouvais à la fois dans le moment actuel et dans un moment éloigné où le bruit de la cuiller sur l’assiette, l’inégalité des dalles, le goût de la MADELEINE allaient jusqu’à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais ; au vrai, l’être qui alors goûtait en moi cette impression la goûtait en ce qu’elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu’elle avait d’extra-temporel, un être qui n’apparaissait que quand par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il put vivre, jouir de l’essence, des choses, c’est-à-dire en dehors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j’avais reconnu, inconsciemment, le goût de la petite MADELEINE puisqu’à ce moment-là l’être que j’avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l’avenir. Cet être-là n’était jamais venu à moi, ne s’était jamais manifesté, qu’en dehors de l’action, de la jouissance immédiate, chaque fois que le miracle d’une analogie m’avait fait échapper au présent. Seul il avait le pouvoir de me faire retrouver les jours anciens, le Temps Perdu, devant quoi les efforts de ma mémoire et de mon intelligence échouaient toujours.
Occ. 15-16 : L’ontologie métaphysique d’une extra-temporalité surnaturelle ("une de ces identités entre le présent et le passé", gage de " l’essence " de type très platonicien, "miracle d’une analogie" aux antipodes de la "logique"; le registre est celui du merveilleux) provoque la joie intense ("par conséquent insoucieux des vicissitudes de l’avenir" : gage d’optimisme, en cette fin de roman-fleuve). La madeleine renoue avec la magie et l’irrationnel, par la substitution de "j’avais reconnu, inconsciemment" aux "efforts de ma mémoire et de mon intelligence", et se trouve totalement "dématérialisée" – le mot est de Deleuze lui-même (op. cit., 1964, p. 21) concernant l'essence et l'art – par le mélange des époques qu’elle engendre. De là la victoire du temps ancien perdu enfin actuellement retrouvé par Marcel, qui se situe ainsi dans la "jouissance […] en dehors du temps".
Mais qu’un bruit, qu’une odeur, déjà entendu et respirée
jadis le soient de nouveau, à la fois dans le présent et
dans le passé, réels sans être actuels, idéaux
sans être abstraits, aussitôt l’essence permanente et habituellement
cachée des choses se trouve libérée et notre vrai
moi qui parfois depuis longtemps, semblait mort, mais ne l’était
pas autrement, s’éveille, s’anime en recevant la céleste
nourriture qui lui est apportée. Une minute affranchie de l’ordre
du temps a recréé en nous pour la sentir l’homme affranchi
de l’ordre du temps. Et celui-là on comprend qu’il soit confiant
dans sa joie, même si le simple goût d’une MADELEINE ne semble
pas contenir logiquement les raisons de cette joie, on comprend que le
mot de mort n’ait pas de sens pour lui ; situé hors du temps, que
pourrait-il craindre de l’avenir ?
Mais ce trompe-l’œil qui mettait près
de moi un moment du passé, incompatible avec le présent,
ce trompe-l’œil ne durait pas. Certes, on peut prolonger les spectacles
de la mémoire volontaire qui n’engage pas plus de forces de nous-mêmes
que feuilleter un livre d’images.
Occ. 17 : Les reprises lexicales vis-à-vis des deux occ. précédentes
témoignent de la poursuite de la même thématique, mais
ici la réflexion accède à une vérité
générale comme l’attestent l’emploi du présent et
les assertions gnomiques de phrases plus concises. De sorte que la madeleine,
ainsi abstraite de l’époque où elle suscitait le souvenir,
ne devient que le prétexte à la réflexion sur l’extra-temporalité.
Si le registre est oratoire (cf. l’interrogation rhétorique, la
subtilité du paradoxe sur le Temps, etc.), le genre est celui de
l’essai, qui prend le relais du roman, ici comme dans nombre d’endroits
caractéristiques de ce dernier volume.
La dualité qui structure la répartition lexicale dans
les phrases (bruit\odeur, entendu\respirée, présent\passé,
"réels sans être actuels", etc.) débouche sur une formule
qui requiert un éclaircissement : "idéaux sans être
abstraits". Comment le goût d’une madeleine peut-il être idéal
sans être abstrait ? L’apparente contradiction disparaît si
on localise la sensation dans l’espace précis de Combray à
une époque passée tout aussi déterminée qui
permet à cet univers remémoré (mentalisé, donc
idéalisé) de revivre dans la même sensation, par relation
métonymique. Elle n’est donc pas séparée, isolée
comme l’indique l’opération d’abstraction.
La deuxième nouveauté du passage réside dans l’association de la dualité avec l’illusion et l’intermittence. En effet, l’optimisme et la félicité, qui avaient remplacé la tristesse et "mes inquiétudes au sujet de ma mort", ne durent pas davantage que ce "moment du passé" qui remonte involontairement à la mémoire, si bien que la madeleine gustative, par la fugacité de la vision qu’elle engendre, est un "trompe-l’œil", expression répétée qui renoue avec l’isotopie /duplicité/, omniprésente et valorisée dans le roman de Proust (cf. "notre vrai moi qui parfois depuis longtemps, semblait mort, mais ne l’était pas" : son dévoilement et son réveil par la sensation réitérée reposent sur sa duplicité). Mieux vaut ainsi un tel trompe-l’œil fugace que la volonté de "prolonger" artificiellement le spectacle de souvenirs qui n’ont pas de portée ontologique en ne pouvant engendrer de "résurrections".
Ainsi jadis par exemple, le jour où je devais aller pour la première
fois chez la princesse de Guermantes, de la cour ensoleillée de
notre maison de Paris, j'avais paresseusement regardé à mon
choix, tantôt la place de l’Église à Combray, ou la
plage de Balbec, comme j'aurais illustré le jour qu'il faisait en
feuilletant un cahier d'aquarelles prises dans les divers lieux où
j'avais été et où avec un plaisir égoïste
de collectionneur je m'étais dit en cataloguant ainsi les illustrations
de ma mémoire : "J'ai tout de même vu de belles choses dans
ma vie". Alors ma mémoire affirmait sans doute la différence
des sensations, mais elle ne faisait que combiner entre eux des éléments
homogènes. Il n’en avait plus été de même dans
les trois souvenirs que je venais d’avoir et où, au lieu de me faire
une idée plus flatteuse de mon moi, j’avais au contraire, presque
douté de la réalité actuelle de ce moi.
De même que le jour où j’avais trempé la MADELEINE
dans l’infusion chaude, au sein de l’endroit où je me trouvais (que
cet endroit fût comme ce jour-là ma chambre de Paris, ou comme
aujourd’hui en ce moment, la bibliothèque du prince de Guermantes,
un peu avant la cour de son hôtel) il y avait eu en moi irradiant
d’une petite zone, autour de moi, une sensation (goût de la MADELEINE
trempée, bruit métallique, sensation de pas inégaux)
qui était commune à cet endroit (où je me trouvais)
et aussi à un autre endroit (chambre de ma tante Léonie,
wagon de chemin de fer, baptistère de Saint-Marc).
Occ. 18-19 : Illustrant ce principe d’intermittence jusque dans le genre de texte, du roman (narratif \ descriptif \ commentatif \ dialogal) à l’essai (philosophique \ réflexif), le narrateur fait retour sur les circonstances passées et concrètes des Signes (cf. leur immersion dans les plus-que-parfaits \ imparfaits, qui succède au groupement de l’occ. 17 : présent \ passé composé \ conditionnel \ subjonctif). Ceux-ci, formant une trilogie locative, la madeleine à la chambre, le bruit métallique dans la bibliothèque de l’hôtel, le pavé dans la cour, restent insérés dans un discours démonstratif, dont la thèse est que l’identité des propriétés, perçues par la mémoire involontaire (méliorative : "une sensation qui était commune" à des lieux distincts et qui remet en cause "la réalité actuelle de ce moi") ne doit pas être confondue avec de vagues similitudes, "des éléments homogènes" qui composent un livre métaphorique. La péjoration qui affecte celui-ci, "en feuilletant un cahier d'aquarelles […] avec un plaisir égoïste de collectionneur […] en cataloguant ainsi les illustrations", provient de la superficialité de la mémoire volontaire, inapte à établir une jonction dans le moi profond (par "le miracle d’une analogie", supra).
Et repensant à cette joie extra-temporelle causée, soit par le bruit de la cuiller, soit par le goût de la MADELEINE, je me disais : était-ce cela ce bonheur proposé par la petite phrase de la sonate à Swann qui s’était trompé en l’assimilant au plaisir de l’amour et n’avait pas su le trouver dans la création artistique ; ce bonheur que m’avait fait pressentir comme plus supra-terrestre encore que n’avait fait la petite phrase de la sonate, l’appel rouge et mystérieux de ce septuor que Swann n’avait pu connaître, étant mort comme tant d’autres avant que la vérité faite pour eux eût été révélée.
Occ. 20 : Comme précédemment la relance avec ‘Ainsi…’,
‘Alors…’, ‘De même…’, l'amorce de cette période remarquable
s'effectue par un connecteur, ici ‘Et…’(3). La madeleine y accède
au domaine de l’art, par assimilation, due à la parasynonymie de
‘joie’ des Signes et ‘bonheur’ de l'écoute musicale. Perception
et mélomanie traduisent bien cette passivité physique requise
pour l'intériorisation. Ce faisant, la sensation privilégiée
participe d’une "vérité révélée" et
d’un univers "supra-terrestre" qui laisse entrevoir le fidéisme
de Proust. Soit une doctrine précisément compatible avec
l’échec de tout effort rationnel (cf. par exemple "sans que j’eusse
fait aucun raisonnement nouveau, trouvé aucun argument décisif",
lors de "l'enchantement" narré à l'occ. 10). Toutefois les
"résurrections" restent celles de la mémoire et ne dérivent
pas vers l’isotopie religieuse. Elles relèvent plutôt de la
mythologie de la duplicité : étymologiquement, le fait d’ôter
le voile remplit de félicité. Mais le parallèle avec
Swann introduit le doute dans l’esprit de Marcel qui, pour atteindre ce
genre de vérité, sait qu’il lui faudra un énorme travail
de décryptage, dans "une œuvre d’art" que Swann, lui, n’est pas
parvenu à créer précisément par ce voile qui
a empêché sa révélation.
Retenons que la promotion artistique dont bénéficie la madeleine provient de l'équivalence entre le sens gustatif et le sens auditif par lequel "le bruit de la cuiller" opère la médiation avec la mélodie de la sonate et du septuor.
Sans doute, ce déchiffrage était difficile, mais seul il donnait quelque vérité à lire. Car les vérités que l’intelligence saisit directement à claire-voie dans le monde de la pleine lumière ont quelque chose de moins profond, de moins nécessaire que celles que la vie nous a malgré nous communiquées en une impression, matérielle parce qu’elle est entrée par nos sens, mais dont nous pouvons dégager l’esprit. En somme, dans ce cas comme dans l’autre, qu’il s’agisse d’impressions comme celles que m’avait données la vue des clochers de Martinville, ou de réminiscences comme celle de l’inégalité des deux marches ou le goût de la MADELEINE, il fallait tâcher d’interpréter les sensations comme les signes d’autant de lois et d’idées, en essayant de penser, c’est-à-dire de faire sortir de la pénombre ce que j’avais senti, de le convertir en un équivalent spirituel. Or, ce moyen qui me paraissait le seul, qu’était-ce autre chose que faire une œuvre d’art ?
Occ. 21 : D'une phrase à l'autre se confirme l'intégration de la sensation particulière à la réflexion générale. Celle de la théorie proustienne des Signes, qui repose sur les "réminiscences", mot qui dans la théorie platonicienne signifie que "toute connaissance est le souvenir d’un état antérieur où l’âme possédait une vue directe des Idées" (Petit Robert). Le contexte des âmes captives, dans un objet, qui se libèrent par le rappel du passé, suffit dans ce dernier volume pour sélectionner cette acception philosophique. Réminiscences provoquées par le sens tactile (dalles) et gustatif (biscuit), mais non visuel (clochers de Martinville), elles sont indexées au parcours menant de l’impression obscure (en T1) à l’élucidation (en T2). Dans cette inversion dialectique d’une matière à spiritualiser, gage de vérité, la médiation de "l’œuvre d’art", musicale (Wagner et le septuor) ou picturale (Vermeer et le pan jaune… comme la madeleine), concourt à l'aboutissement du travail littéraire qui préoccupe le narrateur. Les mots sont alors des instruments pour traduire le vécu, selon un réalisme à la fois empirique et transcendant – dans une participation de type néo-platonicien –, puisque si la spiritualité vient informer la sensation, c’est grâce au principe supérieur de la mémoire involontaire et de l’inconscient, sans lequel le "perdu" ne pourrait être "retrouvé".
Cf. p. 469 du même volume : " je m'apercevais que pour exprimer
ces impressions pour écrire ce livre essentiel, le seul livre vrai,
un grand écrivain n'a pas dans le sens courant à l'inventer
puisque il existe déjà en chacun de nous, mais à le
traduire. Le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux d'un
traducteur.
"
et pp. 489-90 : " L'ouvrage de l'écrivain n'est qu’une espèce
d'instrument optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner
ce que sans ce livre, il n'eût peut-être pas vu en soi-même.
"
Voilà en quoi l'anecdote d'une simple madeleine, devenue épopée par la conquête du "moi profond" et du monde de l'art, participe d'un traité philosophico-esthétique.
On retrouve le dualisme dans le système de valeurs du créateur, qui repose sur le topos opposant de façon traditionnelle – depuis au moins les philosophes des Lumières – la sensibilité à la rationalité, ainsi évalué chez Proust :
La suite directe de l'extrait précédent du Temps retrouvé (pp. 457-8), paraphrase l'incitation subjective à "interpréter" :
Et déjà les conséquences se pressaient dans
mon esprit ; car qu’il s’agît de réminiscences dans le genre
du bruit de la fourchette, ou du goût de la MADELEINE, ou de ces
vérités écrites à l’aide de figures dont j’essayais
de chercher le sens dans ma tête, où, clochers, herbes folles,
elles composaient un grimoire compliqué et fleuri, leur premier
caractère était que je n’étais pas libre de les choisir
qu’elles m’étaient données telles quelles. Et je sentais
que ce devait être la griffe de leur authenticité. Je n’avais
pas été chercher les deux pavés de la cour où
j’avais buté. Mais justement la façon fortuite, inévitable,
dont la sensation avait été rencontrée, contrôlait
la vérité d’un passé qu’elle ressuscitait, des images
qu’elle déclenchait, puisque nous sentons son effort pour remonter
vers la lumière, que nous sentons la joie du réel retrouvé.
[…] Quant au livre intérieur de signes inconnus (de signes en relief,
semblait-il, que mon attention explorant mon inconscient allait chercher,
heurtait, contournait, comme un plongeur qui sonde), pour la lecture desquels personne
ne pouvait m’aider d’aucune règle, cette lecture consistant en un
acte de création où nul ne peut nous suppléer, ni
même collaborer avec nous.
Occ. 22 : Ainsi le "déchiffrage" des "hiéroglyphes" donne-t-il
lieu aux "figures" "écrites" d'un "grimoire", indexé au champ
lexical de l’écriture spécifié par les sèmes
/mystère/, /herméneutique/ (que reprend l’expression "le
livre intérieur de ces signes inconnus", cherchés par "mon
inconscient"), voire /irrationnel/ (4). On note la conception classique
du langage, ici idéalisée, inspirée de la triade scolastique
vox \ conceptus \ res : les mots, en désignant les choses, dégagent
leurs idées profondes.
Voilà sans doute pourquoi ‘grimoire’ active simultanément dans ce contexte ses deux acceptions d’écrit incompréhensible – dans un premier temps – et de livre de magie – au cours de la révélation a posteriori. La madeleine devient ainsi l’une de ces "figures" de rhétorique, notamment la métaphore au sens que lui donne Proust, c’est-à-dire fondée sur l’ontologie, dont on veut résumer le parcours gnoséologique : elle unit deux sensations, l’une du présent, l’autre du passé, et permet ainsi de jouir de l’essence extra-temporelle que provoque cette union, par la mémoire involontaire, dans une vérité artistique aussi nécessaire qu’une loi scientifique :
On peut faire se succéder indéfiniment dans une description les objets qui figuraient dans le lieu décrit, la vérité ne commencera qu'au moment où l’écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport, analogue dans le monde de l'art à celui qu'est le rapport unique, de la loi causale, dans le monde de la science et les enfermera dans les anneaux nécessaires d'un beau style. Même, ainsi que la vie, quand en rapprochant une qualité commune à deux sensations, il dégagera leur essence en les réunissant l'une et l'autre pour les soustraire aux contingences du temps, dans une métaphore. (p. 468)(5)
La prophétie renoue ainsi avec le registre merveilleux (cf. occ.
15-16). Soit dit en passant, ces "anneaux nécessaires d’un beau
style", fondés en dernière analyse sur le principe de l’inconscient,
irrationnel (par opposition aux mots considérés comme simple
instruments d’élucidation, selon le mythe du langage "clair" et
du "sens littéral", aux antipodes des "hiéroglyphes" et du
"grimoire fleuri"), s’inscrivent dans le sillage d’une dichotomie linguistique
: "la distinction académique entre langue et style ne nous retiendra
pas, car La langue et Le style sont des fictions philosophiques, la première
procédant du rationalisme dogmatique, et la seconde d'un irrationalisme
jadis idéalisant" (Rastier, 2001, p. 182)
Du point de vue de la répartition des genres, au roman ainsi
qu’à l’essai irait la Langue, alors que le Style et la Métaphore
seraient la négation de cette temporalité discursive, plus
particulièrement narrative (cf. Temps et récit de Ricœur)
pour atteindre une vérité essentielle, extra-temporelle,
emblématique de la poésie. (6)
D’une tout autre façon, mais dans une même (ré)conciliation
moderne, la synthèse que réalise Proust consiste, ne serait-ce
que d’après les seules analyses des Madeleines, en un ancrage des
révélations poétiques, que ces Signes occasionnent,
dans la prose, laquelle va du genre romanesque dominant dans la Recherche
à celui de l’essai, dans le dernier volume. C’est en ce sens qu’il
rend indissociable les deux volets du diptyque suivant, par l’œuvre d’art,
en l’occurrence littéraire :
réalisme transcendant | réalisme empirique |
essence, analogie,
métaphore, extra-temporalité irrationalisme problématique rhétorique-herméneutique (paradigme augustinien) poésie |
contingences, sensations,
anecdotes, temporalité rationalisme problématique logico-grammaticale (paradigme aristotélicien) prose |
Si l'on a intégré à ce tableau l'opposition des
"deux problématiques qui se partagent l’histoire des idées
linguistiques" (logico-grammaticale \ représentation de l'objet
par référence vs rhétorique-herméneutique \
représentation de l'intention par inférence), insiste Rastier
(2001, p. 7), c'est pour montrer combien Proust conçoit ses Signes
sacrés dans une "contextualisation maximale" qui leur confère
leur sens, faisant ainsi de sa vie un texte à interpréter.
Néanmoins, si ce "régime de l'obscurité" passagère,
requise par l'herméneutique, conforte l'opposition avec "l'évidence
positiviste" qui détermine le signe de type logique, décontextualisé,
dans un "régime de la clarté", le tableau rappelle le fondamental
réalisme de Marcel, dont le devenir écrivain qu'il évoque
dans la Recherche le définit comme interprète du monde
et de son vécu, avant d'être celui des mots et des conversations,
dont il cherche, dans la sphère mondaine, à décrypter
l'esprit.
Si bien que dans le "cahier des charges du projet réaliste" (cf. Ph. Hamon, Un discours contraint, Poétique 16, 1973 et Littérature et réalité, Points, 1982), jamais le postulat selon lequel "la langue peut copier le réel" (mimesis empirique), et surtout le révéler dans sa profondeur (mimesis platonicienne, transcendante : copie de l'Idée), n'est remis en cause par Proust. Cela, même s'il contrevient en revanche à cet autre principe du cahier des charges : "le geste producteur du message (style, énonciation, modalisation) doit s'effacer au maximum" (ibid.) ; le faste des périodes, le raffinement des voix et de la modalité épistémique, qu'a mis en évidence Genette dans Discours du récit (1972), à quoi l'on pourrait ajouter ces autres modalisations que sont la mise à distance du propos par l'humour du narrateur et l'ambiguïté évaluative, sont là pour l'attester. C'est en ce sens que se comprend l'assertion de Rastier :
Comment la littérature de notations aurait-elle une valeur quelconque
puisque c’est sous de petites choses comme celles qu’elle note, que la
réalité est contenue (la grandeur dans le bruit lointain
d’un aéroplane, dans la ligne du clocher de Saint-Hilaire, le passé
dans la saveur d’une MADELEINE, etc.) et qu’elles sont sans signification
par elles-mêmes si on ne l’en dégage pas ?
Peu à peu conservée par la mémoire, c’est la
chaîne de toutes les impressions inexactes, où ne reste rien
de ce que nous avons réellement éprouvé, qui constitue
pour nous notre pensée, notre vie, la réalité, et
c’est ce mensonge-là que ne ferait que reproduire un art soi-disant
"vécu", simple comme la vie, sans beauté, double emploi si
ennuyeux et si vain de ce que nos yeux voient et de ce que notre intelligence
constate qu’on se demande où celui qui s’y livre, trouve l’étincelle
joyeuse et motrice, capable de le mettre en train et de le faire avancer
dans sa besogne.
Occ. 23 : Tout un monde contenu la plus petite notation, a priori insignifiante,
voilà en quoi consiste le processus d’abstraction pour lequel plaide
le narrateur bien qu’il s’en défende, en voulant dégager
l’essence du "vécu", qui, sans cette opération, resterait
mensonger – on voit bien ce qu’une lecture phénoménologique
a à gagner de cet univers, pourquoi Merleau-Ponty s’est si souvent
appuyé sur Proust, notamment dans Le visible et l’invisible. Si
bien que la "signification" de ces choses \ mots est indissociable de la
notion de vérité, que garantit la mémoire involontaire,
profonde ; à la différence de "la chaîne de toutes
les impressions inexactes", qui ne sont telles que par le fait qu’elles
ne font pas l’objet d’une introspection. Voilà comment le narrateur
dissocie "notre pensée, notre vie, la réalité" (/péjoratif/)
de "ce que nous avons réellement éprouvé" (/mélioratif/),
et qu’il peut affirmer de façon plus provocatrice que paradoxale,
dans une expression célèbre (p. 474) : " La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie,
la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est
la littérature. " Proclamant cela, Marcel se situe aux antipodes de celle illusion de
"vraie vie" mondaine que croyait mener Swann dans le premier volume de
la Recherche (p. 283) : " En somme la vie qu'on menait chez les Verdurin et qu'il avait appelée
si souvent "la vraie vie" lui semblait la pire de toutes, et leur petit noyau
le dernier des milieux. " (7)
Néanmoins, au-delà du réalisme transcendant dû
à l’inconscient de l’écrivain qui a pour mission de faire
revivre par le souvenir, volontaire ou non, l’expérience authentique
du réel éprouvé (l'Erlebnis), le postulat de Proust
qui l’empêche d’être nominaliste est que "la littérature
note la réalité", dans une vision soit cinématographique
(péjorative) soit approfondie (méliorative) des choses, la
seule à leur donner une "signification". Notons que si la prééminence
de la mémoire involontaire et l'inconscient apparente Proust aux
Surréalistes, il en va de même du réalisme transcendant
vis-à-vis de Mallarmé, qui écrivait : "La Poésie est l’expression, par le langage humain ramené
à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de
l’existence : elle doue ainsi d’authenticité notre séjour
et constitue la seule tâche spirituelle".
Néanmoins l'innovation de la Recherche consiste à ancrer ce spiritualisme poétique, extra-temporel, dans la trame des anecdotes qui constituent les contingences, si essentielles quand plus tard elles sont retrouvées, de notre vie. En sorte que sa critique vise les contemporains qui en restent au réalisme empirique superficiel : " la profondeur d’une œuvre n’est pas inhérente à certains sujets comme le croient des romanciers matérialistement spiritualistes puisqu’ils ne peuvent pas descendre au-delà du monde des apparences " (pp. 476-7).
N’est-ce pas à mes sensations du genre de celle de la MADELEINE qu’est suspendue la plus belle partie des Mémoires d’Outre-Tombe : "Hier au soir je me promenais seul … je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. A l’instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel ; j’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis si souvent siffler la grive". Et une des deux ou trois plus belles phrases de ces mémoires n’est-elle pas celle-ci : "Une odeur fine et suave d’héliotrope s’exhalait d’un petit carré de fèves en fleurs ; elle ne nous était point apportée par une brise de la patrie, mais par un vent sauvage de Terre Neuve, sans relation avec la plante exilée, sans sympathie de réminiscence et de volupté. Dans ce parfum, non respiré de la beauté, non épuré dans son sein, non répandu sur ses traces, dans ce parfum chargé d’aurore, de culture et de monde, il y avait toutes les mélancolies des regrets, de l’absence et de la jeunesse". Un des chefs-d’œuvre de la littérature française, Sylvie, de Gérard de Nerval, a tout comme le livre des Mémoires d’Outre-Tombe, relatif à Combourg, une sensation du même genre que le goût de la MADELEINE et "le gazouillement de la grive". Chez Baudelaire enfin, ces réminiscences plus nombreuses encore, sont évidemment moins fortuites et par conséquent à mon avis décisives. C’est le poète lui-même qui, avec plus de choix et de paresse recherche volontairement, dans l’odeur d’une femme par exemple, de sa chevelure et de son sein, les analogies inspiratrices qui lui évoqueront "l’azur du ciel immense et rond" et "un port rempli de flammes et de mâts".
Occ. 24-25 : L’insignifiant, a priori, doit être élucidé
pour révéler son essence, mais surtout pour acquérir
une valeur littéraire. Celle-ci se manifeste chez les précurseurs
Chateaubriand, Nerval, Baudelaire par l’usage des réminiscences,
d’où se dégage toute la charge affective : isotopie /(post)romantisme/
mais aussi /poéticité/ – double tradition dont se réclame
Proust – par "les analogies inspiratrices", qui sont à ce moment
théorique du récit supérieures à toute trame
narrative, intrigue et autre anecdote, dont regorge pourtant la Recherche.
Le genre est ici celui du traité d’esthétique, dont les linéaments
étaient posés dans le premier volume ; de là cette
impression cyclique que dégagent les réflexions sur les Signes
à la fois naturels et artistiques, au premier rang desquels le célèbre
gâteau.
Concrètement, le goût de la madeleine s’inscrit dans le
sillage du parfum de l’héliotrope (qui justifie enfin l’association
de "l’odeur et la saveur" à l’occ. 5 supra), de l’audition du gazouillement
ou du bruit de cuiller, voire de la vision vénitienne de l’Azur,
si différente de la pureté mallarméenne de l'azur
anti-romanesque.
Récapitulation. Synthétisons les sèmes les plus perceptibles, au fil de l’étude du contenu en contexte de ‘madeleine(s)’. Cette opération illustre le "glissement thématique" qu’évoquait Barthes dans sa lecture au pas à pas dans S/Z :
Pour illustrer l’assertion de Deleuze (op. cit. 1964, p. 11), selon qui "le mot ‘signe’ est un des mots les plus fréquents de la Recherche", citons ses 111 occ. dans les 3 volumes que contient Hyperbase (S = Swann, G = Guermantes, T = Temps retrouvé) en sollicitant la commande CONCORDANCE :
S1 37j| u plus terrible encore, comme un signe que devant la gravité du châtime
S1 52c| comme de petites roses d’or, - signe, comme la lueur qui révèle enco
S1 98e| voir le curé et faisait seulement signe à Eulalie de ne pas s’en aller
S1 112k| se contentent de vous adresser un signe de tête minuscule pour le propor
S1 118d| du coin de son oeil bleu un petit signe en quelque sorte intérieur aux p
S1 126c| connaissions point " et qu’à ce signe on tenait pour " des gens qui se
S1 128h| ' aperçus sur l’herbe, comme un signe de sa présence possible, un kou
S1 155c| nder son nom, mais on me faisait signe de me taire pour ne pas effrayer
S1 168c| de Vieuxvicq agitaient encore en signe d’adieu leurs cimes ensoleillée
S1 172j| éveil, mise en fuite par ce pâle signe qu’avait tracé au - dessus des
S2 180f| trouver personne, faute de faire signe à celui qui en eût été si heureu
S2 191e| ui étaient près d’elle faisaient signe à ceux qui plus loin fumaient ou
S2 64h| ntense du regard, où l’immobile signe d’intelligence du complice se d
S2 85a| ant qu’il ne lui avait pas donné signe de vie, si bien que ce qu’il a
S2 97g| ayez besoin de moi, faites-moi signe et disposez de ma vie ", de mêm
S2 101k| i que M. de Bréauté ajoutait, en signe de festivité, aux gants gris pe
S2 104h| aux yeux des bourgeoises pour un signe de race et troublait quelquefois
S2 113e| ais à Vercingétorix que je ferais signe comme quatorzième. Je sens que
S2 118g| trop longtemps que vous me ferez signe ? ", il sentit l’odeur du f
S2 133b| a la tête en fronçant la bouche, signe fréquemment employé par les gens
S2 133c| voyant Odette lui faire ainsi le signe que c’était faux, Swann compri
S3 164d| e venais d’apercevoir, comme un signe fabuleux, le plumet bleu de Mad
S3 165b| illeurs vous voyez elle vous fait signe. " Elle m’appelait en effet
G1 18b| ut cela. Et Françoise après un signe modeste, évasif et ravi dont la
G1 52i| e rebord de la loge, l’agita en signe d’amitié, mes regards se senti
G1 55c| sur un visage maussade qui par un signe fort sec et bien éloigné de l’a
G1 69c| ne tempête de neige et qui est le signe prémonitoire auquel il est sage
G1 98h| n autre corps, ce peut - être le signe que les précédents ont été anéan
G1 162d| de sa tête comme s’il avait fait signe à quelqu’un que je ne voyais pa
G2 179c| Tiens, bonjour, lui dit sans un signe de tête Mme de Villeparisis en t
G2 185a| trouver, ne lui fit pourtant pas signe, mais tout naturellement il vin
G2 190b| our résultat qu’elle m’eût fait signe de venir dans sa baignoire et m’
G2 199h| me demanda M. de Norpois avec un signe d’intelligence en me serrant la
G2 199i| ' il avait cru devoir apporter en signe de cérémonie, car je venais de
G2 201e| parisis qui lui dit bonjour d’un signe de tête en sortant une main de s
G2 242d| r, car il ne m’avait fait aucun signe. Or, bien qu’il ne fût pas
G2 243d| is lié avec Saint - Loup, me fit signe de venir auprès d’elle. Ne l
G2 248j| i s’était rassise, et il me fit signe de le suivre dans le petit salon
G2 267f| rt le thermomètre pour effacer le signe fatidique, comme si nous avions
G3 7f| e … " Au moment où, je faisais signe à un fiacre, j’avais rencontré
G3 21c| on aurait pu en somme trouver un signe qu’il fût ému de notre chagrin
G3 28a| rter ses cheveux. Mais on me fit signe par la porte de venir. La nouve
G3 28c| elles macabres. Je voudrais en signe de sympathie serrer la main à mo
G4 39b| secondes seraient tout de même un signe qu’elle est malade et les premi
G4 45h| ente ; mais cela est justement le signe d’un changement et il me sembla
G4 51e| iser ". - Faut-il que je le signe ? - Mais si je le prenais tou
G4 58d| sentiment dont ils eussent été le signe pour un chevalier et sa dame tel
G4 64c| ce qui semblait à la duchesse le signe qu’un étranger faisait partie d
G4 66d| Ces stupides abréviations sont un signe de l’incompréhension que l’ari
G4 93i| pour me tenir chaud. Il me fit signe de loin de ne pas me déranger,
G4 113d| la contemplation des Elstir) le signe qu’on pouvait servir. Il fau
G4 114b| du jeune invité mettait, sur un signe du maître, tous les rouages en
G4 114b| sement souverain qu’avait été ce signe du duc, auquel avait répondu le
G4 148d| fait de sa place avec la tête un signe affirmatif. " Ce " tonnerre
G4 154g| me, partageait avec elle, d’un signe d’intelligence et de bonté, l’
G4 156f| envoyer les faisans. Et faisant signe au valet de pied fiancé, avec q
G4 169c| pour ne manquer à aucun, faisant signe aussi qu’on me redonnât des asp
G4 171h| u langage de la duchesse était un signe de limitation et qu’en elle et
G4 172f| si drôlement l’auteur exquis qui signe E. De Clermont - Tonnerre, " n
G4 222c| ler entre ces deux Rembrandt, en signe de notre réconciliation. Vous e
G4 227d| es valeurs environnantes par le " signe " mathématique ou esthétique qui
T1 32a| it léonardesque ! " Mais sur un signe de Verdurin indiquant le réveil
T1 33e| stive dissertation passa, sur un signe gracieux de la maîtresse de mais
T2 119d| es événements mais a adopté comme signe de ce temps le verbe savoir ".
T2 120d| ns les articles de Norpois est le signe du futur, c’est - à - dire le
T2 120d| e du futur, c’est-à-dire le signe des désirs de Norpois et des dés
T2 120e| oir n’était pas devenu le simple signe du futur, on comprendrait à la
T2 143d| diverses positions divergentes, signe d’un incident possible dont je
T2 156c| t mettre le ciel parisien sous le signe oriental du croissant. Pour u
T2 201d| ' est cela qui leur eût semblé le signe du courage. Aussi, bien qu’il
T3 20a| ui fût fécond et véritable. Le signe de l’irréalité des autres ne se
T3 60b| r notre avenir à la fois comme un signe néfaste de souffrance et comme u
T3 60b| néfaste de souffrance et comme un signe heureux de consolation.
T3 61b| utre point de vue, l’œuvre est signe de bonheur, parce qu’elle nous
T3 116c| eur des cheveux semblait comme un signe de la profondeur du temps vécu
T3 157a| anche aura saisi à la volée comme signe sympathique et caractéristique,
T3 158c| ais ici en une place qui était un signe de la gloire, maintenant acquis
T3 173a| Le fait sembla être un signe, chez Gilberte, de son penchant
T3 231a| t dont la grande supériorité, le signe d’élection selon elle, étaientS1 32i| discernait immédiatement, à des signes insaisissables pour nous, tout
S2 18h| rlez pas, ne me répondez que par signes pour ne pas vous essouffler enc
S2 21e| ubstitue à l’autre et abolit les signes jusque-là invariables par les
S2 64e| x des autres, l’aspect même des signes extérieurs par lesquels ce cara
S2 70f| ette depuis un moment donnait des signes d’émotion et d’incertitude.
S2 101f|, - au lieu d’être pour lui des signes pratiquement utilisables
S2 109g| rner sa figure, remplie de mille signes de connivence dénués de rapport
S2 110e| aisait, sans qu’il la vît, des signes de s’en aller. Une nouvelle
S2 125d| quelque attention, il notait ces signes apparents et menteurs d’un lég
S3 168i| utées au crayon un des facteurs, signes de réalisation effective, cach
G1 59i| ucun compte d’elles, dans mille signes extérieurs, même dans certains
G1 98f| tits événements, ne sont que les signes d’une idée qu’il faut dégager
G1 152f| ses pieds et avec ses mains, des signes d’énervement. - Mais, Zéz
G1 159e| au ciel, esquissant de gracieux signes avec les paumes de ses mains,
G3 12d| se tint debout, fit à maman des signes gais de la main. Je lui avais
G4 42f| tte fois - ci pourtant, certains signes semblaient indiquer que des cho
G4 54b| é, j’appris, à ces détestables signes, qu’enfin j’étais en train d
G4 76d| e, et restés à cause de cela les signes avant - coureurs d’un divertis
G4 76d| ières et de musique. Comme des signes magiques ils l’évoquaient, bi
G4 108e| lutôt à faire croire par tous les signes extérieurs du langage muet qu’
G4 109g| monsieur qui donnait de nombreux signes d’agitation : c’était le comt
G4 110k| r devant moi les révérences, les signes d’intelligence, les sourires
G4 136b| uermantes bâillait et donnait des signes d’impatience si l’imprudence
G4 248j| duc qui m’avait déjà adressé des signes d’épouvante en voyant l’immen
T2 157c| me pas la peine de répondre à mes signes. Le seul endroit où j’aurai
T3 10a| Alors on eût dit que les signes qui devaient ce jour - là me ti
T3 24b| ' il y avait peut - être sous ces signes quelque chose de tout autre que
T3 24e| erpréter les sensations comme les signes d’autant de lois et d’idées,
T3 25e| jours. Le livre intérieur de ces signes inconnus (de signes en relief
T3 25e| rieur de ces signes inconnus (de signes en relief, semblait-il, que
T3 51a| nc rendre leurs sens aux moindres signes qui m’entouraient (Guermantes
T3 96a| son visage quelques - uns de ces signes qui sont plutôt la caractéristique
Hyperbase montre que les 161 occ. de ‘mémoire(s)’ ou les 182 occ. de ‘autrefois’ sont pourvues d’un fort écart réduit que ne possède pas ‘signe(s)’, pas plus que les 77 occ. suivantes de ‘sensation(s)’, qui constituent une piste d'enquête complémentaire :
S1 46b| en quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet
S1 47c| s, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. Et pour que
S1 72e| reculer au quatrième, rendait la sensation du fleurissement
S1 80c| ine assez clair pour lire, et la sensation de la splendeur de la lumièr
S1 82g| états différents, en revanche la sensation même du changement nous soit
S1 83e| ête de la vérité. Car si on a la sensation d’être toujours entouré de
S1 116c| put reconnaître ni cette agréable sensation de pitié et d’attendrisseme
S2 194c| différencier. Ainsi à peine la sensation délicieuse que Swann avait r
S2 51g| e Paris ; mais il n’avait pas la sensation d’être au bal en se tenant
S2 51h| les chapeaux lui donnait la même sensation d’étouffement que peut caus
S2 66h| forte qu’il avait lui - même la sensation musculaire de sa grimace jus
S2 94a| journée, il avait comme dilué la sensation dans le torrent des impressi
S2 149e|. Et pourtant il se rappelait la sensation de l’eau froide et le goût
S2 150g| mémoire en avait été chercher la sensation exacte. Et avec cette muf
G1 11c| rsonne qui passe. Mais qu’une sensation d’une année d’autrefois -
G1 54c| sourire de Mme de Guermantes, la sensation de douceur qu’il m’avait d
G1 86a| mon logis, la même plénitude de sensation que j’avais eue dehors. El
G1 150a| modeste, elle dit : " Si, comme sensation, je trouve que c’est bien
G4 39g| eur perception ajoute encore à la sensation du repos. Pour revenir en
G4 77h| reconnusse la cause me donna une sensation d’étouffement et de claustr
G4 148c| ur ce n’est pas trop dire (vive sensation dans la partie droite de l’
G4 150h| ), elle avait produit une énorme sensation à une soirée chez la princes
G4 151g| rs, mais leur communiqua la même sensation d’indépendance et de charme
T2 213a| encore familiarisé, à ce qu’une sensation toute nouvelle a une force p
T3 225b| ns détaché de mes pensées par une sensation d’une extrême douceur ;
T3 8g| avaient jamais rien dit et que la sensation que j’avais ressentie jadis
T3 11e| is, je comprenais trop ce que la sensation des dalles inégales, la rai
T3 12c| euri d’un restaurant champêtre, sensation de faim, désir des femmes,
T3 12e| ien diverses, et nous donnent la sensation d’atmosphères
T3 13d| s et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement
T3 15e| ure, qui avait fait miroiter une sensation - bruit de la fourchette et
T3 17e| petite zone, autour de moi, une sensation (goût de la madeleine tremp
T3 17e| eine trempée, bruit métallique, sensation de pas inégaux qui était com
T3 17g| ale et chaude) bien plus qu’une sensation simplement analogue à celle
T3 18a| lement un écho, un double d’une sensation passée que venait de me fair
T3 18a| e la conduite d’eau, mais cette sensation elle - même. Dans ce cas -
T3 18a| comme dans tous les précédents la sensation commune avait cherché à recr
T3 19a| eu lointain engendré autour de la sensation commune, s’était accouplé
T3 21b| omenades, tout cela attaché à la sensation du large comme les ailes des
T3 23d| nces, mais qui cachaient non une sensation d’autrefois, mais une véri
T3 25c| n fortuite, inévitable, dont la sensation avait été rencontrée, contr
T3 33d| nous le lisions. Dans la moindre sensation apportée par le plus humble
T3 80d| ssion de beauté que, quand à une sensation actuelle, si insignifiante
T3 80d| - elle, venait se superposer une sensation semblable, qui renaissant s
T3 82e| Tombe, relatif à Combourg, une sensation du même genre que le goût de
T3 83a| se desquelles se trouve ainsi une sensation transposée, pour achever de
T3 114d| me donnait avec tant de force la sensation du Temps. Les femmes tâch
T3 137b| ient ses maîtresses. Encore la sensation du temps écoulé et de l’ané
T3 193c| - dire qu’on oublie la première sensation de malaise, on dégage ce quS1 51c| ait, elle prêtait à ses moindres sensations une importance extraordinai
S2 193j| es arabesques, à nous donner des sensations de largeur, de ténuité, d
S2 194a| otes sont évanouies avant que ces sensations soient assez formées en nou
S2 49j| e il la payait, en dilettante de sensations immatérielles, lui en augm
S2 61h| t et mondain, par association de sensations et de souvenirs, elle épro
S2 82c| devenait surtout un goût pour les sensations que lui donnait la personne
S2 125i| ar dans des lieux nouveaux où les sensations ne sont pas amorties par l’
G1 154c| multipliait en même temps que ses sensations exaltées par l’ivresse et
G1 154e| e et puissant de la minute où les sensations sont si fortes que je ne sa
G4 54g| vements de ses membres, dans les sensations éprouvées par son corps, a
T3 7c| ans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé et que les
T3 8g| ait rendue avec toutes les autres sensations jointes ce jour - là à cett
T3 9e| dalles inégales m’envahit ; les sensations étaient de grande chaleur e
T3 17c| mait sans doute la différence des sensations, mais elle ne faisait que
T3 21c| es les dimensions, de toutes les sensations que j’y avais éprouvées,
T3 24e| fallait tâcher d’interpréter les sensations comme les signes d’autant
T3 33d| toutes nos préoccupations ou nos sensations de ce temps - là et se mêle
T3 39c| e en réalité à ce moment - là des sensations multiples et différentes.
T3 39e| est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous e
T3 40b| ochant une qualité commune à deux sensations, il dégagera leur essence
T3 53b| s du temps l’essence commune aux sensations du passé et du présent, ma
T3 80e| ait mon âme où habituellement les sensations particulières laissaient ta
T3 80e| raison pour que je ne reçusse des sensations de ce genre dans le monde a
T3 80f| es recommencent à nous donner des sensations dont l’habitude fait faire
T3 81a| stement et uniquement ce genre de sensations qui dût conduire à l’œuvre
T3 81e| avait toujours été à la suite de sensations de ce genre. Il est vrai
T3 82a| N’est-ce pas à mes sensations du genre de celle de la madeleine
Il appert d'un tel afflux de données contextuelles que le recours au logiciel est requis afin de sélectionner des cooccurrents du mot vedette (reposant sur une fonction statistique, ou simplement sur des régularités lexicales visibles à partir de la commande TRI CONTEXTE GAUCHE ou DROIT : par exemple l'expression "faire signe" sera empreinte de superficialité par opposition avec les "signes" au pluriel qui, systématiquement, ont une tonalité plus profonde). On voit à quel point l'assistance automatique fournissant une organisation préalable rend de tels relevés plus intelligibles, et facilite leur étude.
[1] C’est dans un tel contexte que la thèse de Deleuze, résumée comme suit, acquiert toute sa portée : "On invoquera le platonisme de Proust : apprendre est encore se ressouvenir. Mais, si important que soit son rôle, la mémoire n’intervient que comme le moyen d’un apprentissage qui la dépasse à la fois par ses buts et ses principes. La Recherche est tournée vers le futur, non vers le passé." (Proust et les signes, PUF, 1964, p. 10)
[2] Cf. le premier volume, Du côté de chez Swann, où les domaines //architecture// et //pâtisserie// entraient déjà en connexion métaphorique, notamment avec le pavé mielleux de l’église, dont le clocher figurait une brioche dorée (pour les citations, cf. infra chapitre suivant), comme si la possibilité de consommation d’une matière a priori non comestible symbolisait la pénétration mentale et spirituelle de ces choses.
[3] Comme plus bas l'occ. 22. Il s'agit là de ces "moyens de liaison" qui avaient frappé Spitzer, à propos du style de Proust. Il ajoutait, selon un réalisme qui faisait du langage, dans sa matérialité, un reflet du mental de l’écrivain : "Les périodes proustiennes ne font que transposer dans la langue cette amplification intérieure de l’événement psychologique." (Etudes de style, 1970, p. 404)
[4] Commentant ce passage, Rastier (1992 e, p. 107) note que "par une inversion ultime du platonisme, la contemplation intérieure chez les contemporains devient une recherche angoissée de l'Inconscient, qui remplace pour ainsi dire le ciel des Idées." Il ajoute que "jusqu'à ce siècle, la théorie de la contemplation intérieure sera reformulée pour la poésie lyrique, qui relève du réalisme transcendant (cf. notamment le thème du Voyant)", avec lequel renoue ainsi le roman proustien.
[5] C’est parce que cette figure de style unit en les mélangeant deux époques, deux lieux, deux objets qui "échangent leurs déterminations" qu’elle "est essentiellement métamorphose", remarque Deleuze en commentant ce célèbre passage (op. cit., 1964, p. 61).
[6] On retrouve là un clivage qu’étudiait D. Combe, lorsqu’il situait la rupture littéraire historique décidée par ces deux auteurs phares, en quelque sorte rivaux et contemporains de Proust, qu’étaient Mallarmé et Valéry. Citons une de ses phrases-clés : "La procédure d’exclusion qui a présidé à la définition de la poésie pure participe au plus haut point d’une logique essentialiste, toute platonicienne." (1989, p. 26) Si cette purification s’exerçait à l’encontre du roman, l’intérêt de la thèse de Combe fut de montrer son refus de l’antinomie : "prétendre que la poésie exclut le récit, c’est déjà accomplir un coup de force en ‘faussant’, en gauchissant des catégories employées contre nature" (1989, p. 33), de rappeler que la poésie s’oppose à la prose, et que contrairement à elle, "le récit n’est pas une forme historique de la littérature".
[7] Notons au passage que ce rapprochement des contextes eût été beaucoup plus difficile et incertain sans l'assistance informatique. L'accès immédiat aux zones de localité du texte n'est pas le moindre de ses avantages.
© Texto! 2003 pour l'édition électronique